Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article SOCII

SOCII. Ce mot désigne les villes et les nations qui sont entrées non pas accidentellement et provisoirement, mais d'une façon permanente et définitive, dans l'alliance militaire de Rome. Il faut distinguer les alliés d'Italie et ceux du reste de l'empire romain. SOC 1368 SOC l'rAT.rn;. Les conditions politiques imposées par !tome aux villes d'Italie se ramènent à deux groupes essentiels, l'annexion avec le droit de cité actif ou passif MUNIClpu M1 et la fédération sous deux formes, le droit latin "LA'l'INI] et le droit des socii. Ce dernier droit ne repose pas, comme le droit latin, sur l'existence ou la fiction d'une nationalité commune avec Rome, mais sur une alliance militaire homogène. Appliqué sans doute d'abord aux Herniques et au peuple du Latium norum, mais qui ont été assimilés de bonne heure aux Latins, il a compris ensuite : Naples, peut-être la première ville fédérée, dès 326 av. J.-C. ; les Samnites, avec leurs subdivisions, Picenles, Vestini, Marrucini, Marsi, Peligni, F'renlani, dès 2901. Vers le milieu du me siècle il englobe toute l'Italie jusqu'à l'Armes et l'Aesis, avec des annexes extérieures dans la Cisalpine, entre autres Ravenne et Genua2. Les principales villes et nations fédérées connues sont: en Etrurie, Populonia, Tarquinii, Arretium, Perusia, Clusium"; citez les Herniques, Aletrium, Ferentinum, Verulae4: en Ombrie, Iguviurn,Camerinum,Ocriculum6; Tibur, Praeneste, Lavinium°; les Samnites; dans la Campanie, Naples, Nola, Nuceria, Canum 7 ; dansla Lucanie et le Rruliuln, Velia, Heraclea, Thurii, Rhegium, Locri, Petelia 8. Comme soldats, les socii de race italique s'appellent togeti, à l'exclusion des Grecs d'Italie; en face des alliés étrangers de la Cisalpine, tels que les Insubres et les Cénomans, et des étrangers du reste du monde, ils s'appellent, y compris les Grecs d'Italie, les Romains et les Latins, ha/ici". Ce mot, tiré de l'ancien nom Pafia du sud de la péninsule, adopté de bonne heure par les Grecs de Sicile et de l'Orient, est officiel dès le ne siècle Se. Il désigne le groupe qui jouit à l'étranger des mêmes privilèges que les Romains". D'autre part, la terminologie officielle unit souvent les socii aux Latins et aux colonies latines considérées comme fédérées [LATINI, p. 976-977]. La situation des alliés est réglée par le traité, foedus rcequttnt [coeurs] qui, impliquant et dissimulant une soumission préalable 1', les a mis au nombre des socii (in socioruua formulant referme) ". Les anciennes ligues et confédérations sont dissoutes, sauf la fédération religieuse des villes étrusques et ombriennes, dont la fête est célébrée à Volsinii sous la présidence des deux préteurs et des deux édiles du pays jusqu'au Ive siècle ap. J.-C. [ETROSCI, p. 823'. Les villes perdent leurs clientèles, l'indépendance de leur politique étrangère, reconnaissent et subissent toutes les conventions conclues par Rome avec d'autres peuples, doivent fournir, le cas échéant, le contingent militaire fixé par le traité" selon la formule socii nominisque latini quibus ex formula togatorum milites in terra Italia imperare solen/1'. Chaque ville ou, selon le cas, la réunion de plusieurs petites villes fournit sa cohorte d'infanterie ou sa turma de cavalerie, amenée au lieu de rassemblement par son magistrat propre et un payeur17; l'ensemble de ces contingents forme les alae sociorum, commandées par les six praefecti sociorum romains dont nous ignorons les rapports avec les officiers indigènes [exeicuus, p.914]. Au lieu de soldats, les villes grecques du Sud18 fournissent des vaisseaux qui, avec les contingents de la Sicile, de l'Orient et surtout de Rhodes 79, constituent le noyau de la flotte romaine. Les alliés n'ont pas droit légalement au butin, sont cependant admis quelquefois aux distributions20, reçoivent les mêmes cadeaux que les citoyens à l'occasion des triomphes21; leurs villes obtiennent, mais dans une proportion moindre que les citoyens, des assignations de terres sur lesquelles a lien aussi la pratique de 1'occupatio [AGRARIAE LEGES] 22. 