Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article VOTUM

VOT UM (l ûyr, xaTEVy s ). Le grec Euy„ le latin votum ont un double sens. L'un et l'autre signifient à la fois le rite religieux du voeu et l'objet voué ou l'acte promis. Dans le premier sens, Eûy% et votum ont fourni à l'épigraphie antique des formules telles que einv u.7to3t voto, pro roto. Le second sens seul peut rendre compte d'autres expressions, telles que EUy7,V «VÉOrIxE', votum posuit, votum fecit, votum dedicavit2. Lorsque la divinité, en Grèce et à Rome, fut devenue anthropomorphique, lorsque les dieux et les déesses furent conçus comme des êtres, doués sans doute d'une puissance supérieure, mais semblables aux hommes par leur forme physique et leur nature morale, les rites oraux prirent dans la religion une place importante auprès des offrandes, des libations, des sacrifices et autres cérémonies du culte. L'homme s'adressa aux divinités pour obtenir leur protection, leur faveur, leur appui ; pour détourner leur colère ; pour désarmer leur hostilité; pour les remercier de leur bienveillance et de leur bonté. Les prières proprement dites d'une part, les actions de grâces d'autre part, accompagnées ou non d'offrandes, correspondent aux deux formes les plus simples et les plus caractéristiques de ce commerce, quelque peu étroit et intéressé, entre les hommes et les dieux. Le voeu, plus complexe, participe à la fois de la prière et de l'action de grâces ; mais en même temps l'homme s'y montre moins humble envers la divinité, moins confiant dans son intervention ; en formulant un voeu, il traite comme d'égal à égal avec le dieu ou la déesse dont il sollicite les bienfaits, il fait avec lui ou avec elle un véritable pacte conditionnel, qu'il observera seulement, en ce qui le concerne, quand il aura obtenu ce qu'il a demandé. Bien que ce caractère du voeu soit surtout accusé dans la religion romaine, il se retrouve aussi chez les Grecs. Il y est incontestablement moins net; la langue grecque ne possédait pas pour le voeu de terme spécial et exclusif, comme était le mot latin votum. Les mots Eay~, Eüycuat, qui correspondent, par exemple dans les textes bilingues aux latins votum. roreo, ont un sens moins restreint, plus général DONARUUM, p. 364] ; ils sont souvent employés pour désigner de simples prières, des invocations 4. FA'rri, ou EiyxC, les prières d'Électre à Hermès dans les Cltoèphores', de Clytemnestre à Apollon dans Électre', des femmes athéniennes à Déméter et Korè dans les Thesmophories 7 ; Eûyal également, les invocations chantées en chœur au moment du départ des Athéniens pour l'expédition de Sicile E. Dans aucune de ces circontances il n'est fait mention de voeux proprement dits : Électre, Clytemnestre, les femmes athéniennes réunies pour célébrer les Thesmophories prient les divinités de les protéger, sans rien leur promettre en échange de leur IX. protection. Quant aux prières, qui donnent au départ de la flotte athénienne pour la Sicile un caractère si poignant, elles consistent en péans et sont chantées, tandis que des libations sont faites en l'honneur des dieux). Il n'est donc pas douteux que les mots Eéyi, xaTeu1' , Eu"youat, xŒTElÎyouat aient été souvent employés par les Grecs pour désigner les simples prières, les invocations religieuses ; en ce sens on peut dire que les péans, les hymnes n'étaient que des variétés de l'EÜy f [nYrINUS, PAEAN]. Mais d'autre part il n'est pas moins certain que, par ce mot Euyal, les Grecs entendaient le même rite spécial que les Romains appelaient voluln. La littérature et l'épigraphie le prouvent par de très nombreux exemples. Ce qui caractérise l(veeu calez les Grecs comme tillez les Romains, c'est qu'il est un véritable contrat, un pacte conditionnel entre l'homme et la divinité. Le voeu cher les Grecs. Les poèmes homériques fournissent plusieurs exemples de voeux : le voeu des femmes troyennes à Athèna au livre VI de l'Iliade' ; le voeu adressé par Diomède à la même déesse au livre X 20; le voeu d'Ulysse aux morts au livre XI de l'Odyssée" ; celui qu'il fait aux Nymphes d'Ithaque au livre XIII"; celui que Télémaque conseille à Pénélope d'offrir à Zeus au livre. XVII13. De ces voeux proprement