SIGNA MILITAIIIA. Enseignes militaires.
ORIENT. -Partout oit l'on voit de nos jours des clans de demi-civilisés partir en guerre, on constate qu'ils emportent avec eux, pour les guider et pour les protéger, la divinité tutélaire du clan. Tel était le rôle du cheval blanc que les l'erses et les Germains emmenaient en campagne, de l'arche des Hébreux, du taureau de bronze des Cimbres. Comme le montre ce dernier exemple, à défaut de l'animal divin, son image suffisait, d'après cette idée primitive que limage n'est, en quelque sorte, qu'un moule oit la divinité est tenue de se rnanifester. La façon la plus commode de porter en campagne une image de ce genre est, assurément, de la hisser-au sommet d'une perche, doit 1a divinité dominera la troupe de ses fidèles, verra mieux et sera mieux en vue. C'est le procédé que l'on trouve déjà en usage dans l'Égypte prédynastique I,
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1000 ans peut-étre avant notre ère. Chaque village apparait, sur les vases primitifs, dominé par une poutre élancée au haut de laquelle est fixée l'enseigne A la chasse ou à la guerre, c'est cette enseigne que le clan emporte. Sur les palettes qui nous ont conservé l'histoire des guerres des premières dynasties, les exploits de chaque clan sont représentés comme ceux de son animal sacré. Ainsi, sur des enseignes qui portent un chacal, un lévrier, un ibis, un faucon, un boumerang, une palme, une paire de flèches croisées (car certaines armes et certains végétaux peuvent servir d'enseignes aussi bien que les animaux), on voit des cordes attachées à la planche transversale qui supporte ces figures, cordes qui servent à suspendre ou à trainer l'emblème du clan vaincu. Ailleurs, la perche elle-même se termine inférieurement par une main qui saisit la victime ; ailleurs encore, des bras humains semblent sortir de la planche transversale pour enchaîner un captif ou attaquer une place ; c'est de même par une main que se terminera l'enseigne romaine. L'enseigne est si respectée qu'elle a été portée d'abord par le chef féodal, puis par le général, avant d'être conliée à un porte-enseigne, qui a une paire de lions pour armoirie. Au sommet d'une longue hampe, il élève ou l'animal sacré d'un nome, ou le symbole d'un des grands dieux de l'Égypte, ou encore, précédent curieux de l'usage romain, le cartouche du pharaon. Quel que soit l'emblème porté en tète des troupes, on voit s'affirmer toujours la même idée religieuse qui est toute la raison d'être de l'enseigne aussi bien en Égypte qu'en Assyrie et qu'à Rome : intéresser directement à la victoire des siens la divinité tutélaire, bénéficier de la force magique qui émane de son image, décupler ainsi la force de ses fidèles par le devoir de protéger et de faire triompher le dieu qui les guide. C'est ce que les Égyptiens avaient entrevu quand, pourexpliquerpourquoi l'on retrouvaitsur leurs enseignes les animaux adorés dans leurs temples, ils (lisaient à Diodore de Sicile 1 : « Les habitants de l'Égypte étant, au début, souvent vaincus par leurs voisins à cause du désordre de leur armée, ils eurent l'idée (le se donner, dans les batailles, un signe de ralliement ; or, ces signes sont les images des animaux qu'ils vénèrent aujourd'hui et que les chefs portaient fixés à la pointe de leurs piques, en vue de chaque rang de soldats. Le bon ordre dù à ces enseignes contribuant beaucoup à la victoire, on se figura que le salut venait d'elles; aussi établit-on la coutume de ne tuer aucun des animaux représentés, eL cette coutume se transforma ensuite en culte e.
Dans tout l'Orient antique, ce sont des dieux ou des symboles divins qu'on retrouve sur les enseignes : si le futur monothéisme juif nous a laissé ignorer quelle
image portait Prit/1 de chaque tribu et le dégel de chaque groupe de trois tribus 2, et s'il a même obligé les troupes romaines à retirer de leurs enseignes les médaillons des empereurs quand elles entraient à Jérusalem', on voit sur les enseignes chaldéennes l'aigle aux ailes éployées, les lions ou les taureaux passants
des symboles comme le croissant ou le disque solaire que l'on retrouvera à Rome', ou encore un véritable vexillum. Deux mille ans plus tard, chaque bataillon des charriers assyriens se rallie autour d'une grande perche que porte un des chars, perche qui se termine par une rosace oit la foudre est représentée par des faisceaux de lignes brisées, soit par
le dieu Assour sous forme d'un aigle à buste humain qui tire de l'arc, soit par l'archer Mardouk deboutsur un taureau bondissant, ou placé au-dessus de deux taureaux adossés (fig. 6406)". Le dieu tonnant, monté sur un taureau ou s'élevant au-dessus des taureaux adossés, a été introduit par le culte de Jupiter Dolichenus dans les légions romaines(fig.`1489). Sur leurs enseignes, à la rencontre des deux taureaux, on voit parfois une rosace à. sept branches qu'on connaît déjà en Assyrie ; à la
naissance du disque des enseignes assyriennes pendent deux glands à franges qu'on retrouvera aussi sur les enseignes romaines. Un char sacré suit l'armée assyrienne, portant les enseignes ; dans le camp, il est placé au milieu et un autel est aussitôt aménagé devant lui ; c'est ce qui se fera pareillement dans le camp romain Les camps égyptiens ont également leur sanctuaire portatif et leurs chars de guerre sont surmontés de même par l'enseigne divine '.
Chez les Perses, l'enseigne royale esta un grand aigle doré, porté au sommet d'une forte lance e. C'est un aigle ou peut-être un coqqu'on croit voir brodé ou peint au milieu du drapeau des cavaliers perses qui entourent Darius Codoman sur la mosaïque de la Bataille d'Issus'. Tout comme le ve,xillum romain, ce drapeau est un carré d'étoffe pourpre, muni inférieurement de franges et attaché à une traverse sous la pointe même qui termine la hampe. Sur une coupe de Douris, un porte-enseigne perse porte une sorte de double vexil
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lum ; deux carrés divisés par les diagonales en quatre compartiments, deux blancs et deux noirs, s'agitent de part et d'autre d'une hampe (fig. 6407)1. Peut-être,
comme tous les peuples qui ont subi l'influence des Scythes, les Perses avaient-ils aussi un serpent comme guidon. A côté de l'aigle et du faucon, insignes royales2, les Parthes, qui ont subi profondément cette influence, marquent à l'image du dragon leurs fanions de soie 3 ; le même dragon, dont le domaine s'est étendu jusqu'en Chine, enseigne nationale des Scythes, des Bisaltes 4, des Sarmates, des Daces, a passé de ces peuples dans l'armée romaine.
Grèce. On voit par cet aperçu que tout l'Orient a connu les enseignes. En Occident, celles de Rome ne diffèrent pas essentiellement de celles des Étrusques ou des Sabelliens, des Ligures ou des Gaulois. Au milieu de tous ces peuples chez qui l'usage des enseignes est avéré, la Grèce classique parait l'avoir ignoré. Le mot argfïov, qui
servira à traduire signum, désigne, en langage militaire, le signal qui marque le début du combat, signal qui peut consister aussi bien à embraser une torche ° qu'à hisser une étoffe °. 'E7tla-quov est le nom de l'armoirie qu'on peignait au centre des boucliers, tantôt attribut de la divinité nationale la massue d'Héraklès en Béotie le trident de Poséidon à Mantinée' tantôt initiale du nom du peuple A chez les Lacédémoniens 10, ^Iv chez les Messéniens n, Z chez les Sicyoniens 12 [cLuiEus p. 1`250]. Bien que l'introduction de ces emblèmes sur les boucliers soit attribuée par Hérodote aux Cariens 13 et qu'il faille descendre jusqu'aux céramistes du vie siècle et jusqu'à Pindare pour les voir attribués aux héros de l'épopée t4, il est difficile d'imaginer que des chefs qui sculptaient leurs armoiries sur leurs portes ou les gravaient sur leurs sceaux comme ceux de Mycènes ne s'en servissent pas aussi pour reconnaître et pour rallier leurs fidèles dans la bataille. En rapprochant de quelques passages homériques l'objet inexpli
qué qui pend au haut de la hampe de la lance que portent les guerriers d'un vase bien connu de Mycènes (fig. 3i 40), on a voulu conclure à l'existence de fanions à la fin de l'époque mycénienne''. Toujours est-il qu'on peut reconnaître un pavillon à la poupe des navires représentés sur certains vases du Dipylon 1U. Ce serait l'ancêtre de la stylis, hampe cruciforme dont la traverse portai t peutêtre une flamme, qui paraît avoir orné régulièrement l'arrière des galères athéniennes [s'rYLIS]. C'est seulement avec Alexandre qu'un drapeau apparaît dans l'armée. Aussi a-t-on pensé que c'est à la Perse qne le conquérant avait emprunté l'étendard pourpre qu'on brandit au haut d'une sarisse pour donner le signal de la bataille 17. Je préfère voir dans cette phoin'iki.s l'antique insigne du roi en tant que chef de guerre, insigne qu'on retrouve à Rome. La phoinikis flotta au haut du corbillard d'Alexandre 18 etl'on doit probablement l'imaginer d'après le drapeau qu'un roi hellénistique tient à la main [CLAVUS, fig.1615]sur une fresque de PompéiJD, imitée sans doute d'une peinture de Pergame : fixée sur une traverse, l'étoffe forme inférieurement quatre pointes ; de ses extrémités deux cordons partentpour s'attacher sous le fer de la lance à laquelle elle est fixée ; leur point d'attache est caché par un objet rond, pommeau ou peut-être médaillon avec 1a tête du monarque, comme on en trouvera à Rome sur les enseignes impériales. L'enseigne royale n'était pas la seule dans les armées hellénistiques. Arrien montre la chiliarchie des hétaires « conduite par l'enseigne telle qu'elle avait été faite sur les ordres d'Héphestion 26 r. Bientôt chaque bataillon dut avoir la sienne. On pouvait déjà l'inférer des textes où Tite Live parle du grand nombre des enseignes gagnées par les Romains dans leurs victoires sur Philippe V ou sur Antiochus III 21. Les découvertes récentes faites en Égypte 22 y montrent, peut-être par une tradition remontant à l'armée pharaonique, chacune des unités qui correspondent aux manipules romains ayant son sémeiophoros; c'est ainsi que ar vo ov prit le serfs dans lequel Polybe l'emploie pour traduire manipule ou cohorte 23
ROSIE. Voltera et éléments des enseignes. Jusqu'au dernier siècle de la République, on est réduit, pour se figurer les enseignes romaines, à quelques textes dont les auteurs ne s'en référaient eux-mêmes qu'à la tradition. 1lanipulus a été expliqué par une étymologie
Il
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qu'on n'a pas de raison sérieuse pour contester : Romulus aurait divisé ses compagnons par groupes de cent hommes ayant pour enseigne une perche surmontée d'une poignée de branchages ou d'herbe, particulièrement du foin
L'étymologie du motvexillumn'est pas moins transparente 2: il s'agit d'un petit velum, d'une étoffe flottante. On rapporte que, lorsque les Romains se réunissaient en armes au Champ de Mars, un drapeau rouge flottait sur la citadelle'. En cas de lunlullus, on hissait deux vexilla, le rouge et le bleu, qui appelaient respectivement aux armes les fantassins et les cavaliers 4. Au temps de Crassus
comme au temps de Fabius 6, le drapeau rouge flottait dans le camp sur la tente du général. Enfin, Pline nous apprend qu'avant Marius, la légion était conduite au combat par cinq enseignes portant des figures d'animaux qu'il énumère dans l'ordre suivant : aigle, loup, minotaure, cheval, sanglier '. De ces enseignes, Marius n'aurait conservé que l'aigle, devenue le symbole même de la légion [LEG10]. Le vexillum survécut sous sa forme, apparemment primitive, d'une étoffe carrée, attachée à une traverse fixée sous la pointe d'une lance; le souvenir du manipulus s'est peut-être conservé dans la main ouverte qu'on voit souvent au haut des enseignes manipulaires et dans les couronnes de verdure qui les décorent. Nous avons à considérer ce que les monuments de l'époque impériale apprennent sur ces trois catégories d'enseignes.
