Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article TRIBUS

TRIBUS. Nous n'avons pas à revenir sur les tribus grecques [PHYLPTRITI'YS], considérées en général comme essentiellement différentes des tribus romaines. Mommsen 2 n'admettait entre les unes et les autres qu'une analogie purement extérieure, une simple équivalence de vocabulaire. La question n'est cependant pas vraiment éclaircie, et il n'est point démontré qu'on ne puisse comparer les tribus grecques avec les trois tribus primitives de Rome 3. Ce n'est pas à cette« trinité » que l'étymologie,d'ailleurs obscure encore, du mot tribus semble devoir être rapportée ' ; il ne s'agit pas d'une triade, niais d'un « tiers » ".Du moins, tribus prend toujours une acception politique, désigne un territoire officiellement délimité; dans le Latium aussi ce put être dans le principe la cité elle-même; ce qui expliqueraitles dérivés tribunal, tribunus, tributum. L'idée de partie aura pénétré de très bonne heure ce mot, qui l'excluait originairement'. TRI 1. Les Tribus génétiques. Nous n'avons aucune donnée sur les anciennes cités italiques, sauf en ce qui concerne les débuts de Rome. Des tribus primitives, comme celles que nous rencontrons dans cette dernière, ont pu exister dans d'autres encore' ; ainsi le fait est rapporté pour Mantoue 2 et il est probable pour plusieurs cités d'Étrurie3. Suivant la tradition la plus reculée, qui ne remonte pas plus haut que les rois, le peuple vivant sur rager Ilolnanus formait 30 curies [cernA] réparties dix par dix entre les trois tribus des Tities ou Titienses, Ramnes ou Ramnenses 4, Luceres ou Lucerenses Ces tribus, dites génétiques, disparurent assez tôt, au moins comme subdivisions du peuple romain ; aussi a-t-on nié la réalité de leur existence 6. Il n'est guère probable cependant 7 qu'elles soient simplement sorties de l'imagination de Varron'. Celui-ci cite ses sources : déjà Ennius faisait dériver le nom des Titienses de Titus Tatius, celui des Ramnenses de Romulus; avant Cicéron, on tirait celui des Luceres du nom du Lucumon étrusque qui aurait aidé les Romains contre Tatius 9. Certaines organisations tripartites constituent des indices en faveur de cette tradition f0. Parmi les centuries équestres, il y en avait six (trois seulement tant qu'il n'y eut qu'une légion, puis un multiple de trois), dites les sexsufragia", appelées Titienses, Ramnenses, Luceres (prilni et secundi, ou priores et posteriores), qu'on considérait comme seules antérieures à Servius. Leurs tribuni celerum n'eurent plus qu'un caractère sacré, et non militaire, après la chute de la royauté. Il est parfaitement admissible que milites soit sorti de mille 12 ; les trois contingents réunis des tribus (1000 hommes pour chacune) formèrent la légion de 3000 hommes, qui fut commandée par trois chefs : terni tribuni militant Mais si le nom des Ramnenses peut bien venir de Rome ou de Romulus 15 (comme celui de la tribu Romilia), on hésitera davantage à rapprocher Titienses et Tatius", et l'on repoussera l'étymologie de Luceres fondée sur le nom du Lucumon étrusque, ou sur celui du roi d'Ardée Lucerust6, ou sur la légende" des bois sacrés entre lesquels (inter duos lucos) Romulus aurait ouvert un asile 18. Ces trois noms seraient étrusques, d'après un auteur de cette nation que cite Varron ". On n'en a pas moins proposé de faire des Ilamnenses les Romains du Palatin, des Titienses les Sabins du Quiriral, des Luceres les autres Latins subjugés sur le Cmlius20. En vérité, nous ignorons comment les trois tribus furent réparties entre les quatre quartiers de la ville de. Servius ; Mommsen 21, à titre purement conjectural, suggère que le Septimontium aurait été occupé de la manière suivante par les trois gentes majores : Subura aux Titienses, Palatine aux Ramnenses, Esquilina aux Luceres ; ensuite les minores gentes auraient été installées dans la ville du Quirinal, d'abord indépendante sans doute du Septimontium. Il apparaît seulement comme probable, a-t-il dit, que réellement deux de ces parties de l'État se sont antérieurement fait la guerre elles étaient donc indépendantes ; on ne sait rien sur l'origine de la troisième. Mais bientôt il dut y avoir une sorte de confédération, et après comme une fusion, sous un roi unique22. Aucune prééminence parmi les trois ne se laisse entrevoir ; les textes ne les citent pas dans un ordre invariable23. En vérité, rien