SITULA. Le mot situla ou situlus est une formation proprement latine', dontles dérivés, dans les langues néo-latines, sont respectivement l'italien secchia 3 et le français seau'. Comme notre seau, la situle, situlus aquarius ', est un vase servant principalement à puiser et à transporter l'eau ou différents liquides ° [PUTEUS, fig. 5892-589.4]. Le grec a, pour désigner cet ustensile, plusieurs termes qui semblent équivalents : 7.vTaEl09, ya'v)),o;, xzôot [CABUS, fig. 777 778]. L'archéologie a généralisé le terme de situle, pour désigner un type de vase en métal (les exemplaires en bois n'ayant pu laisser de trace), de forme cylindrique, tronconique ou ovoïde, sans col, ou avec un col très large, et muni, le plus souvent, d'une anse mobile.
Ce genre de récipient paraît être une création de la métallurgie orientale. Il figure sur de nombreux basreliefs assyriens. Les peintures d'une tombe égyptienne du xvle siècle avant notre ère nous montrent une situle parmi les vases que les Kéfa (Phéniciens) apportent en tribut à Touthmès III7. Nous le retrouvons dans la Crête minoënne, sur le sarcophage peint, récemment découvert
à llaghia-Triada 1. C'est dans une situle que l'on recueille le sang du taureau égorgé; puis une prêtresse vide le contenu des seaux qui lui sont apportés, dans un autre vase de plus grandes dimensions, placé entre les deux piliers
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surmontés de la double hache (fig. 6474 et 6475). La situle des Kéfa et celles d'Ilagia-Triada sont enluminées de bleu, de jaune et de brun. C'étaient des vases précieux, sans doute d'argent, cerclés d'or ou de cuivre.
Ces seaux préhistoriques étaient faits, suivant la plus ancienne technique de la métallurgie, de fines lames de métal étirées au marteau et fixées par des rivets'. C'est en Italie que nous trouvons d'autres exemplaires de ces situles de bronze laminé. Les plus anciennes, comme celle de Corneto, qui date du vine ou du vu' siècle avant notre ère , paraissent avoir été apportées par le commerce phénicien ou,
peut-être, chalcidien Elles furent aussitôt imitées par les artisans indigènes, parti
culièrement dans le nord de l'Italie. Dès la fin de l'époque villanovienne (vue et vit siècles), Bologne, puis Este, apparaissent comme des centres extrêmement actifs de la fabrication de cette vaisselle de bronze. Les situles abondent également dans les nécropoles illyriennes, depuis Sainte-Lucie en Istrie jusqu'à Hallstatt au nord des Alpes et dans les vallées alpestres'. Quelques exemplaires atteignent jusqu'à 1 mètre de hauteur. D'autres, plus petits, sont ornés de zones de représentations figurées, exécutées au repoussé, qui reproduisent, en un style barbare, des
motifs empruntés à l'art ionien archaïques. La situle de la Certosa de Bologne est le monument le plus remarquable de cette série, déjà nombreuses (fig. 6476).
En Grèce, sans doute par suite de l'abondance des fontaines, les vases du type situle sont beaucoup plus rares. Certains archéologues l'ont assimilée au PSYICTER (p. 751). Les trouvailles de situles sont demeurées exceptionnelles et, sur les peintures de vases, c'est presque toujours l'hydrie au col étroit qui sert à aller
chercher et à contenir l'eau, Un seul exemplaire, admirablement conservé, provient des fouilles d'Olympie 7 (fig. 6477); un second, en moins bon état, de celles de Delphes Ils sont l'un et l'autre de forme ovoïde, en bronze fondu, c'est-à-dire d'une technique absolument différente de celle des situles orientales, crétoises et villanoviennes. Ils datent de l'êge classique.
En Italie, à la même époque, la situle de bronze fondu est un vase des plus courants. Il s'en est retrouvé, soit au fond de puits antiques, comme à Marzabotto 9, dans l'Apennin, soit surtout parmi le mo
bilier funéraire des tombes étrusques 10. Elle apparait aussi, parfois, sur les miroirs étrusques". La forme la plus ancienne est celle à fond plat, à corps tronconique, à épaule convexe et bien marquée, à rebord souvent finement orné d'oves, formant col, ou bien encore à parois concaves et sans col'. Puis vient la situle de forme ovoïde, avec ou sans col, se terminant en pointe, comme celle de Marzabotto, ou mon
tée sur un pied circulaire 13, ainsi qu'elle est représentée sur les miroirs. Les exemplaires de ce type, à pied bas et sans col, sont plus tardifs et se rapprochent de l'époque romaine. Tous ces vases sortent des fonderies étrusques dont la renommée s'étendait jusqu'en Grèce 14.