L'aquiia, insigne de la légion', consiste essentiellement en un aigle, les ailes éployées, tenant dans ses serres le foudre. A l'époque républicaine l'aigle était en argent, le foudre en or"; sous l'Empire l'aigle lui-même fut doré 10 D'après les exemplaires retrouvés, il faut croire que l'argent ou l'or n'étaient qu'appliqués sur du bronze, métal de bon augure. Quand la légion a reçu une couronne, celle-ci, fondue probablement dans le même métal que l'aigle, est placée dans ses serres11 ou sur ses ailes ; quand ce sont des phalères dont elle a été honorée, elles sont fixées sur la hampe. Cette hampe, parfois argentée, est munie inférieurement d'une forte pointe, avec cran d'arrêt qui sert à l'enfoncer l' et, vers le milieu, un crochet qui permet de l'arracher (fig. 6!108).
Elle se termine à la hauteur de l'épaule de l'aquilifer, qui la tient dans la droite, par une sorte de chapiteau (fig. 64101 13. Sur ce chapiteau vient se fixer labase creuse placée entre les serres
de l'aigle; parfois un trou ou un passant, ménagé dans le corps même de l'aigle, permettent d'en consolider l'attache. Ailleurs, le chapiteau est ciselé de façon à faire corps avec le foudre, en un de ces longs fuseaux d'où s'échappent des éclairs (fig. 6!08,6109, etc.),telsqu'onles voit dans les foudres représentés au centre du bouclier du légionnaire [LEGIO, fig.
Dans les signa nlanipu/arum, ee qui semble essentiel c'est la lance elle-même, l'antique symbole du dieu de la guerre, pourvue de sa
pointe et de son talon (cuspes) i4. Un cran d'arrêt l'empêche de s'enfoncer trop en terre"; sous la pointe se trouve une petite traverse d'où pendent des bandelettes de pourpre terminées par des feuilles de lierre en argent ; quelquefois la hampe ne dépasse pas cette traverse ". Sur la hampe sont fixées diverses décorations: les unes, appartenant à la catégorie des doua mililaria, ont été conférés pour certains faits d'armes, comme on sur le foudre. décore encore de nos jours les dra
peaux; les autres consistent en représentations d'animaux. Celles-ci apparaissent sous les Flaviens, pour se développer surtout sur les monnaies légionnaires de Gallien, qui passa la meilleure partie de son règne (233-68) à combattre sur le Rhin et sur le Danube et qui paraît y avoir régularisé l'emploi des brigades de cavalerie barbare Elles furent imitées par l'usurpateur gau
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lois Victorinus (2,68) et par l'usurpateur breton Carausius (286-293)1. On peut induire de ce fait que l'influence de l'Orient et de ses cultes zodiacaux, qui atteint son apogée sous les Sévères, a moins contribué au développement des enseignes animales que l'invasion de l'armée romaine par ces barbares qui pratiquaient la zoolâtrie et marchaient au combat sous la conduite d'un taureau ou d'un bélier sacrés, comme l'attestent les signa des auxilia constitués par eux. On n'ignorait sans doute pas à Rome que cette coutume était celle des légions d'avant Marius, coutume dont l'aigle avait conservé le souvenir. Aussi ne dut-on guère s'étonner de voir chaque légion adopter, à côté de l'aigle
devenu l'emblème général de l'armée impériale, un animal pour attribut particulier (fig. 6410) 2, qui pouvait servir de lien aux multiples détachements dans lesquels la légion était décomposée. Chaque légion pouvait avoir plusieurs de ces emblèmes et plusieurs légions le
même emblème, comme le montre le tableau suivant:
Sur 32 légions dont on connaît actuellement les enseignes particulières 03, 2 se présentent avec 4 enseignes, 8 avec 3 enseignes, 6 avec 2 enseignes, et l'on ne saurait assurer que ce ne soit pas le seul hasard qui ne nous fait connaître qu'une enseigne pour les seize autres. De la fréquence des différents emblèmes, on peut tirer des remarques plus importantes : 11 mentions du taureau, 9 du capricorne, dont une associée à Jupiter et une à Hercule, 6 du lion, dont une en compagnie de la Victoire, 4 du sanglier, 3 de la cigogne, 3 de Pégase, 3 de la galère, 2 de Neptune, 2 du centaure, 2 du bélier dont un avec la Victoire, 2 de l'aigle associé à la Victoire, 1 de l'éléphant, 1 de la foudre, 1 de Minerve, 2 d'Hercule dont un avec le capricorne, 1 de Jupiter avec le capricorne, 1 de Mars, 1 de Vénus Victrix, 4 de la Victoire.
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Ces chiffres permettent de contrôler le système par lequel Domaszewski a tenté d'expliquer ces enseignes animales' : ces emblèmes seraient des signes du zodiaque avec lesquels l'origine de la légion serait en rapport. Mais, seuls, le capricorne et le centaure sont certainement des signes zodiacaux ; pour le lion, le taureau et Pégase, leur caractère sidéral n'est qu'une hypothèse. D'ailleurs. plusieurs de ces emblèmes sont antérieurs à la grande expansion de l'astrolâtrie au temps des Sévères : l'éléphant aurait été donné par César comme insigne à la legio V Alauda, pour avoir arrêté en Afrique, la charge de ces animaux2; déjà le taureau et le capricorne de la legio IV htaeedonéea sont gravés (fig 4427) sur un coffre perdu par elle sur le champ de bataille de Crémone3 et la stèle qui montre (fig. 6114) le capricorne de la
legio XIV Gelnina est d'époque tlavienne'. Sur les 1f légions qui ont le taureau pour emblème (emblème que César aurait donné à ses légions, d'après Dmnaszewski, parce que le signe du taureau est celui du mois au
quel préside Vénus, la
protectrice de la gens
Julia) on n'en trouve
que 5 qui aient fait partie des armées du dictateur. Le Capricorne avait présidé à la conception d'Auguste : aussi auraitil choisi ce signe zodiacal pour les légions créées par lui et l'on peut montrer, en effet, que, des 9 légions qui présentent cet emblème (fig. 6411), 6 ont été créées ou réorganisées par Auguste 3. Véritable organisateur des cohortes prétoriennes, Tibère leur aurait donné le Scorpion, signe sous lequel il était né6. Dans le mois auquel préside Minerve, le soleil est dans le signe du Bélier: aussi Domitien, qui avait pour cette déesse une dévotion particulière, donna-t-il le bélier à la I Minervia formée par lui. Les légionsàl'insigne du lion (fig. 6412) seraient celles de l'armée de Lépide qui, comme grand pontife, aurait choisi le signe qui correspond à Jupiter. Mais M. Renel a rappelé avec raison que le lion est le symbole ordinaire de la vaillance militaire et que le lion et le taureau tiennent une place éminente dans la religionmithriaque7; l'importance du taureau n'était pas moindre dans le culte deJ upiter Dolichenus, si répandu dans l'armée. Pour la cigogne, dont Dornaszewski croit qu'elle est devenue l'emblème de la III Italica parce que cette légion était
aussi surnommée Concordia et que la cigogne serait le symbole de la Concorde, Renel a fait voir qu'il vaut mien x songer à Pia I'idelis, autre surnom des légions Il et III Italieae 3 ; si la déesse Pietas parait avoir eu, dès l'époque de la République, la cigogne pour symbole, il faut rappeler aussi le grand rôle de la cigogne et de la grue dans les superstitions gauloises et germaniques. Le rôle du sanglier y était encore plus considérable et c'est sur les bords du
Rhin et du Danube que s'est écoulée la meilleure partie de la carrière de trois (1 l'aller-1, II Adjutrix, XX Valeria Victrix) des quatre légions qui placent cet animal sur leurs enseignes (fig.6413)5. Quantaux six légions qui ont pour emblème une galère Ou Neptune, on peut montrer qu'elles le doivent à ce qu'elles ont été formées de marins ou cantonnées au bord de la mer.
