Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

TELCHINES

TELCIIINES (TE),7îvc;). Le mythe des Telchines est une création de l'imagination des premiers habitants des îles de la mer Égée, Rhodes, Chypre, la Crète. Eustathe assure qu'il était question d'eux dans un grand nombre d'auteurs' ; mais, à part une citation du poète Stésichore2, les textes que nous avons conservés ne remontent pas à une date antérieure à l'époque alexandrine 3. Les principaux sont de Strabon, de Diodore de Sicile et de Nicolas de Damas qui paraissent provenir d'une source commune 4. Les grammairiens et lexicographes anciens faisaient dériver le mot TEÂ7CVEÇ ou OEÂyivEÇ du verbe ODC Etv, charmer, enchanter, fasciner, séduire. C'est à cette étymologie qu'on se rallie généralement encore aujourd'hui'. Mais W. Prellwitz, ainsi que M. von AVilamowitz-Moellendor[f ont proposé une étymologie qui paraît plus satisfaisante ; TEÂy(ç proviendrait de y e) xs l , forgeron : les Telchines ont été considérés à l'origine comme des métallurges G. La plupart des auteurs anciens 7 s'accordent à les considérer comme « enfants de la mer ». Seul Nonnus les appelle fils de Neptune°, ce qui ne cadre pas avec la tradition de Diodore, d'après laquelle les Telchines, avec l'aide de leur soeur, la nymphe Caphira-Ilalia, auraient élevé Neptune enfant, que Rhéa leur aurait confié 9. Selon Strabon et Eustathe, les Telchines auraient élevé Jupiter enfant et non Neptune 10. Eustathe d'après Acusilaos distinguerait deux sortes de Telchines, les uns nés de la mer, les autres de la métamorphose des chiens d'Actéon en hommes ". D'autres auteurs assurent que Caphira-Ilalia aurait épousé Neptune '2 Les Telchines paraissent avoir successivement habité trois îles de la mer Égée : Rhodes, la Crète et Chypre, sans qu'on puisse préciser dans quel ordre se sont succédé ces établissements, ni déterminer laquelle des trois îles aurait été leur pays d'origine. Strabon et Eustathe donnent à Rhodes le nom de Telchinie à cause du séjour qu'y firent les Telchines13 et pour la même raison Eustathe donne à Sicyone le même nom i4. Diodore de Sicile considère les Telchines comme la population primitive de l'île de Rhodes". Pour Nicolas de Damas les Telchines, Crétois d'origine, auraient habité l'île de Chypre avant de s'établir à Rhodes16. D'après l'auteur de l'Etymologicum magnum, la Crète se serait aussi appelée Telchinie et le séjour des Telchines en Crète aurait précédé leur établissement à Rhodes 17. Enfin Pausanias parle de l'existence d'un temple d'Athéna Telchinia à Teumesse en Béotie, fondation des Telchines de Chypre1". Même divergence d'opinion parmi les auteurs modernes. Pour Sicherer, les Telchines seraient d'origine phénicienne19. Vu leur parenté avec d'autres métallurges, les Dactyles et les Cabires, Rossignol incline à leur assigner comme pays d'origine la Phrygie 20. Pour Becker ils sont de provenance rhodienne autochtone, puisque cette île était leur résidence principale21. Tiimpel22 et à sa suite Preller-Robert Y'1, s'autorisant d'un passage de Nonnus 9', croient leur découvrir ùne provenance arcadienne ; Lobeck avant eux les croyait originaires du Péloponèse 23. Les auteurs ne s'accordent ni sur le nombre, ni sur les noms des Telchines. Diodore raconte que le Telchine rhodien Lycus, après avoir échappé au déluge qui aurait submergé l'île de Rhodes, se serait réfugié en Lycie, où il aurait fondé le temple d'Apollon Lycien 2°. Il aurait aussi, dit Nonnus, accompagné Bacchus dans son expédition aux Indes27. Nous devons plus de renseignements aux auteurs byzantins. Selon Eustathe, les Telchines seraient au nombre de trois, leurs noms dériveraient de ceux des métaux qu'ils auraient personnellement découverts; ils se nommeraient Chryson (;lpuzdv), Argyron (pyupov) et Chalcon (yzax6v)26. Tzetzès donne une liste de six noms différents de ceux d'Eustathe : ce sont Antaios, Megalesios, Ormenos, Lycos, Nicon et Simon Y9. Ilésychius nomme le Telchine Mylas, auquel il attribue l'invention du moulin et qui, d'après Étienne de Byzance, serait le fondateur du temple des Oeoi N.e)1 VTElo; à Camiros30. Ce dernier auteur prétend que le mont Atabyrios, à Rhodes, devrait son nom à l'existence du Telchine Atabyros?1. Enfin Zenobius mentionne les Telchines Simon et Nicon 31. Les Telchines passaient à l'origine pour des métallurges; Diodore de Sicile dit («qu'ils avaient inventé plusieurs arts etfait connaître d'autres découvertes utiles aux hommes 33 ». Strabon précise ce témoignage en disant TEL -67TEL qu'ils furent les premiers à travailler le fer et le cuivre Strabon et Eustathe s'accordent à leur attribuer aussi la fabrication de la faucille de Kronos, Callimaque et Eustathe celle du trident de Neptune 2. Le poète latin Stace les représente collaborant avec Vulcain et les Cyclopes : avec l'aide de ceux-ci, ils auraient exécuté le collier d'Harmonia3. Ils n'étaient