Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article VENUS

VENUS ('Aif,poô)r1I)', -La déesse de l'amour, qui hante lanature et règne sur le coeur des hommes, est une divinité complexe, dont le caractère et le culte offrent une curieuse union d'éléments étrangers et helléniques2. Cette dualité apparaît déjà dans le mythe de sa naissance : d'après llomére,Aplsrodite est fille de Zeus etdeDioné't, tandis que, dans la Théogonie', elle sort de l'écume marine formée autour du membre viril d'Ouranos mutilé par Cronos. De cette dernière légende, qui valut à la déesse les épithètes les anciens tiraient la principale explication de son nom ; elle était celle qui a surgi des flots,l'Anadyomène 6. La VEN 722 VEN philosophie, en quête de symboles, dégagera de cette double provenance une antithèse morale ; d'après Platon, la fille d'Ouranos est la noble déesse Uranie ; la fille de Zeus et de Dioné, plus jeune, est l'Aphrodite Pandèntos t . La déesse d'IIésiode est l'épouse d'Arès" (fig.7383), dont elle a Phobos, Deimos, Ilarmonia3, et cette tradition semble avoir été capitale dans le culte 4. Mais la légende illustrée par le chant de Démodocos prévaudra dans l'imagination populaire : Aphrodite a contracté un mariage régulier avec Iléphaistos, qu'elle trompe pour l'amour d'Arès Parmi ses nombreux enfants 7, Éros brille au premier rang, sans que les anciens aient pu s'accorder sur le nom de son père8. 1. Origine et expansion du culte d'Aphrodite. Il est vraisemblable qu'il a existé en Grèce, dès une époque très ancienne, une divinité d'essence analogue à celle de l'Aphrodite historique 0; mais cette dernière offre de telles analogies avec plusieurs divinités orientales d'âge antérieur, qu'on doit admettre qu'elle en dérive pour l'essentiel". Même chez IIomère qui lui attribue une ascendance proprement hellénique, le souvenir de son origine étrangère subsiste : elle porte le nom de Iiér.pt; dans l'Iliade " ; l'Odyssée connaît son sanctuaire de Paphos'', et les deux poèmes font allusion à celui de Cythère 10. Or, Chypre et Cythère, colonies et comptoirs phéniciens, ont été comme les deux seuils par lesquels la déesse a pénétré dans le monde grec t4. Elle venait de l'Asie 10, où presque tous les peuples sémitiques ont adoré une divinité lunaire, principe de la fertilité et de la fécondité animale "6. C'était Atargatis-Derkéto à Ascalon ", Mvlitla à Babylone f8, Istar en Assyrie 19, et surtout Astarté chez les Phéniciens20. De Chypre et même, parfois, directement de Phénicie, cette religion se répandit, dès l'époque préhomérique, sur la plus grande partie de l'Asie Mineure et jusqu'aux rives de la mer Noire, puis aussi du côté de la Crète, vers les Cyclades, l'Attique et la région béotienne21. De Cythère, où l'avaient également introduite les Phéniciens, elle rayonna à travers le Péloponnèse, vers Sparte, Sicyone, Corinthe, Épidaure, l'Arcadie et l'Élide 22. Plus à l'ouest enfin, Aphrodite s'établissait sur le mont Éryx, en Sicile, à Carthage et dans le Latium 23 Il. Caractères d'Aphrodite. Aphrodite était vénérée à Cnide, un de ses lieux de séjour favoris, sous les trois formes d'xxpxix, aé7 Xatx et ôcnpiTI, 24, c'est-à-dire sous ses trois principaux aspects de déesse céleste, marine, et terrestre. Comme le dit Euripide, sa. puissance s'étend sur \'EN 723 VEN toute la nature', sans en excepter l'homme dont elle perpétue la race par l'amour. Rappelons les vers del'Ilippolyte: « Cypris vit dans les airs, comme elle est au fond de la mer; tout est né d'elle; c'est elle qui fait germer et qui fait naître l'amour, auquel, tous sur la terre, nous devons la vie 2. » C'est à ces différents points de vue qu'il convient d'étudier Aphrodite. 1. Aphrodite astrale et céleste. Aphrodite armée. Par suite de la concurrence d'autres divinités lunaires, l'Aphrodite grecque n'est pas unie à la lune par des liens aussi étroits que ses prototypes orientaux 3. Cependant, les épithètes (lui lui sont décernées de Axai fEaax, Ilxatuz•q, 11«a:94;,', ses appellations d'Aarecix ° et d'O' miz sont assez significatives. Uranie est identique à l'Astarté lunaire des Sémites, qui reparaît à Carthage sous le nom de Viryo Caelestiss. Les rapports d'Aphrodite avec l'astre nocturne sont encore impliqués dans le mythe de Phaéthon, que la déesse a ravi pour en faire le gardien de son temple 7. Phaéthon est, en effet, l'étoile du matin et du soir, astre que son vif éclat fait naturellement associer à la lune dont il semble être le brillant acolyte s. Celte étoile, d'ailleurs, est aussi nommée étoile de Vénus 9, et l'assimilation de la déesse à cet astre double a peut-être contribué, à Chypre et en Pamphylie, à la conception d'une Aphrodite androgyne to D'une facon plus générale, Aphrodite est la déesse des espaces célestes; aussi réside-t-elle sur les hauts lieux qui baignent dans l'éther. Son culte était parfois célébré sub divo, à Paphos par exemple, où elle porte le nom d'As b. ". En plusieurs endroits, comme à Chypre 12, à Cnide", à Corinthe 1', à Argos' à Trézène 10, elle est vénérée à titre d"Axpa(a i1. Protectrice des acropoles, elle est aussi une déesse arméef8 (fig. 7384, ce qui peut, d'ailleurs, être dît à l'analogie établie entre les rayons sidéraux et des flèches ou des lances, ou au rapport imaginé entre la lune et l'orage, dont le tumulte emplit les nuées 18. Ce caractère guerrier apparaît surtout à Chypre2D, à Cythère 21, à Corinthe J2, à Sparte, où l'on signale une Aphrodite 'Aoiia 23, à Argos, où la déesse est 2. Aphrodite marine, Ainsi que les divinités orientales de nature analogue, Aphrodite est en relation