Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article SPHINX

SPHINX (`H 2.'a(y ). Sphinx. Le monstre célèbre de la légende thébaine [OEDIPES] n'est qu'une application particulière d'une conception générale, celle de démons ravisseurs, de génies funèbres qui enlèvent les vivants. Les sphinx, dont le nom signifie étrangleurs', sont de la grande famille des esprits malfaisants, des Kères, des Érinyes, des Harpyes et des Sirènes 2. Cette croyance est fort ancienne en Grèce, mais le type plastique qui lui servit de représentation décèle une origine orientale que nous déterminerons dans la deuxième partie. 1. La première mention du monstre fabuleux se trouve dans Hésiode3 qui fait naître le sphinx d'Orthros, SPH 1432 SPH le chien de Géryon, et d'Eehidna, la fille anguiforme de Phorkys 1. D'autres mythographes donnent au sphinx comme parents Typhon et Echidna Dans l'Edipodie de Pisandre 3, le sphinx est anguipède comme sa mère Echidna. Les poètes tragiques en font une vierge ailée' ou lui donnent le corps d'une chienne' ou d'une lionne D'après les mvihographes à tendance evhémériste, la sphinge était une fille naturelle de Laius7 ou d'Ucalégon 3, la femme de Macareus 9 et de Cadrnus 10, ou une simple femme thébaine''. Le monstre avait été envoyé de la lointaine Éthiopieaux Thébains par Héra, Arès 17, Dionysos ou Hadès 1n. Il désolait la contrée"; les poètes rivalisent d'épithètes violentes qui marquent son activité malfaisante. C'est un meurtrier (uiatip v(is17, (,poroorêvos'6), un vampire anthropophage (1üp.daiTo4 19), qui dévore ses victimes sans être arrêté par leur taille20 ni leur qualité. Ni Hémon, le fils du roi Créon, ni Hippios, fils du Lapithe Eurynomos, ne sont épargnés21. Hésiode ne connait pas la légende de l'énigme proposée par le sphinx, mais Pindare 22, Sophocle23 et Euri pide24 y font clairement allusion. D'après une tradition rapportée par Apollodore", les Muses avaient inspiré au sphinx les vers de sa mélopée célèbre, qui étaient conservés dans les Tpayl.,ôoégEvx d'Asklépiadès 26. Chaque jour, les Thébains se réunissaient en une assemblée uniquement consacrée à résoudre le cruel problème. Après chacun de ces congrès infructueux, le sphinx dévorait une victime sur la mon0agne71, Enfin, OEdipe vint qui trouva la solution70 [oEnreos]. Selon un mythographe, ce n'était qu'un effet du hasarde"; par un geste inconscient, le héros se serait montré, à peine le problème posé. Quoi qu'il en soit, le monstre se mettait luimême en pièces. Mais selon erre autre tradition bien répandue 30 et confirmée par un aryballe à reliefs trouvé en Chypre n, OEdipe était forcé de tuer le sphinx de la pointe de sa lance, sa première victoire lui étant sans doute contestée. Si le sphinx thébain a joui dans l'antiquité d'une célébrité sans rivale, il est certain qu'on ajoutait foi à l'existence non seulement du sphinx de la légende d'OEdipe, mais à celle de nombreux sphinx ; l'imagination religieuse primitive ne fait pas de différence essen tielle entre l'unité et la pluralité 32; les Grecs ont vénéré le vieux Silène sans préjudice de l'essaim des Silènes de la Fable fsATYRu, p. 1091]. Ces sphinx de l'imagination populaire se rattachaient, d'ailleurs, à une famille plus large de démons, celle des esprits funèbres, analogues aux vampires ; on les redoute comme les Kéres33, comme les Harpyes, les Sirènes ISLRENES, p. 1355], comme Empesa31 qui surgit à l'heure de la méridienne. Il y a aussi une parenté entre le sphinx et la arpiy;38, qui désigne un oiseau nocturne et nuisible qu'on repousse par exorcisme, comme les Kères à la fête des Anthestéries. Comme plusieurs des personnifications de l'âme [cf. PsYCHÉ], les sphinx n'excitent pas seulement l'épouvante, mais la volupté ; on leur attribue un caractère lascif 36. Plusieurs textes traitent ironiquement de sphinx les hétaïres 37, particulièrement celles de Mégare n. Plutarque compare au sphinx (qui