dits il convient de rapprocher les paroles qu'Achille adresse au Sperchios, au marnent où il va couper sa chevelure pour la déposer entre les mains de Patrocle mort 14. Dans tous ces épisodes le poète, par les idées qu'il exprime, par les termes mêmes qu'il choisit, met nettement en lumière le véritable sens du voeu. Sur le conseil d'Ilector, les Troyennes, à la voix d'Ilécube, promettent à Athèna de lui sacrifier douze génisses, si elle sauve la ville de Troie". Diomède, au moment d'entreprendre une expédition périlleuse, s'adresse en ces termes à Athèna : « Écoute-moi, fille de Zeus;... assistemoi, protège-moi; je te sacrifierai une génisse qui n'aura point porté le joug; je te l'immolerai, après avoir garni ses cornes d'or ". » Bien que le caractère conditionnel du sacrifice promis ne soit pas ici indiqué avec autant de netteté que par l'emploi de la conjonction si, il n'en ressort pas moins de l'allure générale de la phrase. Les voeux d'Ulysse aux morts et aux Nymphes d'Ithaque procèdent de la même idée; les victimes promises ne doivent être sacrifiées qu'après le retour du héros dans son palais, auprès de Pénélope et de Télémaque". Plus significatives, dans leur brièveté, sont les paroles que Télémaque, de retour à Ithaque, adresse à Pénélope : « Fais voeu d'immoler aux dieux des hécatombes, si Zeus nous accorde les faveurs dont ces sacri fices seront la récompense » (xï xi 7t Ot ZEÛ; iIVTtra e yx TE),ECSr,18). Télémaque spécifie clairement que les hécatombes sont promises sous condition. Il en résulte que les Grecs se tenaient pour dégagés de leur promesse lorsque la divinité ne leur accordait pas ce qu'ils dernandaient. C'est ce qu'Achille explique franchement au Sperchios. « Debout, à quelque distance du blîcher (sur lequel était déposé le corps de Patrocle), Achille coupa sa blonde chevelure, que jusqu'alors il entretenait pour 122 VOT -00VOT l'offrir au fleuve Sperchios. Puis, soupirant et les yeux fixés sur les sombres flots, il dit : « 0 Sperchios, c'est un autre voeu que mon père Pélée avait fait, lorsqu'il te promit qu'à mon retour dans ma chère patrie je couperais ma chevelure pour te l'offrir, que je te sacrifierais une hécatombe et que je consacrerais cinquante béliers près de tes sources, là même où se trouvent ton sanctuaire et ton autel arrosé de parfums. Tel fut le voeu que te fit mon père ; mais toi, tu ne l'as pas exaucé. Et puisque je ne dois pas revoir ma patrie bien-aimée, c'est à Patrocle, devenu un héros, que j'offre ma chevelure. » Ayant ainsi parlé, il coupa ses cheveux et les plaça dans les mains de son ami défunt 1. Dans les poèmes homériques, le caractère réciproque du voeu est donc incontestable. L'homme n'est lié par sa promesse que si la divinité lui accorde ce qu'il désire. Il en était de même au ve et au ive siècle avant J.-C. Le voeu qu'Eschyle, fait prononcer par Étéocle, dans les Sept contre Thèbes, est un véritable pacte : « Vous tous, dieux du pays, dieux de la cité et de l'agora, divinités des champs, et vous, sources de Dirkè, et toi, saint Isménos, si tout nous est favorable, si la ville est sauvée, je vous le promets, le sang des brebis coulera sur vos autels; j'immolerai des taureaux ; je suspendrai comme trophées dans vos saintes demeures les armes conquises sur les ennemis et le butin fait avec nos lances2. » Une inscription archaïque trouvée près de Thespies révèle, par sa rédaction même, que les simples particuliers entendaient le voeu exactement de la même façon : A Dionysos, qui a exaucé sa prière, Néomèdès a consacré ce monument en récom Parmi les documents épigraphiques qui mettent en lumière le véritable sens des voeux chez les Grecs, les plus significatifs peutêtre sont plusieurs textes de décrets du peuple athénien de 362-361 av. J.