Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ANULUS

ANULUS ou ANNULUS'. Anneau, de quelque espèce que ce soit, et particulièrement bague que l'on met au Les Grecs eurent certainement des bagues dès une époque reculée. Toutefois il n'en est fait aucune mention dans les poèmes d'Homère, Pline l'Ancien l'avait déjà remarqué ; et cependant on sait avec quel soin sont indiqués tous les détails du costume dans les descriptions homériques. Les peuples orientaux, qui possédèrent dès la plus haute antiquité des pierres gravées qui leur servaient de cachets', non pas, il est vrai, ordinairement montées en bagues, durent en transmettre l'usage de bonne heure aux Grecs d'Asie et d'Europe avec qui ils étaient en relations. Les passages de quelques auteurs', se rapportant à des héros des temps fabuleux ou décrivant des ouvrages qui les représentaient, ne prouvent pas que l'usage existât chez ceux-ci à une date aussi ancienne. Ce que dit Hérodote au sujet de Polycrate, tyran de Samos au vu° siècle avant J.-C., qui affectionnait particulièrement une bague où une pierre de grand prix était montée en or, est le premier témoignage vraiment historique en cette matière, touchant les Grecs. Sans doute, ils avaient avant ce temps des cachets pour sceller les lettres, les coffres, les portes et tout ce qui devait être clos [snGNua] ; dès le temps de Solon, une loi fut nécessaire, qui interdit aux graveurs de ces sceaux (daxTU).toy),Gyot) de garder une empreinte de ceux qu'ils avaient fabriqués'; mais étaient-ce des bagues qui servaient ainsi de cachets? Quelques personnes doutent 7 que les Grecs en aient eu avant le y, siècle, et supposent que les cachets étaient antérieurement des pierres suspendues à la manière des cylindres assyriens. Les plus anciens anneaux des Grecs étaient sans pierre enchâssée (éretpt, «).IOta),ils étaient entièrement en métal, en fer, à ce qu'il semble a. Les Lacédémoniens en avaient encore de ce métal au temps de Pline 9 ; mais, à Athènes, si de pauvres citoyens continuèrent à porter des bagues de peu de prix 10, la plupart les remplacèrent par des bijoux d'or et d'autres matières précieuses, ornés généralement de pierres dont la valeur consistait tantôt dans les figures qu'on y voyait gravées, oeuvres d'art souvent d'une grande perfection, tantôt dans leur rareté ou leur éclat naturel [GCan4AE]. On ne se contenta bientôt plus de l'anneau-cachet que chacun mettait au quatrième doigt (rapt p.eeog), celui que nous appelons l'annulaire'`; les élégants couvrirent leurs mains de bagues 13 ; des hommes du caractère le p'.us grave, Démosthène, Aristote, en portaient plusieurs l'. Ce luxe ne fit que croître dans les temps postérieurs "'. Les femmes n'avaient pas pour ce genre de parure un goùt moins prononcé que les hommes', les bagues grecques que l'on possède encore suffiraient à le démontrer : beaucoup sont trop étroites pour avoir été portées par des hommes. Peut-être les femmes grecques avaient-elles aussi pris de l'Orient la mode d'en porter un grand nombre à la fois. On peut voir au Louvre, parmi les antiquités de file de Chypre, pays où la Grèce et l'Asie se sont constamment et étroitement mêlées, un fragment de statue de femme dont tous les doigts sont chargés de bagues. A une autre extrémité du monde oriental, dans un tombeau de Nicopol, en Crimée, où étaient ensevelis les restes d'un roi et d'une reine de la Chersonnèse, on a constaté que le roi avait deux bagues à ses doigts et que la reine en portait dix 1a. Ces bagues, ouvrages du Ive siècle avant J.