est féminin en Grèce) la puissance insinuante de l'amour 39. Plusieurs monuments, surtout des objets destinés à la toilette féminine, donnent le sphinx commeattributoucommependantàAphrodite '0. C'est à l'Orient que les Grecs ont emprunté le type figuré du sphinx : selon la croyance la plus répandue, les Égyptiens seraient les créateurs de cet être fantastique. Ils ont représenté Tun Harmachis''', le dieu d'Iléliopolis, sous l'aspect d'un lion androcéphale. La plus célèbre représentation en est le sphinx de Gisell'2 (IV' dynastie). Il existe aussi, dans l'art égyptien, des représentations d'Arnmon, sous la forme du lion à tète de bélier43; telles les statues qui bordent les drornos des temples de Louxor et de Karnak. Ce sont des pseudo-sphinx. Le sphinx féminin est tout à fait une exception dans l'art égyptien 44 Par contre, le type du pharaon vainqueur sous les traits d'un sphinx tenant son ennemi entre ses griffes, aurait pu donner l'idée et le modèle du démon étrangleur des Grecs S6. C'est toutefois dans une autre partie du monde oriental, en Chaldée, qu'il nous faut chercher l'origine du sphinx des Grecs, qui est un démon féminin '6. Une figurine de stéatite,récernrnent trouvée dans le palais d'HaghiaTriada, en Crète, pourrait être un produit de l'industrie asiatique (fig. 6541) 47. L'animal est aptère ; ii est couché. Le SPH 1433 SPH corps est celui d'un félin, plus rond et plus plein que celui des sphinx grecs. L'attitude de l'animal et les caractères du style rappellent les taureaux androcéphales chaldéens. La chevelure est féminine. C'est par le pays des Hittites et par l'art hétéen que le type chaldéen du sphinx a ilù s'introduire en Asie Mineure, en empruntant peut-être aussi quelques traits aux oeuvres de la vallée du Nil. On voit sur les monuments hétéens des griffons et des sphinx affrontés ', motif décoratif qui fera fortune en Grèce. A Euyuk en Cappadoce, dans le territoire hétéen, on voit encore deux sphinx aptères, debout près de la porte méridionale de la ville; leur coiffure et leurs boucles d'oreilles les rapprochent de la déesse syrienne Quadesh a. Ils rappellent les démons ailés montant la garde aux portes des palais assyriens, symboles de force et de vigilance que l'on considère comme l'écho de prototypes chaldéens. Dès le m e siècle, des intailles syriennes présentent très fréquemment des sphinx qui procèdent tanthtde l'Égypte, avec un surcroît, de fantaisie tantôt de la Chaldée ou de l'Assyrie '. Dans ce dernier type qui devient, prépondérant, le sphinx est ailé et a les ailes recoquillées; le motif favori est le groupement héraldique des démons, autour de l'arbre de vie ; le type du sphinx féminin et ailé, popularisé ainsi par l'imagerie phénicienne, pé.néI.rera mème en Égypte, à l'époque du Nouvel-Empire, pour y lutter avec le sphinx indigène qui est. viril et aptère C'est aussi ce type anatolien qui, par l'intermédiaire des Phéniciens et de Chypre, fait son entrée en Grèce. A Mycènes, vers la fin du ue millénaire av. J.-C., le sphinx a bien la tournure que lui donnait l'imagerie orientale; le démon est ailé, et ses ailes sont ornées de ces boucles que présente aussi le griffon mycénien [Grivas]; le visage a des traits féminins; les seins sont faiblement marqués. La tète est coiffée d'une tiare peu élevée, d'où part souvent une longue houppe flottant en arrière. Cette coiffure d'origine hétéenne était destinée à une fortune persistante dans l'archaïsme grec. On voit des sphinx ainsi figurés sur toutes sortes d'oeuvres de provenance mycénienne, sur des peignes [PECTEN, fig. 5532] et d'autres objets d'ivoire trouvés à Spata en Attique (fig. 65421, sur des feuilles d'or repoussé trouvés dans le troisième tombeau de l'acropole de Mycènes 3, à Ialysos ° et VIII. dans le trésor d'Éphèse70. L'art mycénien tardif, en Chypre, présente parfois des sphinx dont les membres antérieurs sont ceux de l'homme 't ; c'est un