Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article TAPES

TAPES (Tt'-7i), tapis. Les mots Tz7r-rç, Tx^tg ou ôxatç' et tapes ou tapele «radical Tx7r, presser, fouler) n'avaient pas en grec et en latin le même sens précis et défini que le mot tapis en français. Ils ne s'appliquaient pas toujours et exclusivement à des tissus ornés que l'on étendait sur le sol des appartements, les sièges et les lits, mais encore à des tentures et à des portières [AULAEA, VELUM] et parfois même, semble-t-il, à des pièces de tapisserie utilisées dans le costume masculin ou féminin [vESTIS]. En revanche, d'autres mots, tels que aTpmiu,«, ûrrfo7pwtu.6tgausapa, peripetastna, peristroma, plagula, polymita, stragulum, ventis pouvaient, dans certains cas, désigner des tapis ou des couvertures aussi bien que des tentures ou des vêtements. Les Grecs et les Romains prenaient souvent l'un pour l'autre les différents termes que nous nous efforçons de distinguer ; de là viennent beaucoup d'obscurités dans les textes et d'incertitudes dans l'interprétation qu'on en donne. Nous ne parlerons ici que de la fabrication et de l'usage des tapis proprement dits, renvoyant, pour les tissus en L'Asie était déjà dans l'antiquité le principal centre de production et d'exportation des tapis ; c'est là qu'ils avaient été inventés. L'idée de Lisser la laine des troupeaux en mêlant à la trame unie du fond des fils de couleur qui font corps avec elle et dont la combinaison forme des dessins et des figures variées a dû naître chez quelque peuple nomade et pasteur d'Orient; les tapis étaient fabriqués par les femmes ; ils ornaient l'intérieur des tentes, recouvraient les lits, tenaient lieu de selles ; les populations sédentaires les ont ensuite adoptés pour rehausser l'éclat de leurs habitations de ville4. Ceux dont se servaient primitivement les Chaldéens et les Assyriens nous sont connus par les images que nous en donnent les pavements sculptés des édifices. Il n'est pas douteux que certaines dalles de seuils, à Kouioundjik et à Khorsabad, reproduisent la disposition et l'aspect d'étoffes faites pour être étendues sur le sol et foulées aux pieds° : à l'intérieur d'une guirlande de fleurs se développent et se répètent des dessins géométriques ou des motifs empruntés au règne végétal (fig. 67113) 6. Babylone a continué, jusqu'à la fin de l'antiquité, à produire des tapis de toutes sortes, qui jouissaient d'une grande réputation en Occident'. On en fabriquait également dans toutes les régions d'élevage et d'industrie de l'Asie Mineure. Ceux de la Cappadoce et du Pont sont cités aussi bien dans l'Anabase de Xénophon 9 que dans l'Édit de Dioclétien sur le maximum °. Peut-être les façades des tombes de Phrygie nous gardent-elles le souvenir du décor géométrique de ceux que l'on tissait avec les laines de cette contrée10. En Lydie, Sardes livrait au commerce occidental des Lapis de luxe très estimés et payés très chier ". Sur la côte d'Ionie, Milet n'était pas seulement le grand port d'expédition des tissus venus de l'intérieur; elle avait elle-même des ateliers qui contribuaient à approvisionner la Grèce d'Europe 12. La Perse, où l'on avait coutume d'étendre des tapis sur le sol des appartements 13, fut longtemps tributaire de l'Assyrie 14 et de la Lydie15; à l'époque hellénistique, elle possédait TAP ses manufactures particulières; on ne s'y bornait pas à copier les figures linéaires et les formes végétales dont les artisans babyloniens s'inspiraient : Athénée signale l'existence à Alexandrie, sous le règne de Ptolémée Philadelphe, de tapis d'origine persane sur TAP déroule sous leurs doigts, s'entrelace à la chaîne et s'unit avec elle sous les coups du peigne aux dents aiguës... Elles emploient dans leur tissu la pourpre que Tyr a préparée dans des vases d'airain, et marient les nuances avec tant de délicatesse que l'off ne saurait les distin lesquels étaient représentés des animaux'. La Phénicie répandait dans tout le bassin de la mer Méditerranée les produits de