-C. Ces textes nous apprennent qu'au cours même des délibérations précédant le vote de ces décrets, des voeux solennels étaient prononcés par le héraut public. Voici l'un de ces voeux, fait au moment où le peuple allait décider la conclusion d'une alliance avec les Arcadiens, les Achéens, les Lléens et les Phliasiens : « Le héraut fera immédiatement le voeu à Zeus Olympien, à Athèna Polias, à Déméter, à Korè, aux douze dieux et aux déesses vénérables, d'offrir à ces divinités, si la résolution prise au sujet de l'alliance tourne à l'avantage du peuple athénien, un sacrifice et une procession, cérémonies qui s'accompliront en la manière que le peuple déciderai.. » A propos de ce voeu, il. P. Foucart fait les judicieuses remarques suivantes : « Au commencement de chaque assemblée, le héraut, suivant la loi et les traditions, adressait aux dieux des voeux au nom du peuple. C'était le plus souvent une formalité un peu banale et le verbe Elyou.zt, par lequel on l'exprimait, avait pris le sens vague d'invocation, de prière. Ici, au contraire, il a le sens très précis de voeu : c'est l'engagement pris avec certains dieux désignés, s'ils accordent la faveur qu'on leur demande, de leur donner en échange telle ou telle chose. Dans le cas présent, ce que le peuple demande à Zeus Olympien, à Athèna Polias, etc., c'est que l'alliance tourne à l'avantage des Athéniens. Ce qu'il promet en cas de succès, et il s'y engage par la voix du héraut, c'est d'offrir à ces mêmes divinités un sacrifice et d'envoyer à leurs temples une procession. » M. P. Foucart remarque en outre que le règlement détaillé des cérémonies promises est ajourné au moment où le peuple devra s'acquitter de son veau, c'est-à-dire après qu'il aura constaté si l'alliance a réellement tourné à son avantage. Dans le texte du décret de 362, ce n'est qu'une promesse de principe. Un voeu de nature exactement semblable est inséré dans le texte d'un décret de la même année, qui ordonne l'envoi de clérouques à Potidée, et on reconnaît les débris d'un autre voeu identique dans un décret de l'année 387 Une formule analogue se retrouve dans le traité d'alliance conclu entre Rhodes et lIiérapytna vers la fin du nie siècle av. J.-C. Ici le voeu doit être prononcé par les prêtres et les sacrificateurs; il s'adresse à hélios, à. la déesse Rhodos, à tous les êtres divins, dieux, déesses, arcllégètes, héros, qui protègent la ville et le territoire des Rhodiens ; on leur demande de faire tourner au profit des deux cités la conclusion de l'alliance, et on leur promet, si le voeu est exaucé, de leur offrir un sacrifice et une procession. A Rhodes, comme à Athènes, le détail des cérémonies promises ne doit être fixé que plus tard par le peuple 6. Pour clore la série chronologique de ces exemples, nous signalerons une inscription de la Mésie Inférieure, datée de 1190 ap. J.-C., d'après laquelle un Grec de la petite ville de Burnusus consacre à la divinité un temple et un autel, après avoir obtenu d'elle la faveur qu'il lui avait demandé, É7rvru7àv .27k roü Otoü (Ise Il ne peut subsister aucun doute sur le véritable caractère du rite. D'abord le dieu doit accorder à l'homme la faveur sollicitée ; alors seulement, en récompense de cette faveur, l'homme consacre au dieu l'exvoto promis. Mais il pouvait arriver que les hommes fissent à la divinité des promesses inconsidérées. Lorsque le moment était venu de les tenir, l'esprit subtil des Grecs savait trouver avec le ciel des accommodements. Pausanias nous rapporte comment s'y prirent les Ornéates de l'Argolide pour ne point manquer à leur parole, sans s'imposer des dépenses et des fatigues excessives. Leur territoire ayant été envahi par tes Sicyoniens, les Ornéates avaient prornis à Apollon, si le dieu chassait l'armée ennemie du territoire de leur cité, d'envoyer chaque jour une procession à Delphes et de lui sacrifier des victimes en nombre considérable. Lorsque lès Sicyoniens eurent été vaincus, les Ornéates se rendirent compte de l'imprudence qu'ils avaient commise : car t'eût été pour eux une dépense très lourde, et une fatigue plus lourde encore, de tenir chaque jour la promesse qu'ils avaient faite. Ils tournèrent la difficulté en consacrant au dieu des basreliefs de bronze qui représentaient le sacrifice et la VOT 971 -VOT procession'. Des épisodes analogues sont racontés par Justin dans l'histoire de Locres, la colonie de la Grande Grèce 2, et par Zénobios à propos du proverbe O r ra),i„v Ainsi, depuis l'époque lointaine où furent composés les poèmes homériques jusqu'à la fin de la période païenne, le rite du voeu chez les Grecs garda le caractère et la valeur d'une promesse