On voit par ces exemples que, loin d'être l'application d'un système préconçu, les circonstances les plus diverses, dont la plus immédiate nous échappe peutêtre souvent, ont influé sur le choix des emblèmes animaux
des légions. Si l'approbation impériale était sans doute nécessaire pour autoriser leur adoption sur les signa, rien n'était moins systématique que leur choix et que leur disposition. Le coffret déjà cité de Crémone montre une hampe supportant un disque sur lequel est gravé un taureau bondissant (fig. 4427); sur une monnaie légionnaire, le taureau est debout sur la hase transversale d'où pend le vexillum (fig. 6412); sur le cippe de Mayence (fi g.6414), sur des monnaies, le capricorne semble fixé au premier tiers de la hampe 10, tandis que le capricorne de bronze (fig. 6411), retrouvé dans la même région, est monté sur
douille de façon à pouvoir être placé au sommet de la
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hampe. De même les figures de la Victoire et d'autres divinités' sont placées (fig. 6415) comme l'aigle, tantôt à l'extrémité de la hampe (sur une base ou chapiteau ou au-dessus d'une couronne ou entourées par elle, ou devant un vexillu n), tantôt plus bas, entre d'autres emblèmes (fig. 6425)
Les éléments des signa qu'il nous reste à étudier devaient dépendre, au contraire, des règles qui prés ident à ladistribution des donamilitaria 4, règles encore assez mal connues. Un seul texte nous apprend que des corps de troupes, voire des armées entières , pouvaient recevoir des clona'd'un autre texte, on peut con
clure que la couronne murale était octroyée au détachement dont les signa avaient été plantés les premiers sur les murs d'une place assiégée': un groupe d'inscriptions montrent des alae et des cohortes prenant le
nom de torquatae parce qu'elles avaient reçu le torques en récompense (fig. 6416)1. Les monuments anciens, mal sculptés ou détériorés, ou mal reproduits par les modernes, ne sont pas assez explicites'.
Ces réserves faites, on peut classer les éléments qui garnissent la hampe des enseignes sous les neuf rubriques suivantes : 1° Main de bronze. On a vu que cette manus a surmonté, dès l'origine, les enseignes romaines et que les Romains croyaient qu'elle avait porté jadis une botte de foin. Elle peut s'expliquer mieux si on la rapproche des mains qui, sur les enseignes égyptiennes, expriment la présence et la force du dieu ; le caractère sacré de la main dans les cultes orientaux a pu contribuer à la maintenir sur les enseignes impériales. Les nombreux
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exemples que fournissent les monuments sculptés' (fig. 6417) permettent de considérer comme un spécimen de ces enseignes une main ouverte au-dessus d'une sorte d'avant-bras en tronc de cône (fig. 6418), conservée au Musée Britanniquef0
2° Vexillum. Cet étendard, dont on a plus haut indiqué l'origine, est placé sous la main ou sous la couronne qui forme le sommet", ou bien il est isolé au sommet de la hampe quand l'emblème est absent 12. Lorsque le vexillum n'est pas représenté, son existence est généralement rappelée par la barre transversale destinée à porter les deux cordelettes qui relient les extré
mités de la traverse au sommet de la hampe et par les bandelettes qui tombent de ces extrémités (fig. 6415). Un exemplaire trouvé en Angleterre (fig. 6419), où traverses, bandelettes et cordelettes sont exécutées en bronze 13, indique qu'il devait en être ainsi souvent sur les nombreux monuments (fig. 6415) qui représentent la garniture sans vexilluln au haut d'une hampe. Quand cette garniture n'était pas imitée en métal, les bandelettes fixées à des 1e-.
anneaux devaient être de pourpre, terminées par des feuil
les de lierre argentées comme on en voit aux vexilla (fig. 6420)14.
Le vexillum le mot se traduit exactement par drapeau consistait en une pièce d'étoffe carrée, attachée à une antenne qu'on suspendait au bout d'une pique, généralement en travers, parfois le long de la hampe ". A en juger par les monuments, le drapeau devait avoir entre 0 m. 50 et 1 mètre carré. Pour qu'il fût bien en vue, la pique qui le portait était très haute. Quand, au passage de l'Eu
phrate, le vent eut arraché un de ses étendards qui portaient en lettres écarlates le nom de la légion et celui
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(lu général, Crassus, pour permettre de les maintenir solidement, fit couper une partie du bois de la pique La couleur ordinaire du vexille parait avoir été le rouge 2, couleur du sang appropriée à cet emblème de la guerre. Pourtant ce rouge devait être plutôt celui de la flamme, si l'on en croit le terme de russeum qui le caractérisait et le nom de Jlammula que Végèce donne au vexille. I1 est vrai que ce nom pouvait venir des languettes triangulaires qui forment parfois (fig. 6423; cf. 4430) le bas du vexillum. A l'époque impériale, l'or était sans doute employé pour former de lourdes frangesd'où l'expression d'Ammien vexilla auro
rigentia4 -ainsi que pour broder le nom de l'empereur' et celui du corps de troupes auquel le drapeau appartenait. Quand il fallut distinguer par leurs vexilla les divisions de certains corps de cavalerie, ou fut amené à leur donner des couleurs différentes0;
sans doute, chaque peloton avait la sienne. Ce fut probablement encore pour distinguer les différents corps de troupes qu'on dut compliquer la structure du vexillum : ici, des extrémités de la traverse on voit (fig. 6415, 6420) tomber des bandelettes terminées par une feuille de lierre argentée, ou bien ces feuilles garnissent toute la longueur de la traverse dépourvue de drapeau (fig. 6421) ; là c'est
la pointe de la lance qui est remplacée par un aigle (fig. 6422) ou par l'image d'une divinité (fig. 6415) ; souvent la hampe s'achève par une extrémité à peine amincie que des cordelettes relient aux deux bouts de la traverse.
Une dernière catégorie de vexilla est constituée par ceux qu'on donnait en récompense militaire. Bien que Polybe ne les mentionne pas en cette qualité 8 et que le premier nommé soit celui que Marius reçut, avec des hastae et des phalerae 0, le vexillum peut fort bien avoir été, avec la hasta, autre emblème du dieu de la guerre 10, l'un des plus anciens des clona militaria. II est figuré sur la tombe d'un praefectus castreront (fig. 6423) avec d'autres récompenses, couronnes, hastae purge". Comme pourcelles-ci, on ne sait au juste à quoi est due l'épithète de
pura donnée souvent aux vexilla. Si l'on admet qu'elle se rapporte à l'unité de couleur, on peut faire valoir, à l'appui de cette explication, les autres épithètes qu'on donne à ces drapeaux d'honneur: caerulea 12 lorsque le bleu de mer remplace l'écarlate, qui est probablement la couleur ordinaire ; bicolora 13 lorsque les deux couleurs sont mélangées; argentea 51. lorsque des feuilles de lierre en argent y sont suspendues. Les vexilla sont encore appelés obsidionalia S5, et paraissent si souvent associés avec des couronnes murales ou vallaires (fig. 6423, 6425, 6426 et 3978) qu'on peut croire qu'ils étaient décernés pour les mêmes exploits, peut-être à ceux qui avaient les premiers planté le drapeau sur des murs ennemis ".
3° Tabula. Quand l'indication du corps de troupe n'était pas écrite sur le vexillum 17, elle parait l'avoir été sur une tablette de bois quadrangulaire (fig. 6424)13 qui était attachée à la hampe. Il semble que la tabula ait été parfois remplacée par un médaillon 13.
4° Goronae. L'extrémité de la hampe est parfois
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garnie de petites couronnes àla place du fer ; on en voit trois de grandeur décroissante sur la ti pire 6419. Mais c'est sur la hampe 1, entre les phalères (fig. 6415, 6425, 6429), que les couronnes sont surtout nombreuses. Elles sont ou bien enfilées sur la hampe qu'elles entourent 2, ou bien accrochées le long de cette hampe Selon les exploits qu'elles doivent rappeler, ces couronnes peuvent être des feuilles delaurier ou de chêne, être murales , rostrales ou classicae °, et vallares °. Quand aucune ornementation n'est marquée sur ces couronnes on peut se demander si l'on ne se trouve pas en présence de l'orques' , qui faisaient partie des clona minora.
5' Phalerae. Les unes sont creuses et sans autre ornement qu'un bouton au centre (fig. 6410, 6414, 6417, 6429), les autres portent, pour la plupart, des portraits en buste (fig. 6415, 6425, 6426, 6429, voy. aussi 3978), ordinairement celui de l'empereur ou des empereurs régnants. Leur nombre varie de deux à six et elles paraissent avoir été toujours argentées
6° Boucliers. Des boucliers de dimensions très réduites sont aussi attachés aux enseignes, le plus souvent au sommet (fig. 6425, 6429) 70. Il est parfois difficile de distinguer des phalères les boucliers ronds, parmae. Il est plus facile de les reconnaître quand ces boucliers sont en forme de scutum ou de pelta.