-C., sont de la main d'artistes grecs, à qui sont dus à peu près tous les bijoux si abondamment fournis par les fouilles faites dans le même pays, et qui appartiennent généralement aux meilleurs temps de l'art hellénique. D'autres bagues ont été trouvées à Athènes et dans diverses parties de la Grèce. Nous en donnons quelques exemples, à l'aide desquels on se fera une idée plus nette de leur façon et on distinguera leurs différentes parties, que les auteurs désignent par des noms particuliers. Ainsi on comprendra aisément, en voyant les anneaux représentés fig. MI à 343, dont le bandeau est semblable à une corde nouée par les deux bouts à la poche d'une fronde, la comparaison naturelle qui a fait nommer souvent la bague par les Grecs -ANU294 ANU ssi,avUlati'7, et par les Latins /ûndat". Ce nom s'applique plus particulièrement au chaton (appelé encore 7tuuX6ç ou 7tuEi.i„ ;,.«vlpa, pala)19 qui enserre la pierre (ecpos,atfpayis, gemma). La comparaison n'est pas moins juste, pour être moins frappante, quand elle s'applique à des bagues grecques étrusques ou romaines, semblables à nos chevalières, dont on possède encore un très-grand nombre : le cercle plus ou moins épais s'élargit et se renfle pour enchâsser la pierre ou la lame de métal, tantôt plane et tantôt saillante, qui sert de cachet. Cette pierre, onyx, cornaline, jaspe, améthyste, etc. [GEMMAE], est quelquefois mobile autour d'un axe et présente à volonté d'un côté un sujet gravé en creux, de l'autre une figure en relief. Telles sont les bagues ornées de pierres taillées en forme de scarabée, que l'on rencontre en abondance chez les Étrusques, et qui furent portées aussi, dans une intention superstitieuse [AMuLETUM], par d'autres peuples, par les Égyptiens d'abord, puis par les Phéniciens Y9, et aussi par les Grecs, comme le prouvent quelques-uns de ces bijoux qui ont été conservés, du plus pur travail grec ; quelques pierres portent même des inscriptions en carac1ères ioniens. On voit (fig. 341) une de ces bagues trouvée en Grimée, entièrement en or ; l'insecte est en relief, d'un travail achevé, et sur le plat sont figurés en creux Aphrodite et les déesses d'Éleusis "1. Au lieu d'un scarabée, c'est un lion qu'on voit (fig. 342) taillé par un artiste grec dans une cornaline orientale; au revers est figuré en intaille un lion courant; ce bijou fait partie, comme le précédent, du musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg "". Un autre encore, du même musée, qui présente également à sa partie convexe l'image d'un lion, offre au revers (fig. 343) celle d'un tro phée "0. Nous ne pouvons indiquer ici que quelques-unes des formes données aux bagues par les artistes grecs, qui ont su les varier avec leur goût habituel "'; nous signalerons seulement parmi celles qui furent également adoptées par les Grecs, par les Étrusques et par les Romains, des bagues dont la pierre, par ses couleurs et quelquefois par la forme de son encadrement, offre la figure d'un oeil; elle est quelquefois mobile et tourne sur un axe (fig. 344) Y5 : c'était un amulette contre le mauvais oeil [teAscINus] ; ou bien la pierre est remplacée par un enlacement en forme (le noeud, dit noeud d'Hercule, par suite d'une autre superstition qui sera ailleurs expliquée [Nones] 2e. De tout temps certains anneaux furent portés comme des préservatifs et des talismans (tpa t9eTat, TETEXE6.ÉVOl) [AMULETUM, MAGIA]. D'autres °-7 ont la forme d'un serpent ou d'un ruban enroulé en spirale, faisant autour du doigt un ou plusieurs tours, quelquefois couvrant une phalange entière. Celui qui est ici figuré (fig. 3115) a été trouvé dans l'île d'Ithaque "". On voit encore (fig. 346) un anneau massif en or ciselé, terminé de chaque côté par une tète de serpent "9. Toutes ces sortes de bagues se sont rencontrées dans les tombeaux de l'Italie aussi bien que dans ceux de la Grèce. D'autres sont propres au premier pays. Outre les scarabées, pour lesquels les Étrusques eurent une prédilection marquée, il y a une classe de bagues qui leur appartient, à ce qu'il semble, exclusivement: ce sont 30 des anneaux d'or portant un chaton en forme de cartouche