11s ne doivent à Rome aucune redevance directe, sauf les contributions volontaires et les frais d'entretien de leurs contigenls. A l'intérieur ils jouissent théoriquement et en fait de la plus large autonomie, gardent la souveraineté sur leur territoire, leur droit de propriété privée, leur constitution, leur législation. Rome a imposé quelques lois à toute l'Italie, ainsi le plébiscite Sempronien en matière de dettes d'argent, la loi Fannia sur le luxe, les mesures générales de 186 contre les Bacchanales" ; mais, en général, c'est de son plein gré qu'une ville alliée accepte les lois romaines, qu'elle devient fundus (municipium fundanum)2`, et probablement aussi qu'elle codifie son droit local en entrant dans l'alliance romaine, qu'elle emprunte à Rome, comme on le voit presque partout, quelques-unes des magistratures municipales, édilité, questure, censure [MAGISTRATUS MUNICIPALES, p. 1341]. Telle parait être la loi osque de Bantia en Lucanie qui mentionne la censure, la préture, la questure, le tribunat et renferme des règlements sur le cens, les comices, les tribunaux populaires, l'intercession des magistrats, fa substitution du mois de trente jours au lrinum nundinum 25. Les villes alliées gardent leur juridiction propre au civil et au criminel, sauf les empiètements arbitraires des magistrats romains, le droit de recevoir les exilés romains, leurs calendriers particuliers 26, leurs droits monétaires jusqu'à la première guerre punique, à partir de laquelle Rome se réserve la frappe de la monnaie d'argent et généralement aussi celle du cuivre [MONETA, p. 1976]. C'est le sénat romain qui règle les différends entre les villes Cette situation des alliés, passable en théorie, devient en fait, comme celle des Latins, de plus en plus SOC 1369 SOC mauvaise, quoiqu'ils fournissent au moins deux fois plus de soldats que les citoyens. Rome viole souvent leurs droits ; à l'armée ils ne sont pas protégés contre les peines corporelles et autres par l'appel au peuple; les concessions du droit de cité deviennent de plus en plus rares. Les Italiens songent alors à obtenir par la force l'égalité civile et politique. Le rejet de la proposition du consul M. Fulvius Flaccus de faire accorder le droit de cité aux alliés, sur leur demande', amène en 125 la révolte, cruellement réprimée, de la colonie latine de Fregellae. Contre l'aristocratie sénatoriale, le parti des Gracques est favorable aux alliés, mais il n'a pour lui ni l'aristocratie des villes italiennes, atteinte par les lois agraires, ni même la plèbe romaine qui ne veut pas partager avec les Italiens ses privilèges, ses distributions de blé. Les propositions de Gains Gracchus en faveur des Italiens sont une des principales causes de sa chute2. La loi Livia de 122, portant la fondation de 12 colonies italiques de 300 colons chacune, n'est pas exécutée. Le vote de la loi Licinia Mucia de civibus regundis sur la vérification du droit de cité et l'exclusion des non-citoyens', l'échec des plans de Livius Drusus en faveur des Italiens' amènent enfin l'explosion de la guerre sociale (90-88). La ligue italienne comprend surtout les Marses, les Samnites avec les peuples de leur confédération, les Picentini, les Vestini, lesillarrucini,les 1rentani, au sud les Apuliens, presque toute l'Italie centrale et méridionale; Rome garde dans son alliance les Latins, les Étrusques, les Ombriens, les