SYRIA DEA ou Dea Syria, traduction de Expia OEO; que la prononciation populaire corrompit en Diasura et même en Iasura 2, est le nom communément appliqué
-t Diod. XIV, 52, 4. 3 Pol. V, 9, 4. ° Dineobetger, Orientis ,graeci iaaure.
p. 205. 8 Dittenberger, Op. cit., 372; cf. Strab. X, 4, 10; Dittenberger, 373; cl'. Plut. P o m p e 42; Tb. iteinacb, Mithridate Eapntor, p. 52 et 253; Bevan, Op. cit., Il, p. 283, 3. 9 Dittenberger, 3.23 (probablement Andronicos; cf. App. p. 504, no 176 a, où il faudrait rétablir, non pas ca30, , comme fait Fraenkel, mais a;,sto_o, (Slrack, Rhein, 3'hts., LV (1900) p. 180, 5 ; cf. G. Cardinali, Il regno op. cit., p. 207, 1): Cardinali, Op. cit., p. 207. 10 Pol. XV, 33, Il. 11 A la
cour des Séleucides, Dittenberger, 256; Diod. XXXI, 20, 3; des Lagides, Datent berger, 14; Bevan, Op. cit., Il, p. 283.
Nero, 56 ; Florus, I1, 7. En grec, sur les monnaies 9.a. S„ pie (cf. infra fig. 6700); ;, I,t,ç .1 .cup(a : Cary. inscr. Gr. 7041; it 7attr, eat;: Lacian.; tao Eatt« ; Pausas.,
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en Occident à la déesse Atargatis ou Dercet.o'. `Alar'eta est proprement l'A (1)iar (ou Astarté) femme du dieu Aie", et l'on a voulu considérer ce dernier comme l'équivalent de l'Attis phrygien. Son culte aurait été importé en Syrie par les Hittites; ainsi s'expliqueraient les ressemblances qu'il offre avec celui des temples d'Asie Mineure 3. D'autres indices tendraient à le faire regarder comme d'origine babylonienne 4. Des influences diverses s'y sont certainement déjà confondues avant que nous puissions l'étudier. Un fait est certain : quoique le nom d'Ahan soit une variante dialectale de celui d'Astarté, et qu'en certains lieux les deux déesses aient pu être confondues, il faut distinguer la a déesse syrienne » Atargatis5 de l'Astarté phénicienne a. A Ascalon, dans le pays des Philistins, chacune d'elles avait son temple particulier'. Atargatis y a probablement été introduite à une date relativement tardive, comme dans quelques autres villes de Palestine ou de Phénicie ois elle s'installa ". Ce n'est pas dans cette région, mais dans la Syrie proprement dite, qu'elle règne en souveraine avec son époux Hadad. A l'est du Liban, on les adore dans les grands temples d'Héliopolis (Baalbek) °, et de Damas 10, et les inscriptions qui les mentionnent sont assez nombreuses. Notamment une dédicace à Atargatis, pour le salut d'Agrippa II et de sa soeur Bérénice, a été relevée à Qal'at Fakra 71. La déesse avait des prêtres à Izefr-Ouar'2, et même à Palmyre, elle est associée à Malachbel et à la Tychè Taïmi comme divinité nationale13.
Mais le sanctuaire le plus célèbre de la Dea Syra, s'élevait à Mambog ou Bambykè, qui pour ce motif fut appelée par Séleucus Nicator Hiérapolis''. Déjà Ctésias connaissait la légende de la déesse de Bambykè 45 et, à l'époque d'Alexandre, le buste de `Atar`atl,a apparaît sur les monnaies à légendes sémitiques frappées par le dynaste local Abd-Hadad (fig.6698, 1°. Sa tête est coiffée d'une mitre richement ornée et elle porte au cou un collier ; les longues tresses de sa chevelure pendent symétriquement sur ses épaules ; parfois le disque solaire et le croissant lunaire sont gravés dans le champ. Nous retrouvons à peu près
le même type sur une terre cuite de style archaïque découverte à Hiérapolis (fig. 6699 ) l'. Mais on voit de plus que la déesse, conservée jusqu'à l'ai-corps, se pressait des deux mains les seins pou'
rappeler sa fécondité, un geste fréquent dans la plastique orientale.
