Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article VICUS

VICUS, VICANI. Le mot latin vicus remonte à la même racine que le grec oiao; = Foiitoç, maison ; par son étymologie, il signifie simplement : habitation'. L'usage romain lui a attribué des sens divers, que distingue asssez exactement la définition de Festus : « on appelle tout d'abord vici des établissements ruraux, tels qu'on en rencontre chez les Marses et les Péligniens qui n'ont pas de villas; parmi ces vici, les uns forment une communauté et ont droit de juridiction, les autres ne possèdent ni l'une ni l'autre de ces prérogatives ; ils servent cependant de lieux de marchés,.. En second lieu, on entend par vicus un groupe d'édifices urbains distribués de part et d'autre des rues et formant une subdivision des régions; ces quartiers sont distincts les uns des autres et, pour éviter toute confusion, portent chacun leur nom propre. Troisièmement ce terme désigne encore, dans une ville, un édifice particulier, c'est-à-dire construit sur un terrain objet de propriété privée et aménagé de telle sorte que chacun de ceux qui l'habitent y ait son entrée indépendante 2 ». Conformément à cette division, nous étudierons successivement le vices rural, le virus quartier d'une ville et le virus maison de rapport. 1. Vices RURAL. Le vicus représente donc, dans les campagnes, un « village » par opposition à la « villa e, habitation isolée d'une famille. La nature des lieux, les conditions de l'existence et les traditions sociales des habitants ont pu, dans les différentes régions et suivant les époques, faire prédominer l'une ou l'autre de ces deux formes de colonisation rurale. II serait vain de rechercher si, d'une façon générale, les peuples primitifs de l'Italie ont habité plutôt par villages ou par fermes isolées 3 ; les deux types d'établissement ont fort bien pu coexister. Si haut cependant que l'on remonte dans l'histoire et même la préhistoire de l'Italie, la population apparaît le plus souvent associée en groupes locaux plus ou moins compacts. Les stations sur pilotis des lacs italiens ',les terramares de la Lombardie et de l'Émilie occidentale les traces de fonds de cabanes de l'âge du bronze, disséminées par essaims, pour ainsi dire, depuis la plaine du Pô jusqu'à la Siciles, représentent également de véritables villages. Antérieurement à la fondation de la ville de Rome, les peuples du Latium semblent avoir été répartis en bourgades Fort modestes suivant toute apparence, malgré le titre d'oppicla que leur attribue Pline, ces bourgades occupaient les sommets des collines romaines 3 aussi VIC 855 VIC bien que les pentes des monts Albains ou différents points des campagnes environnantes. En Sabine, comme dans toutes les parties montagneuses de la péninsule, la conquête romaine rencontra à la fois des habitations isolées et deshameaux4. Partout en Italie et de tout temps il y eut des villages. Quelle fut leur importance et leur situation vis-à-vis des villes durant la période de l'indépendance italienne, on ne saurait le préciser. La conquête romaine attribua aux vici une condition très particulière, qui varia d'ailleurs, au cours de l'époque historique, suivant les lieux et suivant les temps. Les vici de l'Italie romaine. Quelles qu'aient été l'origine et les circonstances de la transformation politique qui donna naissance à la ville de Rome, l'État romain apparaît, dès le début du ve siècle, comme étroitement enfermé dans le cadre d'une cité. L'État, c'est la ville elle-même; le groupement urbain possède à lui seul tout le pouvoir politique; il est, à l'origine, le seul centre administratif et judiciaire; de même que la campagne environnante, les pays successivement conquis ne représentent, en principe, que la banlieue de la ville. Les cités et les bourgades englobées dans ce territoire ont dû, pour la plupart, remettre à la discrétion de Rome victorieuse leurs murailles et tout ce qu'elles contenaient, leurs terres, leurs dieux et tous leurs droits'. Les dieux sont transportés à Roine; une partie du territoire, ordinairement le tiers, devient la propriété publique du peuple romain ; le reste est abandonné aux anciens possesseurs moyennant paiement d'un tribut; les villes, lorsqu'elles reçoivent le droit de subsister, sont astreintes, vis-à-vis de Rome, à une étroite sujétion. Elles ne s'administrent plus elles-mêmes; à plus forte raison les villages sont-ils détachés de tout lien vis-à-vis de leurs anciennes métropoles, pour tomber sous la domination directe de la nouvelle capitale. Toutes ces bourgades, quelle que fût leur importance, ne sont plus considérées que comme de simples groupements de hasard, sans personnalité, sans autonomie. Elles n'ont pas d'existence officiellement reconnue; elles sont devenues des vici, sans plus de droits qu'une ferme isolée au milieu des champs. L'extension continue du territoire romain obligea bientôt la ville à créer dans les provinces des centres secondaires. Pour exploiter et administrer ses conquêtes, Rome dut installer en Italie des colonies de citoyens fondées régulièrement sur son modèle. Puis, à quelques-unes des villes indigènes elle reconnut bientôt, par une faveur toute gracieuse, le tnunicipium, c'est-à-dire le droit de constituer vraiment une communauté urbaine Seuls ces groupements créés ou reconnus par Home constituent 'de véritables villes, car seuls ils possèdent une existence politique et religieuse. Le territoire environnant, avec les bourgades qu'il contient, leur est attribué ; ils l'administrent comme Rome elle-même administre sa banlieue ; les campagnes appartiennent aux villes, les centres ruraux qui s'y trouvent disséminés dépendent étroitement des cités ; petits ou grands, ce ne sont que des vici. Une circonstance d'ailleurs maintient et favorise cette opposition fondamentale entre les villes et les bourgades rurales. C'est dans la colonie elle-même qu'habitent tous les citoyens établis par Rome dans une province; aucun d'eux ne songe à aller s'établir sur le lot de terre qui lui a été attribué. 