Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article VETERANUS

VUTEIIANUS. On désigne sous ce nom le soldat libéré en vertu d'un congé honorable [1IONESTA MtsSio] après avoir achevé son service militaire 1, dont la durée réglementaire variait selon le corps auquel il appartenait [ExEncITUS]. CO nom est attribué à tous les anciens militaires de cet ordre, depuis le simple soldat jusqu'au centurion 2, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre eux selon qu'ils ont servi dans les cohortes prétoriennes ou urbaines, dans les légions, dans l'armée auxiliaire ou dans la flotte Les vétérans avaient coutume de célébrer avec une certaine solennité le jour de leur libération ; nous possédons plusieurs monuments élevés, à cette occasion, par des prétoriens, des légionnaires et des equites singulares. On y lit, sous la rubrique veterani missi honesta inissione, les noms des libérés avec l'indication de l'année de leur enrôlement et de celle de leur congédiement4. Dans une des inscriptions de cet ordre relatives aux equites singulares, le mot emeriti remplace celui de veterani, ce qui montre bien que ces deux expressions ont la même signification [EMERITUS]. De là vient le surnom d'emerita fréquemment ajouté aux noms des colonies de vétérans, et l'expression emerituin usitée pour désigner l'ensemble des avantages attachés à la vétérance. Dans les inscriptions privées le vétéran mentionne parfois le corps auquel il appartenait, avec VET 774 VET ou sans son grade, son congé honorable, rarement avec le nom de l'empereur qui le lui a accordé ; souvent il se contente du mot veteranus seul ou suivi d'Augusti. Il est à remarquer que ce nom ne se retrouve pas dans le texte des diplômes militaires, sauf dans ceux qui ont été délivrés par Galba à la légion Ire Adjutrix et par Vespasien à la IIe Adjutrix et aux deux flottes de Misène et de Ravenne ; partout ailleurs ce terme est remplacé par cette périphrase : lis qui militaverunt, stipendiis emeritis, dimissis honesta missione, ou une semblable. Dans les listes de vétérans que nous possédons et qui datent du IIe siècle, on constate que les légionnaires, jusque vers la fin de ce siècle, ne sont congédiés que tous les deux ans, et il en est très vraisemblablement de même des soldats de la garde prétorienne et urbaine 1; dans cette période les légionnaires, comme les auxiliaires, ne sont libérés qu'après 25 ans de service. Le sens du mot veteranus s'est élargi de plus en plus, ou plutôt la notion d'honesta missio, à laquelle il est étroitement attaché, a pris une extension de plus en plus grande. On a déjà montré [HONESTA MISS10], par l'exemple du diplôme X (ancien VIII), que, dès le Ier siècle, des soldats étaient parfois libérés (exauctorati) par anticipation en récompense de leur bravoure ; ils avaient évidemment droit à l'honesta missio qui, aux termes de la définition d'Ulpien, pouvait être accordée même avant la fin du service. Nous avons l'exemple d'un soldat libéré ante tempus, honesta missione, ex indulgentia imperatoris, qui confirme ce témoignage On est allé plus loin dans cette voie : parmi les rares inscriptions 3 qui mentionnent la missio causaria, il y en a une où un légionnaire réformé se dit ex causa misses, honesta missione, ce qui, au premier abord, paraît contradictoire ; mais la contradiction n'est qu'apparente. Il suffit, pour l'écarter, d'admettre que, dans ces deux hypothèses, le bénéfice du congé honorable a été accordé, comme faveur (ex indulgentia), à des militaires qui ne réunissaient pas toutes les conditions requises pour l'obtenir. Peu à peu, ainsi que nous l'apprennent les textes juridiques ce qui était d'abord une exception tend à devenir la règle : le libéré par anticipation est assimilé progressivement à celui qui a obtenu le congé honorable et peut exercer, sinon la totalité, du moins une partie des droits de ce dernier. Sous le Bas-Empire, l'évolution est achevée : les textes législatifs eux-mêmes considèrent comme synonymes les termes honesta et causaria missio 5. Les militaires qui se qualifient missicii peuvent-ils, eux aussi, être considérés comme des vétérans ? Ce nom, qu'on ne trouve que dans un petit nombre d'inscriptions', est porté par des militaires appartenant à tous les corps. De ce qu'ils ne se disent pas veterani et du fait que l'un d'eux n'est âgé que de 35 ans et n'a pu, dès lors, achever son temps de service, Mommsen' conclut que ce sont des militaires libérés par anticipation (ex causa missi). On peut objecter qu'il y a des missicii qui ont achevé leur service8 et que d'ailleurs, ainsi qu'on vient de le voir, fussent-ils des soldats libérés par anticipation, cela ne suffirait pas pour leur refuser le titre de vétérans. M. von Domaszewski ° considère les missicii comme des vétérans constituant, sous ce nom, un corps de réserve, pendant une certaine période, après leur congé. On sait, en effet, que, leur libération obtenue, les vétérans n'étaient pas assurés pour cela de rentrer immédiatement dans la vie privée. Jusqu'à l'époque des Flaviens, ils étaient retenus au service pendant un certain temps et formaient dans chaque corps un groupement appelé vexillum veteranorum [vExILLATIO]. Mais l'âge avancé de certains d'entre eux (55, 60 et même 81 ans) 10 ne peut guère se concilier avec cette solution. Peut-être faut-il tout simplement supposer que missicius n'est qu'une variante de misses d'où, il dérive, à l'exemple de dediticius dérivé de dedilus, et de deducticius de deductus. Quelle que soit la solution qu'on adopte, il semble difficile d'exclure les missicii de la catégorie des vétérans. Le titre de vétéran n'est pas seulement