Le vieux temple dont les légendes locales attribuaient la fondation à divers dieux et héros'", fut rebâti peu après l'année 300 par Stratonice, femme deSéleucus,enstyleionique1B, et passa dès lors pour le plus grand et le plus riche de la Syrie 20. Ses trésors furent. convoités par Antiochus IV'', et il fut mis au pillage par Crassus, dont la défaite parut une punition de ce crime 22. Mais la piété des populations rendit bientêt au culte son ancien éclat, comme en
témoignent, au commencement de l'Empire, Strabon et Pline23. Au n° siècle, Lucien donne dans le traité De dea Syra (c.:8, 30, ss.), considéré parfois à tort comme apocryphe, une description du vaste sanctuaire, laquelle est pour nous un précieux rapport d'un témoin oculaire, bien qu'elle soit due à un observateur superficiel et ironique. Plus tard, il n'est plus question qu'incidemment de la ville sainte d'Atargatis 2'o. Un fragment d'Eunape sur une prêtresse de la 2:up(x Océç se rapporte probablement au passage de l'empereur Julien à Hiérapolis en
363 après J.-C.'',. Nous ignorons quand le temple fut
détruit ou désaffecté. On n'en voit aujoùrd'hui à la surface du sol que des restes insignifiants, mais l'étang sacré, qui se trouvait à enté, subsiste encore, large et profond, alimenté parades sources vives, qui dans un pays désolé durent sans doute, dès les temps les plus lointains, donner à ce lieu un caractère sacré. Des fouilles pratiquées à Membidj -sous cette forme survit le vieux nom sémitique de Mambog ou Mabbog seraient certainement très productives et très instructives 25.
La renommée de ce temple d'Hiérapolis s'étendait au loin. Non seulement les Syriens, ruais les Cappadociens, les Arabes et les Babyloniens s'y rendaient en pèlerinage 27. Les écrivains syriaques elle Talmud de Babylone parlent de Tar'alha comme la déesse de Mabbog 2S. C'est probablement de là que le culte de celle-ci fut trans
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porté au delà de l'Euphrate dans l'Osroène, où le roi Abgar aurait mis fin aux mutilations cruelles de ses galles, et à Carrhae (IIarrân)1. On signale même sa présence àAisibis et jusqu'àBesechana (Begez) en Mésopotamie 2. D'autre part, en Égypte une colonie hellénique avait établi depuis le lue siècle dans le Fayoum un culte en l'honneur de la déesse syrienne, associée à « Aphrodite Bérénice »
De même en Occident le culte de la dea Syra s'étendit jusque dans les contrées les plus lointaines. La propagation y fut favorisée par l'existence d'un bas clergé nomade, qui parcourait le pays en accomplissant (levant une image portative de la déesse ses cérémonies rituelles. l;n des serviteurs dé cette « maitresse n se vante dans une inscription de hefr-0uar d'avoir rapporté de chacune de ses tournées soixante-dix sacs d'offrandes 4. Ces prêtres mendiants étendirent leur champ d'opérations dans les pays d'outre-mer, On connaît les descriptions peu édifiantes que Lucien et Apulée nous ont laissées de ces galles de mcnurs équivoques 'Gat1.r, p. 1458] qui, après s'être livrés à leurs exercices de derviches dans les bourgs ou les cours de fermes, faisaient parmi les assistants une fructueuse collecte et savaient augmenter leurs profits par d'habiles larcins ou en débitant pour un prix modique des oracles familiers. Ce tableau pittoresque, qui remonte à un roman de Lucius de Patras, est sans doute poussé au noir, En réalité, les prêtres itinérants satisfaisaient les besoins de dévotion des nombreux esclaves syriens dispersés dans les exploitations agricoles et restés fidèles à leur grande déesse nationale. Déjà les guerres contre Antiochos le Grand avaient provoqué le transfert en Italie d'une foule de prisonniers syriens 1290 av. J.-C.), et durant le ne siècle la traite continua à peupler les latifundia de serfs de même origine'. La grande révolte servile qui désola la Sicile en 134 av. J.-C, fut provoquée par un esclave d'Apamé, serviteur d'Atargatis, qui simulant une fureur sacrée appela ses compagnons aux armes