11 en est de même dans les municipes; les propriétaires demeurent généralement dans le municipe lui-même ; ils ne laissent aux champs qu'un fermier, le plus souvent de condition servile4. Quand bien même, du reste, ils passeraient la majeure partie de leur temps hors de la ville, il suffit qu'ils y aient leurs affaires, qu'ils y viennent aux jours de fêtes civiles ou religieuses, pour compter comme habitants de la ville et non de la campagne Hors du centre urbain ne se trouvent que des non-citoyens ou des esclaves, des incolae, dont le groupement en un point du territoire ne saurait en aucune façon constituer un centre autonome. Les vici ne représentent donc, suivant la définition qu'en donne Isidore, que « l'habitat sans titre d'hommes réunis par hasard ; ils ne jouissent pas de la dignité de cité, mais, en raison de leur peu d'importance, sont attribués à des cités plus grandes » 6. Ils ne peuvent par conséquent être comparés aux rw~i«t grecques, bourgades rurales elles aussi, mais composées de citoyens égaux en droits à ceux de la ville, bourgades plus petites que les villes, mais entrant comme élément constitutif dans l'organisme de la cité et formant chacune le centre administratif et religieux de la circonscription territoriale qui lui appartient [Kôm ]. Ainsi il semblerait que l'on puisse, en Italie, opposer nettement les villes qui jouissent d'un statut communal, colonies, municipes et, comme l'ajoute la loi agraire de 643/111, les centres qui tiennent lieu de colonie ou de municipe 7, aux bourgades rurales, vici, qui n'ont pas d'existence légale. Cependant un document officiel de la fin de l'époque républicaine, la lex Rubria de l'année 703/49, énumère en une formule administrative, non pas seulement des colonies et municipes d'une part et d'autre part des vici, mais bien : colonia, municipium, oppidum, praefectura, forum, vicus, conciliabulunb territoriumve Le terme virus doit donc désigner, semble-t-il, non pas toute bourgade rurale, mais seulement une espèce particulière de village. En quoi un vicus se distingue-t-il des autres localités mentionnées ici? On notera tout d'abord le soin marqué dans notre formule de ne laisser échapper à l'action de la loi aucun des points de la Gaule Cisalpine à laquelle s'applique la lex Rubria. C'est pourquoi aux diverses espèces de lieux habités elle ajoute encore le territoire lui-même, territorium, c'est-à-dire l'ensemble des fundi avec les fermes isolées qu'ils peuvent contenir. C'est pourquoi aussi elle n'omet aucun des termes en usage, ces termes dussent-ils être synonymes ; elle les ajoute les uns aux autres, sans établir entre eux de distinction. La variété des dénominations ne comporte en aucune façon une diversité dans la condition juridique des bourgades. Nous apercevons de prime abord dans la liste de la lex Rubria un titre administratif : praefectura ; il VIC 856 VIC s'applique à toute bourgade qui, n'ayant pas le caractère urbain, a reçu soit de Rome, soit d'une colonie, un préfet chargé de la juridiction. Chacune des localités énumérées peut donc être ou n'être pas préfecture [PRAEFECTURAj. C'est évidemment aux praefecturae que fait allusion Festus, lorsqu'il spécifie que, parmi les vici, il y en a qui ont droit de juridiction. Deux autres termes paraissent faire allusion non plus au rôle administratif, mais bien au caractère de la bourgade : oppidum et castellum désignent des lieux fortifiés; ce sont ces petites villes ou ces villages qui, du haut des collines, dominent au loin les plaines et les vallées pacifiques. Un oppidum peut recevoir le droit municipal, à défaut duquel il ne se distingue d'un castellum que par son importance un peu plus considérable; les uns et les autres paraissent occuper, au point de vue administratif et juridique, exactement la situation d'un vicus. Aux oppida et castella des hauts lieux s'opposent les fora et conciliabule de la plaine. Un forum est, par définition, un champ de foire établi, pour la commodité des colons du voisinage, soit à un carrefour, soit auprès d'un sanctuaire [Fonun, nuNBINA]. L'existence d'un marché n'est pas nécessairement liée à celle d'un groupe d'habitations fixes; il n'en est pas moins vrai que bien souvent les fora sont devenus de véritables bourgades' et, d'autre part, Festus semble considérer le droit de marché comme l'un des attributs essentiels du vices : ibi nundinae aguntur negotii agendi causal. Le lieu où l'on se réunissait pour un marché devait servir également de conciliabulum ; les deux expressions d'ailleurs se trouvent très fréquemment associées, comme si l'une évoquait naturellement l'autre : agri, fora et conciliabula 3. Lorsque le champ de foire a donné naissance à une bourgade, cette bourgade ne diffère pas d'un vicus quelconque, elle a seulement conservé son titre de forum comme souvenir de son origine. Si, dans son sens le plus général, le terme vicus englobe toutes les localités rurales, pour les opposer aux lieux qui jouissent de la condition de colonie ou du droit municipal, il désigne d'une façon plus particulière, par opposition à forum et à conciliabulum, une bourgade d'origine ancienne, qui ne doit pas son existence à l'ouverture d'un marché institué par quelque magistrat romain ; par opposition à oppidum et à castellum, vicus signifie un village ouvert, désarmé, d'accès facile, un petit centre agricole et commerçant de la plaine ou de la vallée ; il diffère d'une préfecture simplement en ce qu'il ne sert pas de résidence à un préfet et, par conséquent, dépend pour la juridiction soit d'une préfecture, soit directement d'une ville. Pris dans son sens le plus particulier, aussi bien que dans l'acception générale de bourgade rurale quelconque, le terme vicus paraît toujours désigner une localité dépourvue de respublica, c'est-à-dire dont les habitants sont incapables de constituer en droit une communauté 4. Cependant Festus affirme que, parmi les vici, une partie au moins possède la respubltca. On ne sait comment interpréter au juste cette allégation, Peuh être, suppose Mommsen, « s'agit-il de la concession d'un statut communal faite à un vicus, sans changement de dénomination » L'état originel que nous avons essayé de représenter a dû, en effet, perdre de sa rigueur au cours des âges et l'on peut admettre que, du temps de Festus, bien des vici avaient, sans perdre leur nom de vices, acquis des droits qu'ils ne possédaient pas primitivement. Dès la fin de l'époque républicaine, nous apercevons en effet, en Italie, une tendance au développement de l'autonomie des bourgades rurales. Lorsque la révolte générale des provinciaux, en 89 avant notre ère, eut décidé Rome à accorder la cité romaine à quiconque avait en Italie droit de cité et de domicile, la condition des vici devait nécessairement s'améliorer, sinon absolument en droit, du moins en fait. Leurs habitants continuaient à compter comme dépendant de la colonie ou du municipe auquel était rattaché le vices ; ils étaient toujours censés avoir ce municipe comme patrie 6. Néanmoins, jouissant d'un droit égal à celui des Romains eux-mêmes, les membres de ces groupements locaux devaient être naturellement tentés de s'administrer eux-mêmes et de se constituer, à l'exemple des véritables villes, en un corps municipal autonome. Les plus importants des vici se transformèrent en effet peu à peu, à partir de cette époque, en municipes ; les autres demeurèrent seuls dans une situation subordonnée Mais à partir de ce moment, il n'y avait plus entre les villes et les vici d'Italie de différence essentielle, il ne subsistait plus qu'une séparation de fait entre les bourgades assez considérables pour être le centre d'une région et celles qui en dépendaient. Du reste, à défaut de communauté civile, des vici trop peu importants