Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article TUTELA

TUTELA. Quoique l'idée d'une divinité personnifiant la protection des êtres et des choses ne soit garantie, par des documents épigraphiques et littéraires, que pour une époque relativement récente 1, on peut conjecturer qu'elle a déjà eu sa place, comme celles de Genius et de Fortune dont elle représente un aspect particulier, dans la plus ancienne religion des Romains. Parmi les dii agrestes des INDIGITAMENTA 2, dont le caractère archaïque n'est pas douteux, figure une déesse Tutilina ou Tutilina qui est considérée comme le génie protecteur des récoltes mises en grange. Une formule de prière, empruntée au rituel des Frères Arvales, nous montre d'autre part comment, de la notion accidentelle d'une protection salutaire, a dù se détacher celle d'une personnalité divine l'incarnant d'une manière générale: Sive deo, sive deae, in cujus tutela hic bleus locusve est Enfin dans la légende populaire des Nonae Caprotinae lPOPLIFUGIA] le nom de la femme libératrice de Rome est Tutela ou Tutela. Ce que nous avons dit ailleurs de la Tutela generandi, [FORTUNA, GENIDS] explique en vertu de quelle association d'idées des inscriptions votives invoquent Tutela au même titre que Genius et Fortuna; et comment, à l'occasion, Tutela se substitue à tous les deux. Le besoin de trouver pour la femme un esprit protecteur, du même sexe qu'elle, avait complété la notion du Genius propre à l'homme par celle de la Juno (.Iunones) 6. Tutela, cependant, sert à doubler cette dernière ou la remplace dans le culte domestique ; mais le plus souvent' sa signification est générale et convient mieux encore aux lieux qu'aux personnes. A ce point de vue, les Tutelae sont identiques aux Fortunae, déterminées ou par des noms de personnes, de familles, ou par des noms de localités et d'édifices, quand ceux-ci, cômme les entrepôts, sont en rap IX. port avec les besoins de la vie humaine 8. Elles sont identiques aussi au Genius loci ; celui-ci n'est en somme que la divinité, in cujus tutela hic locus est. Des inscriptions l'appellent même deus tutelae ; et c'est par une sorte d'abréviation que Tutela personnifiée en vient à désigner l'esprit protecteur d'un pays, d'une maison, d'un bois sacré, d'un navire, etc., dont elle assure par son influence la conservation, le salut et la prospérités. On sait l'hommage rendu pour la première fois par la piété populaire à l'empereur Auguste, dont elle personnifie le Genius, en le plaçant sur les autels en compagnie des Lares. Mais de même qu'il est le Genius, la poésie l'appellera divas praesens et tutela praesens Italiae dominaeque Itomae. Lorsque Mécène est salué par Horace rerutn tutela rnearuln, il faut beaucoup moins songer à l'idée de tulela prise au sens juri clique que l'interpréter, comme pour l'empereur, au sens religieux. On en peut dire autant du passage où Juvénal, parlant d'un homme économe jusqu'à l'avarice, le représente comme défendant son bien, rerunt tulela suarum certa, à l'égal du dragon des Ilespérides ou de celui qui gardait la toison d'or 1°. Quant aux inscriptions en l'honneur de Tutela, elles ne sont pas également répandues dans toutes les parties du monde romain 11.Elles ne sont vraiment nombreuses qu'à Rome et en Espagne, dans ce dernier pays le plus souvent en rapport avec l'idée d'une contrée et, plus 70 groupe de structores 3. La religion s'en est con servée jusqu'à l'extrême déclin du paganisme. Un passage de saint Jérôme, fl étrissan t l'idolâtrie qui multiplie à l'infini les personnalités divines préposées à la garde des les villes d'un TUT encore, avec celle d'une ville déterminée, ce qui a fait que certaines ont gardé le nom de Tutela. Les témoignages en faveur d'un culte populaire de Tutela dans la Gaule étaient naguère assez rares; le nombre s'en est accru depuis quelques années. Outre celui de Lyon dont il sera question plus loin, il faut citer l'existence à Bordeaux d'un temple de Tutela qui ne fut détruit que sous Louis XIV et dont une gravure du xvle siècle nous a conservé l'image '. L'autel que nous reproduisons (fig. 7191), trouvé dans la même ville, est un témoignage de piété individuelle qui date du 22 juin de l'année 224 après J.