Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article VIRTUS

VIRTUS. Il est possible que le premier, et longtemps le seul vestige, d'une personnification de la valeur morale soit à chercher dans 'Ap-s trn, la femme d'Alkinoos, roi des Phéaciens, chez Homère, sa soeur dans la poésie hésiodique. Mais le sens et l'étymologie d'Apr',re1 sont obscurs'. Il faut donc nous tenir à la forme 'Apetii, qui seule mène à l'idée de la valeur guerrière et de la force morale. Comme personnalité divine, elle apparaît pour la première fois dans la célèbre allégorie de Prodicos, nous montrant Iléraclès arrêté au carrefour entre la Volupté et la Vertu2. Sur la tombe d'Ajax Télamon, après que la ruse d'Ulysse eut triomphé de la vaillance du héros, était représentée Arété en deuil'. Une autre légende raconte que Zeus Sôter engendra aven Praxidiké, sa soeur, un fils du nom de Ktésios et deux filles, 0monoia et Arété, qui reçurent elles-mêmes le surnom de Praxidicae 4. Pline mentionne parmi les oeuvres d'Euphranor un groupe colossal représentant Ilellas personnifiée, que couronne Arété. Les peintres Aristolaos et Parrhasios, celui-ci lui donnant Dionysos pour compagnon, la représentèrent également dans des oeuvres célèbres. C'est à eux que ]es monétaires de Rome empruntèrent les traits de Virtus, soit seule, soit groupée avec d'autres figures ou allégoriques ou représentatives de contrées personnifiées et d'empereurs (fig. 7I8) '. Mais il n'est question nulle part en Grèce d'un culte ni d'un temple en l'honneur d'Arété; sa popularité y est toute poétique et artistique Il en est autrement chez les Romains ; très anciennement déjà il y existait une religion de Virtus, soit seule, soit apparentée à d'autres divinités analogues. Cicéron en parle dans des termes, et sur la foi de documents, qui ne laissent pas de doutes à cet égard, quoiqu'il y mêle des considérations de philosophie religieuse étrangères aux anciens temps': « La Sagesse et l'Intelligence nous sont venues des dieux et c'est pour cette raison que nos ancêtres ont consacré et publiquement honoré Alens, Fides, Virtus, Concordia. Comment pourrait-on nier que ces personnifications soient au nombre des divinités, puisque nous les vénérons sous la forme d'images augustes et saintes ? » Le même, parmi les prescriptions de la Loi des Douze Tables relatives au culte des dieux célestes, cite Mens, Virtus, Pietas et Fides, et proclame que « par elles l'homme s'élève jusqu'au ciel ; les temples auxquels elles ont droit sont justement refusés aux personnifications des vices ». Sous l'Empire, les calendriers mentionnent, à la date du 29 mai, une fête en l'honneur d'Ilonos et de Virtus 8. Lorsque Auguste adopta, en 17 av. J.-C., ses neveux Gains et Lucius, il profita de l'occasion pour remettre en honneur une fête plus ancienne, qui persista sûrement jusqu'à la fin du ne siècle et probablement au delà. Mais le culte de Virtus associé à celui d'Honos remonte à une haute antiquité; les deux divinités sont à grouper dans le cortège de Mars et leur signification dominante est toute militaire La preuve, c'est que Rome possédait, à la fin de la République, plusieurs temples érigés en leur honneur et tous à l'occasion de victoires remportées. Le plus ancien, qui est aussi le plus connu, est celui dont la construction datait de 243 av. J.-C. 10; il avait été construit par C. Fabius Maximus Verrucosus, qui l'avait voué durant la guerre de Ligurie, à l'intention d'Honos seul, sans aucune mention de Virtus. Un quart de siècle plus tard, M. Marcellus, le vainqueur de Syracuse, renouvela (c'est le terme employé par Cicéron, qui a dû l'emprunter aux Annales des Pontifes) le culte d'Honos en y associant Virtus 1!. Ilen résulta un conflit avec l'autorité sacerdotale, qui, par scrupule pieux, refusa d'admettre qu'un même édifice fût placé sous l'invocation de deux divinités distinctes. En conséquence, on construisit un sanctuaire double, où les images d'Honos et de Virtus reçurent des cellae ;sépa rées. Le grand incendie du règne de Néron le détruisit et il fut réédifié sous Vespasien. Dans la langue courante il est désigné tantôt au pluriel, tantôt au singulier; Symmaque, au déclin du paganisme, l'appelle aedes gemella. Le scrupule de la dualité fut respecté sous Vespasien, deux peintres différents ayant été chargés d'y peindre les images des deux divinités ; Marcellus déjà l'avait orné d'oeuvres d'art emportées de Syracuse, premier exemple de cette pratique qui devint usuelle ensuite. Virtus, toujours en société avec Hontes, avait un autre temple encore, situé devant la porta Coltina 12. La construction en fut motivée par la découverte, dans le sol, d'un autel et d'une lamelle de métal, sur laquelle était gravé le mot Honoris. L'existence en est garantie par une inscription archaïque qui remonte pour le moins au commencement du ne siècle av. J.