Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article TITANES

TITANES. Tous les mythes grecs s'accordent à désigner par le nom de Titans' la première race divine issue de l'union d'Ouranos' et de Géa, antérieure aux triades des Cyclopes et de Iécatonchires. 1. L'Iliade les représente comme la génération de dieux qui régnait sur l'univers avant les Olympiens. Pour établir sa domination, Zeus dut les vaincre et les enchaîner dans le Tartare, aux extrémités de la terre 3. Le poète homérique qui en nomme trois : Kronos, Rhéa et Japétos, ne les considère pas, malgré leur défaite, comme déchus de leur rang de divinités ; il les appelle les dieux d'en invoque pour témoins des promesses qu'elle fait à Ilypnos 5. La Théogonie attribuée à Hésiode ° nous fournit une version plus complète de ce mythe. D'Ouéanos et de Géa sont nés douze Titans: d'abord Okéanos et Téthys, puis Koios, Kreios, Ilypérion, Japétos, Theia, Thémis, Mnémosyne, Phébé, Rhéa et enfin, le dernier et le plus rusé, Kronos qui s'unit à Rhéa 7. Mais Ouranos haïssait ses redoutables fils parce qu'ils lui présageaient la fin de son empire. Aussi, à mesure qu'ils voyaient le jour, les replongeait-il dans les flancs de la Terre. Géa irritée appela ses enfants à la révolte. Kronos mutila Ouranos, qui vaincu jeta contre ses enfants une terrible malédiction 8. Alors commence une nouvelle époque de l'histoire du monde : le règne de Kronos et des Titans °. Le couple divin, Kronos et Rhéa, engendre les Olympiens. Redoutant un successeur parmi ses enfants, Kronos les engloutissait dans son propre sein à l'instant de leur naissance. Mais Zeus lui échappe et, devenu grand, force son père à rejeter ses frères et ses soeurs. Kronos est dompté ; néanmoins les Titans ne se résignent pas à la défaite. Une lutte acharnée10 de dix ans commence entre les compagnons de Kronos et les Olympiens. A la fin Zeus, aidé des Hécatonchires qu'il a délivrés de leur prison du Tartare parle conseil de Géa, et armé du foudre forgé par les Cyclopes, réussit à précipiter ses ennemis dans le Tartare. Hésiode a donné à ses Titans une innombrable postérité. D'Okéanos et de Téthys sont nés 3 000 fils, les fleuves, et 3000 filles, les nymphes des eaux, Métis la sagesse, Tyché la fortune et Styx. 1,e second couple, Hypérion et Theia, donne naissance au Soleil, à la Lune, à l'Aurore. De Koios et de Phébé naissent Latone et Astéria, mère d'Hécate. Les enfants de Kronos et de Rhéa sont: IIestia, Déméter, Héra, Hadès, Poseidon et Zeus. hreios uni à Eurybia engendre Astréos, Pallas et Persés. Enfin JapétoS a de l'Océanide Clymène quatre fils: Atlas, Ménétios, Épiméthée, Prométhée, d'où dérive la race humaine. C'est ainsi que les Titans peuvent être dits les ancêtres des dieux et des hommes ". Somme toute, la Théogonie ne sait sur eux que fort peu de choses: leur origine, leur nombre, leur chute, leur descendance. Les Titans sont des figures àpeine réelles et leur mythe paraît être le produit d'une systématisation poétique. D'abord il est évident que le poète a voulu, par un souci de symétrie, opposer aux douze Olympiens douze Titans C'est pourquoi, à côté de noms qui appartiennent aux plus anciennes couches des croyances religieuses, comme Okéanos, Thétys, Ilypérion, Kronos, Rhéa, a-t-il fait figurer clans sa liste des abstractions d'époque très postérieure, comme Mnémosyne, mère des Muses et certainement plus jeune que ses filles. Koios, dieu de la lumière, et son épouse Phébé ne sont qu'une réplique du couple Hypérion-Theia. Thémis, selon les plus anciennes idées religieuses, est seulement une déesse chthonienne, ou même un autre nom de Géa 13. Quant au récit de la Titanomachie, il a tous les caractères d'une interpolation 1' : il est introduit brusquement dans le poème, sans aucun lien avec ce qui précède, ni avec ce qui suit; le ton est tout à fait différent, les imitations d'Homère abondent. D'ailleurs il serait fort difficile de déterminer quels sont les adversaires de Zeus''. Rhéa, qui a sauvé Zeus, n'est évidemment pas dans le parti de ses ennemis, non plus que Thémis et Mnémosyne. Okéanos aide Zeus de ses conseils et envoie à son secours sa fille Styx. Prométhée, fils de Japétos, les Hécatonchires et les Cyclopes sont du côté des Olympiens. Voilà donc fort réduite la « phalange des Titans » dont parle la Theogonie. Pour nous, le mythe est singulièrement vague et incohérent. Nombreuses sont les interprétations qu'on en a proposées. Nul ne croit plus aujourd'hui que ce mythe soit le souvenir -d'un bouleversement de croyances et de la substitution d'un culte à un autre 1°. Les Titans et leur domination représentent un passé fictif qui n'a jamais été le présent. Rien ne permet d'affirmer que