Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article VIGILES

VIGILES. A l'époque républicaine il n'existait pas de service organisé pour l'extinction des incendies qui, on le sait, furent toujours très nombreux à Rome. Les magistrats, cependant, avaient reçu mission de prendre, toutes les fois qu'il serait nécessaire, des mesures pour combattre le mal. Ils formaient un collège de trois membres (tresviri) et, comme ils faisaient exécuter des rondes de nuit, ils avaient reçu le titre de tresviri nocturni 1. A une certaine époque, on adjoignit comme auxiliaires à ces personnages des quinqueviri qu'on appelait cis Tiberim ou Gistiberes2. Les uns et les autres n'avaient à leur disposition qu'une équipe d'esclaves publics, établis aux portes de Rome et près des murs dans des postes d'où on les appelait, en cas de besoin, sur les points menacés 3 En outre, certains particuliers mettaient à la disposition de l'État leurs propres esclaves, soit gratuitement, soit contre rémunération, pour renforcer le service officiel". Cet état de choses dura jusqu'à l'époque d'Auguste. Persuadé que le soin de réglementer l'institution devait appartenir à l'État et à l'État seul, il organisa une véritable milice, chargée à la fois de faire face aux dangers des incendies et de maintenir la sécurité de la ville en arrêtant les malfaiteurs'. Il commença, en 22 av. J.-C., par confier aux édiles le soin d'entretenir un corps de 600 esclaves' ; puis, trouvant la mesure insuffisante, en 6 ap. J.-C., à l'exemple sans doute de ce qui existait depuis longtemps à Alexandrie', il constitua une troupe de 7 009 affranchis, qu'il divisa en sept cohortes, commandées chacune par un tribun, sous les ordres d'un chef spécial, le praefectus vigilum. Cette organisation concordait d'une certaine façon avec la division de la ville en quatorze régions, chaque cohorte ayant la police de deux régions voisines'. La solde de ces pompiers était fournie par un impôt nouveau, la quinte et vicesima venaliuta nlancipiorum' [VECTIGAL]. Bien que les vigiles ne fussent pas, à proprement parler, des soldats 1° et que le titre de milites ne leur ait été donné officiellement qu'au lue siècle dans les documents parvenus jusqu'à nous 11, ils étaient considérés comme formant une fraction de l'année permanente" les officiers qui y servaient passaient de là avec avancement dans les légions, dans les cohortes urbaines et dans les cohortes prétoriennes 13. Mais comme les hommes qui composaient le corps, n'étant que des affranchis, ne pouvaient pas légalement avoir entrée dans les autres troupes, on rendit, en 24 ap. une loi (lex Visellia) qui leur accordait le droit de cité après six ans de service; plus tard, un sénatus-consulte restreignit cette période à trois années 14, « ut vigiles militiam capessere possent ». Après ce temps et pourvus du droit de cité, les vigiles étaient inscrits sur la liste de ceux qui étaient admis aux distributions publiques de blé 15 [FRUMENTATIO]. Dès le milieu du 11e siècle on trouve, parmi les vigiles, des ingénus 76 ; à partir de Septime Sévère, ceux-ci forment la majorité des recrues 17. Chaque cohorte, ainsi qu'ilaété dit plus haut, comptait 1000 hommes; elle était divisée en sept centuries, à la différence des autres cohortes milliaires, qui en comprenaient 1018. Le commandant en chef était le praefectus vigiluin, un des plus hauts fonctionnaires de l'ordre équestre 19. Au n' siècle, il portait déjà le titre de perfectissimus 20, même parfois celui d'eminentissimus 21 ; au début du ive siècle, il avait rang de clarissimus 22, plus tard de spectabilis 23. Il n'avait au-dessus de lui, hiérarchiquement, que le préfet de l'annone, celui d'Égypte et celui du prétoire. Ses fonctions sont nettement définies par le Digeste 24 : elles étaient de deux sortes, techniques et judiciaires. Comme chef technique, il devait veiller toute la nuit, pour être prêt à faire face aux événements et avoir soin qu'il y eût toujours de l'eau à portée des pompiers. Comme chef judiciaire 26, il avait à juger les incendiaires, les voleurs, les recéleurs, sauf pour les cas très graves où l'affaire était déférée au préfet de la ville; à punir de la bastonnade ceux qui avaient, par négligence, causé des incendies, VIG 868 VIG ou les esclaves gardiens des maisons qui avaient laissé forcer la serrure des magasins et dérober les objets confiés à leur surveillance', ou bien encore faire rechercher les esclaves fugitifs2. Sous les ordres du préfet des vigiles était placé, depuis Trajan, un sous-préfet3, qui aidait son supérieur à faire face à ses multiples obligations. Au-dessous des centurions on trouve la série habituelle des principales', parmi lesquels il suffit de mentionner comme propres aux vigiles, ou particulièrement significatifs, les medici, les vexillarii, les siphonarii, les aquarii,les centonarii, les emitularii et les sebaciarii. Les médecins étaient au nombre de quatre par I_It.l"t cohorte 6, nombre élevé par rapport à celui que l'on rencontre dans les autres troupes de l'armée romaine. On l'explique par les accidents nombreux qui devaient se produire au cours des incendies. Les vexillarii 6 sont les seuls porte-enseignes des vigiles ; car le corps, n'étant pas de formation régulière, ne possédait pas de signa, mais seulement des vexilla, un par centurie [vEXILLOM]. Les sipllonarii [saine] étaient chargés de la manoeuvre des pompes employées à l'extinction du feu? ; les AQttARU avaient à surveiller le bon fonctionnement de l'eau et des