étroite avec l'élément humide et liquidez'. Les Grecs reconnaissaient en elle une déesse de la mer le, peut-être à cause de l'influence de la lune sur le flux et le reflux", peut-être aussi parce que, conçue, à titre d'Uranie, comme déesse du beau temps2", elle devait favoriser la navigation. Son nom même, on l'a vu, rappelait aux anciens sa naissance marine 29. On la qualifiait de 7 ssr(x.30, eivx),(-r1 31, Oa),aaaa(l32 et on l'évoquait, portée par Zéphyre, dans la molle écume, des parages de Cythère àChypre, où l'accueillent les heures aux bandelettes d'or 33 (fig. 7385). VEN 721 VEN Parfois, on la disait fille de Zeus et de la mer et des artistes montraientThalassa la soulevant hors des flots, tandis que Tritons et Néréides célébraient joyeusement son apparition2. Elle est l'Anadyoméne, qui règne surles eaux dont elle est sortie «fig. 7386), et il est vraisemblable que plusieurs légendes faisaient d'elle l'amante de Poseidon, à qui nous la voyons fréquemment associée dans le culte 4, à Panticapée 6, à iEges en Cilicie 6, à l gine7, à Corinthe à Patras à Orchomène' 0. Le coquillage deviendra un des attributs de la déesse"; le dauphin 12, l'alcyon 13, le pompilos f4, le cygne" lui étaient consacrés (fig. 7387), tous démons de la mer tranquille ou annonciateurs du beau temps f 6. Sereine et douce, ya ' va n f7, elle calme le vent et les vagues" ; son sourire luit dans les ondes lumineuses ; elle rassure et protège contre le péril de mer 19, envraieDame du Bon-Secours20 On la consultait, à Paphos, au sujet de Fig. 7386. Aphrodite la navigation 21, et elle était vénérée Anadyomène. sous les noms de Nruo ,h 22 ou d'Ellzaotx 23, comme à Cnide 2', et à Athènes 25. L'Aphrodite Aiso(o. , dont le culte est attesté dans le golfe de Salonique, à Zacynthe, à Leucade, à Actium, en Sicile et sur les côtes latines 26, est une des formes de la Pélagia21; aussi a-t-on pu dire que l'Énéide offrait, réunis a par la chaîne continue du voyage d'I1née, les différents temples oit les voyageurs des routes maritimes allaient adorer sa mère Aphrodite 2" n. 3. Aphrodite dôritis et chthonienne. On ne saurait être surpris qu'Aphrodite, déesse de l'astre qui produit la rosée99 et souveraine de la mer, soit encore le principe de la fertilité terrestre 30. Grâce à elle, les forces végétatives sont réveillées à chaque printemps, quand le ciel s'épanche en tièdes ondées pour féconder le sein de la terre, qui donnera ses fruits aux mortels 31. Aussi les poètes nom l'arbre de mai en son honneur33; et nous avons signalé son culte cnidien sous le vocable de c"topi'rtc, qui rappelle ses bienfaits 3'". Quand la déesse aborde à Chypre, un vert gazon se déroule sous ses pas et toujours, pour elle, les VEN -72iVEN chemins se couvrent de fleurs'. Elle les fait naître et leur parfum imprègne ses voiles 3 ; elle est la fleurie, «vOE(x 4. Avec les Nymphes et les Charites, elle en tresse d'odorants chapelets, sur l'Ida s, et elle aime, entre toutes, l'anémone, le myrte et la rose °. Elle aime aussi les bosquets et les frais jardins' qui lui étaient souvent consacrés, à Athènes par exemple, où Uranie était vénérée iv x ,,notç $ [HORTUS]. Le rapport intime d'Aphrodite avec la végétation printanière apparaît bien dans son union avecADoxis °, qui en est le symbole lo L'existence du héros est éphémère comme celle des plantes fragiles qu'on lui dédiait à ses fêtes (fig. 113)11 ; après les six mois de belle saison, tandis que l'automne recueille les fruits et que l'hiver dépouille les champs de leur parure, il doit retourner dans les Enfers"-. Aphrodite, dès lors, n'est plus la souriante et la dorée '3 ;elle s'afflige de ce départ7' et se voile dans le deuil universel de la nature : elle aussi descendra chez les morts 1°. Associée au déclin de la fertilité, elle prendra un caractère sombre" et funèbre", qui s'affirme parfois dans le culte 13, et qui fait d'elle une seconde Perséphone 19. Mais Aphrodite réapparaîtra triomphante, et c'est à cause de ce triomphe périodique qu'on la concevra sans doute comme libératrice de l'Hadès 20. 4. Aphrodite déesse de la fécondité, du mariage et de la famille. Le réveil des énergies végétales n'est qu'un des aspects de l'influence exercée par Aphrodite sur tout ce qui participe à la vie. C'est la forme élémentaire de l'impulsion générale des êtres à propager leur espèce ; les poètes, dans leur langue imagée, lui donnent comme principe une forme supérieure du même instinct. en disant, qu'au printemps, le ciel vénérable et la terre son épouse sont transportés d'amour et désirent s'unir 21. Aphrodite inspire à toutes les créatures le penchant sexuel et elle préside à leur fécondité 22 ; on peut voir dans tel détail du mythe de sa naissance un symbole de cette fonction 23. Les oiseaux de l'air, toutes les bêtes de la terre ferme et de la mer ont le souci de ses travaux 24. Quand elle passe sur l'Ida, elle jette le désir dans la poitrine des loups, des lions, des ours, des léopards, et tous, à la fois, s'accouplent dans les vallons ombragés". On consacrait, d'ailleurs, à Aphrodite les animaux de nature ardente ou prolifique, le bélier par exemple et le bouc, le lapin et le lièvre, la colombe et le passereau 2e. Chez l'homme, c'est l'union stable et légale des sexes qui assure la perpétuité de la race. Aussi Aphrodite estelle une divinité de la famille et du mariage 27. Elle veille FEN 726 FEN à l'accomplissement des promesses des fiancés' et donne le bonheur aux époux 2 (fig. 7388). Le caractère noble et sacré de l'amour conjugal se reflète dans la grave Uranie que Phidias avaitreprésentée le pied posé sur une tortue 3, emblème des vertus domestiques '. Il faut sans doute recon naî ire des divinités analoguesdansl'Aphrodite-Héra de Sparte dans l'Aphrodite Ilarma de Delphes dans l'Aphrodite-Olympia de Sparte 7, et de Sicyone, où ses prêtresses étaient astreintes à la chasteté 8. La déesse, qui, déjà dans l'Odyssée, prenait un soin maternel des filles de Pan dareus °, veillait aussi sur la naissance et sur l'éduca tion des enfants 70. Sa nature de Gourotroplie est particu lièrement sensible à Athè nes" et son rôle de déesse tutélaire de la famille s'af firmera encore dans le type romain de la Venus Genetrix12 (fig. 7389). 