la légende ait une signification historique et rappelle la victoire du culte national sur un culte étranger. Mais elle est sans doute l'expression de cette idée fondamentale de la religion grecque, que les dieux sont soumis à la loi commune et passent comme les créatures. Prométhée, dans la tragédie d'Eschyle, prédit à Zeus un successeur. De même on a imaginé des maîtres de l'univers antérieurs aux Olympiens. Nous croirions volontiers que les Titans étaient primitivement des divinités chthoniennes aux T1T 316 TIT quelles conviennent parfaitement les épithètes que l'Iliade joint àleur nom. Leur caractère véritable étant oublié, on imagina qu'ils habitaient les régions souterraines parce qu'ils y avaient été précipités par Zeus, et l'on fit tout naturellement de ces fils de la Terre la génération divine qui avant Zeus régnait sur-l'univers. Plus tard ils personnifièrentles forces violentes et désordonnées de la nature. Nous ne pouvons négliger une importante variante du mythe, qui, au témoignage de Lactance', figurait dans l'Evhémérus d'Ennius et qu'ont reproduite la plupart des mythographes latins. D'après cette version, Titan, frère aîné de [IRoNos]-Saturne, avait cédé à celui-ci l'empire du monde, à condition qu'il ne laisserait vivre aucun enfant mâle. Saturne n'ayant point rempli sa promesse, Titan, aidé de ses fils les Titans, fit une guerre acharnée à son frère qui ne fut sauvé que par l'intervention du jeune Zeus, armé de la foudre. 11. Après Ilésiode,ce nom n'est nullementréservé au premier groupe des enfantsd'Ouranoset deGéa 2. On le donne couramment aux autres Ouranides ou àdes êtres comme les l'r;vavéeç, monstres divins nés de Géa seule. D'autre part on désigne comme Titans des êtres qui, d'après IIésiode, ont une origine plus récente et moins haute, surtout Prométhée et les enfants d'llypérion Ilélios 3 et Séléné, qui, cependant, appartiennent au groupe des Olympiens. De.même des divinités complètement étrangères à la famille des Ouranides, comme les Cabires l'Eubéen Lélantos, l'Arcadien Anytos et bien d'autres ; les chevaux d'Achille, Xanthos et Balios, d'après une légende bizarre, auraient été des Titans métamorphosés 6. De plus un certain nombre de légendes locales ont trait à des Titans que n'a pas connus Hésiode. Nous citerons Titanios, qui d'après Suidas' habitait le territoire de Marathon et ne prit pas part à la lutte contre les dieux. L'Eubée 8, Cnossos 8, Patras 10, furent également habitées par des Titans ". Enfin on confond constamment Titans et Géants 12 CIGANTES]. Or, tandis que les Titans sont des divinités, les Géants ne sont que des hommes d'une stature et d'une force monstrueuses '3. L'Iliade les ignore et l'Odyssée les représente comme une race d'hommes sauvages et injurieux ". C'est sans doute la Gigantomachie, mythe trop semblable à la Titanomachie, et beaucoup plus populaire, qui fut cause de la confusion, confusion tout à l'avantage des Géants qui absorbèrent les Titans. Cependant quelques mythographes firent de la Gigantomachie, en quelque sorte, un épisode de la Ti tanomachie : Géa aurait enfantéles Géants pour venger ses fils vaincus par Zeus''. Dès lors le caractère véritable des Titans est méconnu. On les honore comme les ancêtres des hommes ; à ce titre ils sont l'objet d'un culte à Tarse f6, comme les inventeurs des arts et de la magie ". C'est à eux que Déméter aurait enseigné tout d'abord l'usage de la faucille et l'art de moissonner 18. Enfin ils occupent une place importante dans les légendes et le culte orphiques. Ils jouent un rôle dans le mythe de Dionysos Zagreus. Chargés de garder l'enfant divin, ils le dépecèrent et absorbèrent ses membres sanglants. Leur crime pèse encore, comme un péché originel, sur la race humaine qui tire d'eux son origine1°. C'est pourquoi un hymne orphique 20 les invoque comme « les principes de tous les êtres vivants accablés de maux» , Dans la doctrine orphique des trois âges, la troisième époque qui succède à l'âge d'or et à l'âge d'argent est appelée « titanique » 21. III. On ne pourrait citer dans l'art ancien une seule représentation caractérisée de Titan. Nous ne parlons pas ici de divinités qui, comme Mnémosyme ou Thémis, n'ont plus rien de « titanique ». Dans l'art comme dans la légende, la Titanomachie se confond avec la Gigantomachie. Si bien que, dans la description d'une œuvre comme la frise du grand autel de Pergame, on désigne indifféremment sous les noms de Titans ou de Géants les adversaires des dieux Le combat des Géants offrait à l'artiste une matière beaucoup plus riche et plus « réelle » que le conflit de deux races de dieux, lutte sans morts ni blessés et qui ne convenait qu'aux fictions poétiques 23. ANDRÉ BOULANCER.