-C., la troisième du règne de Sévère Alexandre. A Périgueux, l'antique Yesunna, il y a trace d'un autel dédié à la Tutela locale 2. Enfin une inscription récemment découverte à Sos, dans le Lot-et-Garonne, mentionne, si les conjectures faites sont exactes, un hommage rendu à Tutela par un hommes et des choses 4, dit que dans grand nombre de provinces, et à Rome même, on trouvait, par tous les quartiers et à l'entrée des maisons particulières (in singulis insulis donlibusque) des images de Tutela, devant lesquelles on allumait des cierges et des lampes, afin d'obtenir leur protection et d'assurer contre l'indifférence une forme de superstition populaire. Il semble qu'à cette époque la Tutela des maisons ait remplacé les images des Lares ou que, les complétant, elle les ait reléguées au second rang dans le culte domestique. Il existe des représentations de Tutela sur certaines monnaies'; mais leur identification est difficile là où l'on n'est pas renseigné par une inscription. La déesse en effet ne porte, comme attribut distinctif, que la corne d'abondance qui l'assimile à Fortuna et, quand le sexe n'est pas apparent, au Genius 6. Telle est la Tutela figurant dans un bas-relief'(fig. 719e) qui représente un personnage en train d'offrir une libation sur un autel TUT allumé. L'image, déterminée par l'inscription TUTELE SANCTE, rappelle trait pour trait celle de Fortuna assise et tenant une corne d'abondance dans le pli du bras gauche; le plus ancien spécimen connu est à chercher dans la Tyclie du bas-relief trouvé au Pirée 8 On a parlé plus haut de la Tutela de l'empereur Auguste. De même, sur certaines monnaies, Nerva figure près de la déesse,pour commémorer ses dons d'assistance aux pauvres,avecl'inscript.ion Tutela Italiae [ALIMENTAlui PUERI, p. 183]. De toutes les représentations certaines de Tutela la plus expressive nous est donnée par un vase à reliefs, originaire de la Gaule Lyonnaise, aujourd'hui au musée de Lyon «fig. 7193). Un médaillon porte inscrit le nom de la déesse. Celleci est représentée en buste, la man droite tient un sceptre, la gauche une patère; la tête Lourdée fait penser à la relie' d'Antioche, dont le type remonte au sculpteur Eutychidès 10. Le médaillon était supporté par deux Victoires, dont une seule subsiste, tenant une palme. Dans la partie supérieure du vase, àdroite, figure le buste d'un dieu fluvial, jetant de l'eau par la bouche ; au centre, dans la partie inférieure, nous voyons un buste barbu, couronné de lauriers; les bras levés déploient une draperie qui flotte audessus de la tête. On a conjecturé, non sans vraisemblance, que la Tutela est celle de la ville de Lugdunum, qui, par ailleurs, sur des monnaies, a aussi son Geniustt. Ceci peut servir à identifier les deux autres figures, l'une avec la personnification du Rhône, qui devait avoir pour pendant, dans la partie mutilée du vase, celle de la Saône; l'autre avec le dieu Saturnus personnifiant l'âge d'or. J. J.A. ITIiie. Droit romain. La tutelle se rattache à la grande division des personnes en sui juris et alieni juris. Les personnes de la première qualification sont celles qui ne se trouvent sous aucune puissance ; celles de la seconde sont celles qui se trouvent sous la puissance d'un tiers. Parmi ces dernières, les unes se trouvent sous la potestas dolninica ou puissance du maître sur son esclave [sERves], les secondes se trouvent sous la PATRIA Po'FESTAS ou puissance du père sur ses enfants ; d'autres enfin sous la MANUS ou puissance d'un mari ou d'un tiers, la TUT 555 TUT femme, et sous le MANCIPIUM ou puissance d'un homme sur une autre personne libre qui lui avait été mancipée. Quant aux personnes sui juris, elles peuvent se trouver, d'autre part, soumises à une certaine