Nous trouvons sur les vases peints de l'Italie méridionale de nombreuses représentations de situles'°. Les formes en sont évidemment apparentées à celle des seaux étrusques, mais avec certaines modifications qui trahissent l'influence grecque. C'est ainsi que la saule à parois concaves et sans col, très évasée du haut et très étroite du bas, se confondrait aisément, n'était son anse, avec les corbeilles d'osier fréquemment représentées sur les vases attiques 16. Mais cette contamination est
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peut-être seulement l'oeuvre du peintre. Nous rencontrons encore, sur ces vases, une situle cylindrique, qui n'est autre chose que la ciste, pourvue d'une anse
mobile Le corps de ces situles est parfois godronné 2 ou même orné de figures «fig. 6478). Détail caractéristique, elles sont généralement montées sur de petits pieds en forme de boule ou d'astragale, qui en protègent le fond.
Sauf la situle en forme de corbeille, qui disparaît, ces mêmes types étrusco-campaniens demeurent en usage durant toute l'époque romaine. Les formes sont définitivement fixées dès le début de notre ère, et ne subissent plus que de minimes modifications'. La situle à corps ovoïde sans col et à pied
tend, de plus en plus, vers la forme hémisphérique. L'épaule de la situle à panse rebondie devient plus anguleuse ; un col droit ou oblique, de quelques centimètres, remplace le simple rebord de l'époque étrusque
Pompéi a fourni bon nombre de ces seaux (fig. 6479), dont quelques-uns en plomba. Ces situles se rencontrent éparses dans tout le monde romain et même au delà des
frontières de l'Empire, en Germanie et jusqu'en Suède'. Le luxe de l'époque impériale a créé quelques beaux exemplaires en argent, décorés d'une ornementation florale ou figurée rappelant celle des poteries dArezzo «fig. 6480).
Cette continuité de types, depuis
Fig. 6479.sanie de la période étrusque jusqu'à la fin de
Pompéi. l'époque impériale, la fréquence des
représentations de situles sur les vases peints de l'Italie méridionale, le peu de variété des formes romaines, confirment les indications des auteurs anciens touchant le centre de fabrication de cette vaisselle de bronze. On connaît la « campana supellex » d'Horace 9. C'était à Capoue déjà que Caton recommandait d'acheter tous les vases de métal lo. Pline reconnaît que, malgré les divers essais de contrefaçon, la Campanie et Capoue tiennent toujours la palme" pour le travail du bronze, et Porphyrion, commentant Horace, confirme qu'à son époque encore (me siècle), c'est à Capoue surtout que se fait cette vaisselle t2. Capoue est une ancienne colonie étrusque 13. Ce sont les Étrusques, sans doute, qui dès le vite siècle, y ont créé les fonderies de bronze, dont la domination samnite n'arrêta pas l'activité et auxquelles la conquête romaine ouvrit le marché de l'Italie et du monde''.
Usages de la situle. La situle est, avant tout, un vase d'usage pratique servant à puiser et à transporter l'eau. Elle fait partie, à ce titre, de l'équipement du soldat romain 1o (fig. 14418).
C'est avec la situle quo sur les miroirs étrusques les femmes se rendent au puits. Sur les vases peints de l'Italie méridionale, la situle apparaît dans la plupart des scènes où, sur les vases attiques, on trouverait soit l'hydrie, soit l'oenochoé. Une situle sert aux jeunes Campaniennes à verser à boire aux guerriers en armes 16. Elle est le vase employé pour
faire les libations l'. Elle contient le liquide que vont lancer les joueurs de cottabe I8. Sur une amphore (fig. 6481) c'est le seau où il est versé 19. Elle est, dans les scènes bachiques, un attribut fréquent des Satyres et des Ménades 90. Un très beau putéal néo-attique du Musée Maffeï, de Vérone, nous présente, parmi les nymphes et les
autres personnages du cortège de Dionysos, un Silène portant une outre sur l'épaule gauche, tandis que, de la main droite, il tient une situle 2f. Ce vase apparaît également dans les scènes de gynécée et de toilette, avec la
cassette et le miroir 22. Himéros et Pothos, emportant Aphrodite dans les airs, ont l'un et l'autre une petite situle à la main 23. Peut-être ces seaux contiennent-ils l'ambroisie, dont les déesses ont coutume de baigner leur corps2'. De l'idée de ces ablutions matérielles, une exégèse ancienne voulait passer à celle de purification morale, dont la situle serait devenue le symbole 2S. On a renoncé à ces explications.
Mais il est utile de dire que dans la religion officielle,
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la situle est le vase le plus couramment employé pour contenir l'eau lustrale. EIle devait figurer, à ce titre, dans la plupart des cérémonies du culte privé et public. Une peinture de Pompéi nous montre, déposée devant la porte dune maison, une situle d'eau lustrale avec le rameau d'olivier servant aux aspersions [LUSTRATIO, p. 1409, fig. 4685). La situle est aussi un des accessoires habituels du sacrifice. Nous l'avons rencontrée dès l'époque crétoise, servant à recueillir le sang des victimes. Nous la retrouvons, destinée sans doute au même usage, à Bologne, à l'époque étrusque. Sur la seconde zone de la situle de la Cerlosa, on ne compte pas moins de trois situles, de tailles et de formes diverses, portées par les prêtres et leurs serviteurs derrière le taureau et le bélier qui vont être immolés. Au début de l'Empire, sur un bas relief de l'ampithéâtre de Capoue, la situle apparaît associée à la table, aux couteaux, à la hache du sacrifice, à côté de l'apex sacerdotal et de la tète coupée du bélier '. Enfin, les dédicaces de deux seaux trouvés, l'un en Suède, l'autre en Silésie, nous apprennent qu'ils ont appartenu au mobilier sacré de temples romains Il y avait parmi les serviteurs un sitularius 3.