n'indique que cette division tripartite soit antérieure à l'État romain ce nombre trois est celui des tribus dans les autres États italiques, celui des tribus doriennes ; il ne semble pas un effet du hasard" ; ce pourrait bien être une division systématique de l'État. Du moins, à l'époque historique, la tribu « romulienne » .peut être définie l'expression collective d'un certain nombre de curies, s'appliquant à la fois à un territoire et à des personnes, ce qui la met en relation avec les gentes [GENS, p. 1314,] et avec la division du sol". Mais, pour curie et tribu, l'évolution fut inverse : la curie s'étendit de la personne au territoire; la tribu, du territoire à la personne. Les trois tribus demeurèrent topographiquement toujours identiques ; leur importance se réduisit aussitôt à fort peu de chose. D'après la tradition, elles percevaient leur quote-part de l'impôt 26, peut-être pour régler les dépenses militaires et payer les soldats', leur rôle essentiel étant de procurer respectivement 1 000 hommes à la légion, avec les officiers [CAmeus mmertus ; D1LECTUS, p. 21'2 ; LEGIo, p. 1017]. Mais la tribu n'eut aucune organisation corporative, personne à sa tète ; il n'y avait que trois chefs du populus, inséparables. Elle n'eut pas davantage de sacra distincts; elle put seulement contribuerà fixer le nombre des membres des collèges religieux. Ainsi Numa avait créé quatre Vestales [VESTALES] ; Un de ses successeurs28 en ajouta deux, ce qui les mit en rapport avec les gentes, majores et minores, des trois tribus. Le Sénat de 300 membres des temps historiques est un souvenir du même ordre. II. Les Tribus réelles. D'autres tribus ont eu une importance infiniment supérieure et plus durable, celles qui sont rattachées au nom du roi Servius Tullius par la tradition, qui fait de lui le grand distributeur de la cité'. Celles-là n'ont rien, dans leur principe, du caractère mixte reconnu aux précédentes; ce ne sont d'abord, TRI -42âTRI absolument, que des circonscriptions territoriales '. De la tribu réelle est dérivée plus tard une tribu personnelle, mais ce n'est là qu'une formation secondaire. Ces tribus nouvelles sont si rigoureusement rattachées au sol qu'une parcelle de territoire romain ne passe presque jamais d'une tribu à une autre 2. En revanche, une tribu peut s'accroître par l'adjonction de parcelles supplémentaires. On comprend ainsi que la grande majorité de celles qui furent créées à l'époque historique portent des dénominations locales. Quatre d'entre elles étaient renfermées dans l'Urbs Borna ; longtemps elles ne dépassèrent pas le premier PouERIUM 3. Elles correspondaient aux anciens quartiers de Rome [cf. REGIO, p. 817] : Sucusana (vieille forme 4 qui devint Suburana), Palatina, Esquilina et Coltina. L'ordre dans lequel nous les énumérons avait une valeur officielle ; l'ordo tribuum 5 devint même un ordre hiérarchique 6, qui faisait de la Coltina la moins considérée'. Pourtant il changea par la suite ; on eut sous l'Empire : Palatina, Coltina, Esquilina, Suburana. Les tribus n'englobaient pas tous les terrains soumis politiquement à la puissance romaine, mais seulement les fonds de terre qui pouvaient être possédés ex jure Quiritium3 ; elles laissaient donc en dehors le domaine public. L'augmentation du territoire, par suite de guerres heureuses et de conquêtes, n'entraînait point ipso facto celle des terres inscrites dans les tribus ; il fallait d'abord que les parcelles de cet alter publicus eussent été assignées à des citoyens°, ce qui se faisait surtout quand on fondait des colonies ou qu'on appelait à la civitas Romana des demi-citoyens i° ou des noncitoyens" ; toutes opérations qui demandaient parfois d'assez longs délais ". Il pouvait d'ailleurs arriver qu'un fonds d'État fût inscrit dans une tribu si ce fonds avait été légué à l'État, mais si l'État ne le conservait pas (il s'enrichissait en le revendant). Le Capitole n'était pas compris dans les plus anciennes tribus, parce qu'il était exclu de la propriété privée 13 ; de même l'Aventin, parce qu'il était d'abord inhabité " ; par la suite, on l'assigna aux plébéiens 15. L'idée première qui donna naissance aux tribus fut d'introduire un service militaire basé sur les ressources personnelles des appelés, ressources qui leur permettaientde s'équiper eux-mêmes [DILECTUS]. La seule garantie vraiment saisissable de cette faculté était la propriété