conditionnelle, d'un contrat. Le fidèle s'acquittait envers la divinité, lorsque celle-ci lui avait témoigné sa protection en lui accordant exactement ce qu'il avait sollicité. Dans le cas contraire, il se considérait comme délié de tout engagement ; parfois même, quand sa prière avait été exaucée, il avait recours à d'habiles subterfuges pour ne tenir qu'en apparence et à prix réduit, pourrait-on dire, la promesse qu'il avait faite. Le voeu chez les Romains. L'esprit formaliste et juridique des Romains donna plus de précision encore au rite du vœu. De très nombreux documents, littéraires et épigraphiques, permettent d'en faire ressortir le sens exact. Parmi les voeux sur lesquels nous possédons des renseignements détaillés, les uns ont été faits dans des circonstances exceptionnelles ; les autres représentent un rite périodique, annuel, quinquennal ou décennal. Publics ou privés, contractés par des magistrats au nom de l'État ou par de simples particuliers dans un intérêt personnel, ces voeux étaient toujours de véritables pactes avec la divinité. Les textes ne laissent à cet égard aucun doute. TiteLive nous a conservé la formule que prononça le consul Appius Claudius, lorsqu'en 296 il voua un temple à Bellone au cours d'un combat contre les Étrusques et les Samnites : « Bellone, s'écria-t-il, si tu nous donnes aujourd'hui la victoire, en récompense je te voue un temple ". » C'est la même formule, en style indirect, qu'emploie Denys d'Halicarnasse, lorsqu'il mentionne le vœu adressé à Junon par Camille, au moment du siège de Véies'. Un autre document, plus explicite, est le texte du vœu prononcé par le consul M'. Acilius, au début de la guerre contre le roi de Syrie, Antiochus, en 191 av. J.-C. « On rendit un sénatus-consulte en ces termes : Le peuple romain ayant décidé de faire la guerre au roi Antiochus et à tous ceux qui se trouvent sous sa domination, les consuls prescriront pour cette raison une supplicatio ; spécialement le consul Manius Acilius fera vœu de célébrer de Grands Jeux en l'honneur de Jupiter et de déposer des offrandes dans tous les temples. Ce vœu fut en effet prononcé par le consul, suivant la formule que dicta le grand pontife P. Licinius : « Si la guerre que le peuple romain a ordonné de faire au roi Antiochus réussit au gré du sénat et du peuple romain, alors, Jupiter, le peuple romain célébrera en ton honneur de Grands Jeux pendant dix jours de suite et des offrandes seront déposées dans tous les temples jusqu'à concurrence de la somme fixée par le sénat. Quel que doive être le magistrat chargé de faire célébrer ces jeux, en quelque temps et en quelque lieu qu'ils soient célébrés, ils serontbien et dûment célébrés et les offrandes faites seront bien et dûment faites 6. » Non moins caractéristique est la formule qui fut employée en 176 lors d'une épidémie très grave : « Sur le Forum le peuple prononça le vœu suivant dont la formule fut dictée par Q. 11Iarcius Philippus : si la maladie et l'épidémie sont éloignées du territoire de Rome, le peuple romain célébrera pendant deux jours des fêtes religieuses et une supplicatio' Les documents officiels de l'époque impériale ne sont pas moins nets. Les diverses formules de voeux, annuels ou extraordinaires, que renferment les Actes des Arvales, expriment la même idée fondamentale que les formules de l'époque républicaine. La formule des vaux annuels pour l'empereur, l'impératrice et la maison impériale peut se résumer ainsi : « Jupiter très bon et très grand, si l'empereur, l'impératrice et leur maison vivent et sont sains et saufs le troisième jour avant les prochaines nones de janvier, si tu les préserves des dangers qui peuvent les menacer jusqu'à cette date, si tu leur procures les succès que nous désirons, si tu les maintiens dans leur situation actuelle ou si tu améliores encore cette situation, alors, si tu fais tout cela, au nom du collège des Frères Arvales, je fais vœu de te sacrifier deux boeufs dorés. » La formule est plus ou moins développée suivant les époques ; mais si la lettre en est modifiée, l'esprit en reste irnmuablet. L'esprit scrupuleux des Romains ne se contenta pas toujours de formules générales. Il lui arriva d'introduire dans le