3. Aphrodite déesse de la beauté, de l'amour et du plaisir. Mais ce grave aspect se trouvait souvent éclipsé par des images plus légères, et ce n'est point comme divinité de la famille et du mariage qu'Aphrodite intervenait principalement dans la vie des anciens. Source de la beauté, idéal accompli des charmes féminins, elle est avant tout la déesse de l'amour et du plaisir. Déjà chez Homère, qui l'oppose à la sévère Athèna, lie est efféminée et amie de la volupté". Les poètes la disent aussi douce que le miel"; ils glorifient l'éclat de ses yeux et le contour parfait de ses paupièresfl, le sourire de sa bouche 10, la pureté de son sein et de sa nuque", l'éblouissante blancheur de ses pieds 18 ou de ses bras '°, et le plus bel hommage qu'on puisse rendre à une femme est de la rapprocher d'Aphrodite d'or 20. Elle sait l'art de rehausser les dons naturels par la toilette et la parure 21 ; d'après les Chants Cypriens, où étaitracontée la victoire d'Aphrodite sur les deux déesses rivales", les Charites et les Heures ont tissé ses voiles 23 ; elles les ont imprégnés de la couleur et du parfum des fleurs qui composent aussi sa couronne, etla déesse exhale une doue odeur de crocus, d'hyacinthe, de violette, de rose, de narcisse et de Les Grâces forment son cortège25, avec Pei thé qui persuade 26, Hilnéros et Pothos, symboles du regret amoureux et du désir21,Lros surtout(fig.7390)28,son fils2" et son ministre30. Sa ceinture, qu'elleprête à lléra31 recèle un charme pour séduire 32. D'elle viennent les dons qui attirentle coeur etauxquels on lavoit elle-mêmesensible, quand oncles trouve dans la personne de ses amants VEN ou de ses favoris, comme Phaéthon 1, Phaon Cyniras Boutès4, Pâris', Enéee, Adonis' et Anchise'. Aphrodite, en effet, s'est unie à un model sur l'Ida pleine de sources 9, et le souvenir de sa tendresse pour Adonis s'éternise dans la rose empourprée du sang du héros et dans l'anémone qui fleurit de ses larmes de déesse 10 Aphrodite n'a donc pas échappé à la loi qu'elle fait régner sur les dieux et sur les hommes ", châtiant cruellement tout être qui refuse de s'y plier ". Elle incline le cœur à sa volonté", d'autant plus irrésistible qu'elle se déchaîne de préférence sur les femmes ": Ilélène (fig. 7391), Médée, Pasiphaé, Ariane, Phèdre, Ilippodamie sont autant de victimes qui l'ont subie comme une sorte de fatalité". Cruelle et douce à la fois, dispensatrice de tourments et de bonheur, Aphrodite est une puissance invincible 16 ; un poète la fera même triompher de la mort, quand il évoquera les amoureuses errant aux 727 YEN Enfers, dans les bosquets de myrte, toujours en proie. à leur souci 17. Aphrodite se présente aussi à nous avec le caractère moins tragique d'une simple divinité du plaisir". Une interprétation postérieure a spécialisé dans cette fonction la Pandèmos, mise dès lors en opposition radicale avec Uranie, la déesse de l'amour noble et pur 1J, bien que cette opposition d'ordre moral ne repose sur aucun fondement mythologique 20. A titre de déesse du plaisir, Aphrodite était entourée, en Grèce, comme en Asie, d'hiérodules qui se prostituaient aux visiteurs des temples [mERODUTA]. Cette forme de culte paraît dériver21 d'un autre usage constaté en Asie -2, à Chypre 23, et même en Grèce 2t, d'après lequel les jeunes filles, avant leur mariage, ou les femmes, une fois dans leur vie, devaient sacrifier leur pudeur à Aphrodite, et faire commerce de leurs charmes. L'argent gagné de la sorte enrichissait le sanctuaire de la déesse 23, ou servait à la constitution d'une dot". Mais, outre que ces derniers détails sont d'une date relativement récente, il semble bien, qu'à l'origine, l'usage en question ait été spécial aux jeunes filles", qui ne pouvaient s'abandonner qu'à des étrangers". Cette pratique prématrimoniale n'était qu'un expédient pour détourner sur un tiers le péril que l'imagination des primitifs attache au commerce avec une vierge 29. Elle n'avait d'abord rien à voir avec la religion, mais elle a été englobée par le culte de la divinité qui présidait VEN 728 VEN aux rapports entre les sexes. On en viendra à la concevoir comme une offrande qui lui est agréable', et dont le sanctuaire peut même tirer un profit matériel 2. En conséquence, on jugera bon de la répéter, et on tendra vers l'institution permanente; les jeunes filles feront alors un séjour plus ou moins long auprès de la déesse 3 ; les femmes y viendront également, et bientôt les unes et les autres seront remplacées par des esclaves appartenant au temple, véritables professionnelles de l'amour '. C'est ce que nous voyons en Sicile, sur le mont Éryx et à Corinthe 6 ; dans ce dernier lieu, plus de mille jeunes femmes étaient consacrées à Aphrodite et enrichissaient le sanctuaire aux dépens des étrangers Aux grandes occasions, elles invoquaient la déesse au nom de la cité, et, lors de l'invasion persique, on les voit contribuer au salut commun par leurs prières a. Simonide composa une épigramme en leur honneur °, et Pindare ne dédaigna pas de les chanter, à propos d'une troupe d'hiérodules offerte par un Corinthien, victorieux à Olympie 10, Rappelons enfin qu'à Athènes un lien particulier unissait les hétaïres au culte d'Aphrodite Pan C'est ainsi qu'Aphrodite, parfois nommée `Etiaira. 