foncière ; sur elle repose l'organisation nouvelle. Le territoire de l'État était déjà divisé en papi [Pnsus], qu'on désignait peut-être dès lors par le mot tribus, employé plus tard parfois avec cette acception 1° ; il est probable qu'on utilisa ces papi quitte à les étendre ou restreindre, pour maintenir entre eux une certaine proportion et qu'on les nomma définitivement tribus, en IX. souvenir des tribus « de Romulus », qui avaient précédemment, à parts égales, contribué au recrutement de l'armée. Les anciens ne savaient rien de la manière dont ces tribus nouvelles étaient nées : ils les firent remonter au roi Servius Tullius. Ces tribus, ayant servi de cadres à la plèbe organisée, doivent être antérieures aux succès qu'elle obtint par voie révolutionnaire ; or les premiers de ces succès sont assignés à la première moitié du ve siècle avant notre ère ; s'il faut y ajouter foi, la création des tribus remonte à cette époque au plus tard". Il y avait, du reste, du flottement dans la tradition : quelques-uns mettaient 31 tribus 18, d'autres 26", au compte du roi légendaire. Des historiens modernes 20.estiment que les 4 tribus urbaines sont bien postérieures aux rustiques, et ne remontent qu'à la censure de Q. Fabius Maximus en 4à0/304 : ils s'appuient sur un texte obscur de Tite-Live 21. Mais si vraiment la division en tribus eut pour objet de faciliter la levée des recrues, il est bien évident que cette levée s'opérait dans l'Urbs aussi bien qu'en dehors. Urbanis hutnilibus per omises tribus divisis, dit ailleurs Tite-Live" ; cela ne prouve point qu'il n'y eût pas de tribus urbaines ; mais beaucoup y furent inscrits, qui n'avaient pas antérieurement le droit d'en être. Même si l'on se borne, avec Mommsen, à interpréter le texte en ce sens que Fabius aurait seulement créé les qualifications de tribus urbanae ou rusticae, on soupçonne dans ce passage une tradition récente et fausse, car une telle opposition était dans la nature des choses et devait s'imposer dès le début. En vérité, nous ne savons nullement ce qu'a pu faire Servius, ni l'ordre exact de création des tribus ; mais le plus plausible, c'est que les 4 urbaines sont les plus anciennes, et qu'il s'y ajouta, on ne sait quand, peut-être immédiatement, 16 tribus rustiques, bientôt suivies d'une 17e23, Cette 17e était nécessaire ; lorsque en 283/471 le tribun de la plèbe Volero Publilius, afin de séparer les plébéiens des clients, eut fait substituer au vote par curies le vote par tribus, chaque tribu ayant une voix collective, il fallut un nombre impair de tribus pour avoir toujours une majorité". Les tribus nouvelles furent toujours créées dès lors par deux ou par quatre, en vue de maintenir le total impair. Les sources présentent la tribu Claudia comme la plus ancienne des tribus rustiques 25 ; c'est là un renseignement sans doute inexact, ou bien la création des 1h autres a dû se produire immédiatement après, car toutes les 16 furent dénommées selon une méthode uniforme. En voici la liste alphabétique : Aemilia, Camilia, Claudia, Cornelia, Fabia, Galeria, Horatia, Lemonia, 11lenenia, Papiria, Pollia, Pupinia, Romulia ou Ponti J4 TRI 126 TRI lia, Sergia, Voltinia, Voturia qui devint Velaria. Ce sont tous noms à forme gentilice ; 10 dans le nombre sont ceux de gentes connues ; les autres (Camilia, Galeria, Lelnonia, Pollia, Pupinia, Voltinia) ne peuventprovenir que de familles patriciennes' éteintes de bonne heure, dans les guerres ou autrement'. Ce sont les champs de ces gentes qui auront fourni des noms aux tribus ; la tradition le disait pour l'une d'elles, la Claudia ; dans Festus 4, la Papiria dérive a Papirio quodam. Certains pàgi avaient pu eux-mêmes être désignés par ce procédés. Il est probable que l'État accorda sous cette forme une distinction à certaines familles qui avaient rendu d'éminents services. La date de 259/495, indiquée dans les sources pour la création de ces 1G tribus, n'est point invraisemblable ; on ne peut rien dire de plus. Postérieure, en tout cas, à ce groupes, ruais peutêtre de peu 7, est la Clustumina 8, qui inaugure la série des tribus à noms locaux ; désormais il n'y en aura plus d'autres. En 367/387 naissent les tribus Stellatina, Tromentina, Sabatina, Arnensis (parfois Arniensis) 9. Puis, et maintenant avec dates certaines, car nous entrons dans une période vraiment historique, en 396/358: Pomptina et Poplilia ouPoblilia, Publiliaf; en 