allongé, tantôt comme celui qui est ici dessiné (fig. 347), arrondi aux extrémités, tantôt pointu ou en amande". Le chaton épais et saillant renferme une lame d'or, qui est ou estampée et ciselée en relief, ou au contraire profondément gravée. Sur la lame de la bague ici reproduite est figuré Apollon sur un char traîné par des chevaux ailés, poursuivant Phlégyas et sa fille Coronis,qu'il perce de ses flèches. Des deux côtés de l'écusson des chimères sont placées comme supports "3. Le sujet gravé sur la lame d'un anneau semblable 99, où est représenté le char d'Admète, attelé d'un lion et d'un sanglier, aété reproduit ci-dessus (p. 70, fig. 109), mais grandi. On voit, représentées aux doigts des personnages, hommes ou femmes, couchés sur les sarcophages étrusques, des bagues de grande dimension, dans lesquelles on peut reconnaître des anneaux pareils à ceux que nous venons de décrire L'exemple cité par Pline 3s d'antiques statues de Numa et de Servius Tullius, à la main desquelles on voyait une bague passée au quatrième doigt, appuie la double tradition d'après laquelle l'usage des anneaux serait venu aux Romains des Sabins selon les uns, et selon les autres des Étrusques 36 ; il est probable qu'il exista de bonne heure chez tous les peuples de l'Italie. Des bagues, dont l'origine AN-U -?95ANU grecque est manifeste, ont aussi été trouvées dans les tombeaux de Cumes et de l'Italie méridionale. Vraisemblablement ce furent les Grecs et les Étrusques plutôt que les Sabins, peuple dur et pauvre, qui donnèrent des modèles aux Romains, quand ceux-ci ne se contentèrent plus de l'anneau de fer de leurs ancêtres.L'anneau d'or fut, sous la république, un insigne de la noblesse, unerécompense ou un privilége attaché à certaines fonctions [ANULUS AURRUS] ; l'anneau de fer demeura dansl'usage commun 37. On en possède encore quelques-uns de cette espèce, appartenant à des temps fort divers, ainsi que des pierres qui portent des traces de l'oxydation qui a détruit la monture 98. L'habitude conservée pour les triomphateurs de porter l'anneau de fer, et pour les fiancés d'en envoyer un semblable, sans pierre, à leur future épouse, sont des vestiges des anciennes moeurs 79, dans un temps où elles étaient d'ailleurs entièrement transformées. Sous l'empire, l'anneau d'or, alors marque distinctive des chevaliers, fut accordé par le prince à des personnes d'un rang inférieur, notamment à des affranchis, d'abord avec une certaine réserve, puis sans mesure, et cet insigne usurpé par des hommes de toute condition, malgré quelques efforts impuissants pour maintenir les anciennes règles, finit par perdre toute signification. Au temps d'Hadrien, il n'y avait plus que les esclaves à qui il ne fût pas permis de le porter f0. On voit à Rome deux statues d'acteurs comiques , dont une au moins représente certainement un esclave. L'une et l'autre ont à la main gauche un anneau placé à la dernière phalange de l'index (fig. 348). Visconti " y a vu un anneau propre aux esclaves et l'a appelé condalium, adoptant ainsi l'opinion commune sur le sens qu'il faut donner à ce mot. Toutefois cette opinion ne se fonde que sur un passage d'une comédie de Plaute 49, où l'anneau qu'un esclave a perdu au jeu est ainsi nommé ; mais c'est, sans aucun doute, de celui de son rilaître, et non du sien, qu'il s'agit. Condalium vient de xovêûaoç, qui n'est qu'un synonyme de ô«xTatosPlaute voulant donner à une de ses comédies le nom de celle de Ménandre qui avait pour titre0«xTtiXioç, l'appela Condalium. Un autre nom, ungulus, anciennement donné aux bagues chez les Romains n'a pas probablement l'origine que lui a attribuée saint Isidore i5. Ce nom vient de celui que les Latins donnaient à la pierre le plus souvent employée pour les cachets, les Grecs l'appelaient ôvSxtov, et ce nom s'est conservé jusqu'à nos jours