12 et IIdpvr~ 13, devint la patronne des courtisanes 74 (fig. 7388) ; celles-ci la glorifient par leurs charmes et les passions qu'elles allument; elles sont ses prêtresses, usurpent même son nom et ses honneurs". Al'époque où l'art, répudiant la gravité religieuse du passé, ne songe plus qu'à représenter dans Aphrodite la perfection de la beauté féminine, Praxitèle et Apelle s'inspirent de célèbres hétaïres''; Phryné jouait à l'Anad■ ()mène, eu se jetant toute nue dans la mer, aux yeux d'un peuple émerveillé t7. III. Les sanctuaires, le culte et les feues d'A phrodite. Nous avons déjà mentionné incidemment quelques-uns des sanctuaires d'Aphrodite; mais il est bon de réunir ici les principaux d'entre eux, en insistant sur les détails les plus intéressants du culte, et sur les fêtes qui s'y rattachent. A proximité de la Syrie, de la Phénicie, et de la Palestine, le centre le plus important du culte d'Aphrodite est l'île de Chypre, où la légende, nous l'avons vu, faisait aborder la déesse '8, et où un mois 'Aci.oolictoç lui était consacré19. Tous les ans, hommes et femmes de l'île entière accouraient à la grande panégyris de Paphos "; de là, ils se rendaient en procession jusqu'à Palaipaphos ou Golgoi, à soixante stades de distance 2t. C'est vraisemblablement à cette même fête que, dans les mystères institués par Cinyras, on distribuait un phallus et du sel à chaque rnyste39. Si la prostitution sacrée n'était, à l'origine, circonscrite à aucun jour spécial, ni liée à aucune fête précise, parce qu'elle était d'abord indépendante du culte, rien n'empêche qu'elle n'ait figuré par la suite dans les cérémonies de Paphos, comme cela est attesté, par exemple, pour les fêtes de Byblos". Aphrodite était aussi vénérée à Salamine24, sur l'idalion2`, et à Amathonte", où l'on doit peut-être localiser 2' une offrande attestée pour Chypre, à la date du 1 er avril": on présentait en holocauste à la déesse une brebis recouverte encore de sa toison 20, ou bien, selon une interprétation moderne, cette brebis était offerte par les fidèles revêtus eux-mêmes de la toison de l'animal30. En tout cas, c'est bien à Amathonte que se perpétuait une curieuse coutume auprès du tombeau d'AphroditeAriane' : dans des cérémonies célébrées le 2 du mois Gorpiaios,un jeune homme imitait une femme en proie aux douleurs de l'enfantement; on voyait là un souvenir d'Ariane, morte en couches dans l'île, et en l'honneur de laquelle Thésée avait institué des sacrifices. Mais il est évident que Thésée n'est intervenu qu'après l'assimilation faite entre l'Aphrodite de Chypre et la déesse crétoise Ariadnè 32. Ce rite, dans le culte d'une déesse de la fécondité, aété expliqué comme un procédé de magie sympathique, destiné à faciliter les accouchements"; peut-être est-il aussi l'ondé en partie sur l'ancienne conception d'une divinité androgyne'', conceptionquis'affirmeencoredansl'1phroditoschypriote''. En Asie-Mineure, nous voyons Aphrodite à Cnide sous le vocable d'F,uploia 35, à Halicarnasse 37, à Aphrodisias 1X. VEN -729VEN qui lui doit son nom 1 et où elle était honorée par des jeux publics en tant que déesse de la cité 2, à Mylasa sous les deux aspects d'Euploia et de Pandèmos 3, à Iasos, où existait un mois 'A?poôtctJly 4, et, comme Hélaira, à Éphèse °. Myrrhina avait adopté l'Aphrodite Cnidienne 6, et Abydos Aphrodite Pornè, analogue à celle d'Éphèse 7. La déesse possédait encore de nombreux sanctuaires en Troade et nous retrouvons en Bithynie un moisd'Aphro Au Sud, elle était établie dans les îles doriennes, à Rhodes 10, à Milo, d'où provient la belle statue du Louvre (fig. 7397), en Crète, sous le nom d'Antheia 11, à Cythère, dont le temple était, au dire de Pausanias, le plus ancien et le plus vénérable de toute la Grèce 12. Dans l'île de Cos, le mois Panamas semble avoir été spécialementconsacréàladéesse; lesinscriptionsmentionnent, pour le 7, à Halasarna, le sacrifice d'une chèvre par le prêtre d'Apollon; pour le 9, celui d'une chèvre et d'un cochon de lait13, et encore diverses offrandes parles fermiers des jardins sacrés 14 ; à Isthmos, au début du même mois, Aphrodite Pandèmos recevait un chevreau Les îles ioniennes étaient aussi un des lieux de séjour d'Aphrodite 16. Le temple de Samos avait été fondé par les hétaïres qui suivaient l'armée de Périclès A Naxos, le mythe d'Ariane se rattache évidemment à un culte local de la déesse 16. Délos possédait un sanctuaire 19 où une antique image d'Aphrodite, offerte par Ariane à Thésée, avait été consacrée par le héros victorieux 20. Thésée passait aussi pour avoir institué la fête du mois d'llécatombaion, célébrée en l'honneur d'Aphrodite, et sans doute d'abord en l'honneur d'Ariadnè, divinité locale de nature analogue 21. L'acte principal de cette fête était la danse de lagéranos, exécutée le soir, aux flambeaux, par des chœurs de jeunes garçons et de jeunes filles [SALTATio]. Parmi les îles de l'Égée, Lesbos 22, Lemnos 23 et Samothrace 24 étaient encore des centres de culte importants. Dans lit Grèce du Nord, Aphrodite était vénérée à Ainos, ville de Macédoine dont Énée passait pour l'éponyme 25, et nous la trouvons sous le vocable d'Aineias à Dodone 26, à Ambracie 27, à Actium 23 et à Zacynthe, où étaient célébrés en son honneur des agônes qu'on disait établis