4.32/332 : Maecia et Scaptia" ; en 436/318 : Oufentina ou 0/fentina, et Falerna 1 ; en 451/300 : Aniensis et Teretina 13 ; en 6t3/2ii1 : Velina et Quirina1'. Ce sont les 34e et 35e ; le nombre ne s'est jamais accru depuis'. Il nous est seulement rapporté 16 qu'au temps de la guerre Sociale les Romains ne voulurent pas inscrire dans les 35 tribus les nouveaux citoyens, craignant que ceux-ci ne devinssent, par leur surnombre, les maîtres dans les comices ; on les aurait divisés en dix « groupes », et un auteur n ajoute qu'on créa deux nouvelles tribus à cette époque ; Velleius Paterculus" dit que ces nouveaux citoyens furent versés dans 8 tribus seulement19 ; mais rien ne prouve que ce furent 8 tribus nouvelles. Et d'ailleurs cette limitation fut toute temporaire ; bientôt tous les Italiens, fidèles ou hostiles pendant la guerre; furent dispersés dans toutes les tribus 2c. A part la Poplilia, dont le nom, d'après les anciens, était celui de la mère d'un personnage historique (probablement un des censeurs qui la fondèrent''), et la Quirina, dénommée d'après le mars romain, toutes les 15 complémentaires évoquent le souvenir de cours d'eau ou de lacs (Aniensis, Arniensis, Oufentina, Teretina, Sabina, Velina), ou de lieux-dits de la campagne (Falerna, 2ifaecia, Stellatina, Tromentina), ou de villes disparues (Clustumina, Pomptina, Scaptia). Pour lllaecia et Scaptia, la forme gentilicienne n'est qu'une apparence. Ces noms ne changèrent plus et leur abréviation fut régularisée assez tôt par l'indication des trois premières lettres seulement [NOMEN, p. 92]. Il y avait entre les tribus un ordre officiel: en tête les quatre urbaines (se suivant comme il a été dit plus haut), puis la Romulia , ensuite la Voltinia" . Les gloses de Festus énumèrent comme suit celles qui commencent par P ou S : Pômptina, Papiria, Pupinia, Poplilia, Scaptia, Stellatina, Sabatina ; l'Arnensis était la toute dernière'''. Notre information s'arrête là ; on n'entrevoit aucunement le principe de cet ordre, qui ne concorde ni avec la succession alphabétique, ni avec les dates de fondation, ni avec la répartition géographique, qu'on n'avait pas à chercher, les tribus n'ayant point gardé leur unité territoriale. Ce n'était pas un ordre de préséance, car de très bonne heure les tribus urbaines '9 furent moins considérées que les rustiques, qui ne venaient qu'ensuite. La situation topographique de chaque tribu est un problème insoluble, surtout pour les 1G du premier groupe ; déjà les antiquaires romains se trouvaient hors d'état de la préciser. Il est clair, vu l'étendue médiocre de la domination romaine à cette époque, que tontes les rusticae étaient avec Rome dans un étroit voisinage, mais pour la plupart on ne sait rien de plusL', et certaines données sont trop liées à des faits légendaires pour inspirer confiance27. Ce qu'il en était à l'origine importe d'ailleurs assez peu ; ces circonscriptions furent largement accrues par des annexions de territoires2'. La Velina venait d'être fondée quand, dix à douze ans plus tard, on y rattacha une bonne partie du Picenum, où la tex Flaminia avaitaccordé de grandes assignations de terres29. En général, lors de toute incorporation de municipe dans l'État romain, on ne créait pas de tribu nouvelle 30; il valait mieux ne pas isoler les nouveaux citoyens des anciens, mais au contraire les rapprocher31. Les municipes incorporés s'inscrivaient d'habitude dans les tribus les plus proches : Tusculum entra ainsi dans la Papiria, Lanuvium dans la 3laecia, Aricia dans l'Iforalia, Privernum dans l'Oufentina. Et de même pour les colonies de citoyens 32. Néanmoins l'attribution de la civilas plena à tout un peuple pouvait entraîner création Ti;i 427 d'une tribu supplémentaire ; on forma ainsi la Quirina avec la plupart des districts sabins. Après la guerre Sociale, les concessions du droit de cité municipale groupèrent ensemble des parcelles de terrains qui naguère dépendaient de tribus différentes il fallut bien alors faire exception à l'immutabilité de la tribu ; la Claudia et la Papiria furent ainsi complètement modifiées. Autre innovation : les tribus urbaines ont pu se restreindre à leur étendue primitive' ; pour les rustiques, c'était bien difficile. Même, avec le temps, il devenait impossible que le territoire de chacune fût d'un seul tenant ; à moins de créer sans cesse de nouvelles tribus, ce qu'on ne