polir former des municipes en arrivaient à constituer des communautés religieuses, s'administrant elles-mêmes sur le modèle municipal et jouissant de certains droits. Tel était, par exemple, le vicus de Furfo groupé autour du temple de Jupiter 8 : sa lex vicana de 696/b8 lui reconnaît le droit d'élire un édile chargé de gérer les intérêts du temple 9. Ce magistrat avait, au moins dans une certaine mesure, droit de juridiction sur le bourg, puisque c'était à lui qu'il appartenait, en cas de vol au détriment du temple, de fixer l'amende du voleur, que le vicus condamnera ou absoudra à la majorité des voix. Le vices peut encore prendre des décisions relativement à des travaux que font exécuter soit ses édiles, soit les magistri du pages 1e. 11 a droit de recevoir des dons, primitivement sans doute au nom de son temple, comme le montre la dédicace de :Mummius offrant au vices de Trebula illutuesca une part des dépouilles de Corinthe''. C'est seulement Nerva, nous apprend un texte d'Ulpien, qui autorisa toutes les bourgades de l'empire à accepter des legs 12. Mais bien auparavant, semble-t-il, on avait pris l'habitude de léguer sinon au vices, du moins aux VIC Sa, V1C vicani 1, ou aux possessores vici et à leur postérité 2. Les habitants du bourg se distinguent donc des colons disséminés dans la campagne 3. Le vicus finit ainsi par représenter soit le centre, soit l'une des subdivisions de la circonscription territoriale qu'est le pagus. Son existence est au moins officieusement reconnue, puisque non seulement des inscriptions funéraires indiquent fréquemment le vicus dont le défunt était originaire, mais que même un document officiel, la Table alimentaire de Velleia, mentionne assez souvent, à côté du nom du pagus, celui du vicus dont relève une ferme ou un fonds de terre 5. Vici viasiorum, viasii vicani. Il est en Italie une catégorie de vici auxquels le gouvernement romain dut de tout temps s'intéresser particulièrement : c'étaient ceux où se trouvaient groupés des campagnards chargés, comme d'une redevance, de l'entretien des grandes voies de communication reliant Rome à ses colonies. L'institution de ces villages de cantonniers doit remonter aux premiers grands travaux de la voirie romaine [v1n], La forme archaïque viasii, pour viarii, nous renvoie en tout cas avant la fin du Ive siècle, plus haut même que l'époque du censeur Claudius Appius Caecus (31'2 av. notre ère), le constructeur de la voie Appienne, qui aurait précisément consacré la substitution de r intervocalique à s °. C'est à ces « villages routiers » que Mommsen fait remonter l'origine des nombreux fora Appii, Claudii, Flalninii, Sulii, Popilii, Sempronii et autres, devenus presque tous, plus tard, des municipes, mais qui durent être créés par les constructeurs des routes pour servir à la fois de gîtes d'étape et de postes d'entretien La loi agraire de 643/111, le seul document qui nous parle des viasii vicani 8, spécifie que le territoire attribué à ces colons doit rester invariablement soumis aux mêmes conditions qu'autrefois; il est et demeure, en droit, territoire public, mais il est remis à l'usage privé et nulle entrave ne doit être apportée à la jouissance des possesseurs ; il suit l'héritier et peut être vendu, mais sans devenir jamais propriété privée 9. La redevance des viasii vicani pouvait s'acquitter, sans doute, soit en nature par la prestation de maind'oeuvre, soit par le paiement d'un impôt spécial destiné à l'entretien de la route. Caton préférait fournir la corvée : « Aux jours de fête, dit-il, on emploiera les esclaves au travail de la voie publique f0 ». Plusieurs inscriptions nous indiquent que plus tard, à l'époque impériale, l'obligation des possesseurs se traduisait plutôt par le versement d'une somme d'argent 11 Cette institution d'origine italienne fut vraisemblablement étendue aux diverses provinces de l'Empire. Les vicus Augusti, vices Aureli et autres, que nous signalent les Itinéraires, notamment le long des routes d'Afrique 12, représentent probablement, comme les anciens fora d'Italie, des bourgades de viasii vicani. Les vici hors d'Italie. Dans les provinces, IX. l'administration romaine respecte en général l'organisation sociale et les habitudes des populations diverses qu'elle soumet. Néanmoins l'application progressive à tout l'Empire des principes de la législation romaine, l'action personnelle des gouverneurs et, par-dessus tout, l'influence de la civilisation latine, tendent à rapprocher la situation des bourgades étrangères de celle des vici italiens. En pays grec, la xwL.1 qui avait été à l'origine l'embryon de la cité, formant par elle-même un petit État, avait fini par perdre, au profit des villes, toute souveraineté et presque son entière indépendance M1 d:1. Elle était donc tombée à peu près à l'état de vicus, tout en continuant cependant à former une communauté capable de posséder, de rendre des décrets honorifiques et d'élire ses magistrats (xwl,.xpzat). Nous trouvons en tout cas ces bourgades réunies, autour d'une ville chef-lieu, en une même circonscription administrative et financière. En Asie, au moins dans certaines régions, tellesNii-é la Carie, où les villes sont plus rares et les villages plus nombreux, les bourgades (xwux;, x2-rota:xt) 13 restent longtemps l'unité politique la plus vivace. Elles peuvent avoir un patrimoine et en toucher les revenus ; elles ont des assemblées qui statuent sur l'érection des monuments et élisent des magistrats. Elles relèvent néanmoins, au point de vue judiciaire, des magistrats d'un chef-lieu. Parmi ces vici d'Asie, les uns s'élèvent au cours des âges à la dignité de cités, tandis que des villes déchoient au rang de simples villages 14. Les vicissitudes d'Orcistus, bourg de Phrygie, autrefois une ville, devenue sans doute au nie siècle un simple vices de Nacolia, puis rétabli vers 330 dans son état ancien, sont particulièrement intéressantes 19. En Thrace, en Moesie, en Pannonie et en Dalmatie, où l'influence grecque se mêle en une certaine mesure à l'oeuvre de la colonisation romaine, le nombre assez élevé d'inscriptions dues à des vici semble témoigner de l'importance de ces bourgades". En Égypte les agglomérations rurales ne sont, au début de la domination romaine, que des collectivités sans personnalité ni communale ni juridique. Elles ne possèdent ni administration propre, ni fortune mobilière. Mais dès la fin du ne siècle on constate, là comme ailleurs, une tendance au développement des bourgs; leur fortune se constitue peu à peu; au ive siècle ces villages forment une communauté maîtresse de son administration". Mais c'est surtout dans l'Occident latin, dans la province romaine d'Afrique, en Espagne, en Gaule et sur la frontière germanique que l'on peut se rendre compte de la vie et du développement des vici. En Afrique se rencontrent, d'une part, des colonies 18 et des municipes, ces derniers assez