l'industrie des autres pays orientaux', mais quelques-uns des tapis dont elle faisait le commerce étaient tissés à Tyr même et à Sidon 3. En Afrique, Alexandrie et Carthage rivalisaient avec Babylone, Sardes et Milet. Les Égyptiens au temps des Pharaons connaissaient déjà l'emploi des tapis 4, qui donnaient des modèles d'ornementation aux peintres pour les combinaisons de lignes et de couleurs de leurs fresques Aux époques hellénistique et romaine, les Alexandrins, à l'imitation des Perses, décoraient leurs tissus d'images d'animaux. Plaute mentionne leurs belluata tapetia, dont les Romains conservèrent l'usage (fig. 6744) ; on trouve encore dans l'Édit de Dioclétien une rubrique 'rxari; Af ~û7tTtoç 7. La rubrique Tâ7rrlç 'Appo;, dans le même document s, et les mots tapetia Afra, dans l'Histoire Augustes, s'appliquent à l'Afrique proconsulaire, l'ancien domaine de Carthage, où les Phéniciens avaient introduit le tissage des tapis à la mode orientale10. En Europe cette industrie était pratiquée avec succès à Corinthe 11, que d'étroites relations de commerce unissaient à l'Orient. Elle devait l'être également en Sicile et en Campanie : Silius Italicus compare en effet les étoffes de Syracuse à celles de Babylone 12 et Plaute rapproche les peristromata picta Campanica des tapetia Alexandrina 13_ Nous avons peu de renseignements sur les procédés de fabrication des tapis dans l'antiquité. Ils devaient être identiques à ceux que décrit Ovide dans un passage des Métamorphoses, où il s'agit, non pas de tapis, mais de tentures. Minerve et la lydienne Arachné rivalisent d'adresse et de promptitudel4 : u Elles tendent chacune les fils légers qui forment la chaîne et les attaclient au métier ; un roseau sépare les fils. Au milieu glisse la trame qui, conduite par la navette affilée, se guer.... Sous leurs doigts l'or flexible se mêle à la laine, et des histoires empruntées à l'antiquité se déroulent sur la toile. » Quelques monuments nous ont conservé l'image de métiers de haute lice' ; sur un vase attique de beau style (fig. 6746) 16 l'extrémité inférieure des fils de la chaîne, tendus par des poids, tombe librement, tandis que d'après Ovide elle était fixée, sans doute sur un cylindre qui permettait de tendre la trame à volonté 17. D'autre part les métiers de basse lice n'étaient pas inconnus 1s_ On distinguait deux sortes de T7r iTE; : les uns légers et minces, à poil ras, ' ).o-:CC7niiiE;", en latin tonsilia tapetia 20, tonsiles tapetes 21, dont Sardes avait la spécialité" ; les autres plus épais et plus lourds'', garnis de poils (pt.xa).,h) 24 d'un seul côté, Ë-rEadµa).),ot 20, ou des deux amphitnalla'9, amphitapae60.Ils recevaient souvent une décoration brillantes' et multicolore 32, qui leur donnait l'apparence de peintures, grâce à l'insertion de fils de TAP laine teinte, de soie [ssRICA] ou d'or [AVRIFEx, CHRYSO imaginé de mêler des fils d'or à la trame de tissus : de là les noms d'Attalica', Attalicae vestes', Attalica aulaea 3, donnés aux étoffes de ce genre. La laine des tapis était colorée soit avec du kermès (crocus)4, soit, plus fréquemment, avec de la pourpre [PURPURA], 7rop p14Etot Tzr7)2Eç 6, purpurea tapetia 6, conchylia tapetia', conchyliata peristroanuta 8, purpureae gausapae 9, etc. En général les tapis antiques devaient être ornés de dessins géométriques ou de motifs empruntés au règne végétal. Nous pouvons nous en faire une idée par les pavements en mosaïque de l'époque romaine, très certainement copiés sur les mêmes modèles [3tusivux opus, et les figures]. On s'accorde aussi à reconnaître dans le plafond de la seconde chambre de la tombe à coupole d'Orchomène, dès l'époque préhellénique, l'imitation d'un décor de tapis t0 (fig. 6746); la face inférieure des quatre dalles de schiste vert qui couvrent ce caveau était ciselée en relief et présentait l'aspect d'une riche étoffe tendue au-dessus du mort ; une bordure d'un rang de rosaces encadrait un lacis de spirales et de palmettes, au centre duquel, séparées du reste par