7° Croissants. Le bouclier semilunaire ou pelta est à son tour très difficileà distinguer du croissant ;quand ses cornes ne sont pas dirigées vers le sol (fig. 64'24), on ne le reconnaît guère qu'à leur allongement''. Cet emblème, qu'il faut rapprocher du cornicu['um qui faisait partie des doua minora, n'a sans doute été à l'origine qu'un amulette formé d'un ou de deux os courbes comme on les rencontre chez tous les peuples f2. A l'époque impériale, sous l'influence de l'astrolàtrie, on a dû lui prêter un caractère symbolique et c'est sans doute à ce titre qu'on trouve le croissant accolé à un globe (fig. 6414).
8" Globe. S'il est permis de rapprocher le globe13 d'un ornement hémisphérique qui se voit fréquemment sur les enseignes (fig. 6414), on peut supposer qu'il a commencé, comme le croissant, par être un amulette; il attrait eu la valeur prophylactique des cloches et vases de bronze 14 avant de devenir le symbole de l'orbis romanus.
9° Glands à franges ou autres ornements. L'objet que j'ai appelé hémisphère est souvent représenté, non avec une surface lisse, mais avec une surface divisée en petites masses qui tombent à la façon de cheveux ou de franges (fig. 6415, 6426, cf. 3978)15. I1 est probable que cet objet a fini par n'être qu'un ornement comme les glands à franges dorées qu'on n'a pas cessé de mettre aux drapeaux. Mais il a dû commencer par être un fétiche de guerre. Comme on sait que les Thraces et les Illyriens d'une part, les Gaulois et les Ligures de l'autre ont coupé les têtes ou les cheveux deleurs ennemis, je verrais volontiers un scalp à l'origine de cet emblème 16.
Ainsi, à côté des décorations dont la valeur comme clona militaria nous est connue,coronae, phalerae, vexilla, peut-être cornicula, on en trouve d'autres
qui, ne reparaissant pas sur la poitrine des légionnaires, doivent avoir une valeur purement symbolique la juxtaposition d'un globe et d'un croissant (fig. 6414) peut avoir représenté le Soleil et la Lune. Le globe peut rappeler aussi l'orbis romanus, et le croissant est connu, par ailleurs, pour avoir une valeur apotropaïque qui a dû en recommander l'usage, comme elle a fait survivre, au haut de l'antique manipulus, la main ouverte (fig. 6417). Le caractère religieux des bandelettes n'est pas moins certain; le lierre dont elles sont garnies est la plante de bon augure qui s'enroule autour du thyrse [THVasus]. Différentes d'origine et de sens, ces décorations forment un ensemble, fort pesant d'ailleurs 17, qu'on enlevait en signe de deuil, et dont le soin avait un caractère religieux '8. On parlera plus loin du culte des enseignes.
A côté de ces trois groupes d'enseignes, aquilae, vexilla, signa, l'époque impériale en a encore connu quatre qu'il suffit de mentionner ici. Le médaillon de
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l'empereur, que l'on a vu ciselé sur des phalères, était parfois porté seul, surmonté généralement d'une couronne, au haut d'une courte perche confiée à l'imaginifer (fig. 6427) Dans certains corps de cavalerie la fabula portant le nom du corps était pareillement détachée et confiée à un lablifera. Lorsque les barbares envahiront les
armées de l'Empire, on verra le draco se substituer à la plupart des enseignes; puis, lors du triomphe du
christianisme, les vexilla recevront le monogramme du Christ avec le nom nouveau de labarum.
Répartition des enseignes sous la République En laissant de côté les vagues traditions qui attribuentàRomulus la créa
tion d'une légion de 3000 hommes divisée en manipules de 100 hommes, chaque manipule ayant son signant, l'histoire des enseignes dans l'armée romaine commence avec la légion manipulaire, que Tite-Live décrit à l'année 340 et dont l'organisation définitive ne date sans doute que du dernier quart du Ive siècle. La division essentielle paraît y avoir été celle du corps de bataille formé par les antepilani et celle du corps de réserve'`.
Les antepilani comprenaient deux lignes (acies), la première de hastati, la deuxième de principes; dans l'une et dans l'autre, l'unité (ordo) était le manipulas ; chaque ligne comprenait 15 manipules composé chacun de 60 hommes, 2 centurions et 1 vexillarius; il faut donc admettre la présence de 30 vexilla
dans les rangs des antepilani . Tite-Live explique ce nom : quia sub signist jam alii quindecim ordines locabantur. Sans conclure de ce passage que l'on doive corriger antepilani en antesignani, nom que l'on trouvera, en effet, donné aux hastati, on peut admettre que c'est dans l'intervalle qui séparait le corps de bataille du corps de réserve qu'étaient placés les signa de la légion, signa dont le nombre de cinq correspondrait à celui des lignes de la légion. Il est possible aussi que l'historien ait seulement voulu indiquer, par cette expression technique, que les troupes du corps de réserve étaient enrégimentées, qu'elles formaient de véritables unités tactiques. L'indication a pu lui paraitre d'autant plus nécessaire que, des 3 sections (partes) dans lesquelles se subdivisait l'ordo, (triarii, rorarii, accensi), les noms des deux dernières étaient connus de ses contemporains comme ceux de troupes légères, de tirailleurs qui n'avaient plus depuis longtemps place dans la légion. En 340, au contraire, triarii, rorarii et accensi paraissent avoir formé 3 lignes de 15 sections chacune; chacune de ces 45 sections comprenait 60 hommes, 1 centurion et I vexillaire; le vexillum porté en tète" caractérisait si bien chacune de ces sections que le nom de vexillum finit par s'étendre à la section qui marchait derrière lui. Les noms de vexilla et de signa sont appliqués indifféremment aux enseignes qui, dans l'attaque, se placent au premier rang
Deux siècles plus tard, cette légion qui aurait eu un vexillum pour chacun de ses 75 manipules 85 enseignes avec les vexilla de ses 10 turmes de cavalerie, (sans parler des signa qui ont pu exister pour l'ensemble des manipules) avait fait place à la légion qui ne comptait plus que 30 manipules 10 pour chacune des trois lignes des hastati, principes et triarii divisés en 60 centuries. Bien que la centurie fût devenue l'unité administrative, le manipule demeurait l'unité tactique; il le resta encore quand Marius eut formé sa légion de 10 cohortes, n'ayant plus que l'aigle pour emblème, chaque cohorte comprenant un manipule de hastati, un de principes et un de triarii. On a soutenu en vain tour à tour que la centurie et que la cohorte avaient eu leurs enseignes ; ce privilège parait n'avoir appartenu qu'au manipule, la vieille unité qui, d'après la tradition, devait son nom à la botte de foin portée sur une perche, autour de laquelle elle se serait formée. Les 60 signa que les 22 cohortes d'Antoine perdent à Forum Gallorum sontdes enseignes manipulaires 8. Chacun des 30 manipules a son signant ; la corrélation est si bien établie que signa est souvent dit pour manipuli 9 et que, pour traduire manipule, les Grecs ne trouvent rien de mieux que m-g sz{s qui est proprement
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l'équivalent de signum. D'après des monnaies' (fig.64'28) et d'après des textes 2, on voit que, dans la pratique, les drapeaux et leurs porteurs étaient distingués par le numéro d'ordre oulalettre du corps auquel ils alipartenaient: signum peinai hastati, .secundi hastati, etc. C'est seulement sous l'Empire que, l'importance de la centurie se développant aux dépens de celle du manipule, chaque centurie reçut son drapeau : singulis centuriis, sin,gula vexilla 1. Dès le temps de César, on constate que la cohorte pouvait avoir une enseigne'. Sous l'Empire, la légion comprend, au complet, 1 oquili fer,1 imaginifer, 90 signi feri de cohorte et 60 signiferi de centurie. Les vexilla étant réservés aux tuques des equites legionis3 ou des cohortes equitatae, la légion compte 90 signa proprement dits. En marche, il semble que les signa des centuries (ou des manipules') restent à leur place dans le rang; seuls ceux des cohortes viennent se grouper autour de l'aigle, en tête de la légion". Pour l'ordre de bataille, la question est plus complexe et se lie à celle des antesignani.
Lange 7, Marquardt 3, Mommsen 9 admettent que ce nom s'est appliqué aux hastati, parce que les signa de leurs dix manipules étaient disposés en arrière des six ou (les huit rangs qui formaient la première ligne de la légion. Ce système présente l'avantage de faire protéger les signa par toute l'épaisseur des ha.stali; mais il ne petit cadrer avec les textes réunis par Domaszewski 10, établissant que toutes les évolutions de la légion dépendaient de celles des signa de la première ligne; pour que les hastati pussent suivre leurs enseignes, il est manifeste que celles-ci devaient les précéder. Aussi ce savant placet-il les signa des hastati au premier rang, sur le front même de la légion ; ce n'est pas à ces signa manipulorurn que les hastati devraient, leur nom d'antesignani, mais aux cinq enseignes générales de la légion d'avant Marius, l'aigle, le loup, le minotaure, le taureau le sanglier, groupées bien à l'abri entre les hastati et les principes. Polybe donne à chaque manipule deux signifères it ; d'après Domaszewski, l'un porterait en avant l'enseigne manipulaire, l'autre, en arrière, un des signa legionis. Mais il n'indique pas comment les 3 signa se répartiraient entre les 30 signifères et il me paraît préférable de voir, dans le deuxième porte-enseigne de chaque manipule, l'aide, le suppléant au besoin, du premier, le discens signiferum de l'Empire. Stoffeli2 a proposé une théorie intermédiaire: c'est bien aux signa man/pu/orant que se rapporterait le terme d'anlesignani, mais, les signa étant placés au deuxième rang des
hastati, ce terme n'aurait désigné à l'origine que les deux premiers rangs de la première ligne et n'aurait été donné que par extension à l'ensemble des hastati. Mieux qu'une longue discussion des opinions émises par ces savants, quelques textes éclairciront la question.