nombreux, et d'autre part, des castella et des vici. II semble qu'à la différence des vici les castella, dont l'existence 104 .'6C 85S -VIC remontait généralement beaucoup plus haut que la conquête romaine, aient représenté le centre d'un territoire, qu'ils fussent restés les chefs-lieux de pagi et qu'ils aient joui d'une organisation quasi-municipale'. Les vici au contraire paraissent de création récente ; ils fixent au sol une partie de la population indigène, en majorité nomade, ou réunissent en groupes locaux les colons immigrés. C'est ainsi que nous voyons de grands propriétaires prendre soin de constituer une sorte de garnison autour de leurs villas 2 ou établir sur leurs domaines des villages auxquels ils font attribuer le droit de marché Les empereurs en firent certainement autant dans leurs vastes saltus 4 et sans doute aussi le long des grandes routes publiques 5. Les établissements militaires également donnèrent naissance à des vici; nous en trouvons deux autour du seul camp de Lambèse, celui de Lambèse et celui de \'erecunda. Ce dernier porte le nom officiel de vicus Augustor(um) Verecundensium 6; ses inscriptions commencent en 147-8, date à laquelle les possessores vici élèvent une statue à Antonin le Pieux. Sous Marc-Aurèle et Verus, nous trouvons mentionnée la respublica du vicus, ses décurions, sa curie, ses pontifes, ses augures, son flamine perpétuel. L'organisation de la bourgade se rapproche donc de celle d'un municipe [IILrICImIuM). Le vicus cependant ne doit pas encore être émancipé du camp voisin, car il semble ne pas posséder de magistrats proprement dits. C'est seulement sous Valérien et Gallien (253-260), qu'il devint un véritable municipe. Le développement du village de Lambèse avait été sans doute plus rapide, puisque dès 208 ce vicus castrensis se prévaut déjà du titre de municipe 7. En Espagne, à côté des oppida et castella indigènes se rencontrent de bonne heure des vici romains. A l'un d'eux, le vicus Italicensis, en Bétique, Mummius offre une part du butin fait à Corinthe 8. Ce vicus aurait été, conjecture Mommsen, une bourgade de citoyens romains fondée par Scipion lui-même pour donner asile aux vétérans et aux blessés de son armée 9, une sorte de colonie, si l'on veut, mais sans le droit de colonie. Cordoue aurait été de même, à l'origine, un vicus ou conciliabululn civium romanorum 10. Mais, sitôt la période des guerres de conquête ou de pacification terminée, ces établissements furent transformés en municipes et en colonies. Les localités indigènes, réparties sur les territoires attribués aux villes, conservèrent seules la dénomination de vicus. Nous connaissons les noms de quelques-uns de ces vici, soit par des dédicaces provenant des vicani 11, soit par des inscriptions funéraires qui indiquent soigneusement le village d'origine du défunt 12. Par une simple coïncidence, probablement, la plupart de ces documents nous faisant connaître des vici ou émanant de vicani ont été trouvés en Lusitanie. Plus curieuse est la mention d'un vires dans la Lex melalli Vipascensis 12 La concession minière dans son ensemble devait constituer un territoire indépendant du municipe ou de la colonie la plus voisine et placé sous l'autorité du procurator metalli. Elle peut être comparée aux grands saltus africains ou bien encore aux domaines impériaux des Champsdécumates en Germanie, tels que le saltus ou civitas Semulocennensis. Nous avons indiqué que les colons des saltus d'Afrique devaient être groupés en vici ; en Germanie, il semble bien, quoique nous n'en possédions pas la preuve explicite, que le territoire de Semulocenna ait eu' pour centre un vicus du même nom14. La lex metalli nous apprend que les ouvriers employés à la mine formaient une agglomération portant le titre de vicus. En Gaule, il nous faut distinguer entre les régions administrées à la romaine et celles qui, plus éloignées de l'Italie, n'ont subi que plus faiblement l'influence de Rome. Dans les premières, dans la Narbonnaise certainement et sans doute aussi autour des trois colonies primitives, Lyon, Nyon et Bàle, le territoire avec les bourgades qu'il contient est attribué aux villes. C'est aux villes, par conséquent, que revient, de même qu'en Italie, l'administration des vici. De IVemausus (.Nîmes) dépendent, par exemple, vingt-quatre oppida ignobilia, nous dit Pline '5; il faut entendre évidemment vingt-quatre vici. Une inscription de Nîmes fait connaître les noms de onze d'entre eux 16, tandis que d'autres documents permettent de leur attribuer au moins un rudiment d'organisation" municipale. Les uns, comme Ugernum (Beaucaire), possèdent un collège de centonarii "; d'autres ont des décurions 18, plusieurs des édiles 19; mais ces édiles faisant fonction dans les vici n'étaient peut-être autres que ceux de Nîmes, la capitale. Il en était de même du territoire de Vienne 20. Dans les parties montagneuses de la Province romaine, au contraire, chez les Voconces et en Savoie, les vici dépendent non plus des villes, mais du pages et. de son praefectus 21. C'est là, semble-t-il, l'ancienne organisation nationale, celle du temps de l'indépendance gauloise, durant lequel les peuples (civitates) paraissent divisés en pagi dont dépendent également les villes (oppida), les bourgs (vici) et les fermes isolées (aedi/icia) 22. A l'époque impériale, ce même état se retrouve en Gaule, partout où une mesure expresse du gouvernement romain n'a pas conféré à une ville le titre de colonie. Le vicus y est subordonné au pages 23. Une ville comme Agedincum (Sens), la capitale des Senons, n'est encore au me siècle qu'un simple vicus et le même personnage y est successivement édile des vicani, édile de la cité, actor praediorum du pages, duumvir quinquennal de la cité et duumvir trésorier24. Elle semble occuper, au point de vue administratif, la même situation que l'agglomération des ouvriers fabricants de VÎC 859 V1C cuirasses éduens (opifices loricari qui in Aeduis consistunt), rattachés au vicus de Briva Segnutia (et vivo JJrirae Segnutiae respondenl) '. L'ceeuvre ou du moins l'effort du gouvernement romain en Gaule fut, autant que nous en pouvons juger, de briser les cadres de l'état politique ancien et de substituer à la dispersion des pagi des circonscriptions urbaines étroitement subordonnées à une ville capitale. Cette évolution apparaît de façon tout particulièrement nette en Suisse. Durant le premier siècle les pagi y représentent l'unité politique et les vici n'y semblent avoir qu'une existence extrêmement effacée. A partir du moment où Vespasien fait d'Aventicum la colonie des Helvètes, nous ne rencontrons plus, au contraire, aucune mention des pagi, tandis que de nombreuses inscriptions nous parlent des vici, de leurs décrets, des édifices qu'ils construisent et des curateurs qui les administrent Rattachées directement à la ville, les bourgades s'efforcent, dirait-on, de rivaliser avec