par Énée 29. Un mois "Acptoç est signalé à Larisa30 et dans la I'errhaibie 31, un mois 'ArpoÔtetwv à Magnésie 32. On voyait à Pharsale un temple d'Aphrodite Peithô 33, à Tricca un temple ainsi nommée, disait-on, à cause du meurtre de Laïs par les Thessaliennes jalouses 3a. Signalons, dans la Grèce centrale, l'Aphrodite Épitumbia de Delphes 3° et l'Aphrodite Né-laina de Thespies 3°. A Thèbes, Harmonia avait consacré trois images de bois d'Aphrodite Ourania, Pandèmos et Apostrophia 37. Pour Athènes 38, les principaux sanctuaires de la déesse étaient les suivants temple d'Aphrodite Hippol ytia, sur la pente sud de l'Acropole 33, temple de laPandèmos4°, dans les mêmes parages, parfois considéré comme identique au précédent 41. Uranie, qui résidait aussi au Koldnos agoraios 42 et dans le dème d'Athmonia 43, se retrouvait dans les Jardins, i' Ki ootç, auprès de l'llissos 44; un passage souterrain reliait ce téménos à l'Acropole". Au mois de Skiropho VEN riôn, à la fête de l'Arrhèphorie, la prêtresse d'Athèna con fiait aux Arrhèphores certains objets qu'elles devaient porter sur leur tête, par ce chemin secret, à l'Aphrodite des Jardins. Les jeunes filles, dont c'était là le dernier acte sacerdotal, étaient chargées, au retour, d'un autre fardeau mystérieux'. Il s'agissait probablement de renouveler ainsi auprès d'Aphrodite la vertu d'un talisman sans doute obscène2, en vue de la fertilité des campagnes et de la fécondité animale 3. Au Pirée on voyait encore le sanctuaire d'Aphrodite Aparchos établi par Thémistocle", et celui d'Aphrodite Cnidia fondé par Conon, en souvenir de la victoire maritime de 3945. Mentionnons enfin Aphrodite Relias qui séjournait au cap du même nom'. En Pyanepsion, lors des Thesmophories, les femmes se rendaient en gais cortèges auprès d'Aphrodite Kôlias pour obtenir de nombreuses et heureuses naissances". On célébrait aussi à disies s, semblables à celles que nous signalerons à Corinthe. De même, à Égine, de grandes réjouissances, dont Aphrodite était le prétexte, terminaient les Poseidonies ; les courtisanes surtout y prenaient part, et telle fut sans doute l'occasion où Phryné se jeta nue dans les flots 9. Mégare vénérait Aphrodite Épistrophi.a10 et Aphrodite Praxis"; Argos, Aphrodite Aléria 12, qui semble identique soit à l'Ourania L3, soit à la Nilcèphoros14 attestées dans le même lieu. C'est probablement à l'Aphrodite Nikèphoros qu'il faut rattacher la fête des Hybristika '3, où les hommes et les femmes échangeaient entre eux leurs vêtements '° ; Plutarque voit dans cette pratique un souvenir de la conduite virile des Argiennes, qui, lorsque leurs époux eurent été exterminés par Cléomènes, s'armèrent et sauvèrent la cité sous la conduite de Télésilla'". Plutarque ajoute que la pénurie de citoyens ayant forcé les Argiennes à contracter de nouveaux mariages avec des périèques, inférieurs en dignité, une loi prescrivit aux femmes de passer la nuit de leurs noces affublées d'une fausse barbe 18. Ces détails, qui s'éclairent l'un par l'autre, permettent de retrouver dans les Hybristika des vestiges de coutumes primitives sans rapport avec l'Aphrodite guerrière. Ces fêtes dérivent peut-être de rites matrimoniaux n amenés par les mêmes croyances que la prostitution sacrée, et destinés à tromper, par un changement d'aspect, les démons hostiles à l'homme 20 Sur la roule d'Argos à Mantinée se trouvait le temple d'Aphrodite et d'Arès, fondé, disait-on, par Polynice. 2' à Hermione était vénérée Aphrodite Ponlia ou Liménia 22, et le temple d'Aphrodite Nymphia, dédié par Thésée après son union avec Hélène, était situé entre Hermione et Trézène23. Cette dernière ville, parfois nommée Aphrodisias 24, avait une Aphrodite Kataskopia"6 et un temple d'Aphrodite Akraia, dû à la colonie d'Halicarnasse 26 En Achaie, le culte d'Aphrodite fleurissait particulièrement à Corinthe ; la déesse était dite Akraia sur la citadelle 27, et 117élainis dans le bois de cyprès du Kraneion, où elle était entourée de nombreuses hiérodules 28. Celles-ci jouaient un rôle capital dans les fameuses Aphrodisies corinthiennes ; tandis que les femmes et les filles de citoyens, qui célébraient la fête à part, se bornaient à une offrande à la déesse, les hétaïres se répandaient, toute la nuit, en joyeux et bruyants kômoi, dont l'ardeur était entretenue par de copieuses libations 29. Aphrodite régnait encore à Sicyone, où son caractère plus grave s'exprimait dans l'image due au ciseau de Kanachos 30. L'Arcadie nous offre la !llélainis de Mélangeia 3L, la Paphia de Tégée 32, l'Érycinè de Psôphis 33, l'Ourania et la Pendèmos de Mégalopolis u`. L'Ourania éléenne a été illustrée par Phidias 3'. A Sparte, dans le plus ancien sanctuaire de la déesse 36, on voyait, au rez-de-chaussée, une Aphrodite armée 37, et, à l'étage, Aphrodite lbtorphd 38, assise, la tête voilée et les jambes chargées de chaînes". On signale encore dans cette ville une Areia u, une Olympia 4', une Alnboloyèra qui retardait la vieillesse 42, et, à Gytheion, en face de Cranaé, une Aphrodite ii[igdnitis, dont Pâris avait établi le culte après avoir obtenu Hélène "3. Il convient de mentionner, parmi les sanctuaires de Sicile, celui d'Aphrodite Erycinè sur l'Éryx 44, célèbre par ses trésors, ses courtisanes, et ses colombes, qu'on YEN -731 VEr, supposait prendre part à un voyage annuel de la déesse. A l'époque de son départ ('Av .ycùy-i), quand elle était censée se retirer en Libye, ses oiseaux devenaient invisibles ; neuf jours après, une colombe qui surgissait de la mer revenait au temple, bientôt suivie des blanches messagères, annonciatrices du retour divin (Kxrcerwyr,) 1. Il y avait encore des cultes importants d'Aphrodite à Ségeste 2, à Naxos 0 et à Palerme 4. C'est vraisemblablemen tà IIybla qu'il faut localiser la fête décrite dans le Pervigilium Veneris, peinture intéressante des plaisirs nocturnes chers à celle qu'un hymne orphique appelle nuits, des groupes joyeux erraient en chantant, sous le couvert des myrtes, dans le bois sacré de la déesse 6. Nous avons rappelé, à propos des différents sanctuaires, les principales fêtes d'Aphrodite. 