pas seulement de simples métallurges, c'étaient aussi des artistes : on les regardait comme les auteurs des premières statues des dieux 4 ; à Rhodes certaines statues de divinités portaient leurs noms ; c'est ainsi qu'il existait à Lindos un Apollon Telchinien, à Ialysos une Héra et des Nymphes Telchiniennes, à Camiros une Héra ou une Athéna Telchinia Pour Nicolas de Damas les Telchines ne seraient que des artistes imitateurs des oeuvres de leurs devanciers6. On a diversement interprété ces témoignages. Sicherer émet l'avis que les inventions et les oeuvres attribuées aux Telchines auraient des origines phéniciennes ou orientales Roeckh et à sa suite Decharme regardent les Telchines comme une famille d'artistes statuaires analogue aux Dédalides athéniens 8. Müller et plus tard Rossignol ont pensé que les Telchines devaient être une ancienne corporation de forgerons et de statuaires Milani les représente comme une seconde génération d'artistes grecs localisés à Rhodes Lo Strabon a raison de relever l'étroite parenté des Telchines avec les Cabires, Dactyles Idéens, Curètes et Corybantes dont, assure-t-il, de faibles différences les séparent et qui sont aussi des génies métallurges". On accusait les Telchines d'être des magiciens et des enchanteurs 12. Strabon fait allusion à ces accusations et les attribue à la jalousie de leurs rivaux et à leurs calomnies 13. Selon Diodore, ils déchaînaient des perturbations atmosphériques, la pluie, la neige, la grêle, faisaient des prodiges et se métamorphosaient à leur gré ''°. Les réserves faites par Strabon se retrouvent chez Eustathe n, mais ce dernier s'accorde avec l'Etymologicum magnum pour dire que leur jalousie et leur méchanceté avaient passé en proverbe 16. Paulus Silentiarius, dans sonpoème sur Sainte-Sophie de Constantinople, attribue encore à leur funeste influence la chute de la coupole, qui s'était produite à la suite d'un tremblement de terre ". Un mythe accessoire de la légende des Telchines est celui de leur lutte, avec l'aide des Caryates, contre Phorouéeet Parrhasios, que raconte la chronique d'Eusèbe 13, et que confirme un passage de Paul Orose. Vaincus et chassés du Péloponèse après une lutte acharnée, les Telchines se retirèrent à Rhodes et s'y établirent". Strabon dit que la population mythologique des Héliades, d'origine inconnue, aurait à Rhodes succédé aux Telchines 2D. Nonnus décrit la lutte des Héliades (Thrinax, Macarée et Augée), fils du Soleil, contre les Telchines ; ceux-ci, vaincus, auraient, pour se venger, ravagé les campagnes de Rhodes à l'aide des eaux infernales du Styx 21. Les Héliades, divinités solaires, représentent l'action bienfaisante du feu solaire opposée à celle des feux volcaniques, symbolisés par les Telchines, ce qui concorde bien avec la conception des Telchines aides des Cyclopes et de Vulcain 22. Nous trouvons encore des allusions à ces traditions mythologiques dans les auteurs byzantins 23. Ce mythe, qui s'écarte du reste de la légende, a fait admettre par Rossignol l'existence de deux sortes de Telchines : les uns corporation de métallurges, les autres population mythologique prirnitive de file de Rhodes 24. Mais la lutte des Telchines et des Héliades, légende particulière de l'île de Rhodes, peut fort bien, comme le pense Decharme, n'être que le symbole mythologique d'un événement de nature physique, d'où est dérivée la conception des Telchines métallurges 2s. Diodore de Sicile a donné une autre raison de la disparition des Telchines de Rhodes 26 : les Telchines auraient péri pour la plupart dans le déluge qui submergea l'île de Rhodes. Selon Ovide et Lattante, Jupiter les aurait précipités dans la mer 27. Eustathe raconte qu'ils auraient péri par suite d'une inondation, ou bien, comme le dit Servius, qu'ils auraient été victimes des flèches d'Apollon 28. Un seul passage d'Eustathe nous fait des Telchines une peinture fantaisiste, sous les traits de créatures fabuleuses, amphibies, tenant à la fois des démons, des hommes, des poissons et des serpents 29. Une gemme chypriote représente des êtres fabuleux dressés au-dessus d'une nappe liquide symbolisant l'eau du Styx, allusion vague au mythe de la lutte des Héliades et des Telchines 30. Cette gemme représente-t-elle, comme on l'a dit, des Telchines? En résumé, il semble que les éruptions volcaniques, dont les îles de la mer Égée ont été le théâtre, ont fait naître dans l'imagination populaire les légendes des Telchines. Les migrations successives auxquelles les habitants de ces îles ont été contraints par ces cataclysmes ont répandu ces légendes jusqu'en Grèce. Les circonstances locales autant que les inventions ultérieures des mythographes expliquent que l'imagination des anciens ait fait successivement des Telchines des démons personnifiant les forces physiques destructives de la nature, des métallurges, des artistes, des enchanteurs et des TEL 68 TEL