autorité, celle du tuteur ou du curateur dans les cas prévus par la loi, c'est-à-dire à raison soit de la faiblesse de leur développement intellectuel, conséquence de leur jeune âge, soit de leur sexe, ou de certains troubles cérébraux, et qui sont ainsi incapables de gérer leur patrimoine. Dans le droit romain primitif, la tutelle 'et la curatelle sont plutôt des mesures de défiance prises dans l'intérêt de la famille civile, pour empêcher la dilapidation du patrimoine familial, afin de sauvegarder les droits éventuels des parents appelés à succéder' ; mais plus tard cette considération égoiste et intéressée fit place à une autre plus humaine, celle de la protection due aux incapables, et c'est ce qu'indique le mot même par lequel on désigne le tuteur, tutor (de tueri, protéger)2. Aussi le droit classique introduisit-il certaines garanties auxquelles le droit ancien n'avait pas songé. En droit romain étaient en tutelle : a) les impubères des deux sexes, sui juris de l'un et l'autre sexe, à raison de leur âge; b) les femmes sui juris, à raison de leur sexe. A) Tutelle des impubères. L'impubère a besoin d'un protecteur s'il est né sui juris, hors du mariage légitime, ou si, né sous la puissance paternelle, il en est sorti avant la puberté. Il importe que l'impubère soit placé sous une surveillance telle qu'il ne puisse dilapider ses biens au préjudice de sa famille, des agnats et des gentiles, héritiers de l'impubère. Aussi la tutelle légitime fut-elle la première instituée dans l'intérêt même des personnes qui étaient investies de cette fonction. Les personnes appelées éventuellement à recueillir la succession de l'impubère étaient également appelées à sa tutelle : ubi successionis est emolumentutn, ibi et tutelae onus esse debet 3. Cependant la tutelle testamentaire passe avant la tutelle légitime, c'est-à-dire que le pater a le droit de désigner dans son testament le tuteur de ses enfants impubères que son décès va rendre sui juris. Mais le droit de nommer un tuteur testamentaire fut à l'origine un attribut de la puissance paternelle. Ainsi il est refusé à la mère, aux ascendants maternels, au père qui a émancipé son enfant. La nomination du tuteur, comme toute autre disposition testamentaire accessoire, est soumise à certaines formes : elle doit être exprimée en termes impératifs et elle ne peut précéder l'institution d'héritier. Toutefois la rigueur de ces principes finit par s'atténuer et, on reconnut le droit de désigner un tuteur testamentaire à des personnes qui n'avaient pas un véritable droit de puissance sur l'impubère, mais qui lui étaient attachées par des liens de sûre affection, comme au père qui avait perdu la puissance, ou à celui qui avait fait un testament nul en la forme, à la mère. A défaut de tuteur testamentaire s'ouvre la tutelle légitime des agnats. La loi des Douze-Tables désigne comme tuteur testamentaire l'agnat le plus proche ; s'il y en a plusieurs au même degré, ils sont tuteurs ensemble,-. Justinien, en assimilant la cognation àl'agnation, pour la dévolution de la succession, devait, par une conséquence logique, assimiler les cognats aux agnats pour la délation de la tutelle. Dans le droit ancien, s'il n'y a pas d'agnat., la succession passe aux gentiles ; donc logiquement la tutelle, à défaut d'agnats, devait être déférée aux gentiles, niais quand la gentilité s'affaiblit, la vocation à la tutelle au profit des gentiles disparut en même temps. On dut dès lors se préoccuper de trouver un tuteur aux impubères : ce fut l'objet de la loi Atilia, antérieure à 568 de Rome Cette loi attribue le droit de nommer le tuteur, à Rome, au préteur et à la majorité des tribuns du peuple. La loi Julia'Titia, rendue en 723 de Rome a, donne le même pouvoir au gouverneur dans les provinces. Cette nomination pouvait être provoquée, en l'absence de tuteur testamentaire ou légitime, par toute personne portant intérêt au pupille. [Sous l'Empire, Claude fit passer à Rome la désignation après enquête aux