elle. Avant Vespasien, la Gaule à peine conquise, César et Auguste y avaient fondé bon nombre de villes dont nous ignorons d'ailleurs le statut 3; suivant sans doute la même tradition, Claude y avait multiplié les fora auxquels il avait accordé probablement le droit latin 4. La dénomination seule de ces établissements nouveaux : Augusta Suessionum, Auscorum, Veromanduorum, Treverorum, Forum Vallensium, Segusiavoruln, Centronum, etc., suffit à en indiquer la destination. Ils étaient appelés à servir de capitale aux peuplades dont ils portent le nom et par conséquent à grouper autour d'eux, comme auraient pu le faire des colonies, les vici de ces civitates. A en juger par la région de Trèves, dans laquelle les Itinéraires nomment un grand nombre de vici ', tandis qu'aucun document ne mentionne de pagus, le territoire dépendant de ces villes devait être organisé comme celui des colonies de Nîmes et de Vienne dans la Narbonnaise. L'édit de Caracalla, au début du nie siècle, accordant le droit de cité à tous les habitants de l'Empire, eut sans doute le même effet, en Gaule et dans les autres provinces, que l'octroi de la cité romaine aux Italiens à la fin de l'époque républicaine. Il effaçait toute différence entre les habitants des bourgades rurales et ceux des colonies, des municipes ou des villes de droit latin. Sans doute nous ne connaissons pas les modalités et les restrictions probables de cet édit' ; il est néanmoins difficile de supposer avec Mommsen qu'il s'appliquât uniquement aux villes à l'exclusion des vici 7. Ne voyons-nous pas en effet, à partir de ce moment, disparaître toute distinction entre la ville capitale d'une civitas et la civitas elle -même ? La ville perd son nom propre pour prendre celui de la civitas; les citoyens qui y possèdent leur domicile ne l'emportent donc plus, par leur seul titre de citoyens de la ville, sur ceux qui habitent le reste du territoire. Le pays des Vivisques tout entier, par exemple, comme le montre M. Jullian, n'est plus qu'un district de l'État romain, un district qui a Bordeaux pour chef-lieu, mais dans lequel les habitants des vici sont les égaux de ceux de Bordeaux'. Dès lors les circonstances seules, et non plus le droit, établissent des degrés entre les villes et les vici, et ces circonstances la décadence économique générale dans l'Empire, puis les invasions germaniques contribuent à concentrer en quelques points choisis toute la vie des campagnes; les bourgades les plus heureusement situées devinrent des places fortes, tandis que parmi les vici ruinés par la guerre bon nombre durent disparaître à jamais. La Germanie, conquise et organisée plus tardivement que la Gaule, semble n'avoir connu d'autre unité administrative que le vices ; nous n'y retrouvons pas de pagus 9. Sans former de communautés civiles régulières, sans posséder la respublica, ces vici jouissent d'une administration propre (voir plus loin : MAGISTRATS DES vici). Ils imposent eux-mêmes à leurs habitants une discipline et des charges, notamment des charges financières, dont ils peuvent, à leur gré, semble-t-il, accorder l'exonération 10. Ainsi, près de Mayence, des signiferi remercient les vicani veteres du Castel des Mattiaques de l'immunité complète qui leur a été conférée Ces vici germaniques ont leur circonscription, leurs frontières (fines) 12, leur domaine qu'ils administrent euxmêmes par leur actor praediorum (voir plus loin MAGIS La province néanmoins est divisée en départements plus vastes, en civitates, qui englobent chacune un certain nombre de vici ; mais ces civitates n'ont ellesmêmes d'autre chef-lieu qu'un vicus. Aussi la civitas ou Saltus Semulocennensis doit son nom au vicus qui en est le centre f 3. La cité des Suebi Nicretes, constituée, semble-t-il, par Trajan, a sa capitale dans la très ancienne bourgade de Lopodunum qui conserve le titre de vicus14. De même le vicus vicanorum 1llurrensiuln, au confluent du Neckar et de la Murr, paraît être le centre de la civitas Alisinensis'°. Trajan et Caracalla, en particulier, donnent en Germanie leur nom à des vici de même qu'en Gaule Auguste avait donné le sien à des urbes et Claude à des fora. Ces villages devaient donc jouer, dans la marche frontière du Limes, le même rôle de centres administratifs que les bourgades plus importantes constituées en terre gauloise par le gouvernement romain. Il faut distinguer, parmi les vici de Germanie, les anciens villages et les fondations nouvelles d'origine militaire. Ces dernières, de beaucoup les plus nombreuses, doivent leur existence àla présence des légions ; ce sont les canabarum [CANABAE]. Dès le premier siècle de notre ère, des établissements civils se constituèrent, à proximité des camps militaires, tout le long du Rhin et du Danube 17. Des cabanes -86Ô légères, des baraquements de fortune y donnaient abri aux negotiatores qu'attiraient les forts contingents concentrés sur la frontière; les soldats eux-mêmes y installaient leurs femmes (focariae). La longue paix qui suivit les grandes expéditions du principat de Tibère en favorisa le développement; en 70, les canabae de Castra Vetera (Xanten) représentaient, nous dit Tacite, une sorte de municipe 1. La plupart des grandes villes du Rhin et du Danube doivent leur origine à des vici canabarum de ce genre 2. Au second siècle, le même phénomène se reproduit sur la rive droite du Rhin, dans le Limes. Dans le pays de Bade, en Wurtemberg, dans le Taunus, les inscriptions nomment quelques-uns de ces vici Aux abords de chaque fort, les fouilles mettent au jour les traces des canabae t. Souvent le village semble une simple et modeste dépendance du camp. C'est là qu'habitaient les soldats, une fois (lue Septime Sévère les eut autorisés à demeurer hors du fort; c'est là que parfois ils s'établissaient après avoir reçu leur retraite. En d'autres cas, le vicus canabarum s'est développé jusqu'à prendre les dimensions d'une véritable ville ; tel le vices de 1Vida (Ileddernheim près de Francfort), devenu la capitale de la civitas Taun.ensium Ici d'ailleurs, comme sur la rive gauche du Rhin, c'est l'abandon du camp et le départ de la garnison qui semblent donner l'essor à la prospérité du vicus. Primitivement, en effet, les canabae devaient se trouver vis-à-vis du camp dans une dépendance étroite 6 ; elles en occupaient le territoire et, par conséquent, leur subordination aux autorités du camp devait rappeler celle des vici aux villes d'Italie. En effet les canabenses n'ont pas de domicile légal, au sens propre du mot ; ils résident simplement ad canabas legionis '; leurs enfants sont censés nés « in castris » ; ils ne sauraient posséder la respublica; une organisation corporative présidée par le curateur des vétérans et des citoyens romains leur en tient lieu 8. Seule la disparition de l'établissement militaire peut, en droit, donner à la bourgade son autonomie. Mais la rigueur de ces principes dut s'atténuer