En même temps, ou peu antérieurement, la déesse était transportée par les marchands syriens dans les Cyclades et sur toutes les côtes de la mer Égée: à Mylasa, à Smyrne, à \isyros, à Astypalée`. Au Pirée on voit les orgéons de la Grande Mère partager depuis le ne siècle l'usage de leur temple avec les fidèles de 1"AtB7OLvq 'tt2ufila ou Oèoxvlx', et l'on y trouve mentionnée à l'époque impériale une prêtresse I:us(»; ïsoC 10. Pausanias signale des sanctuaires de la même déesse sur l'Acropole de Thuria en Messénie et sur la côte d'Achaïe à Aégira ". Toutefois, on peut se demander s'il ne s'agit pas plutôt ici de l'Astarté phénicienne que
d'Atargatis, ou plutôt d'une assimilation des deux divinités ". Particulièrement nombreuses et instructives sont les inscriptions de Délos où, depuis la fin du u" siècle, non seulement des gens d'Hiérapolis font des dédicaces à « leurs dieux nationaux Hadad et Atargatis 't, mais où des citoyens Athéniens adorent cette dernière sous le nom de (FEZ 'Aippoô_zv,, contribuent à orner son temple et y sont même revêtus de la prêtrise t3. Le téménos des divinités syriennes, voisin de celui des divinités égyptiennes, a été en partie déblayé, mais nous ne possédons encore que des indications provisoires sur ces fouilles qui se poursuivent
Esclaves et marchands orientaux introduisirent sans doute vers la fin de la République le culte de la déesse syrienne à Rome. Néron eut un caprice dévot pour cette étrangère, que bientôt il délaissa 10. C'est probablement au règne de ce prince que remontent certaines inscriptions qu'on a reconnues depuis longtemps provenir d'un temple de la dea Syra situé trans Tiberim en dehors de l'enceinte du pomneriumi7. Ce temple a été retrouvé par M. Paul Gauckler sur le versant nord du Janicule près du lucus Furrinae, où coulait une source sacrée, et les fouilles qui y ont été exécutées durant ces dernières années ont amené des découvertes du plus haut intérêt"a. On y a trouvé les ruines de trois édifices superposés : le premier, qui date sans doute du temps de Néron, était un téménos à ciel ouvert entourant une humble chapelle, et fait face à un vivier où l'on pouvait nourrir les poissons sacrés. Au ne siècle fut élevé un second sanctuaire, semblable au premier par sa disposition, mais construit avec plus de luxe. Sous le règne de Commode un Syrien hellénisé, Gaïonas, cistiber Augustorum, l'avait édifié ou tout au moins enrichi de ses offrandes. Ce monument paraît avoir été détruit par le feu. Au commencement du Ive siècle, ou peut-étre sous le règne de Julien, fut enfin bâti un troisième temple, dont le plan a pu être très exactement relevé. Il continuait à s'appeler templum dente Syrae (Jasurae), parce que celle-ci y avait été la première installée" Toutefois déjà au ne siècle on adorait à côté d'elle non seulement son parèdre Hadad, mais d'autres dieux syriens (Jupiter JI'aleciabrudus, etc.), tout comme à Hiérapolis. Puis au Ive siècle, le syncrétisme régnant fit admettre à la fois des images de divinités grecques comme Dionysos, Hécate, Hadès, et jusqu'à une statue en basalte d'un Pharaon. Le modeste téménos de la déesse exotique était devenu le lieu de rendez-vous de tout le panthéon païen.
Le culte de la dea Syra, dont nous pouvons en quelque mesure suivre l'histoire à Rome, s'établit aussi en Italie, non seulement dans les ports de Brindisi et de
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Pouzzoles, mais au coeur de la péninsule'. Il pénétra même dans les provinces : on le trouve à Salone, en Dalmatie, à Philippopoli en Thrace', et les troupes le propagèrent en Dacie, en Pannonie et en Bretagne jusqu'aux confins septentrionaux de l'empire'.