consuls 7 ; Marc-Aurèle et Verus, à un préteur administratif, le praetor tutelaris ; le praefectus urbi devint compétent pour les enfants des clarissimes 9. En Italie, la datio luloris appartenait aux magistrats municipaux et aux juridici Se ; en Égypte, au préfet (ou au juridicus Alexandreae), aux exégètes, aux stratèges 11. Sous Justinien, rien ne fut changé dans la capitale ; en province les praesides restent chargés de la datio tutoris pour les personnes riches ; les magistrats municipaux, les defensores civitatis avec les évêques, le juridicus Alexandreae s'occupent des personnes ayant moins de 500 sous d'or 12 ] Dans certains cas, la tutelle est déférée suivant certaines règles particulières. Ainsi le patron est le tuteur légitime de l'affranchi impubère 113. De même l'ascendant émancipateur, qui a eu soin de se faire remanciper l'enfant après la troisième mancipation [ESIAncIPATIO] et qui l'affranchit, joue le rôle d'un patron, est le tuteur de l'émancipé impubère. [ Lorsque le pupille est en procès avec son tuteur, le préteur urbain lui donne, au temps des actions de la loi, un tuteur général, tutor praetorius 14, remplacé sous Justinien par un curateur 13.] Fonctions du tuteur. -Le tuteur, conformément à la conception primitive, s'occupe exclusivement de la fortune du pupille, mais non de sa garde ni de son éducation (tutor personae, non causae vel rei datur)19. C'est le préteur qui, en prenant l'avis des membres de la famille, désigne la personne chez laquelle le pupille sera élevé et fixe les sommes nécessaires à son entretien, et son choix peut se porter sur la mère de l'impubère ou sur toute autre personne dont les mérites et TUT 556 TUT l'affection présumée pour le pupille seront une garantie de sa bonne éducation'. Le tuteur doit remplir, dans l'intérêt du pupille, certaines formalités avant d'entrer en fonctions. Ainsi d'abord il doit, comme garantie de la restitution des biens lors de la cessation de la tutelle, procéder à l'inventaire (repertorium) de la fortune du pupille; sinon la fortune du pupille peut être établie par tous les moyens possibles, même par le serment de l'incapable Il doit, d'autre part, fournir une satisdatio, c'est-à-dire s'engager par stipulation à conserver intact le patrimoine du pupille et fournir des fidéjusseurs solvables prenant le même engagement. Enfin, d'après la Novelle 72 de Justinien, il doit, s'il est créancier du pupille, faire la déclaration de sa créance au magistrat, sous peine de déchéance de ses droits. Les pouvoirs du tuteur, en ce qui concerne le patrimoine du pupille, s'exercent de deux manières : on sait que le tuteur agit par voie d'auctoritas ou par voie de gestio. Quand le tuteur gère ou administre, c'est lui seul qui intervient dans l'acte juridique qui intéresse le pupille. Ainsi, quand il s'agit de vendre ou d'acheter, c'est lui-même qui est vendeur ou acheteur; le pupille, bien qu'en réalité son intérêt seul soit en jeu, disparaît en quelque sorte effacé derrière le rideau. Lors au contraire que l'on recourt à l'auctoritas, c'est le pupille qui est en scène; c'est lui qui figure dans l'acte ; le tuteur y apparaît encore, mais ce n'est plus comme partie, c'est seulement pour compléter la personnalité du pupille et lui fournir son concours sans lequel l'acte ne serait pas valable. De cette idée générale, il résulte certaines différences entre les conditions de fonctionnement de la gestio du tuteur et de son auctoritas. Il faut d'abord, quand le tuteur recourt à l'auctoritas, que le tuteur soit présent in ipso negotio, au moment même où le pupille accomplit l'acte juridique 3. L'auctoritas suppose en second lieu des paroles spéciales prononcées soit par le tuteur, soit par le tiers qui traite avec le pupille, paroles vraisemblablement solennelles, et consistant, comme dans les stipulations, en une interrogation et une réponse : onet'orne fis? auctor fia. Enfin, en ce qui concerne les effets de l'intervention du tuteur, s'il procède par