voulait pas, le résultat eût été, la puissance romaine s'étendant toujours plus loin, de laisser stationnaires les tribus les plus rapprochées de home et d'accroître indéfiniment celles qui formaient autour de celles-ci une deuxième zone. Chaque tribu ayant une seule voix dans les comices, on eût trop avantagé les unes aux dépens des' autres, et l'on tenait à une égalité approximative. Quand, en 566/188, on donna la civitas à Fundi et à Formies, on les inscrivit dans la tribu Aemilia, une des plus anciennes et qui certainement ne s'étendait pas jusquelà. Graviscae et Bénévent allaient ensemble ; Spolète et Venouse également ; les tribus étaient donc faites désormais d'îlots éparpillés. Pourtant on tint compte autant que possible des conditions de proximité. III. La Tribu personnelle. De la tribu réelle sortit la tribu personnelle 2, expression de l'ensemble des droits et des devoirs que la première créait au citoyen'. On a contesté cette évolution. M. Mispoulet s'est donné beaucoup de peine pour établir' que, de tout temps, la tribu avait été, non point réelle, mais personnelle et héréditaire ; selon lui, « elle désigne l'ensemble des citoyens romains fixés dans un district déterminé' u, et toutes les exceptions connues peuvent s'expliquer par les pouvoirs arbitraires de la censure. Cet auteur n'a pas été suivi. Il fait trop bon marché des témoignages formels établissant le caractère local de la tribu, au moins à l'origine, de ceux qui lui donnent pour fondement layer privatus 6. La tribu était parfois représentée comme un district '. Si elle n'est point mentionnée dans la désignation d'un fonds, c'est qu'elle n'a bientôt plus qu'un intérêt électoral et que nos textes, surtout les textes épigraphiques, sont presque tous d'une époque où la tribu personnelle prédominait, par suite de l'inscription des non-propriétaires. Tribu réelle et tribu personnelle peuventse confondre forcément: en effet, la tribu personnelle a pour source l'idée du domicile du citoyen propriétaire [no9uc1L1u:1I] ; si sa propriété foncière se trouve dans le territoire de la cité où il a son domicile, la distinction est sans intérêt. Mais tel n'est point toujours le cas, et même la tribu personnelle devait inévitablement se détacher de l'autre, car le même homme pouvait avoir des biens immobiliers sur des territoires inscrits dans des tribus diverses, et les droits politiques attachés à l'inscription dans une tribu ne se seraient point, sans graves inconvénients, exercés dans plusieurs. En pareille conjoncture, le censeur [CExsoit, CENSHS] qui dressait les listes décidait, parfois à sa guise, mais d'habitude selon les préférences du propriétaire, qui ne choisissait guère une tribu urbaine, tenue en moindre estime ; le censeur la lui imposait s'il voulait lui infliger une peine; néanmoins il n'était point libre de le transférer(lnoveretribu)dans une tribu éloignée de son domicile et ne comprenant aucun de ses immeubles. La tribu personnelle comprenait, outre le citoyen, ses descendants agnatiques, légitimes$ ou adoptifs mais non bûtards10; elle n'avait pas de raison d'être pour qui n'était pas citoyen actif, par exemple les femmes ou les citoyens d'une communauté latine. A partir de la censure d'Appius Claudius, au milieu du ve siècle de Rome, la propriété foncière ne fut plus exigée que pour l'inscription dans les tribus rustiques ; ceux qui ne possédaient ni terres ni maisons purent toujours faire partie des tribus urbaines ", suivant des règles que nous ignorons ; mais certaines professions ou conditions sociales semblent avoir procuré un titre à figurer dans les plus considérées des quatre 12. Dès lors la tribu personnelle se confond avec le droit de cité ; elle appartient à tous les citoyens ; c'est elle qui détermine l'exercice de leurs droits de vote ; aussi cette circonscription électorale est-elle quelquefois désignée sous une forme ethnique : les Voltinienses13, Fabiani et Scaptienses''". On voit par là toute l'importance, au point de vue des comices tributes [cosIlTIA,p. 1380sq.,1399 sq.113, de l'égalité approximative des tribus. Elle ne fut jamais rigoureuse, et certains partis la combattirent. Les quatre groupes urbains devaient compter respectivement un nombre de tributes bien supérieur à celui des tribus rustiques, car ceux-là seuls comprenaient les non-propriétaires et ceux qui ne possédaient que des maisons. D'autre part, la