colonies romaines, plusieurs colonies latines, les villes grecques, en Campanie Nola et Nuceria. La ligue italienne copie l'organisation romaine, se donne une capitale générale, Corfinium ou ITALIA, un droit de cité fédérai, un sénat de 500 membres, deux consuls et douze préteurs. Rome, quoique victorieuse, est obligée de céder sur le point essentiel. A la fin de 90 la loi Julia donne le droit de cité, si elles l'acceptent, aux villes latines et aux villes alliées restées fidèles'. Peu après, sans doute au début de 89, la loi Plautia Papiria accorde à toute personne ayant le droit de cité, ou son domicile dans une ville alliée, un délai de deux mois pour se faire inscrire devant le préteur comme citoyen romain' ; les nouveaux citoyens devaient être inscrits soit seule VIII. ment dans huit des anciennes tribus, soit, d'après Appien, dans dix tribus nouvelles 7; c'est seulement en 8'1 qu'on les répartit dans toutes les tribus [r11BUS[. Une partie des alliés, soit fidèles, tels que Naples, Héraclée, Puteoli, soit révoltés, tels que les Lucaniens et les Samnites, n'ont pas accepté de suite le droit de cité romaine a; d'autre pari, en 81 Sylla reprend le droit de cité à un grand nombre de villes qu'il remet dans le droit latin ; il s'écoule donc un certain temps avant que toute fila lie propre n'ait reçu le droit de cité'. L'organisation de la Cisalpine a été exposée à l'article LATINI (p. 974). Le mot Italici désigne alors les habitants de droit latin ou romain de toute l'Italie jusqu'aux Alpes f0. It disparaît après la concession du droit de cité à la Transpadane en 49. PROVINCES. Les États autonomes socii", soit villes, soit royaumes (reges socii) qui ont généralement obtenu cette condition en échange de leurs services portent différents noms. Le mot foederati désigne la forme juridique de l'acte qui en a rattaché quelques-uns à Rome, le traité public (foedu.s) avec serment est irrévocable "; à l'égard des rois le traité devient caduc à chaque changement de règne et doit être renouvelé avec le successeur14 [FOEDUS, p. 1209]. Le mot foederati n est d'ailleurs pas officiel et dans le monde grec les villes fédérées s'appellent simplement autonomes ou libres". Le mot liberi distingue les républiques des royaumes; la libertas (i).no t7(a)estlasouverainetépolitiquesouslaformerépublicaine. Les villes libres sont de deux catégories, suivant qu'il y a traité bilatéral (foedus) ou concession unilatérale : foederati et liberi ou simplement liberi" ; dans le second cas, théoriquement, la liberté peut être révoquée, mais en fait la situation est presque la même La jouissance du droit indigène est exprimée en latin par les mots suis legibus uti, en grec par le mot autovoix(v qui est souvent joint à. aEuOEOta 18, mais en ce sens l'autonomie seule ne parait pas comporter l'exemption du tribut. Le terme le plus général est socii; marquant l'alliance militaire permanente, il est traduit en grec par le mot aé).i.u.azot qui implique, comme le montrent les traités, une symmachie à la mode grecque, offensive et défensive ; et il est généralement renforcé, par les 172 SOC 1370 SOC mots qui indiquent l'amitié, amicus, cf,(Àoç, 7‘4tç et Les alliés doivent reconnaître et respecter la souveraineté de Rome : majestatem populi romani comiter conservare'. Ils perdent l'indépendance de leur politique étrangère et généralement leurs sujets, sauf Athènes qui garde Délos, Lemnos, Imbros, Scyros, Paros, Haliartos [EPIMELETAI, p. 68G] et Marseille qui garde une partie de la côte jusqu'à Nice3; beaucoup de villes conservent naturellement un domaine municipal assez étendu, souvent en dehors de leur territoire'. Rome a supprimé les anciennes confédérations importantes, cellesdeMarseille, Rhodes, Sparte, Athènes