Dans le récit d'une bataille contre les Llrusques, TiteLive dit : cadunt antesignani et, ne nudentur propugnatoribus signa, fit ex secunda prima (vies î". Si lorsque les antesignani ont été taillés en pièces, les enseignes sont découvertes à ce point qu'il faille faire passer les principes en première ligne, c'est qu'on désigne bien sous le nom d'antesignani l'ensemble des hastati placés en avant des signa. Dans une défaite infligée par les Latins aux Romains, ceux-ci ont perdu hastatos principesque: stragem et ante signa et post signa factum".
les enseignes sont donc bien placées entre la IPe et la '2e ligne. Dans la surprise de Trasimène, oit les légionnaires ne parviennent pas à se reformer (sua signa noscere), ce ne fut pas un de ces combats réguliers, ut pro signis antesignani, post signa alia pugnaret (ries t'a Quand Sci pion l'Africain, à Zama, ne serre pas les manipules de la 1Pe ligne de son acies triplex, chacun devant ses enseignes, ante sua quamque signa, mais laisse entre eux des intervalles qu'il remplit de vélites, inter manipulos antesignanorum velitibus complevitt", il ne fait que répéter une manoeuvre dont son oncle et son père avaient tiré parti en Espagne contre Asdrubal oit, dans une acies triplez, velitum pars inter antesignanos toe'ata, pars post signa accepta t'.
Ces textes suffisent sans doute à établir que, dans la disposition régulière de l'armée manipulaire sur trois lignes, les signa de la Iégion étaient placés derrière la ligne des hastati, qui devaient à cette position leur nom d'antesignani. Quand Marius eut groupé les 30 manipules en 10 cohortes en ne laissant que l'aigle comme enseigne générale à la légion, la place des signa fut-elle modifiée'? 11 ne semble pas qu'il en ait été ainsi, du moins dans facies triplex. Frontin montre Sylla ordonnant aux postsignanis qui in secunda acie erant (les 4 cohortes des anciens principes) de planter une haie de pieux derrière lesquels l'antesignanorurn acies (les 6 cohortes des anciens hastati) pourrait se réfugier à l'approche des chars à faux d'Archclaos 18. Ce fut César qui transforma les antesignani" e ; il en fit un corps d'élite d'infanterie légère 20, des hastati allégés de façon à devenir des expediti. Pour soutenir sa cavalerie contre les Numides, il détacha en Afrique de chacune de ses légions un corps semblable de 300 hommes avec signent particulier. Le seul texte indiquant que cette organisation ait survécu au dictateur est le passage des Philip
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piques oit Cicéron oppose antesignani et munipulares 1. Le premier terme disparaît après lui 2 et subsignani' désigne seulement chez Tacite les troupes enrégimentées dans la légion, par opposition à la cavalerie et aux auxiliaires.
IFépartilion des enseignes sous l'Empire. Comme les cohortes des légions, celles des prétoriens 9 sous Auguste, 10 à partir de Trajan divisées chacune en 3 manipules et 6 centuries, devaient avoir, pour chaque cohorte et pour chaque centurie, un signifer. L'ensemble des cohortes prétoriennes avaient-elles un aigle comme la légion'? Aucun document n'ayant fait connaltre jusqu'à présent un uquilifer prétorien', on peut supposer que les aigles qui apparaissent sur les médaillons où l'empereur est entouré de sa garde' sont destinés à symboliser toute l'armée légionnaire. Le caractère de garde impériale des prétoriens s'affirmait par le privilège de placer l'image de l'empereur sur leurs signa 6. Cette image consiste en un buste en relief sur un médaillon. Les médaillons, généralement au nombre de deux, sont. placés verticalement, séparés par des couronnes; d'autres couronnes les séparent ordinairement d'une phalère terminale où un aigle, les ailes déployées, est
entouré d'une couronne de feuillage
il est difficile de dire pourquoi, à l'exception des médaillons au type de l'aigle ou de l'empereur, les
prétorien
nes ne paraissent point porter de phalères, si abondantes sur les enseignes Iégionnaires, tandis qu'elles portent toutes les espèces de couronnes, bien
plus rares sur les signa des légions (6g 6429)x.
A chacune des cohortes de l'infanterie prétorienne est jointe une centaine d'equiles praetoriani divisés en 3 turnes; chacune de ces turmes a un vexillum'.
A côté de cette cavalerie endivisionnée, la garde prétorienne comprenait 300 speculatores, cavaliers d'élite chargés de veiller sur la personne de l'empereur [rRAETODIAE COHORTES] ; d'où le nom de pxarcCTOrES qu'ils portent dès le me siècle. Outre les vexilla qui guidaient leurs turmes, les speculatores paraissent avoir eu trois signa : du moins a-t-on voulu leur rapporter les trois enseignes qui figurent sur les revers des monnaies d'Antoine, de Galba et de Vespasien f0, Ces enseignes sont constituées (en partant du bas) par une phalène, un croissant, une couronne rostrale, une couronne de laurier, un vexillum à bandelettes, une main. Sur les monnaies des deux empereurs, l'enseigne du milieu se termine par un aigle. Comme aucun texte ne fait mention d'un signifer des speculatnsi'es prétoriens, et que ceux-ci n'existaientpas encore du temps d'Antoine, l'attribution de ces signa à ce corps parait douteuse. Pour les oe.rilliferi à cheval qu'on voit accompagnant Trajan, Hadrien et Marc-Aurèle sur les bas-reliefs de leurs arcs il n'est pas moins difficile de décider s'ils appartiennent aux speculatores prétoriens ou aux EQllITES sIaGLLARES. Cette élite de la cavalerie auxiliaire qui forme autour de l'empereur une sorte de garde étrangère, n'a pas plus d'imaginiferi que les autres troupes prétoriennes auxquelles elle est assimilée. Mais, comme elles, les equites singulares ont le droit d'orner leurs signa de l'image impériale. Outre le signifer" et le vexiilariusO'3, les inscriptions mentionnent pour tout le numerus des singulares un tablifer".
Les 3 cohortes urbaines avaient été organisées par Auguste sur le modèle de 9 cohortes prétoriennes et, depuis Tibère, vivaient avec elles au Praelorium. Cependant elles n'avaient pas le droit de placer l'image impériale sur leurs signa ; elles avaient pour la porter un irnagini fer
Constituées en même temps que les cohortes urbaines, les 7 cohortes rigiluna, divisées chacune en 7 centuries, avaient 49 re,rillarii 18, Pour distinguer ces pompiers des troupes véritables, ils ne reçurent pas de signifer 1 `; l'imago .ugusli était confiée à un imaginifer's.
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Régulièrement, la légion de l'époque impériale devait compter 5600 homrnes répartis en 10 cohortes, la première, dite miliaria, divisée en 5 centuries, les autres, dites quingenariae, en 6 centuries groupées en 3 manipules. Chaque centurie avait son signifer, chaque cohorte le sien, et l'aquzlo fer marchait à la tète de toute la légion', suivi par autant d'imaginiferi qu'il y avait d'images de divi à porter2. Comme ces porte-enseignes avaient, pour les seconder dans leurs fonctions religieuses et financières, un discens aquiliferum et un (ou plusieurs) discens signiferum, la légion devait distraire près de 65 hommes pour le service des enseignes.
Au temps où chaque légion comportait 300 equites, chacune de leurs 10 turmae possédait un vexillum 3. Elles paraissent l'avoir conservé' quand elles furent divisées en equites legionis attachés à l'état-major de la légion, qui y prenait ses éclaireurs et ses estafettes 3, et en cohortes equitatae complètement détachées de la légion et amalgamées avec de l'infanterie légère. De ces cohortes mixtes, les unes, dites miliariae, comprenaient 240 cavaliers divisés en 10 turmes à côté de 760 fantassins, les autres dites quingenariae, 120 cavaliers divisés en 6 turmes à côté de 380 fantassins. Outre les vexillarii, qui étaient ainsi au nombre ou de 6 ou de 10, et les signiferi des centuries probablement au nombre ici de 4, là de 8, la cohorte comprenait deux imaginiferi, un pour les equites et un pour les pedites6. A côté de cette cavalerie mixte, la cavalerie indépendante était composée d'alae, divisées, elles aussi, en quingenariae et en miliariae, les premières avec 480 cavaliers en 16 turmes, les secondes avec 960 cavaliers en 24 turmes. Ces pelotons se distinguaient de ceux des cohortes equitatae en ayant, non un vexillarius. mais un signifer turmae'; outre ces porte-fanions de peloton, l'ensemble de l'ala avait un signifer alae3 et un imaginifer et le praefectus alae comptait un vexillarius1e dans son étatmajor.