11 conviendrait d'y joindre les Adônies ' où on la célébrait en divers lieux, comme Chypre, Athènes ou Alexandrie, à côté de son bien-aimé [ADONIS]. Les Adônies n'avaient d'ailleurs, comme la plupart des fêtes précédentes, aucun caractère public 8. En dehors du culte proprement dit, les fêtes d'Aphrodite, qui, sauf de rares exceptions, ne sont désignées que par le terme général d'Aplarodisia, n'ont été le plus souvent que des réjouissances populaires ou des pratiques particulières à certaines associations qui n'intéressaient point la vie de la cité. Les courtisanes les accaparèrent 1G, et l'on finira par nommer Aphrodisia toute partie de plaisir IV. Aphrodite dans l'art. On fait généralement dériver de la Babylonie et de la Chaldée le type le plus ancien d'Aphrodite, caractérisé par une complète nudité 12 Les images d'Istar dépouillée de ses vêtements 13 auraient été imitées en Phénicie et à Chypre, et se seraient disséminées, par l'intermédiaire de ces pays, en différents points du monde grec 74. La nudité est le trait commun aux plus anciennes images de cette déesse de la nature et de la fécondité, que les peuples orientaux ont adorée sous divers noms. Nous en possédons de curieux exemplaires provenant de Susiane et de Chaldée f6, d'Asie Mineure 16, de Mycènes 17 et surtout de Phénicie 18 et de Chypre 19. L'Aphrodite chypriote (fig. 7392), type achevé de ces figurines primitives, est représentée debout, les hanches puissantes et le sexe fortement accusé. Ses deux mains sont posées sur sa poitrine, comme si elle voulait presser son sein20. l1 se peut aussi que parfois une des (nains ait été portée vers le bas-ventre pour attirer, semble-t-il, l'atten tion vers la source de la fécondité". Au contraire de l'Aphrodite orientale, l'Aphrodite de l'art grec archaïque apparaît toujours vêtue 212; mais quelques représentations de l'archaïsme le plus ancien rappellent encore, par leur attitude, celles des âges antérieurs. Les deux bras restent posés sur la poitrine "3, ou bien l'une des mains est abaissée pour retenir les plis du vêtement 2' 11 arrive aussi qu'une colombe est placée sur le bras relevé comme dans une figurine du Louvre 24 (fig. le beau torse du Musée de Lyon (fig. 7391) 26. D'autres fois, la déesse tend une fleur 27 ; la statue de Kanachos, à Sicyone, différente des images précédentes par sa position assise 23, avait comme attribut une fleur de pavot2° Le type ionien s'est longtemps perpétué pour représenter la ?c),ou.N.et;e0 ; cependant quelques supports de miroir nous font assister à une simplification progressive 31, et l'on discerne plus de gravité dans la le bord de sa draperie elle tendait une pomme 18. Vénus de Milo se distinguent par la complète nudité du torse. Il en est de même de la Vénus d'Arles 19, où l'on reconnaît généralement la copie d'une oeuvre de Praxitèle 20; la déesse, occupée à sa toilette, tenait un miroir dans la main gauche et de la droite elle arrangeait les boucles de sa chevelure2t. C'est peutêtre à Scopas qu'il faut attribuer la première statue entièrement nue d'Aphrodite 22 ; en tout cas, la Cuidienne23 de Praxitèle (fig. 7398) est la plus fameuse des statues de cc genre et le scrupule des gens de Cos, à qui elle était destinée, était encore dans toute sa l'illustra 2". VEN 732 VE tête de l'Aphrodite Ludovisi . On retrouvait sans doute les caractères du style sévère dans l'Aphrodite de Calamis, que. l'on a identifiée avec la Sôsandra du même artiste'. Le dossier du « trône Ludovisi n, qui représente Aphrodite accueillie par les Heures au sortir de la mer, offre un charmant exemplaire des images de la déesse au début du ve siècle (fig. 7385). Il est certain que Phidias a exercé une grande influence sur la manière dont son époque a représenté la déesse. Mais, sauf l'Aphrodite de la frise du Parthénon assise auprès d'Éros, la tête voilée, dans une pose calme et recueillie' (fig. 7390), nous connaissons fort peu les créations du grand maître du ve siècle De la célèbre statue chryséléphantine d'Élis nous savons seulement qu'elle avait le pied posé sur une tortue 5. Nous sommes mieux renseignés sur l'oeuvre d'un élève de Phidias, Alcamène on reconnaît généralement des répliques de son Aphrodite des Jardins' dans les statues du type de la Venus Genetrix (fig. 7389) 7, dont la Vénus deFre' us, au Louvre, est l'exemplaire le plus parfait'. La déesse, qui tend une pomme, soulève de la main droite audessus de son épaule les plis du chitôn, qui laisse à nu la partie gauche du bustes. Aphrodite, strictement voilée pendant toute la période archaïque, commence à se dévêtir, et il est certain que Phidias était allé déjà dans cette voie, quand il avait représenté, sur le trône du Zeus Olympien, la naissance de l'Anadyomène 10 Les artistes du Ive siècle se sont attachés avec une véritable prédilection à rendre l'image de la déesse. Auprès de l'Uranie de Phidias, à Élis, Scopas avait représenté Aphrodite Pandèmos chevauchant un bouc ou une chèvre" (fig. 7395), et l'on attribue au même sculpteur l'original de la Vénus de Capoue 12 (fig. 7396). La déesse, dont