-C. Les calendriers qui mentionnent une fête pour le 12 août à l'intention d'Ilonos et de Virtus précisent qu'elle est célébrée in theatro marmoreo, c'est-à-dire au théâtre de Pompée, et que Venus Victrix et Felicitas y ont leur part; le caractère guerrier de cette fête est manifeste 13. 11 en est de même des hommages rendus à Honos et Virtus dans un sanctuaire voué par Marius en l'année 103; ce sanctuaire différait des autres VIS 927 VIS en ce qu'il était au coeur même de la ville, sans doute au Capitole, alors que les autres avaient été construits en dehors du poineriuin. C'est dans ce temple que le Sénat délibéra sur le rappel de Cicéron exilé '. La preuve que le culte de Virtus et d'Ilonos conserva toute sa faveur jusqu'au déclin du paganisme nous est fournie par un historien de la guerre des Goths 2 : une profonde consternation s'empara de Rome, parce qu'une image de JTirtus avait été détruite par des profanateurs. Enfin rien de plus expressif à ce point de vue que l'association de Virtus et d'Ilonos dans les textes épigraphiques qui ornaient les tombeaux des Scipions quoei vita defecit, non honos... Honore hic est récente a conservé ces formules, surtout celle de virlutis et honoris causa, qui résume l'éloge le plus complet d'un illustre défunt. Des soldats les emploient pour commémorer leurs chefs, notamment l'empereur: Virtus Augusta, et aussi leur propre valeur: Hononi stationi.r, où llonos implique l'hommage à JTirtus , Pour les représentations géminées de Virtus et d'[Ionos, nous renvoyons à ce dernier vocable [lioxos, p. 248]. Sillonos sur les monnaies est représenté sous les traits d'un jeune homme vigoureux, avec des cheveux en boucles abondantes, le plus souvent couronflé de lauriers, Virtus est une jeune femme à l'opulente chevelure, coifl'ée d'un casque richement ornementé. Sur certaines monnaies nous trouvons l'image de Virtus triumphans qui rappelle le Tniuniphus personnifié . Le caractère guerrier de Virtus apparaît nettement sur le denier de Marius Aquilins frappé vers 54 av. J.-C. : au droit figure la divinité en buste, la tête casquée; au revers nous voyons le consul debout, armé d'un bouclier et relevant la Sicile sous les traits d'une femme à demi nue, affaissée et les cheveux épars (fig. 7519) G. J.-A. FIIL». VIS (1ICŒ, Kpro). L'épopée homérique considérant les dieux comme tout-puissants (7tvT lu p.ivuç) 1, il était naturel que cette force même fût par elle personnifiée: d'où les figures de B(ot et deKcéroç, dont la cos mogonie hésiodique fait les enfants de Pallas et du Styx, soeurs de Zoç et de NCx, tous ensemble considérés comme des ro)zot de Zeus, qu'ils assistent dans sa lutte contre les Géants et les Titans [TITANES]. C'est à B(« et à I iro qu'Eschyle confie la tâche d'enchaîner Prométhée; les deux noms ont été traduits chez les mythographes latins par Vis et Potestas3 ; mais à Rome ils n'ont à aucun moment pris une valeur de personnification religieuse. Il en est autrement chez le Grecs: sur I'Acrocorinthe, BCce avait un sanctuaire voisin de celui d'Ananké, sanctuaire dont l'accès était interdit'. Il semble toutefois que même chez les Romains, mais au déclin du paganisme, on ait raffiné sur une expression de religiosité philosophique, employée par Virgile, celle de cuelestum vis magna. Les uns y voyaient la personnalité toute-puissante de Junon, les autres un principe supérieur à l'être même de toutes les divinités . En ce qui concerne les Vines ou Virae en l'honneur desquelles existaient de nombreuses inscriptions, elles n'ont avec les personnifications de la puissance divine selon l'esprit hellénique aucun rapport; elles sont propres au culte de SuTURA et à. la pratique du TAIJBOBOLIIJM p. 48 sq.]. J.-A. illLD.