Enseignes des corps auxiliaires. A partir d'Hadrien, les nécessités de la guerre de frontière firent sentir le besoin de corps légers comprenant, en nombre égal, des bataillons de fantassins et des pelotons de cavaliers. Dans ces nouvelles cohortes auxiliaires connues généralement sous le nom de numeri, le numerus était accompagné du nom de la peuplade où ses soldats étaient levés, soldats non romanisés auxquels les ordres devaient être donnés dans leur langue. Chaque numerus de pedites avait son signifer 11, chaque numerus d'equites son imaginifer 12; ces equites se décomposaient en turmae ayant chacune son nexillariust3. Il est pro
bable que c'est par les numeri que les enseignes barbares ont surtout fait leur entrée dans l'armée romaine. Ce qui facilita aussi cette pénétration, ce fut la constante dispersion des troupes impériales, tantlégionnaires qu'auxiliaires, en petits corps détachés, disséminés aux frontières de l'Empire. Bien que les corps ainsi formés soient connus sous le nom de vexillationes et que les soldats (lui les formaient soient dits a signis avocat'i tt, ils n'en comprennent pas moins souvent,
appartiennent à l'armée active. Mais les Romains ont devancé notre système des réserves. Son temps de service écoulé, le légionnaire passait au rang de veteranus, ou de missicius, quand il avait reçu son honesta missio ; dans cette réserve de l'active il restait quatre ans, suivant le système des seize ans de service institué par Auguste en 13 av. J.-C., cinq ans quand Tibère eut imposé le stipendium de vingt ans. Les veterani de chaque légion formaient un vexillum", pourvu d'un vexillarius veteranorum legionis 19. Celui-ci parait avoir été pris parmi les vexillaires en activité de service dans la légion avec laquelle, en cas de guerre, les veterani devaient combattre. Ils ne pouvaient être rappelés sous les drapeaux que pour les nécessités de la défense nationale 2° Cependant, quand l'état de guerre est permanent, les vexilla veteranorum sont groupés en véritables régiments de réserve : cohortes ou alae veteranae qui ont les mêmes porte-enseignes que les autres cohortes et alae.
Les evocati constituent une classe privilégiée de réservistes 21. Avant Tibère, l'evocatio s'adressait à tous les bas-officiers, non seulement des légions mais aussi des auxilia, s'ils avaient obtenu le droit de cité à la fin de leur service. Tibère la limita aux prétoriens et, assimilant les evocati aux cavaliers de la garde, il leur donna comme tels un vexillarius22. Comme les réservistes, les recrues, tirones, avant d'être versées dans une légion, forment un vexillum spécial23. Enfin il est fait mention d'un vexillum de brancardiers et, pour les ouvriers militaires, d'un imaginifer et d'un vexillarius scholae fabrum 2L.
L'organisation militaire des Romains étant sensiblement pareille à celle de leurs premiers adversaires ils estimaient eux-mêmes qu'elle s'en était fréquemment inspirée on ne doit pas s'étonner de rencontrer des enseignes chez les Latins25, les Samnites 26, les Sardes 27,
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les Étrusques (fig. 6430) les Campaniens (fig. 6431)2. Chez ces derniers, ce sont de longues banderolles ou de grands étendards qui flottent au bout d'une hampe comme nos drapeaux. Quand ces peuples devinrent les alliés de home, leurs enseignes les suivirent dans les cohortes qu'ils formèrent à côté des légions roluainer Les exploits des chefs des cohortes des Péligniens, Vihius à Capoue el. Salins à P1dna, jetant leur (J! r.illum dans les rangs ennemis, éLaient restés célèbres'. Quand les Romains entrèrent en contact
avec les Ligures et les Illyriens ', surtout avec les Gaulois d'Italie et d'Espagne, soit directement, soit dans les armées carthaginoises " ils se trouvèrent en présence de peuples qui avaient gardé pour les animaux divins, sous la conduite desquels ils marchaient, mëme vénération que leurs propres ancètres témoi
gnaient à l'aigle, au loup, au minotaure, au cheval,
au sanglier. Le sanglier parait
blême avoir été la plus vénérée des enseignes gauloises ; le cheval, le taureau, l'ours, le club eau se retrouvent sur le s trophées et les monnaies de la Gaule. Jurer devant leurs enseignes réunies, c'eLait pour les Gaulois la forme la plus solennelle du serinent Les enseignes animales n'étaient pas moins sacrées chez les Germains, auxquels appartiennent les Usipètes et les Tenctères que César montre
leur fuite. Tacite dit expres
sément que les Germains emportent au combat les
images et enseignes révérées dans leurs bois sacrés 8. Les auxilia, au siècle de l'Empire, furent orga
nisés, comme l'avaient été ceux de la République, en
cohortes ou en alae équipées à la romaine. Il n'y a donc
rien que de naturel à ce qu'on trouve à Bonn (fig. 6432,) le signifer cohortis Astu7_-rue" portant l'uniforme des signiferi des légions et tenant dans la droite une lance avec talon en pointe et croc latéral, qui offre des éléments ordinaires des enseignes légionnaires : couronne de chêne suspendue sous la pointe, traverse avec bandelettes, ph aère à bouton, aigle sur un foudre, croissant, globe, gland à franges. A Trèves, le porte-enseigne d'une cohorte équestre brandit un javelot de la droite, tandis qu'il tient de la main gauche une enseigne formée simplement par une lance. avec une traverse de laquelle pendent quatre feuilles de
lierre (fig. 6ie'0. Fig
A partir d'Hadrien, les
auxiliaires barbares, de plus en plus nombreux, restèrent constitués en troupes
nationales qui, sous le none de numeri, ne reçurent qu'une apparence d'organisation romaïne.Aussi ne doiton pas s'étonner que, dans les deux reliefs oit l'on peut reconnaitre leurs enseignes, celles-ci apparaissent comme de simples hampes, supportant ici un taureau (fig. 6433) ", là un bélier (fig. 6410) '2. Une tète de taureau à trois cornes apparaît, dès la fin du Ger siècle, sur le vexillunz que
porte un cavalier Biturige de l'ala Longiniana i3.
SIG 1321 SIG
La conquête de la Dacie et les guerres parthiques ne tardèrent pas à introduire dans les armées romaines une enseigne barbare qui devait y avoir une fortune surprenante. Comme la plupart des peuplades scythiques, les Daces', les Sarmates 2 et les Parthes ° avaient pour enseigne un dragon : on pourrait supposer que cet emblème était brodé ou peint sur un fanion ; mais les monuments' permettent d'assurer qu'il s'agit d'une étoffe qui, dans la marche, portée sur une hampe élevée, se gonflait et se déroulait au vent comme les replis d'un serpent (fig. 643ii) °. Le dragon s'est probablement introduit dans l'armée romaine en 175, avec un corps de Sarmates Jazyges. Soixantequinze ans plus Lard, il s'était répandu partout. Au mornent, en effet, où les Perses, qui avaient aussi le dragon pour étendard', remportaient leur grande victoire sur Valérien (259), on voit Gallien, son collègue, célébrer à Rome des deeennalia où figuraient les dracones et les signa, tant ceux qui étaient conservés dans les temples que ceux des légions Un siècle plus tard, dans les armées de Julien, le dragon est devenu par excellence le signum militare des Romains 8; un dragon de pourpre accompagne l'empereur en campagne et dans les cérémonies publiques'. Végèce attribue des dracones à chaque cohorte, tandis que l'aquila reste l'enseigne de la légion. Ils sont placés avec les signa près de la porta praetoria; les draconarii qui les portent sont mis par Végèce sur le même pied que les signiferi f0, avec lesquels il semble les confondre". Nous ne disposons d'aucun moyen pour contrôler ses dires, ni pour distinguer le rôle des muta signa qu'il énumère : aquilae, dracones, vexilla, flammulae, turne, pinnae' 2, en les opposant aux signa vocalia qui sont les ordres ou mots d'ordre donnés de vive voix, et les semieocalia 13, signaux pour lesquels on se servait d'instruments [CORNU, BUCINA, TUBA].
Le labarum. On connaît la légende du labarum :
un soir d'octobre 312, Constantin, marchant sur Rome, crut voir au couchant une croix lumineuse avec cette inscription : sois vainqueur par ceci. La nuit, le Christ
µéva, 'a sis idiav gàXissa 4e ,. Pour les Indiens, Suid. p. 119. Un Scythe tenant un vexille à franges dans Kondakoft-Reinach, Ant. de la Russie mérid., fig. 233. 2 Colonne Trajane, Cichorius, pl, xvu, xix, axai, xxix, xi.1, sv, min, vvm. Basilique de Neptune, Reinach, Rép. des Bas-reliefs, 1, 281. 3 Colonne Antonine, Petersen, pl. Lx. u, sens A et n, t.xv A. Dans ces trophées, on voit probablement des enseignes des Sarmates Jazyges qui, vaincus en 175, durent fournir un contingent de 8000 cavaliers. 4 Lue. De conscr, hist. 29. Dans ce passage qui se réfère à la guerre parthique de 164;5, on voit les dragons des Parthes étre encore en Grèce l'objet de légendes: il s'agirait de dragons vivants portés sur de grandes piques, puis lâchés sur l'ennemi. Lucien, qui sait que c'estune enseigne, ajoute qu'il croit qu'il y en a une par division de 1000 hommes. Il est donc probable que ce n'est pas par les Daces, anéantis au cours de la guerre, niais par les Jazyges, à partir de 175, crie le draco est entré dans l'armée romaine. Renel, Op. cit, p. 210, a rappelé que les Lombards, qui ont participé aux invasions Jazyges, paraissent avoir eu un culte pour le serpent, comme les Prussiens et les Lithuaniens. -5 Pelersen, Mercus
6 C'est ce qui semble résulter aussi de la description d'Arrien, L. c, dont il faut rapprocher les passages d'autres auteurs, Amm. Marc. XVI, 10; Nemes. Cyneq. 23.;
VIII.