auctoritas, l'acte étant accompli par le pupille lui-même, c'est en sa personne que se réalisent directement les conséquences juridiques de l'acte ; c'est lui (lui, suivant les cas, devient créancier, débiteur ou propriétaire; le tuteur demeure étranger aux suites de l'opération. L'effet de la gestio est au contraire tout différent. Le tuteur qui gère agit comme mandataire. Donc, conformément aux principes du droit romain qui excluent la représentation, les conséquences de l'acte se réalisent dans la personne du tuteur; c'est lui dont le patrimoine se trouve enrichi ou grevé, qui devient créancier ou débiteur. Mais comme il fallait, en définitive, que le pupille profitât de l'acte ou en supportât les effets, le tuteur devait lui rendre des comptes à la fin de la tutelle. La reddition de comptes était ainsi une conséquence de la gestio et non de l'auctoritas. Le tuteur n'est pas libre d'ailleurs d'agir indifféremment comme administrateur et comme auctor. Il est évident qu'un pupille trop jeune ne peut pas figurer dans un acte juridique, même avec l'auctoritas du tuteur. Cela n'est possible que si le pupille est sorti de l'infantia, c'est-à-dire, à partir du Bas-Empire, quand il a plus de sept ans [ IXFANTIA] ; le tuteur, quand le pupille est absent ou infans, ne peut jouer que le rôle d'administrateur. Quand le pupille est présent ou sorti de l'infantia, le principe est que le tuteur est libre d'administrer lui-même ou d'interposer son auctoritas. C'est par exception seulement que l'auctoritas devient indispensable. Voici les plus importants de ces actes dans lesquels la présence du pupille autorisé est nécessaire : les legis actiones l'aliénation par voie d'in jure cessio, l'aliénation par mancipation, la manumissio, l'acceptilation, l'adition ou la répudiation d'une hérédité, l'adrogation. [ Pouvoirs du tuteur. Les pouvoirs du tuteur étaient à l'origine ceux d'un vice dominas ; cependant, d'après les Douze Tables, le tuteur qui méconnaissait les intérêts du pupille pouvait se les voir enlever à la suite du crimen (ou postulatio) suspecti tutoris Sans abolie' cette sanction radicale, le droit civil postérieur a protégé les intérêts du pupille en déclarant nuls certains actes inter dits au tuteur : la donation les actes passés de enaumaise foi', l'aliénation des praedia rustica vel suburban,a (d'après l'Oratio Severi de 19h) 6. Constantin a étendu cette dernière prohibition aux praedia urbana et aux meubles de valeur 3. Enfin Justinien a défendu le verseraient d'un capital aux mains du tuteur sans l'autorisation du magistrat t0. En sens inverse Théodose et Valentinien augmentèrent les pouvoirs du tuteur, en l'autorisant à accepter la succession de la mère ou de la ligne maternelle, si le pupille est encore bilans ". j Fin de la tutelle. Les causes qui mettent fin à la tutelle peuvent provenir, soit de la personne du pupille, ex parte pupilli, soit de la personne du tuteur, ex parte tuloris. Dans le premier cas, la tutelle prend fin définitivement; dans le second cas, il y a seulement expiration des fonctions du tuteur ; s'il est seul, il est remplacé par un autre ; s'il en existe plusieurs, la tutelle se concentre sur les autres. Ex parte pupilli. La tutelle cesse : e) par l'arrivée de la puberté 1L; cependant, dans l'ancien droit, la femme était en tutelle perpétuelle à raison du sexe ; b) par sa capitis deminutio. Ex parte tutoris. La tutelle cesse : a) par la mort du tuteur; b) par la capitis deminutio minima s'il s'agit d'une tutelle légitime, car les droits d'agnation et de gentilité sont alors éteints ; c) par suite d'une excuse [H.xcuSATlo] présentée au cours de la tutelle. Obligation de rendre compte. Quelle que soit la cause qui mette fin à la tutelle, le tuteur est soumis à l'obligation de rendre compte, et pour obtenir satisfaction le pupille a plusieurs garanties. Le tuteur doit d'abord restituer les biens qui lui ont été confiés, d'après l'inventaire qui a été dressé. A l'origine, le tuteur, qui