corps humain complet soudé à un arrièretrain d'animal, solution bétarde et caduque comme celle des Centaures ioniens, véritables Silènes prolongés en une croupe chevaline [sA'rvru, p. 1092, n. 85]. Sur les monuments mycéniens, le sphinx est figuré tantôtcouché'9, tantôt debout" sur les pattes de devant, souvent de, profil'`, parfois complètement dressé (fig. 6513)'" Jusqu'ici on ne commit qu'une seule représentation mycénienne du protome de sphinx, qui apparaît sur un stamnos de Munich°. Le motif se retrouve en Ionie". h'poque archaïque.Après l'invasion des Doriens, le sphinx fil, pour la deuxième fois, son apparition dans le monde hellénique; il eut une place d'honneur parmi ces figures ailées, ces animaux fantastiques que l'Asie préférait alors aux animaux réels. On peul, attribuer à l'art. phénicien les boucliers de bronze repoussé trouvés dans la grotte de Zens ldécn, en Crète. Les intluences orientales sont très fortes sur cet art composite. C'est de l'Égypte que vient, le sphinx ailé, barbu, coiffé d'une tiare double qu«on observe sur une coupe de llronze1t; c'est ait contraire l'Assyriequ'évroquentlesdeux sphinx figurés sur un autrebouclier, connue des démons vigilants montant la garde autour de l'arbre de vie" C'est enfin plutôt à l'influence syrienne qu'à l'influence égyptienne, que l'on doit le grand sphinx coiffé d'une sorte de casque, ciselé sur l'une des plus (telles armes de la trouvaille "20. Une série do coupes d'argent, découvertes en Chypre, doivent cire également considérées comme des produits de l'industrie phénicienne. Ainsi la coupe de Dali 21 qui présente cinq sphinx ailés groupés autour d'un arbre, et cinq griffons qui maintiennent à terre des victimes humaines; on voit (fig. 927) sur une patère trouvée à Amathonte" des sphinx couchés; le disque du soleil el.l'uraeus sont gravés sur leurs fronts. 180 S PH 1434 SPH Sur la coupe d'argent découverte à Curion ' et conservée au musée de New-York, tandis que la zone centrale présente un sphinx égyptisant et aptère, avec le cartouche, on voit, sur la zone externe, deux sphinx ailés, à côté de l'arbre de vie, comme dans les représentations assyriennes. Dans la Grèce propre, le style géométrique, qui succéda à l'invasion dorienne, marque une régression sensible sur l'art égéen. Durant le vine siècle et le vue, et surtout sous le couvert des influences ioniennes et insulaires, on voit s'introduire ,dans le décor géométrique 2 des sphinx, des sirènes, etc., qui, dans les plus anciens monuments, ont des formes barbares et lourdes. Sur un basrelief en argent, trouvé à Olympie 3, on voit des sphinx debout, aux têtes massives, qui rappellent une statuette trouvée à Dodone Deux plaques de bronze d'Olympie sont aussi décorées de figures de sphinx d'un type composite, qui peuventétre rattachées à l'art phénicien. On observe déjà dans les bronzes d'Olympie le motif du sphinx à tête unique posée sur deux corps que nous retrouverons à toutes les époques C'est également des ateliers de Sidon ou de Tyr que provient la belle patère (le bronze récemment trouvée dans le sanctuaire d'Athéna Pronaia à Delphes ' un char de guerre y est traîné par un sphinx mâle, au chef casqué. Plus tard, Argos devint en Grèce le centre de l'industrie métallurgique. C'est là qu'on fixe généralement le lieu de la fabrication des bandeaux ciselés et des manches de miroirs (fig. 65`_7) qui ont été trouvés à l'Acropole d'Athènes, en Béotie, dans le temple d'Apollon Ptoos, etc. Les plaquettes de bronze du sanctuaire béotien' sont décorées de sphinx marchant ou asssis : le type du visage est archaïque; les corps sont élancés, les ailes recoquillées par devant comme celles qu'on voit sur des vases d'ancien style corinthien auxquels ils ont pu servir de modèle. Si les objets de métal nous attestent très fidèlement les origines orientales du sphinx grec, les terres cuites', les pierres gravées 10, les monnaies ", enfin la plastique en marbret2 nous en font mieux comprendre la pénétration dans les diverses branches de l'art archaïque. Dans les peintures de Mélos, de Rhodes, de Naucratis, le sphinx offre une grande parenté avec l'art mycénien; elle est surtout manifeste par l'appendice flottant ou roulé en spirale qui se détache, en arrière, de la chevelure. Observons-le sur des amphores de Mélos'', des plats de Camiros ", des tessons milésiens trouvés à Ilion ", sur des vases découverts à Naucratis f6, à Cyrène "; dans ces deux dernières fabriques, l'appendice dérive du bouton de lotus qui est, on le sait, pour les Égyptiens, un symbole de l'âme 18 ; il confère au sphinx le caractère chthonien, ainsi que les petites hirondelles qui sont parfois perchées sur sa queue ". Le même type se retrouve encore dans des monnaies de Cyzique2U et dans un vase proto-attique de Phalère 2f. Un sarcophage de Clazomène 22 offre une frise de douze sphinx ailés. Les mêmes séries ioniennes offrent aussi un type de sphinx plus dégagé des survivances mycéniennes et conforme aux traditions de l'art archaïque. Ionien d'origine est également le motif du sphinx assis, la tète tournée dans le sens inverse du corps 23, que l'on retrouve dans les vases corinthiens. En Grèce propre, l'Attique offre, sur une coupe du Dipylon, au milieu du décor géométrique, le groupe héraldique d'un sphinx et d'un centaure 24 ; au vue siècle, dans les peintures du style dit de Phalère 2a, et plus tard, dans les amphores proto-attiques dites a tyrrhéniennes I, 26, on voit se multiplier les sphinx comme les autres démons ailés et les fauves empruntés à l'Orient. Mais, avant même que ce style soit arrivé en Attique à son plein développement, les peintures corinthiennes" et chalcidiennes2° présentent très souvent le sphinx, ou isolé, ou groupé avec d'autres animaux; toutes ces figures sont empruntées aux modèles asiatiques, au décor ciselé sur les précieux vases de métal ou tissé dans les étoffes somptueuses. Quelques représentations offrent des particularités notables, soit des sphinx barbus 29, réminiscence de l'Égypte, ou le motif du sphinx à la patte levée, souvenir de la Syrie 30. Peu à peu, et notamment dans les vases chalcidiens 31 et ioniens, par exemple dans les hydries de Ca'ré 32, les sphinx sont relégués au revers des vases; c'est l'effet d'un courant général qui déprécie le décor animal. Le célèbre vase Françoise3 qui est attique, présente le motif de deux sphinx affrontés, SPH -9435SPH une patte de devant levée; ils sont séparés par un ornement floral très stylisé. Deux griffons sont disposés de la même façon, au revers du vase [Gaves, p. 1671, note 8]. Le même motif reparaît sur la zone supérieure ; les sphinx constituent aussi comme les deux agrafes décorées de la ceinture qui entoure le vase'. On les retrouvera fréquem ment dans la céramique attique à figures noires. Des coupes signées par Nicosthènes2, Tléson" et Glaukytès 4, présentent un sphinx à la tête détournée et dont les pattes de devant sont celles d'un oiseau. Quand la plastique prit son essor, elle se trouva en présence de types absolument formés. Le sphinx voué par les Naxiens à Delphes° (fig. 6514) rappelle, avec quelques différences légères, le type et la pose qu'ou voit sur des poids ou monnaies de Chios (fig. 6545) 6r Les statues de sphinx servant à décorer des tombeaux attiques, présentent avec des variantes dans la disposition des nattes de la chevelure qui sont tantôt séparées 7 , tantôt réunies s, les motifs favoris de l'archaïsme grec, soit la régularité symétrique des plumes et la courbure voulue des ailes dont les pointes reviennent derrière la tète. Fig. 6545. -Monnaie On rattache aujourd'hui à l'art ar de Chios. chaïque grec la plupart des objets étrus ques. Beaucoup de vases à reliefs, de la catégorie dite « bucchero », sont ornés de timbres figurant des sphinx affrontés° tels que nous les avons rencontrés