de bonne heure. En accordant aux vétérans, vers la fin du ne siècle, le droit municipal complet, Marc Aurèle ou Septime Sévère ne firent sans doute que consacrer un état de choses dejà existant en fait. Les vici canabarum paraissent dès lors complètement assimilés aux villages non militaires et prennent un nom local 9. Les postes militaires se trouvent simplement juxtaposés aux centres civils auxquels ils ont donné naissance. MAGISTRATS DES VICI. Le terme de vicomagistri ne s'applique qu'aux vici urbains [VICOMAGISTRI]. Nous avons vu que, à la différence des villes, le vicus ne constitue pas une respublica, mais que ses habitants, vicani, possessores vici, sont plutôt associés en une sorte de conrentus. Ils n'ont donc pas de magistrats à proprement parler. Les personnages à qui la communauté du vicus délègue l'autorité portent, le plus souvent, le même titre que les présidents d'associations soit religieuses, soit civiles, celui de magister 1o. « Les vici », dit Festus, « de même que les pagi, élisent chaque année des magistri » 11. Des inscriptions assez nombreuses confirment en effet ce témoignage, tant en Italie t2 que dans les provinces 13. Ces magistri, de même que les duoviri des municipes ou les consuls romains, sont le plus souvent, semble-t-il, au nombre de deux 14; cependant il s'en rencontre parfois trois ou quatre 1'. Malgré la forme affirmative de la phrase de Festus, nous n'oserions affirmer que tous les vici aient toujours eu leurs magistri; il peut se faire que les magistri du pages, mentionnés bien plus fréquemment encore, aient souvent exercé leur autorité sur les différentes bourgades de la circonscription, ou du moins que les vici, dans lesquels résidaient les magistri du pagus ou l'un des magistri du pagus, n'aient pas eu, en outre, de magister particulier. Ainsi s'expliqueraient les formules dans lesquelles les magistri du pagus font, par exemple, une dédicace, de vici sententia 16, ou celles encore dans lesquelles le dédicant est simplement désigné par le titre de magister 17, sans que l'on sache si sa fonction se rapporte au pagus ou bien au vicus. Souvent aussi nous rencontrons dans le vicus, de même que dans le pagus, un édile. La loi du vicus de Furfo charge l'édile de la surveillance du temple et des intérêts du temple 18. L'édile fut peut-être à l'origine un fonctionnaire d'ordre subalterne, désigné par les possessores ou les magistri du vices, pour veiller sur les édifices de la communauté et en particulier sur le lieu de culte propre à la bourgade. Il semble bien, en effet, qu'à Furfo l'édile, dont la lex ricana fixe les devoirs et les droits, n'ait été qu'un subordonné des deux personnages donl les noms figurent en tête de l'inscription et qui, en qualité sans doute de magistri, quoique ce titre ne soit pas exprimé, dédient le temple du vicus 13. Nous trouvons ailleurs, en effet, à une date, il est vrai, très postérieure et dans une province éloignée, dans le vicus canabensium de Troesmis, deux magistri et un édile E0. Ailleurs, à Apulum, en Dacie, ce fonctionnaire subalterne est appelé non plus édile, mais simplement aedis custos 21. Il est possible qu'à l'origine l'édile ou les édiles des vici, comme ceux du pagus,' n'aient eu d'autre charge que la surveillance des édifices religieux ou autres relevant de la communauté, dont ils n'auraient guère été que les aeditui (portiers) 22. Ces surveillants apparaissent néanmoins, de bonne heure, comme investis d'une certaine autorité. La lex ricana de Furfo attribue à l'édile c le droit de fixer l'amende que prononcera le vicus 1. Une autre inscription de la même région nous montre deux édiles, substitués aux magistri pour l'exécution d'un travail ordonné par la bourgade 2. De même, dans le pagus, les édiles ont droit d'amende 3 et surveillent les travaux d'intérêt public 4. Souvent, en Narbonnaise et en Gaule notamment, ces fonctionnaires semblent avoir remplacé complètement les magistri 5 ; il est vrai qu'ils n'étaient peut-être pas choisis par le vicus ou le pagus, comme les magistri, mais désignés par la ville ou l'administration centrale de la civitas Une inscription ancienne du vicus Supnas, dans les environs du lac Fucin, nous fait encore connaître des questeurs Ce serait là, croit-on, une magistrature proprement latine, remontant à la période de l'indépendance italienne, durant laquelle les bourgades rurales pouvaient encore constituer une commune autonome 3. Le même titre se retrouve encore cependant, au 11e siècle de notre ère, dans les villages de vétérans et de citoyens romains B. Le questeur y est tantôt mentionné seul, tantôt à côté du curateur et après lui10. On ne saurait évidemment prétendre qu'à ce même titre aient correspondu, à des époques aussi différentes et dans des régions aussi éloignées, des attributions et des fonctions identiques. Si le nom d'édile semble avoir prévalu en Narbonnaise et dans une partie de la Gaule, d'autres régions paraissent avoir préféré, surtout au iis siècle de notre ère, celui de curateur. Nous trouvons ainsi des curateurs en Suisse, dans le vicus de Lousonna (Lausanne) ", chez les Carnutes à Genabum (Orléans) 12 et surtout en Germanie 13. Ces magistrats ne doivent pas être confondus avec les fonctionnaires chargés au nie siècle de la surveillance financière des cités 14 ; leur titre n'est qu'un nom commun, très fréquemment employé et équivalant simplement à « administrateur » 15 [CUBATOR',. L'exemple de l'Italie, où nous trouvons des curateurs, assez exceptionnellement il est vrai, dans un pagus" et chez une peuplade des Alpes 17, a vraisemblablement contribué à la fortune de cette dénomination. On l'aurait employée, autant que nous en pouvons juger, pour désigner le principal administrateur des bourgades émancipées de la tutelle des villes aussi bien que de la communauté du pagus. Les citoyens romains négociants et vétérans de Mayence ont leur curateur i8, qualifié une fois de questeur-curateur 19. De même, dans la Haute Italie, les vétérans de Milan, de Vérone, de Turin, avaient le leur 20 En Illyrie 21, en Aquitaine et en Lyonnaise", en Suisse 23 nous trouvons ainsi des curatores et même un summus curator civium romanorum. On conçoit aisément que les villages du Limes germanique, composés principalement de commerçants romains et de vétérans devenus colons, aient eu à leur tête des curateurs. Nous trouvons encore parfois dans les vici un agent subalterne portant le titre d'actor. De même que le nom de curateur, ce terme est emprunté au langage courant bien plutôt qu'à la nomenclature administrative [ACTOR]. Les particuliers, les sociétés, les communautés peuvent avoir des actores24; ce sont soit des régisseurs, soit des fondés de pouvoir, soit des comptables. Dans les pagi, des accores praediorum s'occupent sans doute de faire valoir les terres appartenant au pagus 26. Les villes ont des actores publici chargés de la comptabilité et du