lui apparut tenant l'enseigne miraculeuse et Iui assura la victoire s'il l'adoptait comme drapeau. Vainqueur, l'empereur n'eut plus d'autre bannière que le labarum, qu'Eusèbe décrit en ces termes : « La lance dorée avait une barre transversale en forme de croix: en haut, à la pointe, était fixée une couronne faite de pierres magnifiques et d'or, qui contenait le symbole de l'appellation salutaire, deux caractères exprimant le nom du Christ par les premières lettres qui le constituent, le P étant coupé par le X en son milieu. A l'antenne qui traversait la lance était fixé un morceau d'étoffe: c'était un tissu de pourpre, avec des pierres précieuses, variées et magnifiques, serties dans la trame. Cette pièce d'étoffe fixée à l'antenne avait une largeur égale à sa longueur; la lance verticale était beaucoup plus longue dans sa partie inférieure ; en haut, sous le symbole de la croix et dans la partie supérieure de l'étoffe que j'ai décrite, elle portait l'image en or, figurée jusqu'à la poitrine, de l'empereur cher à Dieu ainsi que celles de ses enfants 14
Comme on le voit par cette description et comme le confirment les monnaies de Constantin, le labarum n'est que le vexillum impérial, celui que portaient les bucellarii, troupe d'élite de sa garde à cheval"; le seul élément nouveau est le monogramme du Christ1°. En 312, le monogramme, formé des deux initiales I et X, ne fut placé que sur les boucliers des vainqueurs du pont Milvius 1'; c'est seulement en
317, à l'occasion de l'élévation au rang de Césars des deux fils de Constantin, que l'étendard qui reçut leurs médaillons de part et d'autre de celui de leur père reçut aussi le * . Après la
défaite de Licinius, en 325, l'étendard ainsi constitué devint celui de l'Empire et fut gravé comme tel sur les monnaies. On le voit ici représenté sur une monnaie de Constantin (fig. 6435), placé entre deux soldats avec la légende GLORIA EXERCITUS,etsur une monnaie de 326 (fig.6436) où le serpent est transpercé par la hampe. La croix ellemême que la traverse forme avec la hampe n'a rien de chrétien : on a vu que, à l'exception de l'aigle, elle figurait sur toutes les enseignes romaines, surlessigna comme sur les vexilla. On ne peut affirmer qu'elle y eut, par ellemême, une valeur religieuse ; mais elle participait au caractère sacré de l'ensemble. Les apologistes chrétiens ont profité de la coïncidence pour prétendre que, incon
Un draco sur l'arc de Septime Sévère (Reinach, Rép. des reliefs, I, p. 263) ; que la lettre d'Aurélien sur le sac de Palmyre de 273 (Aro'el. 31, 7) soit d'authenticité douteuse, il est à noter qu'elle parle des méfaits d'un aquilifer de la
prétend, à tort, je crois, que les dracones étaient encore à celte époque des enseignes barbares. Cf. A. Müller, Philologue, 1905, 600. C'est au 1v' s. que se rapportentles deux draconarii qui nous sont connus par l'épigraphie: Bantio draconariaas (Oreli-llenzeu, 6813; Eph, ep. IV, 94;)) et Fl. Jovianus, cc namzero octa:'o Dalmatorum, qui a rang de biarehus (Ann. épiyr., n. 105). 9 Zosim. III, 19, 1; Amm. Marc. XX, 4, 18. Cf. Prudent. Cathem. V, 55, Nemesiao, Cyn. Si. 10 Amin. Mare, XVI, 10, 7; 12, 39 ; Claud. Cons. Bon. 111, 138; IV, 345 ; III,
560. 11 Veg. 11, 13; f, 23, I, 20 ; ils auraient porté les uns et les autres la hanta. 12 Veg. Il, 7, signiferi qui signa portant, quos l'urne draeonarias rocant. III, 5. 14 Euseb. Vita Const. 1, 28-31. Voir les textes dans l'art. Labarum du
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scienunent, les soldats romains, bien avant l'adoption du labarum, marchaient sous l'enseigne de la croix. Le none donné à ce vexillom surmonté du chrisme, nom qu'on tonnait sous les formes labouruln, laborum, labarum, reste mystérieux. Des diverses étymologies proposées, les meilleures sont probablement celles qui nous reportent vers l'Espagne ou la Gaule'; il faut se rappeler que c'est de ces contrées que venaient les légions qui virent, les premières, le chrisme ajouté à l'enseigne impériale. Dans l'histoire de la propagation du labarum, que la numismatique permet de reconstituer2 (v. aussi fig. 4502 et 3927), on voit que cet étendard ne fut d'abord, en effet, que celui de l'empereur, alternant avec les anciennes enseignes conservées des corps de troupes ; celles-ci ne l'adoptèrent que très lentement; sous Théodose encore l'étendard simple se rencontre aussi souvent que le labarum; la croix ne triomphe qu'avec Valentinien 111 : c'est la fin de l'histoire de Rome et de ses enseignes.
Rôle des enseignes et des porte-enseignes. On a vu que, sous la République comme sous l'Empire, bien des incertitudes subsistent quant à la répartition exacte des enseignes. Mais ce qui ne laisse aucun doute, dans ces deux périodes de l'histoire de Rome, c'est l'importance des enseignes dans l'armée romaine. Elles ont une si grande place dans toute la tactique de la légion qu'on voit le terme de signa prendre, dans les derniers temps de l'Empire, le sens d'actions militaires par opposition aux plans, consilia 3. Comme, dans la bataille, chaque porteenseigne reste sur le front de l'unité à laquelle il appartient 4, tandis que l'aigle va se placer derrière la l''e cohorte et que les porte-fanions suivent l'état-major auquel ils sont attachés, on comprend que tout le vocabulaire spécial de l'armée romaine se soit développé par rapport aux enseignes. Une liste de ces termes techniques permettra de se rendre compte rapidement de ce rôle prépondérant des enseignes :
Ce vocabulaire militaire suffit à faire voir à quel point toute la tactique de la légion dépendait des enseignes. Aussi importait-il que les ordres pussent être communiqués aux porte-enseignes, là même où la voix du commandant ne pouvait se faire entendre. C'est à ce besoin que répondaient les sonneries des cornicines36 Équipés comme eux 37 [con:vu, fig. 1953), les cornicines marchent, à côté des porte-enseignes 3" dans la colonne". On ne sait quelle place ils occupaient dans la bataille : pour leur permettre de transmettre efficacement les ordres, il semble qu'ils devaient se diviser, les uns allant se mettre à la disposition du colnlnandant en chef et des commandants des légions, les autres restant auprès des signa L0.
Des porte-enseignes de la légion, l'aquilifer, institué par Marius 41, est naturellement le plus considéré. Il est enrégimenté à la Ire cohorte, dans la centurie du prunus pilus42, derrière laquelle il se tient dans la bataille 43; en marche, il s'avance en tète de la légion, derrière l'étau major"; il a été signifer" ou discens aquiliferun40 avant de recevoir l'aigle; il peut être nommé centurion". Il touche une solde annuelle de 2250 deniers; il a l'arme
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ment complet du légionnaire', mais, sur la colonne Trajane, il ne porte ni lorica, ni cingulurèt.
Les imaginiferi, ou imaginarii qui imperatoris imagines feront, viennent immédiatement, dans l'ordre officiel du temps de Végèce, après les optiones, avant les aquiliferi Comme ces derniers, ils prennent rang parmi les soldats de la Ire cohorte. Au-dessous des optiones viennent les signiferi transformés en draconarii au milieu du ive siècle. Le signifer a commencé par être discens signiferunt.
L'équipement du signifer ne paraît pas avoir différé, soit qu'il appartînt aux cohortes d'une légion ou à celles des prétoriens ou des auxiliaires. Mais il semble avoir été uniformément modifié au début du ne siècle. Tandis que les stèles rhénanes montrent jusque-là le signifer' armé de toutes pièces comme l'aquilifer, la colonne Trajane` et les monuments postérieurs attestent qu'on lui a ôté, ainsi qu'à l'aquilifer, la cuirasse de métal, le casque, le bouclier, le cingulum et le poignard, qui ne pouvaient que l'encombrer (fig. 643?); il garde seulement le justaucorps de cuir, où le baudrier retient l'épée sur le flanc droit ; tandis que l'aquilifer porte sur son justaucorps un manteau de laine, le signifer est coiffé d'une peau de bête qui lui descend sur les épaules (fig. 6415) ". Comme l'aquilifer, le signifer est compté au nombre des sous-officiers (principales) : le commandement de détachements importants lui est parfois confié
Mais sa fonction ordinaire en temps de paix était le soin de la caisse d'épargne des légionnaires placée sous la protection des signa. Aussi exigeait-on du porte-enseigne qu'il sût lire et écrire 7, et l'on pouvait être nominé à ce grade après avoir été beneficiarius d'un tribun de cohorte auxiliaire ou optio ou tesserarius; on passait souvent par un apprentissage spécial'. Les élèves porte-enseignes, comme l'élève porte-aigle, apprenaient probablement surtout les règles de la comptabilité
et le signifer, s'il peut devenir aquilifer ou cenl.urion, reste de préférence dans la trésorerie comme[sci curator, tandis que le porte-aigle devient curator veteranorum.
Les porte-enseignes, qui peuvent recevoir des ordres directement du général10 ou de son legatus 11 ou du tribun ',sont placés hiérarchiquement sous ceux du centurion 13 qui est responsable de l'enseigne et puni pour sa perte1. Le primipile a la garde de l'aigle auquel le sort de la légion est comme liée". Toute légion qui a perdu son aigle est supprimée" : on sait que ce fut le cas des trois légions de Varus (XVII, XVIII, XIX)17. L'anxiété des Romains ne fut pas apaisée avant que leurs aigles eussent été retrouvées par Germanicus13; de même le retour des aigles perdues par Crassus et par Antoine chez les Parthes fut l'un des succès dont on sut le plus de gré à Auguste 13. Ce prince eut aussile bonheur de reconquérir des enseignes prises à C. Antonius par les Bastarnes, d'autres enlevées par Mithridate 90 et par les peuples de l'Espagne, de la Gaule et de la Dalmatie" On voit encore Pyrrltus enlevant onze enseignes àAsculum et Persée cinq à Pllalanna53 ; Hannibal, outre celles qu'il conquit dans ses trois grandes victoires, en prenant (en 209) deux à une légion, quatre à l'ales des alliés 23 ; les Ligures enlevant, en 186, trois signa à la Ile légion et onze vexilla aux alliés latins'-`; les Gaulois en capturant plusieurs fois en Italie 25 et les ATerviens en prenant une à la XII' légion26. César en perdit encore trentedeux à Dyrhachium27, et Antoine deux aigles et soixante signa à Forum Gallorum 20. Enfin, lorsque Corn. Fuscus périt en Dacie (86), dans le plus grand désastre que Rome eût subi depuis celui de Varus, l'aigle devint le trophée des Daces, à qui Trajan le reprit vingt ans plus tard29.
