TRANSLATIO. Cette expression apparaît avec un sens technique dans les écrits des rhéteurs et dans les écrits des jurisconsultes.
Dans les écrits des rhéteurs', elle désigne ce procédé de l'art oratoire que les Grecs appellent i..E:t'A-t ; , ou
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parfois rxpxypxfrj (= praescriptio), en l'assimilant complètement ou partiellement à la jitiurzÀ'ij' ç. Ce procédé consiste, dans les procès, à écarter actuellement tout débat sur le fond, en élevant des objections préjudicielles qui provoquent normalement un retard ou une modification de l'action'. Les auteurs nous en donnent traditionnellement des exemples qui concernent les procès criminels et y font également allusion à propos des procès civils. L'argument consiste par exemple à soutenir que le procès n'est pas intenté par un demandeur ou contre un défendeur idoine, devant l'autorité judiciaire compétente, en vertu de la loi applicable, en temps opportun, ne vise pas la peine exacte ou ne donne pas au délit sa juste qualification2. Dans les procès civils, l'argument n'est que rarement usité au cours de la procédure in judicio, nous disent l'auteur anonyme de la Rhétorique à llerennius et Cicéron'. En effet, sous le système de l'oxno uun1CIORCm privatoruan en vigueur à l'époque de ces deux écrivains, notamment dans la procédure formulaire que tous deux visent ici très nettement, le procès se divise en deux phases : le jus, ou instance devant le magistrat, et le judicium, ou instance devantle juge. Dans cette organisation du procès, toutes les questions préjudicielles ou moyens dilatoires doivent. être invoqués normalement devant le magistrat, au moment où celui-ci, d'accord avec les parties, arrête les termes de la formule ou instruction écrite adressée par le magistrat au juge ', examine notamment la question de savoir s'il y a. lieu d'insérer ces moyens dans la formule sous formé de prescriptions ou d'exceptions. C'est donc habituellement injure, comme le disent ces auteurs, que les avocats romains se servent de ce procédé de discussion. A ce moment d'ailleurs, l'adversaire, pour échapper à l'échec inévitable qui l'attend, si les arguments de translatio sont insérés dans la formule comme prescriptions ou exceptions et prouvés, retarde ou modifie sa demande. Ce sens du mot translatio est étranger à la langue du droit et ne se retrouve pas notamment dans l'expression translatio judicii; seule l'idée (le changement d'un élément du procès, associée dans une certaine mesure à la notion de translatio usitée chez les rhéteurs, est impliquée dans la notion de translatio judicii ; mais des différences essentielles séparent les deux concepts 6.
Dans les écrits des jurisconsultes, le mot translatio n'a de valeur technique que dans l'expression TRA11sLATlo .lcnlcu. Il y désigne, non un procédé de discussion, mais un incident de procédure qui peut être invoqué par l'un des plaideurs de sa propre initiative, ou par les deux plaideurs d'un commun accord; il y vise une institution qui appartient essentiellement à la phase du judicium.
TR-1\SLATIO JUIICII. Cette expression désigne, dans son sens strictement juridique, le transfert d'un procès civil d'une personne sur une autre, postérieure
ment à la lins contestatio. Le mot judicium doit être traduit ici par procès et vise le rapport juridique qui se forme entre les deux plaideurs, par la liaison contradictoire de l'instance que ceux-ci accomplissent au moyen de la titis contestatio. Tout changement d'un élément personnel de ce judicium après sa constitution, donc toute mutatio partis (par exemple, les changements de plaideurs provoqués par la substitution d'un représentant à un autre, du représenté à son représentant, d'un représentant au plaideur suo nomine, des héritiers au défunt) et aussi, semble-t-il, toute niutatio judicis' postérieure à la titis contestatio, donnent lieu à une translatio judicii 2.
La question la plus délicate est celle de savoir comment se réalise cette translatio. Elle est surtout examinée pour la procédure formulaire à laquelle se rapportent la très grosse majorité des textes relatifs à cette institution. Suivant une opinion qui nous est dans une large mesure personnelle, la translatio judicii n'est pas, comme on l'a longtemps cru et comme quelquesuns le soutiennent encore, opérée d'autorité parle magistrat qui fait à lui seul les corrections de formule néces
saires Lii' S COVTEST.ATIO, p. l'. 73] ; elle requiert toujours,
comme tout changement d'un élément de fond du procès prudente lite', une nouvelle titis contestatio accomplie après rescision de l'ancienne par voie d'in integrunt restilutio. La nécessité d'une nouvelle titis contestatio peut être déduite de plusieurs considérations : toute titis contestatio contient une acceptation des éléments personnels et réels du procès par les plaideurs, le changement d'un de ces éléments implique une adhésion des plaideurs aux modifications faites, donc une nouvelle litis contestatio ; cette dernière est certainement indispensable dans les cas fréquents où, la mutatio partis provoque la modification d'un élément de fond du procès' : elle est rendue très vraisemblable, même pour les autres cas, par la terminologie des sources qui présentent la translatio judicii comme l'oeuvre collective du magistrat et des plaideurs, consistant pour le défendeur à judicium accipere et pour le demandeur à judicium bans/'erre, c'est-à-dire, semble-Hl, à judicium novunl edere, ce qui donne à l'acte des plaideurs le caractère et les formes de la litis contestatio '. Cette nouvelle titis contestatio n'est possible qu'après rescision de l'ancienne par une in integrum restitua() ; mais il est très vraisemblable que, pour éviter les conséquences injustes et pratiquement inacceptables d'une abolition intégrale de la précédente litis contestatio avec tous ses effets 6, le magistrat n'opère normalement qu'une rescision de pure forme et transporte à la nouvelle lins contestatio tous les effets de l'ancienne, en lui donnant précisément la date de cette dernière, c'est-à-dire en imposant aux plaideurs une lins contestatio repetifa die. Une telle luis contestatio, dont l'application est attestée en matière d'actio ad exhibeadum 7, est rendue
ici vraisemblable par divers textes qui présentent le procédé de. l'antidate comme un moyen volontiers employé par le préteur pour opérer une in integrum restitutio'.
Quant au rôle du magistrat, il consiste partout à prêter son concours à la correction de la formule et à la litis contestatio. Il n'a pas d'autre mission, lorsque la translatio est facultative et requiert le concours bénévole des intéressés. Si la translatio est déclarée obligatoire par l'édit du préteur 2 ou la jurisprudence 3, le magistrat prend en outre, pour imposer ce transfert, les mesures de contrainte convenables, notamment celles qui sont d'usage contre les indefensi.
Sous la procédure extraordinaire, la translatio judicii semble avoir été un simple incident de procédure, réglé sans nouvelle litis contestatio et sans in integrum
restitutio 4. J. DuouESr;E.