contentieux. L'actor du vicus devait veiller aux intérêts matériels de la bourgade, la représenter au besoin en justice et à titre de jurisconsulte local, faire probablement office de juge de paix, réglant les affaires civiles entre les ricani. C'est ainsi que chez les Namnètes, deux actores ricanorum emploient le produit d'une souscription à construire un tribunal 2°. A Mayence, un autel est dédié par divers personnages, dont le second porte le titre de questeur et le troisième celui d'actor27. Une autre inscription nous fournit la liste complète des autorités du vicus : un curateur, un questeur et un actor 2B. Il est peu probable qu'outre ces fonctionnaires les vici aient eu un ordo et des decuriones formant une sorte de conseil 29. Nous rencontrons sans doute à Aix-les-Bains des decem lecti Aquenses 30 ; c'est là une exception ; on y peut voir l'imitation par un vicus important de l'organisation propre aux municipes. Certains vici ou castella d'Afrique, Verecunda 31, 1llastar 32, Arsacal 33, possèdent des décurions ; mais c'est qu'à partir de la fin du second ou du début du me siècle, ces bourgades ont reçu des empereurs le droit de constituer une respublica et sont devenues de véritables runicipes. De même que les municipalités constituées, le vicus LECII]. Plus encore que les villes, ces petites agglomérations rurales avaient intérêt à se donner ainsi des défenseurs ou des bienfaiteurs : elles usent, en recourant à la protection d'un personnage puissant, du même droit que possédait le pagus, aussi bien que les corporations d'artisans. Les patrons du vicus sont d'ailleurs fréquemment choisis parmi ceux de la cité 3t. I1. LES Vici URBAINS. De même que les territoires ruraux, les villes ont leurs vici. On entend par là, pour nous en rapporter au second point de la définition de Festus, un ensemble de maisons réparties de part et d'autre des rues et formant, à l'intérieur des régions, un quartier désigné par un nom propre 35. Conformé WC -86'2 VÏC Ment à son étymologie, le terme désigne donc, à la ville comme aux champs, un groupe d'habitations'. Cependant il se trouve aussi employé au sens de rue. A l'intérieur de Rome, seules la Voie sacrée et la Voie nouvelle portent le titre de via ; toutes les autres rues sont des clivi ou des vici : clivas Capitolinus, clivas argentarius ; vicus Tuscus, Sulpicius, sandaliarius, etc. 2. Ces clivi et vici rentrent naturellement dans la catégorie via et se trouvent parfois, surtout à l'époque républicaine, qualifiés de On s'explique aisément comment vicus est passé du sens de a groupe de maisons » à celui de a rue ». Chaque habitation étant à l'origine séparée de la voisine, virus désignait un ensemble de maisons avec les ruelles qui serpentaient entre elles. Plus tard, une fois que les bâtiments se furent agglomérés les uns avec les autres, on entendit par vices un groupe de pâtés de maisons (insulae), distribués le long d'une artère principale, qui reçut, elle aussi, celte appellation de virus. Ce même terme signifie donc, à l'intérieur de Rome, à la fois le quartier et sa grand'rue 4. Les vici, rues de Rome, semblent avoir constitué, jusqu'à la fin de l'Empire, un chaos inorganisé de ruelles bien plutôt qu'un système régulier de voies de communication. Malgré la transformation des édifices, malgré les nombreux incendies suivis de reconstructions partielles, les quartiers conservaient leur distribution et leur physionomie primitive. A la fin de l'époque républicaine, Cicéron parle encore des étroits passages, étouffés entre de hautes bâtisses, qui doivent exciter le mépris de provinciaux plus favorisés Tite Live et les historiens rappellent l'incohérence qui se perpétua dans l'aménagement de la ville °. Les grands travaux de César et d'Auguste, la construction des Forums impériaux, l'incendie de Néron surtout, durent, en quelque mesure, remédier à cet état. Ils n'empêchent pas néanmoins la Rome impériale d'apparaître, dans son ensemble, comme une ville fort mal bâtie'. La largeur moyenne des rues semble avoir varié entre 4 m. 50 et 6 m. 50. A partir du vie siècle de Rome, au moins, la plupart d'entre elles durent être pavées 6. Si nous en jugeons par l'exemple de celles de Pompéi, confirmé par les quelques indices qu'ont pu fournir les fouilles romaines, les artères principales étaient bordées de trottoirs. Quelques-unes, notamment celles que rétablit Néron, comportaient des arcades semblables aux portiques des villes modernes de la haute Italie'. A l'intérieur des quartiers, les ruelles (angiportus et semilae) s'embranchant sur le virus portent le même nom propre que le virus lui-même. Aucune désignation particulière ne les distingue, aucun signe particulier n'aide à reconnaître les maisons 10. On n'y rencontre jamais trace de numérotage; l'étranger n'avait pour se guider au milieu du dédale des passages et de la con fusion des insulae, que des indications compliquées, la sixième ruelle, la septième maison, la troisième boutique à partir de la porte, du carrefour ou de tel édifice facilement reconnaissable" ; il devait recourir, la plupart du temps, aux renseignements réitérés des passants ou des flâneurs. Chaque virus formait, en somme, une sorte de gros village, sans organisation interne, mais où chacun devait connaître ses vicini. Quelques-uns de ces vici pouvaient se trouver isolés, à l'intérieur de la ville, par une enceinte particulière, une muraille semblable à celle qui entourait certains forums impériaux. Tel aurait été, dès la période des guerres puniques, ce virus Africus, où, suivant Varron, on aurait enfermé les otages carthaginoisf2. Tous avaient leur individualité, pour ainsi dire, et leur centre particulier, localisé au carrefour principal [coMII''fUnl]. Le virus représente, dans la ville, l'unité administrative; c'est par virus que se fait le recensement 13; c'est par virus que sont organisés les secours contre les incendies et, sans doute aussi, la police des régions reconstituée par Auguste''. Sous Constantin, la Notitia regionuin décrit la Ville virus par virus '. C'est surtout sous forme de communauté religieuse que se manifeste l'existence des vici. Le carrefour est consacré au culte commun ; il a régulièrement son sacellum, petit sanctuaire ou simple autel dédié aux Lares du vices; les habitants s'y réunissent en mai et en août pour sacrifier aux divinités de leur quartier; ils célèbrent ces fêtes par des réjouissances [COnPITALIA]; chacun d'eux, après les Lares de son foyer, honore ceux de son carrefourf°. Au dire de Denys d'Halicarnasse, ce culte et par conséquent l'organisation des vici remonteraient à Servius Tullius"; mais on ne peut voir là évidemment qu'un de ces anachronismes dont les annalistes romains étaient coutumiers. Les honneurs rendus aux Lares compitaux ne semblent, en réalité, qu'une forme rajeunie du culte des ARGEI, dont les vingt-quatre chapelles auraient correspondu à une subdivision