C'est surtout dans la religion isiaque que la situle prend une importance toute particulière. Pour les fervents d'Isis, l'eau du Nil, et même toute humidité, est une dérivation d'Osiris. Le vase qui contient ce principe divin, source féconde de toute vie, ala première place dans les cérémonies`. Ce vase est, soit une espèce d'hydrie, que nous décrit Apulée dans le plus grand détail 5, soit une situle. Un bas-relief du Belvédère nous montre une procession isiaque, en tète de laquelle marche la prêtresse qui porte la situle 6 [Isis, fig. 4103]. La situle, ou parfois l'hydrie, est dans la statuaire gréco-romaine l'un des attributs caractéristiques d'Isis et de ses prêtresses «fig. 4102, 4104, 4105). Plusieurs peintures murales de Pornpéi, d'Herculanum et de Stabies nous ont également conservé l'image de prêtres et de prêtresses d'Isis portant la situle 8. Sur l'une d'elles est représentée la grande cérémonie des vêpres isiaques : l'adoration de l'eau sacrée' (fig. 4102). Debout en haut des degrés du temple, entouré d'un acolythe qui joue du sistre et d'une prêtresse porte-situle, le prêtre, tourné vers les fidèles, élève de ses deux mains, cachées sous les plis de son vêtement, un vase qui parait être une situle. Aujourd'hui, le culte catholique emploie encore un petit bénitier portatif, qui a conservé la forme des situles romaines.
La situle a enfin son rôle dans la vie politique des Romains. Ce mot, ou plus souventson diminutif sitella10, indique le vase à l'aide duquel on procède au tirage au sort, opération préliminaire de tout vote. Deferre sitellam [GOMITIA, p. 1385] en vient ainsi à signifier : provo
quer le vote". Les Grecs employaient l'hydrie pour le même usagef°. Une scène de la Casina de Plaute nous apprend, dans le plus grand détail, comment on procé
usage chez.les Éoliens pour les libations'.
exercice de force usité chez les Grecs, surtout dans les gymnases. Les grammairiens nous en donnent une description suffisamment claire : on plantait dans le sol une poutre('oxdc) de la hauteur d'un homme, percée d'un trou à sa partie supérieure ; on y passait une corde, aux deux bouts de laquelle étaient attachés les deux adversaires, se tournant le dos l'un à l'autre ; ils tiraient de toutes leurs forces en sens inverse ; celui qui réussissait à entraîner l'autre en arrière et à lui faire toucher la poutre avec les épaules était déclaré vainqueur 2. C'était, comme on voit, une variété, avec un appareil en plus, du jeu dit EaxuaT(vôx, dans lequel les adversaires, tirant sur la même corde en sens contraire, mais face à face, se disputaient mutuellement un terrain délimité [GY7sINASTICA p. 1700, 1701, fig. 3679, 368013. Quelquefois même il y avait encore moins de différence entre les deux variétés du jeu, car on pouvait supprimer la
poutre, et les adversaires tiraient dos à dos sans appareil'. D'après un auteur, les Athéniens se seraient livrés particulièrement à l'exercice
de la axx7cép3x dans les
fêtes des Dionysies [DloivYstA] 3, ce qui fait sup
poser qu'il y aurait pris la forme d'un concours encouragé par des récompenses spéciales.
Nous avons peut-être l'image de la cxa7cépôx sur une lampe en terre cuite, d'époque romaine, dont plusieurs exemplaires ont été trouvés à Rome et dans les provinces (fig.6482)6. En haut d'un poteau est passée une corde, dont un bout est enroulé autour du corps d'un lion ; un Amour a les mains liées derrière son dos avec l'autre bout; la lutte vient de finir; après des efforts infructueux pour tirer son adversaire en arrière et le paralyser, l'Amour a été vaincu; le lion s'est jeté sur lui et le dévore. Il est possible que nous ayons là une simple fantaisie d'artiste, appartenant à la nombreuse série des monuments qui représentent sous des formes variées le Châtiment de l'Amour. Mais on ne peut exclure l'hypothèse que cette scène ait eu aussi une réalité tragique dans les spectacles de l'amphithéâtre, où des condamnés de droit
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commun subissaient le dernier supplice au milieu d'un décor et d'une action mythologiques'. En tout cas, il semblerait, si l'on admet cet exemple, que l'exercice de laaxn7rip a était encore pratiquéàl'époqueromaine9,quoiqu'on ignore si le mot grec a jamais été latinisé. GEORGES LAFAYE.