bouches d'incendie dans les diverses régions de Rome 2; les centonarii devaient entretenir et mettre en place les centones, ou couvertures de laine qu'on imbibait d'eau ou de vinaigre pour étouffer les flammes au début d'un sinistre [GENTONARII] ; les emitularii avaient pour mission de s'occuper des coussins et des matelas qu'on étendait à terre, pour faciliter le sauvetage des personnes qui s'échappaient par les fenêtres °. Quant aux sebaciariif0, leur fonction est tout à fait incertaine. Suivant les uns, ils étaient chargés de fournir aux rondes de nuit tous les éléments d'éclairage nécessaires à l'accomplissement de leur tâche ; suivant d'autres, leur office, qui daterait seulement du lue siècle, aurait été celui d'allumeurs de lampions, lanternes ou autres luminaires usités depuis cette époque pour l'éclairage des rues principales de Les sept cohortes de vigiles étaient réparties dans la ville de Rome de façon que chacune pût surveiller deux régions voisines: dans l'une de ces régions était la caserne proprement dite (statio), dans l'autre un corps de garde (excubitorium) qui en dépendait i2. La caserne de la première cohorte se trouvait dans la septième région, entre la Via lala et le temple de Sérapis. On en a découvert des restes au xviie siècle, sous le palais Balestra. C'était le siège du praefectus vigilum, comme le prouvent les inscriptions, les marbres précieux et les statues de préfets trouvées à cet endroit. Le plan de la caserne a été conservé sur un fragment de la Forma Urbis (fig. 7477)13. Elle se présente sous l'apparence d'une suite de chambres sous portique, distribuées autour de cours centrales très allongées. La caserne de la seconde cohorte était voisine de Sainte-Viviane ; on en a reconnu des traces au xvie siècle 14, aux confins de la cinquième et de la troisième région. La troisième cohorte était casernée aux confins de la quatrième et de la sixième, près de la porte Viminale; la quatrième, sur l'Aventin, auprès de Saint-Sabas1U : de nombreuses inscriptions relatives à des soldats de cette cohorte ont été employées dans la construction de l'église 17. La cinquième cohorte occupait, sur le Coelius, l'emplacement qu'occupe aujourd'hui la villa Celimontana18; la sixième, chargée de surveiller le forum et la région voisine, campait peut-être près de la place de la Consolation19 ; la septième gardait les quartiers du Transtévère 26; on ignore l'emplacement exact où s'élevait sa caserne. Ainsi les quatorze régions de Rome étaient réparties de la façon suivante : On a découvert en 1866, près de Saint-Chrysogone, le corps de garde qu'occupait la septième cohorte des vigiles (fig. 7478)2'. La fouille, qui est restée malheureusement incomplète, a mis au jour un bel atrium pavé de mosaïque avec une vasque hexagonale (fi g 7478, 7479). Au s ',g/egos VIG 869 VIG fond et à gauche on pénétrait dans une suite de chambres dont quelques-unes appartenaient à un bain. On a relevé sur l'enduit qui couvrait les murs une série d'inscriptions à la pointe, aussi nombreuses qu'instructives. Depuis l'époque de Claude une cohorte, sans doute urbaine, était chargée de veiller, en dehors de Rome, sur la sécurité des magasins de Pouzzoles et d'Ostie, dont l'importance était, on le sait, considérable pour l'alimentation de la ville de [tome 1. La mesure ne fut pas maintenue pour Pouzzoles 2 ; elle continua au contraire à être appliquée à Ostie 3. On y envoyait, au ne et au 111e siècle, période pour laquelle nous avons conservé de nombreux témoigna , ges épigraphiques, un détachement emprunté à tour de rôle à l'une des sept cohortes: il formait [une vexillatio, sous un praepositus, q u i était généralement le tribun de la cohorte auquel le détachement était demandé ; celui-ci comprenait plus de la moitié de l'effectif de la cohorte 4. On a complètement d é blayé la caserne des vigiles d'Ostie ; c'était primitivement une grande maison qui fut louée ou achetée par l'État, probablement au temps d'Hadrien, et appropriée aux besoins des nouveaux occupants. Septime Sévère y apporta de nouveaux changements : on boucha toutes les portes et toutes les boutiques qui donnaient sur la rue, pour ne laisser que trois entrées, une au milieu de la façade et une sur chacun des grands côtés, à droite et à gauche, à la façon d'un camp. La caserne se composait d'une vaste cour entourée d'une colonnade; là s'ouvraient une série de chambres et d'escaliers qui conduisaient à l'étage supérieur. Dans l'atrium, en avant des colonnes, s'élevaient les statues des empereurs ; au fond était aménagé un sanctuaire (Augusteum), destiné à la célébration du culte impérial ; on y avait placé les images des différents princes du ne et du me siècle 5. Le plan complet de la ca serne a été donné par M. Vaglieri' (fig. 7480). Il semble qu'il ait existé dans les municipalités, aussi bien en Orient qu'en Occident, un service pour l'extinction des incendies et la police de nuit'; mais ceux qui en étaient chargés ne portaient pas, pour l'ordinaire, le nom de vigiles ; ce sont les collèges maient cette mission s. On ne rencontre le terme qu'à Nîmes et peut-être à Lyon °. A Nîmes, où l'influence alexandrine a laissé, on le sait, plus d'une trace f0, le chef du corps se nommait praefectus vigilum" et, d'une façon plus complète, praefectus vigilum et armorum f2 ; mais on n'a jamais trouvé mention d'un vigile sirnple soldat. On a donc pu conclure, à bon droit, que, là comme ailleurs, ce commandant avait recours aux membres d'un collège local. R. CAGNAT.