dans l'italien nicolo, ou onicolo. Le goût des pierres précieuses et finement gravées [GCMMAE] s'introduisit à Rome avec la culture grecque et y progressa avec le luxe à mesure qu'elle s'enrichit. Scipion l'Africain fut, dit-on, le premier qui mit à son doigt une bague ornée d'une sardoine ". On peut juger de la passion que l'on eut ensuite pour les belles pierres par ce seul fait, qu'Antoine proscrivit un sénateur qui possédait une bague ornée d'une opale d'une grosseur extraordinaire, afin de s'en emparer ; ce fut aussi le seul objet que le proscrit emporta dans sa fuite 65. On connaît les emblèmes choisis pour leurs cachets par un certain nombre de personnages. C'était tantôt le portrait d'un ancêtre, d'un ami : Lentulus Sura avait celui de Scipion sur son anneau 'G, et les disciples d'lpicure sur le leur voulaient voir le portrait de leur maître '7; tantôt la représentation de quelque fait dont on tirait gloire : Sylla avait pris pour cachet l'image de Jugurtha captif remis entre ses mains48; tantôt encore la figure d'une divinité: César avait adopté celle de Vénus armée, ou tout autre symbole : sur l'anneau de Pompée, qui fut présenté avec sa tête à Jules César, était gravé un lion tenant un glaive" ; sur le sien Auguste eut d'abord un sphinx; plus tard, le buste d'Alexandre le Grand, enfin sa propre image 50, qui fut conservée comme sceau par ses successeurs S1. Cependant Galba garda le cachet de sa famille, un chien sur une proue 5'. Hadrien voulut avoir sur son anneau sa propre effigie''. Des exemples, dont le plus ancien remonte au temps de la deuxième guerre punique S', nous montrent l'usage qu'on faisait des bagues à cachet pour sceller des missives, des actes publics et privés et leur donner de l'authenticité. Le même moyen servait aussi chez les Romains, plus vigilants encore que les Grecs, à fermer les coffres, les amphores et les greniers 55 [stemm]. On eut aussi pour cela des anneaux auxquels une clef était adaptée et quelquefois réunissant, comme celui qui est ici reproduit (fig. 349) 56, une clef et un cachet : les exemples n'en sont pas rares dans les collections. Mais on n'eut bientôt que faire de pareils prétextes pour motiver le luxe des bagues : il devint tel, qu'on les étala à tous les doigts. La mode varia. Pline affirme, d'accord avec la plupart des auteurs 58, que les Romains n'en mirent d'abord qu'au quatrième doigt, puis à l'index, enfin au petit doigt. Le riche Crassus fut peut-être le premier qui osa se montrer avec deux anneaux 57 ; du temps d'Horace, il était de bon ton d'en avoir trois à la main gauche se; plus tard, on en mit aux deux mains, et en aussi grand nombre que les doigts en pouvaient tenir. Quintilien recommande aux orateurs de ne pas en surcharger leurs mains, et surtout de ne pas en porter au delà de la deuxième articulation S9. Ces exagérations passèrent toujours pour ne convenir qu'aux femmes ou aux hommes efféminés fio. Juvénal parle aussi de bagues d'été, plus légères que celles qu'on portait l'hiver e' Les monuments confirment ce que disent les auteurs de la manière de porter les bagues chez les Étrusques et après eux chez les Romains. On peut voir, d'après ceux qui sont ici reproduits que, outre le cachet porté à' l'annulaire de la main gauche (fig. 350) G9, ce qui fut le commun et constant usage, on mit des bagues ANU 29x: \NU à tous les doigts, celui du milieu excepté Agitas infainis, t'e,'pus, /it pudieu.s) 87, à cause des superstitions qui attrihuaient à ce dernier un caractère spécial [rescINOM]. Une main de bronze (fig. 351) conservée au musée de Cortone en offre un remarquable exemple e'; c'est le seul monument que nous ayons vu, hors de l'Égypte, où une bague soit placée au pouce. ll n'en manque pas où (les bagues sont visibles an petit doigt ou à l'index ; parfois plusieurs sont réunies sur le même