le torse est nu et le pied gauche posé sur une éminence, se mirait dans un bouclier qu'elle tenait des deux mains, appuyé contre sa hanche gauche 13. La Vénus de Milo la plus célèbre des statues conservées d'Aphrodite 13, offre de grandes analogies avec la précédente 16 (fig. 7397) ; l'auteur de cette oeuvre originale semble avoir vécu au temps de Scopas, et peut-être même dans l'entourage immédiat de ce maître 17 ; avec sa main droite la déesse retenait tombante, et de l'autre La Vénus de Capoue et la prouve bien que le motif nouveauté, quand l'artiste Cette oeuvre a suscité des répliques nombreuses25 (fig. 7399), dont la plus connue est celle de la Glyptothèque de Munich26 et la meilleure, celle du VEN 733 VEN Vatican,; la tête de la collection Kaufmann, à Berlin 2, et celle de Martres-Tolosanes 3 gardent encore les traits de la Cnidienne; nous avons même, dans la belle tête d'Aphrodite de la collection Leconfield, à Petworth, un original de Praxitèle apparenté au type précédent 4. La Cnidienne est apparue aux artistes postérieurs comme l'image idéale d'Aphrodite. Ils s'en sont fortement inspirés pour constituer un nouveau typer', celui de la Vénus pudique, connu par un grand nombre de répliques', parmi lesquelles la Vénus de Médicis' et la Vénus Capitoline 3 retiennent surtout l'attention. La coiffure s'est compliquée, et le visage n'a plus la même expression de tranquillité sereine ; le bras gauche est abaissé, au lieu du bras droit, et la déesse, craintive, cache sa poitrine de l'autre main'. Le dévoilement complet d'Aphrodite est désormais chose consacrée 70; on s'attache aux sujets qui justifient sa nudité, tels que le bain, motif déjà utilisé pour la Cnidienne et qu'on reprend dans la Vénus accroupielt (fig. 71100) ; les sculpteurs tireront aussi parti du motif de l'Anadyolnène, rendu célèbre par le tableau d'Apelle, où l'on voyait la déesse sortant de l'eau à mi-corps et tordant sa chevelure (fig. 7386) 12. La toilette d'Aphrodite deviendr~a ùn des thèmes préférés de l'art 13 ; on la montrera serrant sa ceinture contre sa poitrine 14, mettant ou déliant sasandale15 dont elle use, au besoin, pour châtier Éros 1a ou un admirateur indiscret' 7 (fig. 7401). On arrive ainsi aux purs sujets de genre, et il est clair que les artistes sont beaucoup moins préoccupés de la déesse que d'exprimer, à propos d'elle et sous un prétexte quelconque, toutes les grâces d'un jeune corps". V. Italie et Ilonze. 11 existait en Italie, avant toute influence hellénique, une divinité de la nature florissante, du printemps et des charmes terrestres, qui apparaît sous plusieurs aspects. Telle était FERONIA f9, vénérée particulièrement à Trebula Mutuesca, en Sabine 20, et au pied du Soracte, chez lesltrusques L1. Elle résidait aussi près de Terracine22, et à Rome23, où elle avait un temple, au Champ de Mars, et une fête célébrée le 13 novembre24. Telle encore FLORA, qu'on retrouve en divers points de l'Italie centrale, déesse de tout ce qui s'épanouit, symbole de l'universelle fécondité 2G. Flora possédait un flamine 2' et deux temples à [tome, l'un sur le Quirinal 27, l'autre fondé en 516=238 auprès du Circus flaxirnus 28.Des jeux d'un caractère trèslibre, les FLORALIA, furent institués à cette même date; ils devinrent annuels à partir de 581173 et duraient, à l'époque d'Auguste, du 28 avril au 3 mai". Vénus était une déesse analogue aux précédentes, mais son importance fut singulièrement accrue par son assimilation avec l'Aphrodite des Grecs. Des savants romains, comme Cincius et Varron, attestent que Vénus n'était citée ni dans les chants des ' Saliens, ni dans aucun document datant de l'époque des rois 30. Cependant, le nom foncièrement italique de la déesse suffirait à prouver son caractère autochthone; on y voit un équivalent de xp:ç, car Vénus représente ce qu'il y a d'aimable et de souriant dans la nature au moment de la belle saison3l. Elle est, à l'origine, la protectrice des champs, des jardins, et de ceux qui les cultivent 32. Plus tard seulement, les conceptions helléniques s'introduisant sous le couvert des divinités latines, elle apparaîtra aussi comme la déesse de la beauté féminine et de l'amour33. VEN 73.i VEN Le culte de Vénus doit avoir été fort ancien à Albe et à Gabies'; nous savons, d'autre part, qu'elle possédait deux sanctuaires importants à Ardée et à Lavinium, ce dernier étant commun aux divers peuples latins qui s'y réunissaient sous la présidence des Ardéates 2. En 537= 217, les decemviri sacris faciundis vinrent à Ardée pour sacrifier à la déesse3, et c'est d'Ardée que semble dériver le culte romain de Vénus 4. A Rome, certaines vieilles divinités, comme Murcia et Cloacina, ont été, à l'époque historique, assimilées à Vénus' ; on a même pu les considérer comme des formes primitives de la Vénus romaine'. Quoi qu'il en soit, les deux plus anciens cultes nettement certifiés sont ceux que l'on rendait à Vénus dans le bois sacré de Libitina et au voisinage du Circus Maximus. Le premier sanctuaire, dont l'emplacement contribuait à fonder l'identification de Vénus avec LIRITINA, est de date inconnue 7; le second fut commencé en 4459 = 295 par l'édile curule Q. Fabius Gurgess. L'anniversaire de ces deux temples était célébré le 19 août, jour des Vinalia rustica °, où les holitores avaient leur fête70, ce qui met en relief la nature primitivement agraire de la Vénus italique". Sans être, jamais complètement effacé", ce caractère primitif va être relégué au second plan, du jour oûAphrodite s'appropriera le nom de Vénus et se confondra avec elle. Le culte de la déesse