Conformément à la conception que le paganisme sémitique se faisait des dieux', Atargatis était regardée comme l'épouse d'un Baal, adoré à côté d'elle, qui portait le nom de Hadad. Elle était la maîtresse (xopia) comme lui était le « maître » (ba'ail, et ses serviteurs étaient conçus comme ses esclaves'. C'est pourquoi en Occident on unit souvent la dea Syria à un «Jupiter'» et les Grecs l'identifient avec Héra'. Au couple primitif on adjoignit, au moins dans certains temples, un troisième membre pour former une de ces triades qu'affectionnait la théologie babylonienne, qui marque ici son influence 8. Ce fut le cas à I-Iiérapolis comme à Héliopolis dont les trois divinités, Hadad, Atargatis et Sirnios, deviennent dans les inscriptions latines Jupiter, Vénus et Mercure A l'origine, le couple souverain était regardé comme protégeant spécialement la tribu ou la communauté qui l'adorait : Atargatis resta toujours en Orient la patronne des villes (7to),:o5yo,) qui lui rendaient un culte, et elle portait pour ce motif la couronne Lourdée". On voyait en elle la fondatrice de la cité et les dynastes locaux faisaient sans doute remonter à elle l'origine de leur race". Elle passait pour avoir organisé la vie civile et religieuse en enseignant aux hommes la justice et le culte1L, et, plus généralement, on la célébrait comme la divinité bienfaisante à qui l'on devait toutes les inventions utiles73, Elle était, d'autre part, comme épouse de Hadad, une déesse de la génération et de la fécondité 1'. Dans les parvis du temple d'Iiiérapolis vivaient en liberté des animaux de toute espèce, consacrés à la déesse de la reproduction, et selon Lucien, qui s'étend sur ce sujet avec complaisance, le phallus jouait un rôle capital dans son culte". On comprend dès lors sans peine que les Grecs aient assimilé la dea Syra à leur Aphrodite, et les Latins à Vénus".
Ce caractère d'Atargatis explique la transformation, accomplie de bonne heure, de l'antique déesse tutélaire d'une tribu en une grande divinité de la nature, dont les théologiens interprètent diversement le caractère cornpli
VIII.
qué 17. A cause de ses rapports avec l'eau et avec les poissons (cf. p. 1594), quelques-uns voulurent reconnaitre en elle le principe humide qui produit la vie dans tout l'univers 18. D'autres la considéraient comme la Terre nourricière 10, et on l'identifiait alors avec Rhéa ou la Cybèle phrygienne, la Grande Mère des dieux'°. Les deux cultes se confondirent parfois ", et peut-être, nous l'avons dit (p. 1591), la tradition qui établissait de vieilles relations cultuelles entre Hiérapolis et l'Asie Mineure repose-t-elle sur un fondement historique. Certains exégètes voyaient en elle la lune et l'adoraient comme une Diane syrienne Mais cette assimilation et d'autres encore'' ne sont jamais exactes que partieIlement, et les Grecs avaient conscience qu'aucune divinité de leur Olympe n'avait un caractère aussi complexe que celui de la déesse d'Hiérapolis ",
Les images que nous possédons d'elle sont variables comme les aspects de sa nature multiforme. Certaines monnaies impériales d'Hiérapolis, datant du me siècle, nous montrent Atargatis, assise sur
un lion : complètement gréciséè, elle est vêtue du chiton et du péplos et porte sur la tête le calathos (fig. 6700)' . D'autres monnaies la représentent comme Cybèle : assise sur un trône accosté de deux lions, elle tient le sceptre de la main droite et le tambourin de la gauche 26. La statue du temple, telle que nous la
décrit Lucien 27, se rapprochait. de ce type: Héra-Atargatis s'y trouvait à côté de Zeus-Hadad, la première soutenue par des lions, le second par des taureaux, tous deux dorés 28. La déesse tenait d'une main un sceptre et de l'autre un fuseau, emblème du Destin ; elle avait la tète entourée de rayons, comme divinité astrale, et surmontée d'une couronne tourelée, comme patronne de sa cité sainte; ses vêtements étaient d'or et surchargés de joyaux, et elle portait la ceinture brodée d'Aphrodite ; enfin sur sa tête étincelait une pierre, dont la nuit les feux illuminaient le temple. C'est à. peu près de même que la déesse était représentée à Héliopolis, autant que nous pouvons en juger par la description de Macrobe29, à Néapolis (Naplouse), et dans d'autres temples de Syrie 30. Mais parfois, par exemple à Gabala, des sphinx sont
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substitués aux lions'. Au contraire, à Ascalon, Derceto était adorée sous la forme d'une femme à queue de poisson, sans doute par suite d'une identification avec quelque déesse marine 2.
C'est du premier type, où se combinent des éléments grecs et orientaux, que se rapprochent les images de la
dea Syria sculptées en Occident, comme le montre un bas-relief du rnusée du Capitole (fig. 6701) 3. La déesse y siège toujours entre des lions à Délos son trône était doré 4 ; mais elle tenait de la main gauche le miroir d'Aphrodite et de la droite une grenade, ce semble, symbole de la fécondité, ou peut-être un fuseau garni de lin, comme à Hiérapolis. Sa coiffure étrange est formée d'une sorte de mitre triangulaire où (les trous de scellement l'indiquent) des ornements étaient fixés et qui est munie de deux côtés de sortes de fanons et surmontée du croissant lunaire. Sur un autre monument romain,
au-dessus d'une colonne portant une dédicace au Jupiter Iléliopolitain, elle est représentée debout, toujours entre ses deux lions, coiffée du calathos, tenant de la main gauche une corne d'abondance et posant la droite sur un gouvernail 5, c'est-à-dire qu'on lui prête les attributs distinctifs de Tychè.