dans les anciennes fabriques d'Anatolie et de Grèce. Les fresques des tombeaux de Véies '° et de Vulci présentent des sphinx dont la tournure grotesque ne peut cacher tout à fait l'origine orientale. Aux siècles suivants, l'art étrusque use de ce type, surtout dans les monuments funéraires, cippes, urnes, sarcophages ". Mais, nous ferons observer qu'aux. àges préhistoriques déjà, l'Italie avait fait bon accueil au sphinx grec'. Parmi tant d'êtres fantastiques, créations hybrides de l'Orient hellénique il fut seul à jouir d'une certaine faveur chez ces peuples primitifs. On le retrouve dans les nécropoles de Bologne", d'Este ", de Golasecca ", de Santa Lucia"de Caverzanot7. Ces exemples sont trop nombreux pour ne pas déceler une prédilection marquée pour le lion à tète de femme. 3° Période classique. Les potiers athéniens avaient déjà renoncé à donner au sphinx ces ailes recoquillées qui étaient propres à l'Ionie et à Corinthe ; un lécythe blanc à figures noires" et un tesson d'amphore titi est figurée une mise au tombeau, présentent des sphinx dont les ailes sont repliées ; les extrémités des rémiges sont normales et retombent naturellement. Ce type dont les vases que nous avons énumérés fixent l'introduction au vt' siècle, se retrouve tout à fait fixé avec la mode nouvelle des figures rouges; un lécythe de Vienne" et une coupe célèbre du musée Grégorien95 en attestent la vogue au ve siècle (fig. 6547) ; dès lors, il persistera jusqu'à la fin de l'hellénisme. L'art de ce temps excelle à fondre les divers membres dont l'imagination des artistes avait composé cet être fabuleux 21. Dans un chef-d'oeuvre récemment découvert à Egine2'-, malheureusement très mutilé, la statuaire du milieu du ve siècle a achevé le plus beau type du sphinx funéraire. L'artiste, dans lequel Furtwaengler inclinait à reconnaitre Calamis, a représenté l'animal à moitié debout, posé seulement sur l'extrémité des pattes. L'expression du visage, un peu incliné et vu de trois quarts, garde une grande noblesse et une beauté saisissante. En quittant 'Égypte pour la Grèce, le sphinx avait changé de sexe", et l'esthétique y gagna. Le sphinx d'Égine possède la beauté souveraine; avec lui, la mort apparaît sous des traits enchanteurs et parée de la grâce juvénile. Pour le corps même, c'est une chienne que le sculpteur avait pris comme modèle vivant'-4. En Grèce, on n'avait guère alors l'occasion de voir une lionne; on avait pris le même parti pour le griffon, qui participe aussi de la nature léonine. Il était d'autant plus justifié pour la sphinge, qu'Eschyle et Sophocle, nous l'avons vu.2J, ont parfois dénommé celle-ci la chienne (icu(iov). D'autres monuments du milieu du v° siècle sont restés plus fidèles à la loi de frontalité, ce pendant qu'ils conservent aux traits du sphinx une expression de beauté rigide. Citons un beau vase plastique du musée Britannique26, les bas-reliefs d'un monument funéraire provenant de Xanthos 27, dans le même musée; enfin. d'autres statues funéraires de Mantoue15, de Londres29 SPH 1436 SPH et. de Naples' (fig..4913). Le casque de la. Parthénos de Phidias est formé de trois aigrettes, celle du milieu est supportée par un sphinx (fig. 3476) ; les bras de son Zeus d-Olympie étaient soutenus par des groupes en ronde bosse représentant des sphinx enlevant de jeunes Thé bains 3. Un superbe vase plastique conservé au musée de l'Ermitage à Saint ~~ Pétersbourg4, nous montre -e (f g . 63461, au ~~'~ début du 4v° siècle, un sphinx paré des grâces du style fleuri. Les pierres gravées du ive siècle, avant Alexandre " et les vases de l'Italie méridionale 6 présentent souvent ce type de sphinx devenu classique. 4° /poque/1 ellénistique.