n'était TUT 5-,57 TUT pas forcé de gérer, n'était pas non plus tenu juridiquement de restituer. C'était sans doute un devoir sacré', ruais dont la violation n'était réprouvée sévèrement que par les moeurs. La loi des Douze Tables introduisit quelques mesures efficaces dans l'intérêt des pupilles et permit l'exercice, à la fin de la tutelle, contre le tuteur qui avait détourné frauduleusement les choses appartenant au pupille, de l'action rationibus distrahendis, par laquelle le tuteur coupable est puni d'une amende égale au double de la valeur des objets détournés ; puis, plus tard, vers le milieu du vue siècle, l' «tin tutelae directa d'origine prétorienne, adoptée par le droit civil, admet les pupilles à se faire rendre compte et à se faire indemniser de toute faute ou négligence commise par le tuteur dans le cours de sa gestion ; par contre, le tuteur peut se faire indemniser, par 1'actio tutelae contraria, de toute dépense par lui faite dans l'intérêt du pupille Justinien, tout en laissant subsister les actions précédentes, se préoccupe de donner des garanties au pupille contre l'insolvabilité du tuteur. D'abord le pupille créancier du tuteur jouit, à la fin de la tutelle, d'un privile,gium exigendi qui lui donne le droit d'être payé par privilège aux créanciers chirographaires, et Constantin lui donne une hypothèque tacite et générale sur les biens du tuteur Le pupille peut en outre agir par l'action ex stipulant contre les fidéjusseurs de la tutelle4. Enfin le pupille peut demander la rescision, au moyen de l'in integrum restitutio, des actes qui lui ont causé un préjudice, soit qu'ils aient été accomplis par le tuteur seul, soit qu'ils l'aient été par l'impubère avec l'auctoritas du tuteur, protection qui était plutôt nuisible au pupille, car la menace d'une rescision était un obstacle aux transactions sérieuses. B) Tutelle des femmes. Parvenues à l'age de la puberté1,les femmes demeurent néanmoins en tutelle et cette tutelle dure toute leur vie. La loi se défie de l'inexpé-• rience de la femme, propter sexes in/irmitatem et forensium reruin ignorantiain La coutume primitive, préoccupée de conserver les biens dans les familles, craint que les femmes ne dissipent inconsidérément la part du patrimoine paternel qui leur échoit par succession et elle les met en tutelle perpétuelle. Donc la tutelle des femmes est, comme celle des impubères à ses débuts, une mesure de défiance plutôt qu'une institution de protection. Toutefois, par l'effet de l'adoucissement des moeurs, la tutelle des femmes tendit à disparaître et elle n'était plus qu'un souvenir sous Justinien. Cette tutelle, à son origine, était déférée comme celle des impubères et elle était : soit légitime, déférée aux agnats et à leur défaut aux gentiles; soit testamentaire, émanant du pater ou de celui qui avait la /nantis' ; soit, à défaut de tuteur testamentaire ou légitime, déférée par le magistrat 3. [Le tuteur testamentaire pouvait renoncer à la tutelle; la femme retombait alors sous la tutelle légitime. Le tuteur légitime avait seulement le droit de céder par in jure cessio la tutelle à une autre personne, le tutor cessitius, dont les fonctions étaient limitées à la durée de la vie ou de la capacité du cédant 9. ] La femme en tutelle n'est point incapable. En règle générale, elle petit agir seule et son tuteur n'a d'autre fonction que de praestare auctaritatem ; il ne gère pas et n'a pas de comptes à rendre. La femme doit obtenir cette auctoritas pour les actes qui, diminuant son patrimoine, sont de nature à porter atteinte aux droits éventuels de la famille légitime, comme la conventio in manum, l'affranchissement, le testament, l'aliénation d'une chose mancipi, toute obligation, l'adition d'hérédité, la constitution de dott0 [ La femme cessait d'être en tutelle par la capitisdeminutio. Les Vestales, aux termes de la loi des Douze-Tables, échappaient à toute tutelle H. ] Une série de mesures législatives vinrent consacrer