La religion du drapeau était si développée chez les Romains qu'il suffisait de le jeter dans les lignes ennemies pour que les soldats, dans leur effort désespéré pour le reprendre, rétablissent le combat; car il y avait
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sacrilège à l'abandonner'. C'est un exploit que les historiens latins ont souvent prêté à leurs héros: à Servius Tullius contre les Sabins', à Furius Agrippa contre les Èques en 441 3, à Quinctius Capitolinus contre les Falls(lues en 4291, à Camille contre les Volsques en 382', à Postumus au lac Régille a, à Valerius Flaccus à Capoue', aux chefs des cohortes péligniennes à Pydna et à Capoue8. Au siège de Capoue encore, le légat Atilius °, comme Sylla à Orchomènet', saisit le drapeau pour entraîner les soldais; César, en Afrique", ramène de sa main, et le dictateur Servilius Prisais n'hésite pas à tuer 'z un porte-enseigne qui làchait pied. Planter l'enseigne sur les murs d'une ville assiégée", c'est la livrer en quelque sorte aux dieux de la légion; les colonies militaires arrivent, enseignes déployées, au lieu où leurs dieux doivent s'établir avec elles.
Culte des enseignes. Quand on parle de la religion du drapeau chez les Romains, il faut prendre cette expression dans son sens propre. Les signa sont les dieux des légions. Tacite, dit M. Renel t4, appelle les aigles les véritables divinités des légions 's. Denys d'Halicarnasse insiste sur le culte rendu aux signa, que les Romains considéraient comme sacrés au même titre que les statues des dieux'' ; Josèphe n se sert du terme - iu à pour désigner l'aigle et les enseignes; enfin Tertullien 18 déclare que le culte des signa constitue en quelque sorte toute la religion de l'armée et qu'on leur donne le pas sur tous les autres dieux : religio Romanorum tota castrensis signa veneratur, signa jurai, signa omnibus diis praeponit. Si les enseignes sont l'objet d'un pareil culte, c'est que les unes consistent, essentiellement, en une lance en chêne, la quiris, symbole et incarnation du dieu de la guerre, et que les autres n'ont été à l'origine, à Rome comme en Orient, que le support des animaux sacrés de la tribu"; elle marche en guerre sous leur protection et les tourne vers l'ennemi qu'ils frappent, signis infestis. Si l'aigle est resté le seul témoin de cette phase zôolatrique, on sait que, jusqu'à Marius, il avait pour compagnons le loup, le cheval, le sanglier et le minotaure. L'enseigne ellemême hérita bientôt de toute la sainteté (lui résidait d'abord dans l'animal qu'elle supportait ou dans la hampe de chêne qui en restait l'armature. La plupart des éléments qui s'y ajoutèrent participaient, d'ailleurs, à ce caractère religieux : la pourpre du vexillum, le chêne ou le laurier des couronnes, les bandelettes gar
nies de feuilles de lierre, avaient, de toute antiquité, une valeur rituelle; l'influence des religions de la Grèce et de l'Orient se fait sentir avec le globe et le croissant, les Victoires ailées et les têtes radiées. Parmi ces têtes, le culte impérial, important surtout dans l'armée, ne tarda pas à faire dominer celles des empereurs, les imagines, qui formèrent une nouvelle catégorie d'enseignes sacrées. Enfin, sous la double action de l'Orient et des barbares, chaque légion se choisit un symbole particulier qui participe à la fois de l'astrolàtrie et de la zôo]iitrie2o. Toutes les phases qu'a traversées la religion romaine ont donc marqué leur action sur les enseignes qui sont, pour le légionnaire, comme un abrégé portatif du monde divin.
Aussi, dans chaque unité militaire,élève-t-on des autels aux enseignes de cette unité : une cohorte rendait cet 110mmage au Génie et aux Enseignes de la cohorte2i; une légion Dis militaribus: Genio, Virtuti, Aquilae Sanctae Signisque legionis 22. C'est devant elles, apud signa 23, qu'onj urait les traités. Sous la République, on devaitramener, après chaque campagne, les enseignes dans l'aerarium du sanctuaire de Saturne et d'Ops, où les questeurs allaient prendre et porter cette partie mobile du trésor public24; elles étaient sous la garde des questeurs. A partir de la consécration du temple de Mars liltor par Auguste, c'est ce sanctuaire qui reçut les enseignes des triomphateurs. Sous l'Empire, les temples de Rome continuèrent à recevoir des signa'; ruais il fallut que, dans chaque camp, dressé suivant les règles religieuses du templum, les enseignes eussent leur chapelle, refuge inviolable, où étaient aussi adorées les imagines des empereurs. Quand on campait, c'était les enseignes qu'on plaçait d'abord'-e ; si elles se montraient satisfaites de l'emplacement choisi, on leur élevait une chapelle, probablement au milieu du prétoire, entre le tribunal et l'ara, l'autel de gazon sur lequel s'ouvrait la tente augurale du général21. A Lambèse, la chapelle des enseignes s'élève au milieu du portique qui forme le fond de la seconde cour du praetorium (n. 4 sur la fig. 5491). C'est la disposition adoptée dans la plupart des camps romains de l'Occident; généralement la chapelle est à abside et repose sur une crypte voûtée destinée à abriter l'épargne des soldats. Autant pour veiller sur ce dépôt que pour honorer les enseignes, un poste était placé devant la chapelle 28. On ne sait trop si l'aigle légionnaire était adorée au milieu des enseignes des cohortes ou dans un édicule spécial 29: le meilleur argument contre la dis
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tinction de ces deux chapelles peut se tirer des textes qui parlent du temple du camp' comme d'un endroit bien connu, surtout du passage où Tacite montre le chef d'une députation, menacé par les soldats, se réfugiant auprès des enseignes et de l'aigle qu'il tient embrassées, pendant que l'aquilifer s'oppose aux violences de ses camarades A partir du me siècle, le culte de Mars s'introduisit dans la chapelle des enseignes et le Genius castrorum y eut sa place depuis Dioclétien3.
On a vu que les porte-enseignes, formés en collège dont le chef était qualifié d'optio signiferorum 4, gardaient et administraient le pécule des légionnaires dans 1•aerariunl qui, au camp comme à Rome, se trouvait sous la protection des enseignes 3. Lorsque les soldats recevaient une gratification extraordinaire après un succès, ils devaient, pour associer la divinité des enseignes à leur récompense, en déposer la moitié dans la caisse que chaque cohorte possédait au pied de l'aigles ; chez les prétoriens, les libéralités impériales allaient accroître ces deposita ad signa'. Aux jours de fêtes, ce sont les signifèves qui enduisent les enseignes de parfums 8 ; ce sont eux aussi qui officient quand les rois barbares viennent adorer les signa L'anniversaire de l'aigle, dies natalis aquilae, apparemment le jour où la légion avait été constituée, était sans doute pour eux une grande solennité10. Seuls, ils avaient droit de toucher aux enseignes et celles-ci ne manquaient pas de manifester leurs volontés divines. Avant Trasimène" et avant Carrhae t2, les enseignes refusèrent de se laisser arracher; quand Crassus passa l'Euphrate, un vexille qui portait son nom fut enlevé par le vent et jeté dans le fleuve; à Dyrrhachium, les enseignes de Pompée se remplirent d'araignées ; les flammes qui brillent la nuit sur les enseignes sont également un présage funeste 13; il suffit qu'on ne puisse parer les aigles et soulever les signa pour que les légions, qui s'apprêtaient à rejoindre le légat Scribonianus révolté contre Claude, restent dans le devoir 14 Aussi, pour propitier les enseignes, leur offre-t-on un
sacrifice dans la lustratio avant de partir en campagne 1°.
Les enseignes sont naturellement portées dans toutes les cérémonies militaires : adventus et profectio de l'empereur, où elles le précéder' "; adlocutio" et lustratio f0, revues et triomphes t9 où elles l'entourent. C'est devant elles qu'il reçoit le serment des soldats20 ; il se fait représenter en adoration devant elles 2t. Dans les médailles commémoratives de cérémonies de ce genre, une aigle entre deux signa suffit d'ordinaire à représenter la participation de l'armée impériale (fig. 6415)". Bientôt une enseigne, avec ou sans aigle, devient un des symboles de la puissance de l'Empire: c'est comme telle qu'elle figure non seulement entre les mains de divinités militaires comme Mars" , Victoria" , Disciplina 23, Virtus'36
Gloria 21, le Genius d'une armée 28, mais aussi dans celle du Génie du peuple romain 29, de Concordia (fig. 1892)30 de Fides 31 , de PietasS2, des provinces, des villes personnifiées13. Le besoin d'animer et de personnifier le culte trop froid des signa lui substitua, à partir du ni' siècle, celui du Genius Signorum. Rome reçut sans doute alors le vexillum auquel restait attachée, au temps de Charlemagne, la suzeraineté de la capitale34. Les troupes des confins de l'Empire ne faisaient pas preuve d'un moindre attachement à leurs drapeaux. Ne voit-on pas, bien après la défaite de Syagrius, les soldats romains, perdus au fond de la Bretagne, traiter avec les Armoricains et les Francs, à condition de garder, avec leurs coutumes, les enseignes impériales sous lesquelles ils continuèrent à marcher au combat "? J.-REINACH.