-On fiI surtoutdu type créé par les tiges précédents un emploi décoratif. Dans les objets se rattachant à l'art alexandrin, le sphinx, par archaïsme ou même par une recherche de couleur locale, est le sphinx des Égyptiens ; telles les statues du Nil, appuyé sur un sphinx ' symbolisant l'Égypte, qul'on retrouve sur la célèbre tasse Farnèse ', au musée ale Naples, ou, au même musée, le pied de table, très égyptisant, provenant de Pompéi ". Dans l'art romain aussi, les représentations de sphinx sont assez fréquentes ; on les emploie volontiers comme supports dans l'architecture et le mobilier Ffig. 10`2H, 4913116, ils s'adaptent fort bien aux angles des sarcophages1l, aux candélabres 13, aux casques CALVA', etc. Il. Nous avons suivi l'évolution du type figuré du sphinx; il nous reste à examiner brièvement les divers motifs où des sphinx apparaissent. Les monuments qui mettent le sphinx en présence d')Edipe ou au milieu des Thébains ont déjà été signalés [OEDIPUS, p. 154'i. Ce ne sont pas les seuls oit on le voit représenté. « La redoutable figure du sphinx, dit M. Pottier, était devenue peu à peu en Grèce un ornement usité des tombeaux et un symbole décoratif de la mort t4 e. Les Grecs avaient emprunté ce décor funéraire à l'Orient, à la Phrygie, à la Lycie et à Chypre'. Des couples de sphinx apparaissent sur le fronton du tombeau phrygien d'Arslan Kaia 1e, sur la frise du monument lycien des Néréides", sur un tombeau de Xanthos au musée Britannique ". Sur le fronton du beau sarcophage lycien de la nécropole de Sidon ", des sphinx se tournant le dos oncles yeux fixés sur un palmier qui les sépare; c'est l'arbre de vie, selon le vieux symbole assyrien'Enfin, on avait disposé des sphinx sur plusieurs tombeaux cypriotes 21, notamment aux angles du sarcophage d'Amathonte 22. Le sarcophage des Pleureuses, au musée de Constantinople, répète ce motif d'acrotère''. En Grèce, dès le vl' siècle, le sphinx est un emblème funéraire. On pourrait se demander si une autre pensée t'a pas guidé les Naxiens dans le choix du sphinx pour décorer leur grand ex-voto de Delphes (fig. 654i); mais M. llomolle pense que le sphinx pouvait apparaître comme le gardien du tombeau de Python et le compagnon du triomphe d'Apollon 24. Nous avons mentionné plus haut les sphinx funéraires trouvés à Spata et au Pirée 2n, dont nous distinguerons des statues de inéfne type qui sont de simples ex-voto 2't. Quand la figure du sphinx, debout ou assise, sert de symbole funèbre, elle est placée sur SPH 14.37 SPH la stèle', le plus communément, mais elle peut aussi flanquer un fleuron central et jouer le rôle d'acrotère'. Parfois le sphinx a un double corps sur lequel est posée une tète unique'. De beaucoup le motif le plus usité est celui du sphinx assis sur une stèle à chapiteau ionique 4 ; l'image en est si familière que les céramistes l'ont souvent adoptée pour représenter le monstre de la fable, en face d'OFsdipe ou au milieu des Thébains; ils le juchent seul ou sur une haute colonnette (fig. 6h47)"; l'image est plus semblable à une réunion de jeunes gens autour d'une tombe du Céramique qu'au sauvage repaire du Ci Oléron » G. Le cratère Vagnonville, au musée de Florence 7, présente aussi le sphinx de Thèbes superposé à un tombeau de type usuel, simple tertre dressé sur une plate-forme rectangulaire ; détail nouveau, deux Silènes se sont attaqués au monument et le détruisent par le fer et par le feu. On a vu dans cette représentation l'écho d'un draine satyrique; et en effet, d'autres monuments offrent aussi le commerce du sphinx avec Papposilène que figure un histrion 6. Le sphinx, tout en restant un symbole décoratif de la mort, fut relégué aux angles des stèles', dans les nécropoles grecques, et à Rome, aux coins des sarcopllages'n, des urnes 1l, des cippes et autels funéraires (fig. 6340'". Dans les bas-reliefs, on exprime quelquefois plus clairement l'allusion en mettant près du sphinx un crâne 13, la roue du temps 14 ou une tête de bélier"D'autres monuments présentent l'animal dans son rôle de démon funèbre, maintenant sa victime dans ses serres : deux scarabées de style archaïque'", un