concession soudaine de la civitas Romana à des villes peuplées jusque-là de non-citoyens devait faire, à quelques combinaisons qu'on eût recours, des tribus plus nombreuses que d'autres, et où chaque tribulis, par conséquent, avait un suffrage moins décisif que celui du propriétaire, héritier de plusieurs générations de Romains, qui habitait un domaine à peu de distance de nome. Certains districts ont dû être ainsi « les places fortes de la noblesse" n ; il y eut un moment, après la guerre Sociale, où l'on tenta d'organi TRI 428 TRI ser en grand cette infériorité ; mais le courant contraire l'emporta.Sousl'Empire seulement, laquestion perdit tout intérêt, le droit de vote des citoyens étant en fait annihilé. Avec cette expansion de la civilas coïncide la formation d'un droit de cité local, héréditaire' ; ce dernier a dû contribuer à déterminer la tribu personnelle. Au vie siècle de home, c'était d'après le lieu auquel ils appartenaient, et non selon l'emplacement de leurs biens, qu'on inscrivait dans les tribus les membres des cités de demi-citoyens élevées à la cité complète 2. Après la guerre Sociale, la tribu personnelle est fixée, pour tous les ingénus, par la cité locale, abstraction faite de toute propriété foncière. Dès le temps de Cicéron, on indique, comme condition de capacité pour la tribu rustique, non pas cette propriété, mais l'ingénuité', et sous l'Empire la tribu rustique est certainement accessible à tous les municipaux non-propriétaires. Il la fallait pour être enrôlé dans la légion ; or les réformes de Marius y avaient multiplié les citoyens sans ressources. D'ailleurs les inscriptions d'époque impériale nomment peu de tribules urbains, et ce sont gens, d'ordinaire, dont l'ingénuité a subi quelque tache. Dès lors donc, les citoyens de toutes conditions d'une localité votent dans la même circonscription électorales ; la tribu personnelle perd son ancienne indépendance vis-à-vis de la tribu réelle. A cette époque, un citoyen de l'État romain est à la fois, le plus souvent, citoyen de l'une des cités de cives Romani, et sa tribu personnelle se détermine d'après l'origo, c'est-à-dire d'après la tribu réelle de son territoire d'origine (dormis dans les inscriptions). Mais ce principe ne suffit pas à résoudre certains cas'. Un membre d'une cité latine ou pérégrine peut obtenir la civilas Romana à titre personnel; sa tribune saurait se déduire du domicile, un tel domicile n'en ayant pas. On dut appliquer des règles générales qui nous échappent, comme celles qui accumulaient dansla Voltiniales gens de laNarbonnaise, dans la Quirina ou la Collina les Asiatiques et les Syriens. Les plus vieilles familles 6, patriciennes ou plébéiennes, n'avaient pas de domicile spécial ; home était tout ensemble leur grande et leur petite patrie. Quand s'affirma l'influence de l'origo sur la détermination des tribus, ces familles gardèrent probablement celles où leurs propriétés les avaient fait inscrire, ou choisirent librement. On vit bien quelques-uns de leurs membres dans les tribus urbaines, mais rarement ; les tribules de haut rang, sénateurs même, qu'on y rencontrait étaient des hommes novi, surtout d'origine étrangère, principalement hellénique 7 ; et leurs descendants, qui, eux, « avaient des ancêtres », s'empressaient de se faire transférer chacun dans la tribu rustique dont dépendait la patrie de son père. Une autre tendance se fait jour encore, qui rattache de nouveaux citoyens à la tribu de l'empereur sous lequel ils sont arrivés à la civilas ; c'est ce que nous voyons pour tous ceux qu'ont faits citoyens romains les princes des familles Julia et Claudia, et pour les descendants de leurs affranchis, qui ont droit à la tribu des ingénus. On se rend très mal compte des raisons personnelles qui ont décidé de l'inscription de tel ou tel dans une tribu plutôt qu'une autre 9, ou exclu certains ingénus des tribus rustiques. Les tribules urbains, sous l'Empire, ont une situation intermédiaire entre les citoyens complets des tribus rustiques et les affranchis sans droit de suffrage10. L'inscription dans une tribu est souvent l'effet d'un curieux privilège : ainsi, d'après la lex repetundarum de 631-2/123-2, un non-citoyen qui avait faitcondamner un citoyen, coupable de par cette loi, entrait de droit dans la tribu du condamné" ; si l'accusateur était citoyen, il pouvait réclamer cette même tribu 12, à supposer qu'elle fût