et ne tolère sous la République que les petits groupements tels que les Eleuthérolacones, la ligue lycienne [EOJNON, p. 840, 812], sous l'Empire les assemblées' provinciales [coNC1LIuM'. Les alliés subissent la direction politique de Rome, n'interviennent pas dans ses négociations, ne peuvent ni faire de guerres propres ni même se défendre eux-mêmes, sauf s'il s'agit des petits rois vassaux, maintenus aux frontières, par exemple dans le Bosphore, la Cappadoce, la Mauritanie, l'Arabie, à Palmyre 6. Ils doivent théoriquement des contingents militaires, fixés par le traité; mais la République ne les réclame que fort rarement, sauf en vaisseaux 6 ; sous l'Empire, au contraire, beaucoup de pays alliés fournissent des auxiliaires j ExccCITUS, p. 915]. Sous la République les alliés ne paient généralement pas d'impôts à Rome, sauf des prestations extraordinaires et des réquisitions 7 ; ils sont presque tous immunes (xreneïç)"; mais cette immunité disparaît graduellement sous l'Empire, surtout en Occident'. Les alliés gardent, d'autre part, la souveraineté sur leur territoire, leur droit de propriété privée 1e; sont considérés fictiveutent comme étant en dehors de l'empire" ; le gouverneur romain ne peut ni pénétrer officiellement ni exercer chez eux sa juridiction, quoique cependant quelques villes libres, Tarse, Utique, Iladrumète, Thapsus, Panorme, Gadès, soient sans doute volontairement le siège du conventus 15; les troupes romaines n'ont que le droit de passage et ne doivent pas séjourner en permanence, sauf en cas de guerre et avec l'autorisation du sénat"; les villes fixent librement leurs impôts, leurs octrois, en reconnaissant toutefois les privilèges accordés par Rome soit à quelques-uns de leurs citoyens, soit surtout aux fonctionnaires, aux publicains, aux marchands romains et italiens". Elles gardent, comme on l'a vu, leur législation indigène etle droit de la modifIer 11; et entretiennent ainsi la vie du droit grec dans le monde oriental10 ; elles peuvent accepter volontairement le droit romain 17 ; quelques rescrits impériaux'' et peut-être aussi quelques lois romaines 79 ont été applicables à tous les sujets sans exception. Rome a, d'autre part, fait presque partout remanier les institutions démocratiques dans le sens aristocratique [MAGISTRATUS MUNICIPALES, p. 1551]. Les tribunaux des alliés jugent librement, sans limitation, au civil et au criminel, même les Romains20; mais sous l'Empire, peut-être dès Auguste L1, les autorités romaines évoquent beaucoup de procès criminels 22, surtout quand les Romains 23 rejettent la juridiction indigène, et beaucoup d'affaires administratives". Pour le monnayage, Rome se réserve, dès la République, la frappe des monnaies d'or et laisse aux villes libres et aux États vassaux la frappe des monnaies d'argent et de cuivre; mais sous l'Empire, quelques grandes villes seules, Antioche, Mopsuestia, Tarse, Amisus, la Lycie et les rois de Mauritanie, du Pont Polémon, du Bosphore, de l'Arabie nabatéenne conservent la frappe de l'argent ; les autres villes ne gardent, avec permission spéciale, que la frappe du cuivre, et ce monnayage disparaît complètement sous Aurélien [MONETA, p. 1975 i. Les villes alliées gardent généralement leurs calendriers locaux et souvent des ères particulières26. Leurs litiges vont, sous la République, devant le sénat qui statue lui-même ou confie la décision à des sénateurs arbitres ou à une ville tierce t7 [5ENATUS]. L'indépendance des alliés, déjà souvent violée sous la République", malgré les recours au sénat, subit sous l'Empire des restrictions de plus en plus graves-' qui finissent par l'annuler, surtout, par l'établissement des inspecteurs financiers appelés logistes, Loplsora(, correc SOC 1371 SOI)