groupe de bronze pu musée de Constantinople17, un bas-relief de Mélos (fig. 6 48)16 et un fragment d'amphore à figures noires de Munichf9répètentainsicemotifdécoratifquePhidias avait choisi pour les accoudoirs du trône de son Zeus Olympien "0. Des vases attiques de l'époque de Phidias présentent des sphinx emportant un défunt à travers les airs 21. On a confondu, dans certains cas, les sphinx avec d'autres démons de la même famille, en particulier avec les sirènes [SIRENEs]. Comme tous les génies funèbres, le sphinx passait pour une personnification de l'âme et participait de son essence proléïforme "--" ; on s'explique donc la création d'êtres hybrides qui tiennent certains traits du sphinx, les autres de la sirène. Un sarcophage de Clazomène, au musée Britannique ', offre une sirène à pattes de lion, tandis qu'un sphinx à bras humain est sculpté sur un cippe de Cologne"; enfin, des statuettes de terre cuite conservées à Berlin ", à Boston 26 et à Londres 27 présentent le type d'un sphinx à queue d'oiseau"6. Le sphinx de Délos20 présente un autre aspect: il a les pieds munis de serres, la main gauche est passée dans les cheveux, sur laquelle il appuie sa tète, Ailleurs l'équivalence des types du sphinx et de la sirène va SPH 1438 SPH jusqu'à donner au sphinx les formes d'une belle jeune fille ailée qui n'a plus rien de la figure des monstres'. Les sphinx n'étaient pas seulement dans l'imagination populaire des vampires avides de sang, mais encore des démons lascifs, enclins à la volupté [PsvenÈ, p. 747, n. 16]. Aussi, les artistes leur donnent-ils un beau visage ; ils l'associent fréquemment à Aphrodite. Le charmant balsamaire, en forme de sphinx (fig. 6546), de l'Ermitage impérial à Saint-Pétersbourg'' faisait le pendant d'un autre vase plastique figurant Aphrodite Anadyomène3. Des vases italo-grecs, en forme de sphinx, offrent des Eros' et des monnaies cariennes ont comme emblème Aphrodite assise entre deux sphinx °. Ajoutons que la statue d'Égine, décrite plus haut, servait d'acrotère à un temple d'Aphrodite°. La croyance unanime accordait aussi aux sphinx une puissante vertu prophylactique. On imaginait communément que ces images écartaient les mauvais sorts et détournaient les maléfices ; c'est pourquoi l'on en usait si fréquemment pour décorer les tombeaux; elles servaient d'épouvantail aux esprits qui hantent les cimetières. On plaçait aussi des figures de sphinx sur les vêtements', les bijoux, les cachets, sans doute pour donner à ces objets usuels la valeur de phylactères. Des pendants d'oreilles trouvés en Chypre 8, des bracelets provenant de la Russie méridionale (fig. 528) °, des fibules de Préneste 10 et de Chiusi (fig. 96), un collier de Vulci ", sont ornés de sphinx, et ont servi d'amulettes. lin de ces bijoux étrusques, au musée Britannique 12, en porte jusqu'à seize, figurés en ronde bosse par groupes de quatre et se faisant face (fig. 6549) ; il en est de même des innombrables intailles où des sphinx sont gravés f3, On ne manqua pas non plus d'utiliser cette vertu pro tectrice du sphinx pour les armes défensives ". En effet, onvoitchez Eschyle et Euripide 15 et sur les vases peints " que le sphinx servaitd'épisème aux boucliers des héros". C'était aussi, et pour les mêmes raisons, un décor fort usité des cuirasses '«fig. 3974), des poitrails (fig. 2727), des phalères (fig. 5620) et des casques, dont le sphinx supporte souvent le cimier (fig. 3473); quelquefois, formant saillie latérale, il occupe la place d'un panache ou d'une aigrette (fig. 2575) ; plus rarement, il décore les paragnathides (fig. 3475). Dans le casque de l'Athéna Parthénos de Phidias, l'aigrette médiane était supportée par un sphinx (fig. 3476, 3523 et 5068), décor qui fit école, à en juger par l'Athéna Hope, (fig. 5066) ", l'Athéna Farnèse 20, l'Athéna Hygieia de Pyrrhos 21, et par une héritière plus jeune, la Dea Ronia22. L'iconographie des