honorifique : celui qui peut s'en prévaloir jouit de plein droit de certains avantages que les auteurs classiques résument dans de brèves formules, telles que praemia ou legilima praemia veleranorern, emeritum, commoda missionum ou veteranorum ou emeritae militiae12. Auguste, dans la célèbre inscription d'Ancyre 13, précise davantage : il nous donne le compte détaillé de l'argent distribué aux vétérans et de celui qu'il a dépensé pour leur acheter des terres. L'épigraphie nous fournit de nombreux exemples de vétérans qui, par la suite, ont été également soit transférés dans de véritables colonies, soit établis sur le territoire de cités indigènes, comme en Égypte, en Gaule 1+ et en Afrique Les vétérans obtenaient aussi des privilèges d'une autre sorte, dont on trouve l'énumération dans différents titres du Digeste et des Codes, notamment dans celui qui leur,est consacré (De veteranis)10, Ils reçoivent des immunités d'impôts et de charges compris dans cette formule générale : munera civilia et honores, munera personalia ; mais ils supportent les munera patrimonii et les vectigalia qui correspondent à nos impôts indirects. Au point de vue honorifique, ils obtiennent, eux et leur fils, le rang de décurions en ce qui touche l'application des lois pénales. Jusqu'à ces dernières années on ignorait comment s'était formé ce droit spécial qui, au temps des jurisconsultes de l'époque classique, nous apparaît comme faisant corps depuis longtemps avec l'ensemble de la législation romaine. Deux édits récemment découverts en Égypte 17, l'un du trium V ET -775 VET vir Octave, après Actium, et l'autre de Domitien, de 88 ou 89, nous ont appris que c'était par voie d'édits que les premiers empereurs réglaient, dans leur ensemble, les droits conférés aux vétérans. L'édit de Domitien est manifestement calqué sur celui d'Octave, dont il reproduit, dans la même forme, la plupart des dispositions. Il dut arriver un moment où, ces édits successifs ne différant plus guère l'un de l'autre, le texte en fut arrêté définitivement et devint permanent comme l'ed-ictum perpetuum du préteur, sous réserve, bien entendu, des droits de l'empereur d'y apporter sur tel ou tel point les modifications qu'il jugerait utiles 1. C'est ce texte définitif qui a servi de base aux commentaires des jurisconsultes. Si les édits d'Octave et de Domitien n'ont pas un caractère local ou exceptionnel', s'ils reproduisent bien le droit commun des vétérans à cette époque, il faut reconnaître que ce droit a subi d'importants retranchements entre le règne de Domitien et l'époque où ont été rédigés les commentaires des jurisconsultes. Déjà, dans l'édit de Domitien, il n'est plus question des privilèges politiques contenus dans celui d'Octave, et les jurisconsultes, à leur tour, n'admettent plus qu'une immunité fiscale restreinte et réservent aux seuls vétérans, à l'exclusion du groupe des parentes, liberi, conjuges, la concession des privilèges. Il faut arriver au Bas-Empire pour retrouver, avec quelques modifications, les larges exemptions du début, en même temps que l'ancien usage des distributions de sommes d'argent et de terres aux vétérans '. Des privilèges qui viennent d'être énumérés, il faut distinguer avec soin ceux qui consistent dans la concession à certains militaires, soit du droit de cité et du conubiwn, soit du conubium seul. Ces derniers ne découlent pas nécessairement, comme les premiers, du titre de vétéran ; ils sont accordés par un acte spécial, par une constitution impériale gravée sur bronze et affichée publiquement, comme les lois. Nous avons, dans les diplômes militaires [DIPLoa1A], des copies 1 authentiques de ces constitutions qui contenaient la liste nominative des militaires récompensés. Ceux-ci n'étaient pas exclusivement des vétérans, car, jusqu'à l'année 107, ces constitutions concernent également des soldats encore en activité (qui militant) Même dans la période suivante, où les vétérans seuls recoivent des diplômes, ce nom ne figure ni dans le texte de la constitution, ni à côté du nom du titulaire du diplôme : on emploie une périphrase, comme si on voulait bien marquer par là que ces privilèges étaient moins la conséquence de la missi() ordinaire, que la récompense exceptionnelle de services distingués. Il y avait donc deux catégories de vétérans : les vétérans sans diplôme, qui ne recevaient que les privilèges mentionnés par les auteurs classiques, et les recueils juridiques, et les vétérans avec diplôme, qui obtenaient en outre les privilèges exceptionnels contenus dans celui-ci. On ne fait pas généralement cette distinction, bien qu'il y en ait des traces dans les sources: c'est ainsi que les vétérans de la seconde catégorie sont appelés acre incisi dans les inscriptions, et ceux de la première x(i li; ys)sxùv, sine aeribus, dans les papyrus d'Égypte G. Revenus dans leur pays natal ou établis dans le voisinage du camp où ils avaient servi, les vétérans se constituaient souvent en collèges (collegia veteranorum) organisés à la façon des autres associations connues [COLLEGIUSI, SODALJCIL-1I]'. Par là ils s'assuraient, pendant le reste de leur vie, un commerce agréable avec d'anciens compagnons d'armes et surtout, après leur mort, un décent enterrement et une sépulture honorable. Nous sommes assez bien renseignés sur la composition de ces collèges et la condition de leurs membres, notamment par les deux listes des cultores veterani et de l'album veteranorum conservées à Lambèse; par contre on n'a pu découvrir jusqu'ici aucun trait caractéristique des vétérans dans les nombreuses représentations figurées de leurs stèles funéraires $. J.B. MtSPOCLET.