plus honorifique que la sienne. C'était là une préférence bien conventionnelle, car, après qu'en 534/220 on eut mêlé le système des tribus avec celui des centuries [CENT CRIA, p. 1016-1017; cornTIA, p. 1389, 1396j, ces dernières passèrent au premier plan, au détriment des autres. La tribu ne fut plus guère que l'expression formelle du droit d'origine et cessa de représenter un organisme politique. On en suit sans peine l'effacement progressif. Son indication disparaît dans les désignations de soldats après Caracalla; elle manque complètement dans les inscriptions des prétoriens 13. Alexandre Sévère procède encore à une rectification des tribus " s ; mais en épigraphie la mention de la tribu, à côté des nomina, devient très rare 15 ; elle cesse après Constantin 16. IV. Rôle des tribus dans la vie publique [Pour les comices tribules, ComrrIt, ll. cc.]. 11 est fort insignifiant en matière religieuse. Ce sont les curies qui fonctionnent comme associations cultuelles, non les tribus. Sans doute la procession des Argées [ARCEli circulait tour à tour dans les quatre circonscriptions de la ville ; toutes les tribus prennent part à la cérémonie, mais ce n'est pas elles qui l'organisent, c'est le peuple en bloc ". Mentionnons pourtant les pseudo-comices des 17 tribus t6. Les pontifes avaient été d'abord recrutés par cooptation ; le progrès démocratique fit transférer aux citoyens l'élection du pontifex maximus 19 ; cette réforme s'accomplit à une date incertaine, entre 462/292 et 535/219 90. Elle s'étendit ensuite, avant 544:ï/209 71, au choix du curio lnaxinlus. Mais, pour sauver les apparences, pour que l'autorité sacerdotale n'eût point l'air d'émaner du peuple, la moitié à peine des sections électorales 22, soit 17 tribus sur 35, prenaient seules part aux votes ; on les tirait au sort 23, procédé qui laissait TRI 429 TR1 place à l'intervention divine. Appelées à choisir le grand pontife, ces assemblées fonctionnaient à l'image des comices tributes, sous la présidence de l'un des pontifes. Au vile siècle de Rome, par une extension nouvelle, et après l'échec, en 609/145, d'une proposition en ce sens t, le plébiscite proposé par le tribun du peuple Cn. Domitius Ahenobarbus, en 651/103, décida que dans les sacerdoces des pontifes 2 [PONTIFICES, p. 568], des augures' [AUGURES, p. 552], des gardiens des oracles 4 (et probablement aussi des épulons), les prêtres seraient élus par les 17 tribus sur une liste de candidats approuvés et présentés, à chaque vacance, par le collège intéressé. Depuis 14 ap. J.-C., le choix des tribus, s'il se maintint, ne fut plus que la ratification pour la forme de celui du Sénat. Pour ce qui regarde la justice, des collèges de jurés ont été formés de membres élus en nombre égal par chaque tribu; ce fut peut-être le système adopté par les centumvirs [CEXTEDIVIRI]. D'après la lex repetundarum citée plus haut, la tribu doit être ajoutée aux noms dans la liste des jurés (1. 14, 17-18). Organisation politique, avons-nous dit, mais non corporation, dénuée d'autonomie, la tribu ne prend pas de résolutions propres à elle seule ; c'est surtout un cadre pour le fonctionnement des services nationaux. Cela suffit pour qu'elle ait un chef, le tribunus aerarius, dont le nom même évoque la fonction essentielle (payer la solde 3), qui est un héritage des tribus serviennes. Dans ce rôle, les centurions le remplacent depuis la formation des centuries tribuaires en 531/20, mais ils gardent la dénomination traditionnelle de tribuni Les tribuni sont élus pour un an, avec faculté de renouvellement', dans les mêmes conditions sans doute que les magistrats inférieurs ; ils sont d'ordre équestre '. Pour Mommsen, les curatores 1 ° sont des tribuns dissimulés sous un nouveau Litre, qui peuvent être des affranchis" dès lors que la mission des tribuns, amoindrie, ne concerne plus guère que la répartition des libéralités. Mais la chose est incertaine et les curatores sont peut-être plutôt des magistrats inférieurs de la tribu [CURATORES, p. 1621] 12. On suppose qu'il y eut dans le principe un tribunus par tribu" ; plus tard il y a un curateur par centurie. Les tribuni avaient et devaient avoir une connaissance personnelle des gens et des lieux, leur perniettant d'assister les magistrats de l'État ; durant les opérations du cens, ils intervenaient aux lieu et place des absents. L'importance des comices tributes faisait de la