texte même des voeux contractés des stipulations de détail, destinées à garantir l'accomplissement du voeu contre toutes les contingences. Le texte, qui nous paraît à ce point de vue le plus curieux, est celui du voeu qui fut contracté par le peuple romain en 217, au milieu du désarroi causé par la victoire d'Annibal sur les bords du lac Trasimène. Consultés par les décemvirs, les Livres Sibyllins avaient, entre autres rites, recommandé de vouer un ver sacrum. « Le grand pontife L. Cornelius Lentulus déclara qu'un tel vœu ne pouvait pas être fait sans que l'avis du peuple fût pris. Voici le texte de la rogatio qui fut alors portée devant le peuple : Voulezvous et ordonnez-vous, Romains, que, si d'ici à cinq ans la République, comme je le souhaite, sort saine et sauve et victorieuse des guerres que soutient aujourd'hui le peuple romain contre les Carthaginois et contre les Gaulois qui habitent en deçà des Alpes, l'on consacre à Jupiter, à partir du jour qui aura été fixé par le peuple et le sénat, tout ce que le printemps aura vu naître dans les troupeaux de porcs, de moutons, de chèvres et de boeufs, et qui n'aura pas été auparavant consacré à d'autres dieux ? Que chaque citoyen procède à cette consécration comme il voudra et quand il voudra, et que ce qu'il aura fait soit réputé bien fait. Tout animal qui mourra avant la consécration cessera d'appartenir à la divinité et sa perte ne passera pas pour une impiété. Si quelqu'un estropie ou tue par mégarde un des animaux, il n'y aura point crime. Si l'un des animaux est volé, il n'y aura crime ni pour le peuple romain ni pour le citoyen à qui il aura été volé. Si la consécration est faite par ignorance un jour néfaste, elle n'en sera pas moins valable. Qu'elle soit faite de jour ou de nuit, par un esclave ou par un homme libre, elle sera également valable. Si quelqu'un procède à la consécration avant le jour prescrit par le sénat et par le peuple, le peuple TO 972 VOT romain n'en sera pas moins affranchi de son voeu'. » On ne saurait pousser plus loin, semble-t-il, l'art de prendre ses précautions et d'écarter les moindres prétextes de chicane. Il ne faut pas que la divinité puisse mettre à profit tel ou tel incident imprévu pour reprocher au peuple romain de n'avoir pas accompli son voeu. Cette formule du voeu de 217 nous paraît être, en son genre, un exemple typique. Si nous connaissons avec précision, grâce aux formules que les historiens ou les documents ont conservées, quel était le caractère du voeu romain au moment même où il était conçu, nous savons aussi par de nombreux cas comment il était accompli. Nous citerons ici deux exempies, empruntés l'un à l'époque républicaine, l'autre à l'époque impériale. En 367 av. J.-C., la lutte était ardente entre lepatriciat etlaplèbe. Laplèbe demandait avec une violence croissante qu'un des deux consuls fût toujours pris parmi les plébéiens. Le patriciat s'obstinait à repousser cette demande; Camille avait été nommé dictateur pour résister aux prétentions de la plèbe. La guerre civile devenait de plus en plus menaçante. Les tribuns poussèrent l'audace jusqu'à vouloir exercer leur pouvoir contre ledictateurlui-même. «Alors, rapporte Plutarque, Camille, accompagné des sénateurs qui étaient avec lui, se rendit au sénat. Avant d'y entrer, il se tourna vers le Capitole et, priant les dieux de mettre fin à ces divisions funestes, il lit voeu de bâtir un temple à la Concorde aussitôt que les troubles seraient apaisés. La différence des opinions provoqua dans le sénat (les débats très animés ; enfin l'avis le plus modéré l'emporta ; on décida de céder au peuple et de lui laisser choisir un des consuls parmi les plébéiens. Cette résolution, proclamée par le dictateur en pleine assemblée, fit tant de plaisir au peuple qu'il se réconcilia sur-le-champ avec le sénat et reconduisit Camille jusqu'à sa demeure, au milieu des cris de joie et des acclamations. Le lendemain, le peuple assemblé ordonna que, pour accomplir le voeu fait par Camille et pour perpétuer le souvenir de cette réconciliation, on bâtirait un temple à la Concorde dans un emplacement ayant vue sur le Forum et le lieu de réunion des assemblées'.» Nous suivons ici, avec une parfaite clarté, le développement du rite : les trois étapes se succèdent, le voeu contracté par Camille, la réalisation du désir exprimé dans ce voeu, et ensuite, comme conséquence de cette réalisation, le paiement de la dette conditionnelle contractée envers la divinité. C'est un épisode tout à fait analogue qui se produisit en 162 ap. J.