Ce rapprochement avec la divinité du Destin se produisit sous l'action de l'astrologie babylonienne, qui transforma peu à peu tout le paganisme syrien L'antique Baalat sémitique ne devint pas seulement une divinité lunaire, comme le montre le croissant, ou stellairè, comme l'indiquent les rayons qui entourent sa tête, elle fut regardée comme la Fatalité souveraine qui gouverne toutes choses 7, comme la cause « toute puissante, et toute féconde » qui produit les phénomènes de l'univers, où elle éveille la vie 6. Dans un poème curieux qu'un officier syrien composa en Bretagne en l'honneur de sa déesse nationale, elle est célébrée à la fois comme la Caelestis punique, la Mère des dieux, la Paix, la Vertu et Cérès, et de plus, conformément à de très vieilles idées astrologiques, cette Vénus devient l'Épi de la Vierge, le signe zodiacal voisin du Lion, son animal sacré'.
L'influence de ces doctrines « chaldéennes n, qui durent pénétrer de bonne heure à Iiiérapolisfe, se manifeste aussi dans les légendes qu'on racontait de la déesse syrienne". Nigidius Figulus rapporte d'après une source inconnue 1L que des poissons ayant trouvé dans l'Euphrate un oeuf d'une grandeur merveilleuse, l'auraient déposé sur la rive où, couvé par des colombes, il aurait donné naissance à l a dea Syria ; plus tard, la déesse reconnaissante aurait obtenu de Jupiter que les poissons fussent placés dans le zodiaque. Ovorum progenies dii Syri, dit Arnobe, et peut-être les oeufs retrouvés près d'une statue entourée d'un serpent dans le temple du Janicule rappellent-ils cette croyance 13. Suivant une autre tradition qui remonte à Ctésiast4, Atargatis serait tombée dans l'étang de Bamhykè et aurait été sauvée par les poissons, qui auraient ensuite été transportés au ciel. D'après une troisième version, évidemment remaniée, la déesse se serait jetée dans l'Euphrate avec son fils Cupidon pour échapper à Typhon; tous deux s'y seraient changés en poissons, singulier mélange des mythologies grecque, syrienne et égyptienne'. A Ascalon avait cours une autre légende encore/6. Accablée de honte après une faute commise avec un jeune Syrien, la déesse se serait jetée dans l'étang sacré et aurait été
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métamorphosée en poisson; la fille née de cet amour coupable, Sémiramis, aurait été nourrie par des colombes. Tous ces mythes, selon la remarque de Robertson Smith, ont un caractère étiologique et veulent expliquer le fait, souvent signalé', que les Syriens ne mangeaient pas de poissons et tenaient la colombe pour sacrée : c'est ainsi que finit d'ordinaire le récit, « De tous les oiseaux, dit Lucien ', la colombe est le plus saint pour les gens d'Hiérapolis: ceux-ci ne se croient pas permis d'y toucher, et s'ils en touchent une involontairement, ils sont impurs durant cette journée ». La colombe appartenait à la déesse de l'amour, dont elle est restée le symbole, et elle était nourrie dans les sanctuaires d'Astarté comme dans ceux d'Atargatis 3. Les poissons, au contraire, étaient propres à celle-ci. Ils étaient nourris dans des viviers à proximité des temples' et personne ne pouvait ni les pêcher ni les manger', car la déesse punissait le sacrilège en couvrant son corps d'ulcères et de tumeurs'. Mais dans certains repas mystiques les prêtres consommaient cette nourriture prohibée et croyaient ainsi s'unir à la divinité ellemême'. Cette vénération et ces usages répandus dans toute la Syrie, et qui n'y ont pas complètement disparu de nos jours', ont probablement inspiré à l'époque chrétienne le symbolisme de l'Ichthys 9