primitive de chacune des quatre régions en six districts [RECTO]. Nous ne savons rien d'ailleurs ni de l'institution, ni de la vie primitive des vici. Varron le premier mentionne quelques-uns des vici romains pour essayer d'en expliquer le nom16. A la fin de l'époque républicaine, ces corporations cultuelles étaient devenues surtout des comités politiques, ce qui amena leur dissolution". Auguste les rétablit en s'efforçant de leur rendre leur caractère religieux primitif et en adjoignant aux Lares des carrefours le Genius Augusti 2° [LARES D'après Pline, le nombre des compila Larum, et par conséquent des vici, se serait élevé, de son temps, à 263 pour les 14 régions de Rome 2t. Une dédicace à l'empereur Iladrien, datant de l'année 136, la base Capitoline, énumère, en nommant leurs magistrats, les vici sans doute tous les vici des régions I, X, XII, XIII, XIV; le total s'en élève à 66 t. Enfin la 1 1}'atitia regionum du temps de Constantin nous donne pour chaque région le chiffre des vici; la somme atteint 304 ou 307, tandis que le document indique, on ne sait pourquoi ni comment, 423 vici. Pour les cinq régions mentionnées sur la base Capitoline le nombre des quartiers apparaît beaucoup plus élevé à l'époque de Constantin que sous Hadrien, puisque la Notitia en compte 143 contre 66 2. II serait aussi vain d'essayer d'accorder entre eux ces documents que d'expliquer leurs divergences. On ne saurait d'ailleurs se refuser à admettre que le nombre des vici ait pu s'accroître depuis Vespasien jusqu'à Constantin ; la progression de 26-5 à 304 ou 307 n'a rien d'invraisemblable, tandis que pour la quatorzième région la différence entre les vingt-deux vici de la base Capitoline et les soixante-dix-huit de la Notitia paraît plus sujette à caution. Mais aucun indice n'autorise de corrections de chiffres. Quoi qu'il en soit, la base Capitoline et les renseignements que nous pouvons tirer soit des auteurs anciens, soit d'autres inscriptions moins importantes, nous font connaître environ 140 de ces vici 3. Leurs noms peuvent se répartir en trois catégories principales : les uns sont ceux d'une corporation d'artisans qui avait dû, à un moment donné, se trouver concentrée dans le quartier ; vices alliarius, argentarius, bubularius, frumentarius, etc. ; les autres sont des gentilices plébéiens, rappelant sans doute, comme le suppose Jordan, les noms des édiles qui présidèrent à la construction des quartiers ou à l'aménagement des rues ; vices Insteius, Acilius, Cosconius, Fabricius, Pullius... etc.`. Dans la troisième catégorie se rangent des dénominations diverses, soit d'origine historique (vices Tuscus, ainsi nommé probablement en raison de la présence d'une importante colonie étrusque; vicus Sceleralus, rappelant la légende relative à la mort de Servius Tullius ; vices Cuprius, de Cupra, déesse Sabine), soit dues à une circonstance telle que le voisinage d'une porte, d'un monument, d'un lieu-dit, ou l'existence d'un sanctuaire, d'une statue... etc. : vices Portae G'ollinae, vices Curiarum, vicus Honoris et Virtutis, vices Loreti majoris et minoris; vicies Apollinis, I3ellonae, Dianae, Fidei ; vices Fortunae respicientis; vices capitis Africae, capilis eanteri, columnae ligneae..., etc. Quelques-uns de ces noms, ceux notamment qui reproduisent des noms propres de magistrats, permettent de dater de l'époque républicaine la constitution des quartiers; d'autres, le vices Tuscus et le vices Cuprius, par exemple, nous reportent vraisemblablement jusqu'aux origines mêmes de Rome. Un certain nombre de ces vici connus ont pu être localisés avec précision; il en reste cependant plusieurs dont on ne saurait même indiquer à quelle région ils appartenaient. Il serait vain, dans l'état actuel de nos connaissances, de chercher dans les dénominations des vici des renseignements touchant l'histoire de la formation et des agrandissements de Rome. Les grandes villes de province sont, comme Rome' subdivisées en vici, quartiers, et leurs rues, appelées également vici ou clivi, portent le nom du quartier qu'elles traversent. C'est ainsi qu'à Pouzzoles nous trouvons une regio clivi vitrarii sine vici lurari 6. Le terme vices semble donc ici synonyme de regio 6. Dans la haute Italie, les inscriptions nous font connaître un vices Ilerculius à Brixia un vices primus à Aquila un vices Venerius à Milan Elles nous apprennent qu'Ariminum comptait sept vici et nous fournissent les noms de cinq d'entre eux : vices Aventinus, Dianensis, Cermalus, Velab(rus), Forensis f0. Tous ces noms apparaissent calqués sur ceux de Rome. Hors d'Italie, les principaux centres provinciaux semblent avoir emprunté de même à la capitale les noms de leurs quartiers. A Cordoue, nous trouvons, comme à Rome, un vices e capite canteri ". Antioche de Pisidie avait un vices Velabres, un Cermalus, un vices Tuscus, un vices patricius, un vices aedilicius f2. En Gaule, jusque chez les Médiomatrices, deux inscriptions de Metz mentionnent, l'une un vices Honoris, l'autre les vicani vici Pacis 13 Cette analogie tient sans doute à ce que l'organisation du culte des Lares augustales dans les provinces eut pour modèle celle des Lares compitales de Itome et dut y déterminer la subdivision des villes en vici. III. Vlcus, MAISON DE RAPPORT. La définition donnée par Festus de cette troisième espèce de vici pourrait aussi bien, semble-t-il, s'appliquer au mot insola. 11 faut entendre, nous dit le lexicographe, un immeuble urbain appartenant à un particulier et aménagé de telle sorte que chacun des locataires ait son entrée particulière ; les habitants de ces vici ne s'appellent d'ailleurs pas vicani 14, mais habitatores, et ce mot se retrouve dans les textes juridiques avec le sens d'inquilini 15. Un rescrit de Sévère et Caracalla leur donne le nom d'insularii, car ce qui caractérise la maison de rapport, c'est sa division en appartements isolés les uns des autres et desservis chacun par un escalier 16, aboutissant à la voie publique ou à une de ces ruelles (angiportus) qui mettaient deux rues en communication. En dehors de Festus, le mot vices dans le sens d'insnla ne se rencontre guère que dans les lettres de Cicéron 17. Ce serait donc une expression de la langue familière. Nous retrouverions dans cette acception le vieux mot vices = hstxos, ayant conservé dans le parler popu a re son sens primitif d'habitation. Lorsque, dans une lettre àTerentia, Cicéron parle de la vente d'un vices 18, c'est donc simplement d'une maison de rapport qu'il est question, et non pas de la vente d'un hameau rural, ainsi que l'entend Marquardt 19. De même, le vices Spurianus qu'un habitant de Pouzzoles, A. Plautius Evhodus, affecte, avec ses chambres à louer (corn suis meritoris), à l'entretien de son tombeau 20, ne doit représenter, malgré l'épithète de Spurianus, qui ressemble à un nom propre, qu'une maison de rapport, bien plutôt qu'un quartier de VID 86!r, VID