une double rangée de rosaces, les mêmes spirales et les mêmes palmettes se répétaient. Dans les textes antiques, lorsque la nature des sujets figurés sur les tapis est expressément indiquée, c'est toujours d'images d'animaux qu'il est question 11 ; ici encore on peut se reporter, comme terme de comparaison, à certains pavements égyptiens fz ; parmi les pavements romains, nous rappellerons la mosaïque de Palestrina, où l'on voit les hippopotames et les crocodiles du Nil et les chameaux du désert, la bordure de la bataille d'Alexandre, au musée de Naples, où reparaissent les TA P mêmes animaux chers aux artistes alexandrins et à leurs copistes, enfin Ies scènes de chasse si fréquentes sur les mosaïques d'Afrique et de Gaule. Stephani a retrouvé un certain nombre de débris d'étoffes grecques et romaines sur l'emplacement des villes antiques de la Russie méridionale ; un tissu du Ive siècle avant l'ère chrétienne, qui appartenait peut-être à un tapis et qui paraît exécuté, en tout cas, d'après les mêmes procédés que les tapisseries des Gobelins, nous montre, sur un fond rouge, des rangées de canards et de têtes de cerfs (fig. 6747) 13, En revanche, il n'est pas prouvé que les anciens aient jamais décoré de scènes à personnages les tapis des édifices publics ou des maisons privées : leurs artisans n'ont pas, comme les mosaïstes, couché sur le sol et laissé fouler aux pieds des sujets faits pour être vus de face dans une position verticale. Les tapisseries sur lesquelles se déroulaient, d'après les auteurs classiques, de vastes scènes tirées de la mythologie ou de l'histoire 14, comme le péplos d'Athéna au Parthénon t6, ou l'himation d'Alkiménès à Sybaris 16, n'étaient pas des tapis, mais des tentures murales. L'Iliade etl'Odyssée menLion nentl'ex istencedetiâ7r rsç, moelleux et colorés, qui garnissaient les lits des héros et leur servaient de coussins"; on les étendait aussi sous les pieds 18. Ils restèrent en usage chez les Grecs à l'époque classique, mais principalement comme garnitures de lits et couvertures 19 [LECTUS, fig. 4384, 4388, 4390] ; TAU 46 TAU en raison de leur origine étrangère et de leur prix élevé, les tapis d'appartement étaient considérés comme des objets de luxe, qui convenaient aux dieux bien plutôt qu'aux hommes et à la décoration des temples mieux qu'à celle des maisons particulières . Agamemnon, à son retour de Troie, refuse de marcher sur les riches étoffes que l'on étend devant lui ; il ne se juge pas digne de cet honneur'. Xénophon signale comme un détail caractéristique de la mollesse des Mèdes et des Perses l'usage d'étendre des tapis sur le sol de leurs salles à manger'. C'est seulement à partir de la conquête macédonienne que cet emploi des t rrlruç se répandit aussi dans le monde hellénique. Athénée en signale l'adoption à la cour des Lagides Les Romains n'ont connu les Lapis que par l'intermédiaire de la Grèce ; aussi les divers noms sous lesquels ils les désignent sont-ils presque tous calqués exactement, sur les mots grecs correspondants La prise de la Grèce et les premières expéditions en Asie donnèrent aux vainqueurs le goût des étoffes orientales 6 ; les partisans des vieilles moeurs leur étaient naturellement hostiles : on racontait que Caton l'Ancien n'avait pas voulu conserver un tissu babylonien dont il avait hérité Les tapis contribuaient à la décoration des maisons et du mobilier. A l'origine le sol des appartements consistait simplement en terre battue, en cailloutis ou en carrelage"; plus tard on eut surtout recours aux mosaïques pour l'embellir et l'égayer [stusivun opus]. Aussi les mots tapes et tapete, dans les textes latins, s'appliquent-ils le plus souvent à des couvertures de lit ou de siège 8 fois à des caparaçons de chevaux 9 [Item lui]. Ces deux sens, précisés par des épithètes explicites, se retrouvent dans l'Édit de Dioclétien : tx7rlt xxou6Otzâctç, tapis recouvrant le lit sur lequel on s'étendait pour les repas ° ; 2ia•gç xa6aaaaotxd;, couverture de cheval MAURICE RESNIER.