Nous dépasserions les limites assignées à cet article, si nous voulions nous étendre sur les autres pratiques et cérémonies décrites par Lucien dans son livre sur la déesse Syrienne. Un commentaire de ce curieux traité nécessiterait un exposé détaillé de la théologie et du rituel sémitiques. La grande fête du printemps, que marquait un sacrifice solennel (c. 49), se rencontre sous des formes diverses dans tout l'Orient; les solennités qu'on allait célébrer sur le bord de la mer (c. 48), rappellent celles de Maioumas que les Romains accomplissaient à Ostie 10. Le sacrifice de la chevelure (c. 60), comme le rite qui obligeait à revêtir la peau d'une victime immolée (c. 55) pour s'identifier avec elle, se retrouvent fréquemment chez les Sémitesn. On pourrait multiplier ces rapprochements. Nous nous contenterons de noter que les prostitutions sacrées, qui sont traditionnelles dans le culte phénicien et punique d'Astarté, ne se rencontrent nulle part dans celui de la déesse Syrienne 12, mais que par contre ici régnait l'usage de s'émasculer en l'honneur de la déesse ". Ce rite cruel fut probablement, comme l'affirme Lucien (c. 15),
importé à Hiérapolis d'Asie Mineure, car les galles sont communs au culte de la dea Syra et à celui de la Grande Mère et absolument semblables dans l'un et dans l'autre [GALLI, p. 1'4581. Autrefois on admettait généralement que l'origine de ces castrations sacrées devait être cherchée chez les Sémites et que ceux-ci les auraient introduites en Phrygie", mais l'opinion contraire, conforme à la tradition antique, est beaucoup plus probable si, comme on l'admet aujourd'hui, les cultes du nord de la Syrie ont fortement subi l'influence des Hittites''.
Nous savons que ces galles servaient la déesse Syrienne en Occident comme en Orient, mais, sauf ce point, nous ignorons à peu près complètement cornment ce culte exotique fut organisé dans les thiases. grecs et les sodalicia romainsi6. Les fouilles du Janicule ont prouvé que la liturgie des dieux syriens était, comme on pouvait s'y attendre, restée conforme en Italie à celle de leur pays d'origine". La découverte au fond de l'abside du temple, dans une cavité rectangulaire ménagée sous la statue divine, d'une calotte cranienne, semble bien prouver la persistance du vieux rituel de fondation qui faisait enterrer des victimes humaines sous les murailles des constructions nouvelles]'. A la vérité, il est fort invraisemblable qu'on ait pratiqué encore dans la Rome impériale ces immolations abominables, interdites par Hadrien sur toute l'étendue de l'empire 19, mais un simulacre peut avoir remplacé l'ancien sacrifice et le crâne d'un mort avoir été substitué à la victime. Plus énigmatique encore est la découverte d'un dépôt de consécration, qui était caché dans un autel ou soubassemment triangulaire, situé au centre d'une chapelle octogonale qui parait avoir servi aux initiations. On y trouva cachée une statuette de bronze, étroitement engainée, entourée sept fois par les replis d'un serpent dont la tête vient se placer sur le crime de l'idole. Entre les circonvolutions du reptile, sept œufs de poule avaient été déposés sur le corps 20, Est-ce une figure masculine semblable au « Kronos » ou « on », qui dans les mystères de Mithra personnifiait le Temps principe de toutes choses [MITHRA, fig. 5090] ? Faut-il au contraire la rapprocher des statues féminines « ceintes de l'enroulement sinueux d'un dragon n qui, si;lon Macrobe 2f, étaient placées dans le temple d'Hiérapolis. Les oeufs rappellent-ils la naissance d'Atargatis et en général celle des dieux syriens (cf. p. 1594)? Ou soute ils simplement un symbole de fécondité et de résur
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rection'? Il faudrait, pour pouvoir proposer une interprétation quelque peu certaine, que le bronze de la statuette eût été préalablement dépouillé de la gangue qui en empâte les formes.
L'épitaphe du Syrien qui bâtit ou meubla le second temple du Janicule, Gaionas, nous fait pénétrer plus sûrement dans les croyances des fidèles qui s'y rassemblaient. Il dit qu'après avoir présidé à l'allégresse des banquets, il git dans sa tombe, u n'étant dû en rien à la mort »). Nous voyons ici, comme dans d'autres cultes orientaux, la participation à des repas sacrés devenir pour les mystes le moyen d'obtenir une immortalité bienheureuse 3. Des découvertes faites récemment à Hiérapolis ont prouvé que les sectateurs de la déesse Syrienne se figuraient qu'après leur décès un aigle emportait leur âme vers le Soleil, source divine
de toute vie terrestre'. FRANZ CUMONT.
SYRLItRCIIA [ASIARCHA, p. 469; I6OINON, p. 848].