l'affaiblissement, déjàintroduit par les moeurs, de la tutelle des femmes. Ce fut contre la tutelle légitime que se manifesta tout d'abord la réaction ll fut permis au mari ayant sa femme in manu de laisser par testament à celle-ci le choix de son tuteur; alors celle-ci se choisit un tutor optivus' La femme put aussi échapper à la tutelle de ses agnats et se donner un tuteur de son choix à l'aide d'une coemtio /iduciae causa 13. Avec leur autorisation, elle se vend à celui qu'elle a choisi, puis il l'interroge et devient ainsi tuteur fiduciaire. Une lex Claudia supprima la tutelle des agnats 1'. D'autre part, les lois Julia et Papia Poppaea dispensèrent de la tutelle la femme ayant le jus liberorum" [L1nEftoRtsr Jus). Affaiblie par ces mesures, la tutelle des femmes finit par disparaître après le milieu du rve siècle', et il n'en est plus question dans le droit de Justinien. [ Pluralité de tuteurs. Il arrivait souvent que la tutelle de l'impubère fût confiée à plusieurs tuteurs, soit parce que l'enfant avait plusieurs agnats, soit parce que le père avait nommé plusieurs tuteurs testamentaires, soit même parce que le magistrat désignait plusieurs tuteurs. En pareil cas, les cotuteurs (levaient gérer tous ensemble et le faisaient pratiquement en se partageant l'administration par objets spéciaux ou par régions 17. Mais pour assurer l'unité de direction, ou par suite de l'absence ou de la folie de certains, le testateur, les tuteurs eux-mêmes ou le magistrat pouvaient aussi remettre l'administration à un seul 18, qui devait fournir aux autres, toujours responsables subsidiairement, la satisdatio rein pupilii salvam fore, imposée d'abord par l'Édit du Préteur aux tuteurs testamentaires, dispensés en principe de la fournir ". Si les cotuteurs ne s'entendaient pas sur le choix du gérant, le préteur le choisissait à leur place 20. S'il y avait plusieurs candidats prêts à satisdare, tous pouvaient être admis à gérer, ou bien ie TUT 558 TUT préteur prenait le plus honnête, le plus capable ou le plus solvable '. Le tuteur qui administre est le tutor gerens; le tuteur n'administrant pas s'appelletutorhonorarius [nononAnlus, p. 239] 2 ; le tutor notitiae gralia datus ne gère pas, mais doit mettre sa compétence au service du gérant 3. Protuteur. --Celui qui gère les affaires de l'impubère, en ignorant ou en sachant qu'il n'est pas le vrai tuteur, est un protuteur Sa situation juridique est à certains égards identique à celle du véritable tuteur ; ainsi l'Édit du Préteur donne contre lui une action protutelae' et lui accorde contre le pupille un contrarium judicium ; ainsi sa responsabilité se mesure sur celle du tuteur '. Mais le protuteur se distingue du tuteur en ce qui regarde certaines conséquences de son administration : le pupille peut agir contre lui, même avant d'avoir atteint la puberté 8 ; la vente faite par le protuteur ne lie pas le pupille, qui peut revendiquer la chose tant TUTELA1111. On appelaità Rome tutetarii les personnes qui s'étaient chargées spécialement de veiller à la conservation d'un objet et notamment d'un tombeau ou d'un monument quelconque '. Papinien 2 nous donne l'exemple d'un legs adressé à Titius, à charge de ne pas s'éloigner du monument du testateur. Celsus parle d'un legs fait à une cité, reipublicae Graviscanorum, en Étrurie, pour l'entretien de la voie qui conduisait de leur colonie à la voie Aurélienne, in tutelalrt nue (reficiendae) Quelquefois un testateur ordonnait la confection d'une habitation, locus habitationis, pour le gardien de son tombeau, eus/os semacri 6, et l'accomplissement de jeux', de cérémonies, ou de festins funèbres en l'honneur de sa mémoire 8. Scaevola nous rapporte les termes d'un legs, par lequel le disposant chargeait ses héritiers de dépenses d'entretien d'un bain, dont il assurait l'usage gratuit et public à ses concitoyens de Tibur, et le jurisconsulte 1 étend à tous les frais nécessaires d'appropriation, de his quoque sensisse qui ad cotidianam tutelanl pertineant 2.