rois de l'époque hellénistique et celle des empereurs romains empruntèrent ce même décor à certaines représentations d'Arès23. Dans son Électret', Euripide coiffe Achille d'un casque orné de ce même emblème dont il n'omet pas de marquer le sens prophylactique (ôs(,U.aTa pptxT7) 26 La vertu protectrice émanant du sphinx en recommandait l'usage aux artistes, charmés d'ailleurs par les qualités décoratives de ce motif. Les accoudoirs du trône de Zeus, à Olympie, étaient supportés par des sphinx enlevant leurs victimes26. A l'époque de Phidias, les dévots d'Olympie devaient éprouver encore une crainte superstitieuse en reconnaissant les symboles de la toute puissance du dieu sur la vie et sur la mort. Mais ce sentiment s'émoussa et finit par disparaitre21. Sans cesser d'être employé pour les amortissements des accoudoirs°°, les dossiers 29, les pieds 3°, l'escabeau même 3t des trônes divins, le sphinx n'est plus qu'un ornement. A l'époque hellénistique, et plus tard, à Pompéi et à Herculanum, on orna de figures de sphinx les pieds de tables 32 (fig. 4913), les trépieds", les lits les candélabres 35 et des ustensiles de tout genre (fi g. 1028) 3fi ; nous en avons déjà observé dans l'art archaïque, sur des appliques que l'on adaptait aux vases de bronze 37 ou à des objets de plus grande dimension, comme le char de luxe de Munich". Enfin, on choisit souvent aussi le sphinx comme emblème pour des poids et des monnaies. Les SPH 1439 SPI monnaies (fig. 6545) et les poids (fig. 6550) de Chiosl portent comme emblème un sphinx assis sur une amphore: une amphore ou un pampre remplit le champ'; le sphinx chthonien est, selon Head, un symbole du culte de Dionysos qu'on révérait dans l'île 3. Des monnaies de Rhodes offrent un sphinx assis à côté d'une rose' et le protome de l'animal apparaît sur des pièces de Cyzique ; celles de Chypre ont le sphinx assis sur un lotus La Carie et la Cilicie 8 ont pour type Aphrodite entre deux sphinx On peut ajouter à ces exemples choisis dans l'époque la plus florissante de l'art monétaire beaucoup de monnaies hellénistiques ", de la République romainetl et de l'Empire". L'anneau de l'empereur Auguste était décoré de cet emblème' 3. Le sphinx est parfois groupé avec des divinités ; nous avons touché plus haut la question de ses rapports avec Aphrodite" et avec Dionysos 16. On le voit aussi associé à Silène et aux Satyres, sous l'influence du drame satyrique [sATYRI, p. 1097]11, à Hermès t7, à Héraclès " et, comme symbole de l'Égypte, à lfarpocrate"etau dieu Nil20. Le sphinx apparaît aussi en dehors de l'histoire d'OEdipe au milieu des mortels; on voit, sur des scarabées sardes de style égyptisant, un jeune héros tenant deux sphinx suspendus par une patte". Sur des vases de Nicosthènes et d'Euergidès 22, le sphinx est entouré d'hommes armés. Ces scènes n'ont pas de rapport nécessaire avec le mythe thébain. Nous avons rencontré déjà le sphinx employé dans l'architecture religieuse; on le trouve, comme acrotère, en terre cuite ou en marbre, à Thermos", à Olympie 26, à Égine 26, dans les métopes et les frises sculptées des temples d'Assos 30, de Sélinonte 21. Il orne les sanctuaires ; on l'apporte en ex-voto 28 ; il sert à décorer les bases des statues", ou comme ménisque à en détourner les oiseaux 30. Rappelons le motif d'origine ionienne" du sphinx dont la tête, vue de face, surmonte deux corps vus de profil. Cette variante de la panthère et de la lionne à deux corps, fréquente sur les vases ioniens 92, jouit d'une certaine fortune dans la sculpture gréco-romaine 33 On voit un sphinx à trois tètes sur une monnaie d'Hadrien 34. Citons en terminant, un sphinx barbu à queue de serpent", le sphinx du cratère de Sommavilla, avec sa tête entourée d'un disque rayonnant36, enfin, sur une amphore de Chypre 37, deux sphinx échangeant des SPiCULUM. Pointe de lame ou de flèche [RASTA, sAGITTA]. Ce nom a aussi été donné au PILUM.