tribu un cadre commode pour les essais de corruption et les libéralités intéressées 1d. Les frumentationes sont ici hors de cause; elles restaient exclusivement, au moins sous l'Empire, aux mains des fonctionnaires d'État. Mais les autres largesses, en argent, s'opéraient fréquemment par tribus 15, et les curateurs se chargeaient quelquefois du partage entre tribules 16 ; à la tin de la République, ils donnaient plutôt mandat, à cet effet, sous leur responsabilité, à des divisores tribuum, véritables agents électoraux". Dans les affaires d'élections, en effet, c'est tribu par tribu 18 que s'accomplissent les manoeuvres des compétiteurs 19, que les voix s'achètent 20 ; César adresse par lettres ses recommandations de candidats aux tribus21; on leur offre des spectacles 22, tout au moins des places aux jeux, des tentes (tabernae) pour les y abriter23, des festins aussi 24. Jusque sous l'Empire, il y eut entre los tribules des relations souvent étroites, une intimité générale 25, des échanges de présents20; un coin de table était réservé au pauvre chez le riche27. Une inscription nous a rendu l'appel public adressé à ses boni contribules par un personnage que l'affaire de Séjan avait fort compromis 28. Le satiriste Lueilius s'en prend volontiers aux tribus séparément, lorsqu'il censure le peuple 29. Il y a aussi des inimitiés violentes entre tribus : jamais personne dans la Papiria, dont faisaient partie les gens de Tusculum, n'accorda son suffrage à un candidat de la Pollia, depuis que celle-ci (en 431/323) avait seule voté la destruction de cette ville"U. La tribu d'un candidat a la plus grande influence sur le scrutin"; les tribules, en général, votent plus volontiers pour ceux de leur groupe 32 Tribus a pris encore une acception spéciale, au point de vue des institutions de bienfaisance 33. En ce sens, la tribu représente une section de la plebs urbana 34, c'est-à-dire de tous ceux qui ont droit aux libéralités publiques, et de ceux-là seuls. Il y avait 35 sections; et chacune était devenue une véritable corporation, qu'on voit, par les inscriptions, célébrer des fêtes en cointnun ", prendre des résolutions ", dédier des monuments honorifiques 31, s'associer à des actes de loyalisme38. De ces tribus-là les affranchis ne sont point exclus, car ils ont droit aux largesses; ils sont classés dans les tribus (le la plebs frumentaria39. Un document, sûrement relatif aux distributions de blé 'D, spécifie le numerus tr[ibulium] quibus lacis [frumentum acci TRI 4 30 TRI piani] ; or, il indique 4191 têtes pour la Palatina, 4068 pour la Suburana, 1 777 pour l'Esquilina, 457 seulement pour la Copina, 68 pour la Romilia, 85 pour la Voltinia. Étant donnés ces chiffres, il est clair que beaucoup de gens, non admis à joindre la mention de la tribu à leurs noms, étaient inscrits dans les tribus urbaines en vue des distributions, et ils devaient même y former la majorité, une énorme majorité parfois ; dans les listes de la tribus Suburana juniorum de 70 après J.-C., la tribu n'est adjointe à aucun nom. Au contraire, dans les tribus rustiques, les bénéficiaires étaient probablement des ingénus'. Cette dégénérescence du mot est bien marquée par le jurisconsulte Scaevola2, du temps de Marc-Aurèle : pour lui, la tribu est comme « une rente sur l'État, inaliénable et transmissible, achetée par des personnes de basse condition ou pour elles, et au moyen de laquelle le patron constitue une rente viagère à ses affranchis dans son testament 3 n. Il y a là un équivalent de la Cessera frumentaria; la tribu n'exprime plus, au moins dans la capitale, que l'idée d'une institution de bienfaisance'. V. Tribus communales. Outreles tribus romaines, c'est-à-dire englobant l'ensemble des citoyens romains dans tout l'empire, il y avait encore des tribus communales. Pour l'exercice des droits politiques, le populus était divisé dans les cités, soit en curies, soit en tribus 6; en curies dans les villes latines et les municipes; en tribus dans les colonies; du moins, dans la colonia Genetiva 6, fondée en Bétique par Jules César, les magistrats sont créés pro tribu, et dans la colonia Augusta Lilybaeum, fondée en Sicile par Auguste, des inscriptions ont été dédiées au proconsul par les XII trib(us) 7 ; une autre émane des tribules trib. Jouis Aug. 8. On peut admettre avec Mommsen 9 qu'entre curies et tribus la différence était plus nominale que réelle.