Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article VIRGA

VIRGA. L'étymologie du mot est incertaine. S'il n'y n aucun compte à tenir de celle que Servius propo sait dans l'antiquité : dicta (virga) quod vi regatt, il est malaisé de choisir entre les hypothèses des savants modernes, dont les uns proposent les racines varg ou vrh, qui expriment toutes deux l'idée de croissance, tandis que les autres rapprochent le mot du latin vireo . Ce qui paraît certain du moins, c'est que le sens primitif du mot est: branche, rameau, tige de végétal. Caton l'emploie pour désigner des branches de myrte ; Varron l'applique aux rameaux du grenadier a; Pline aux ramilles de l'arbuste qui produit l'encens , ainsi qu'aux tiges du lin 6; Ovide aux tiges du pavot et du lys . Parfois virga s'oppose à semen, pour signifier la branche ou la bouture qui se plante , parfois aussi pour signifier le greffon 9. Détachée de l'arbre ou coupée, la branche ou la tige, que désigne le mot virga, suit des destinées différentes, sert à de multiples usages; il en résulte que le terme lui-même reçoit des sens très variés. La virga peut être une baguette, badine ou canne légère tenue à la main; c'est avec une virga que, dans deux épisodes bien connus, Tarquin l'Ancien abattit les plus hautes tètes de lys du jardin qu'il parcourait10, et qu'un légat romain, C. Popilius Laenas ou Cn. Octavius, traça soir le sable le cercle dans lequel il enferma le roi de Syrie Antiochus, en lui intimant l'ordre de répondre aux injonctions du Sénat romain avant de sortir du cercle '. C'est sans doute dans le même sens que Pline emploie le mot, lorsqu'il indique qu'il est fort utile aux voyageurs, qui doivent faire une longue route à pied, de tenir à la main des virgae mirai'. Mais peut-être l'auteur attribue-t-il à ces branches de myrte quelque action magique. La virga était aussi la houssine dont les cavaliers ou les cochers se servaient pour exciter les chevaux. Martial et Juvénal emploient le mot dans ce sens 13 ; c'est très probablement VIR 925 VII't une virga que tient à la main le cavalier représenté sur une stèle funéraire de Thespies [FLAGELLUM, fig. 3079]. La canne ou baguette, désignée par le mot virga, emprunta, dans la vie privée et dans la vie publique, un caractère particulier à diverses circonstances spéciales dans lesquelles elle était utilisée : elle fut, par exemple, dans les palestres grecques [GYMNASIUM, fig. 3679 à 3682; LUCTA, fig. 4619, 4620] et dans les écoles de gladiature, l'insigne en même temps que l'instrument d'action des chefs d'équipe [GLADIATOR, fig. 3581, 3593; LUCTA, fig. 4624, 4629] 1 ; en ce sens virga est synonyme de p .Sotet de rudis 2. Elle fut la canne avec laquelle les licteurs, qui précédaient les magistrats romains, frappaient à la porte des maisons où les magistrats se préparaient à entrer 3. Elle fut l'insigne des praecones attachés soit aux prêtres, soit aux magistrats'. Elle jouait un rôle dans les cérémonies d'affranchissement sous le Missio]. Elle fut la ba guette des magiciens et des magiciennes' ; enfin le nom de virga fut parfois donné au caducée de Mercure 6. La virga ne fut pas toujours employée isolément par les anciens. Plusieurs virgae groupées ensemble formaient un faisceau, dont les usages furent très divers, depuis la plus humble destination domestique jusqu'au rôle le plus élevé dans l'État. Ovide emploie le mot virga dans le sens de balai, bien qu'il use du singulier : Unda prias spargat, virgaque verrat humum7 ; on doit entendre ici la partie pour le tout : virga désigne un balai, fait de plusieurs virgae [SCOPA, p. 1122]. On connaît mieux, et les auteurs anciens mentionnent plus souvent, les verges comme un instrument de punition pour les enfants et les esclaves. Les verges faisaient partie du mobilier scolaire, aussi bien que la férule [FERULA] et le fouet [FLAGELLUM, LORUM, scutica]; c'est avec des verges qu'est châtié l'élève représenté dans la fresque souvent citée d'IIerculanum [LUPUS, p. 1382, fig. 4647]. Prudence et Ausone attestent que la fustigation par les verges était l'un des châtiments en honneur dans les écoles du ive siècle, et que le sang coulait en abondance du dos des malheureux enfants brutalementfouettés e.Onchoisissait de préférence des badines flexibles et cinglantes, par exemple des branches de saule,pour en composer les verges 9.Dans les erg astutti les esclaves étaient aussi fouettés avec des verges 10, bien qu'on leur infligeât plus souvent la peine du fouet [FLAGELLUM, p. 1154 sq.]. Dans les flagellations rituelles il est possible aussi qu'on se soit servi de baguettes comme de fouets [FLAGELLUM, p. 1155 sq.] 11. Une curieuse peinture de Pompéi, dont le sujet reste énigmatique et que l'on a voulu rapporter à un rite de ce genre, représente une femme ailée brandissant une baguette, qui est un spécimen typique de la virga ainsi employée (fi g. 7517) 12 Dans la vie publique, les verges furent un instrument de supplice. Des textes très nombreux nous montrent que l'exécution d'un condamné à mort comportait deux phases : la flagellation par les verges, puis la décapitation par la hache. Dans sa description du supplice des fils de Brutus, Tite-Live écrit : missique lictores ad sumendum supplicium nudatos virgis caedunt securique feriunt13. Le supplice des verges est un de ceux que Verrès se plaisait à infliger aux Siciliens qu'il voulait dépouiller". Pour la flagellation des parricides, on se servait des branches d'un cornouiller de couleur rouge, appelé sanguin eus frutex, et dont le nom populaire, aujourd'hui encore, est le sanguin ". Les verges et la hache, les deux instruments du supplice des condamnés à mort, formaient les faisceaux des licteurs attachés à la personne des magistrats qui pouvaient prononcer des condamnations capitales [LICTOR, fig. 4482, 4183, 7506]. Les verges seules figuraient dans les faisceaux, lorsque les magistrats ne pouvaient pas prononcer sans appel de telles condamnations. En 193 av. J.-C. la lex Porcia, proposée par Caton l'Ancien, défendit de faire subir aux citoyens romains le supplice des verges [LEX, p. 1160]. Le jus virgarum ne put donc plus légalement s'exercer contre un citoyen romain. On sait avec quelle indignation Cicéron a reproché à Verrès d'avoir fait administrer les verges à un citoyen romain ' en Sicile ". Pline rapporte que, des doutes s'étant élevés sur la qualité de citoyen romain de L. Cornelius Balbus Major, qui fut consul en 40 av. J.-C., on discuta de jure virgarum in eum ". Les virgae en vinrent donc à symboliser matériellement l'autorité judiciaire et administrative que les magistrats romains, pourvus du droit de justice, pouvaient exercer sur les non-citoyens. D'après Plaute, les verges qui composaient les faisceaux des licteurs étaient des branches d'orme, ulmeae virgae 18 ; d'après Pline, on choisissait de préférence des branches de bouleau, betulla 19. J. TOUTAIN•