hellénique était largement répandu sur toutes les rives méditerranéennes, et les Étrusques, en particulier, semblent l'avoir revu de fort bonne heure 1h Il leur vint du sanctuaire de l'Éryx qui fut aussi un foyer d'influence pour le Latium', où Énée, disait-on, avait lui-même apporté l'image de l'Érycine''. A l'époque de la première guerre punique, les Romains furent mis en contact direct avec ce sanctuaire qu'ils considérèrent longtemps comme une métropole religieuse". En 537==217, sur l'injonction des livres Sibyllins, en même temps qu'un leetisterne réunissait Mars et Vénus, le dictateur Q. Fabius Maximus promettait un temple à la déesse de l'Éryx, et l'on vit, deux ans plus tard, s'élever sur le Capitole une filiale du temple sicilien''. Un autre sanctuaire encore plus important fut élevé en 573=181 devant la porte Colline, en exécution d'une promesse faite pendant la guerre ligurienne par le consul L. Porcins l8. Le culte de l'Éryx avait gardé à Rome quelque chose de son caractère originel : les meretrices prenaient une grande part aux fêtes19 qui célébraient chaque anniversaire de la fondation de ce temple, le 23 avril, jour des Vinalia priora 2p. C'est encore un ordre des livres Sibyllins qui, en 610=114, amena l'établissement d'Aphrodite Apostrophia sous le nom de Verticordia, pour expier le crime de trois Vestales 21. L'anniversaire du temple, dont l'emplacement, n'est pas connue-, tombait le lei avril ; ce jour était la fête des matrones, Veneralia 23, fête décente et grave, en harmonie avec le caractère des épouses et la nature d'une déesse établie pour ramener les femmes à la discipline et à la vertu24. Avec le temps, le culte de la Vénus hellénisée se répandit sous des formes diverses, en particulier grâce à l'initiative de certains hommes d'État. Sylla, qui se nommait lui-même en grec 'Era?o6ioç2', vénérait la déesse, sous l'appellation de Venus Felix, comme dispensatrice de l'heureuse chance et du bonheur 26. L'image de Venus VEN 735 VEN Felix' subsiste dans les représentations de la Venus Pompeiana patronne de Pompéi, colonie syllanienne 3. Nous retrouvons, d'autre part, sous le nom de Venus Victrix, l'Aphrodite guerrière, 1Vikèphoros4. Son culte se répandit au loin', avec le même sens que celui de VICTORIA6, qui est souvent figurée à côté d'elle Pompée éleva en son honneur un sanctuaire qui fut inauguré le 12 août 699 = 13 8. Avant Pharsale, César lui promit un nouveau temple, s'il triomphait 9; ses voeux exaucés, il construisit ce monument, au centre du Forum Julium, en le dédiant, non pas à Venus Victrix, mais à celle qui va supplanter toutes les autres, à Venus Genetrix 10. L'institution de ce culte correspondait, en effet, à des sentiments nationaux autant qu'à des vues personnelles; bien avant la première guerre avec Carthage, la croyance à l'origine troyenne du peuple romain était déjà suffisamment implantée pour être invoquée dans des actes diplomatiques". Elle fut encore affermie par l'établissement à Rome de la Vénus Érycine, à laquelle Énée était étroitement lié, en sa double qualité de fils et d'introducteur de son culte dans le Latiurnt2. Parmieles grandes familles'', quelquesunes se flattaient de se rattacher à Énée, et par lui, à la déesse dont l'image était gravée sur les monnaies des Julii etdes Memulii'4 (fig. 7402). Mais la légende d'Énée intéressait de trop près les origines mêmes de Rome pour que le culte de Venus Genetrix ne prît pas un caractère national, surtout quand le descendant des Julii occupa dans l'État une situation prépondérante" ; elle ne sera point seulement la mère d'Énée et de sa race, mais encore l'ancêtre et la protectrice du peuple romain 16. Dès lors, l'union de Mars et de Vénus, que les Grecs avaient révélée aux Latins et que nous voyons déjà consacrée au lectisterne de 537=`21777, acquit une nouvelle importance 18. La déesse de la dynastie julienne forma avec le père de Romulus un couple tout-puissant, qui présidait aux destinées de la cité 19. On leur rendit des honneurs communs dans le temple de Vénus Genetrix, dans celui de Mars Ultor (fig. 7403), consacré par Auguste20 (fig. 7404), et dans le Panthéon d'Agrippa ~'. César célébra la consécration du temple de Vénus Genetrix 22, le 26 septembre 708= 46, par des jeux23 qui duraient, à l'époque d'Auguste, sous le nom de Ludi Vicloriae Caesaris, du 25 au 30 juillet24. Auguste, qui présida à tout un mouve ruent patriotique et religieux, dont l'Énéide est le plus beau témoignage, prit un soin particulier de ces jeux2i. S'ils ne se maintinrent sans doute. pas après la fin de la dynastie, l'étroite liaison, établie surtout par César entre Vénus et la cité, subsista longtemps ; l'empereur Iladrien associait encore Vénus à Borna dans le fameux Templum Urbis 28. On signale bon nombre d'autres cultes de Vénus à Rome, tels que celui de Venus Calva 27, celui de Venus Salacia, qu'on disait patronne des courtisanes, et qui semble avoir été d'abord une divinité marine 28, celui de Venus Equestris27, déesse qui correspond sans doute à la Pelagia hellénique 30. De même que les images ' sacrées et les rites étaient empruntés aux Grecs °1, la conception d'Aphrodite, déesse de la beauté et de l'amour s'est de plus en plus répandue à Rome 32. Cependant le caractère primitif qui se traduisait dans la Vénus italique n'a jamais cessé de se faire sentir, même dans la Vénus hellénisée. La forme capitale, VER 736 VER qu'elle revêt, de déesse dynastique et nationale, mérite de retenir l'attention, et la Venus Genetrix demeure comme une création relativement originale de l'esprit romain. Louis SÉCtIAN.