-C., au moment du départ de Lucius Verus pour l'Orient. Marc Aurèle l'accompagna jusqu'à Capoue. Rentré à Rome, il apprit que Lucius Verus était tombé malade en route et qu'il avait dû s'arrêter à Canusiurn en Apulie, sur la route de Capoue à Brindes. Il se rendit au sénat, y .fit des voeux pour le rétablissement de Verus, puis quitta Rome pour aller le rejoindre; en route, il apprit que le malade était guéri et s'était embarqué pour la Syrie; il revint alors à Rome et aussitôt s'acquitta des voeux qu'il avait faits 3. Ici encore, comme dans le cas précédent, nous possédons le cycle entier des faits dont se compose le rite du voeu; nous ignorons seulement ce que Marc Aurèle avait promis à la divinité. A ces exemples, puisés dans les historiens, il n'est pas inutile de joindre divers témoignages épigraphiques. Ces témoignages nous font passer de la vie publique dans la vie privée, du domaine des événements officiels, pour ainsi dire, dans celui des incidents particuliers et individuels. Voici d'abord un certain Felix, esclave public attaché au service des pontifes, qui s'acquitte d'un voeu contracté par lui en sacrifiant à la Bona Dea Agreslis une génisse blanche, parce que la déesse l'a guéri d'une maladie d'yeux qui menaçait sans doute de lui faire perdre la vue, dont les médecins avaient désespéré, et qui ne dura pas moins de dix mois. Le vœu n'a été accompli qu'après la guérison complète . Aux environs de Plaisance, Tnllia Superiana ne s'acquitte du voeu qu'elle a fait à Minerve que quand ses cheveux, probablement tombés au cours d'une maladie, ont repoussé'. Une inscription d'Aime en Tarentaise, naïvement versifiée, nous fait connaître à la fois les actions de grâces et le voeu de T. Pomponius Victor, procurateur impérial. Actions de grâces et voeu sont également adressés à Silvain : T. Pomponius Victor remercie le dieu de l'avoir protégé, lui et sa famille, dans ce pays de montagnes oit il rend la justice et oit il administre les propriétés impériales ; puis il lui demande de hâter son retour à Itolne et dans les champs d'Italie ; si le dieu lui accorde cette faveur, alors il lui dédiera un millier d'arbres 6. A l'extrémité septentrionale de la Germanie Inférieure, un négociant, qui faisait le commerce de la craie extraite des gisements de Bretagne, s'acquitta d'un voeu qu'il avait fait à la déesse Nehalennia, parce que ses marchandises étaient arrivées à bon port'. Les officiers et les soldats désignés pour prendre part à des expéditions lointaines ou dangereuses contractaient des voeux qu'ils acquittaient seulement après leur retours. Un gouverneur de la Maurétanie Césarienne, Aurelius Litua, à la fin du rite siècle ap. J.-C., proclama, en plusieurs points de la province dont il exerçait le commandement, qu'il consacrait l'ex-voto promis àjupiter Capitolin et aux autres (lieux immortels, parce que ses soldats et lui étaient revenus sains et saufs d'une expédition dirigée contre plusieurs tribus rebelles de la région des Hauts Plateaux Ce qui ressort avec évidence des documents et des exemples précités, c'est que le fidèle attend, pour tenir sa promesse, que la faveur divine se soit manifestée. L'accomplissement du voeu est le paiement d'une dette; mais la dette n'existe que si la divinité a accordé, d'abord et en fait, ce qui lui a été demandé. N'y avaitil point d'exception à cette règle? ht certains fidèles ne s'acquittaient-ils pas de leur voeu avant mêtne que leur prière fût exaucée? Plusieurs textes épigraphiques per-' mettent de croire que des cas de ce genre se sont produits. Parmi les ex-voto consacrés àJupiter Poeninus au col du Grand-Saint-Bernard, il en est qui portent la mention pro itu et reditu 10. Or il est certain que les auteurs de tels voeux n'étaient pas encore de retour chez eux lorsqu'ils déposèrent leurs ex-voto dans le sanctuaire du dieu ; sans doute, ils étaient sur le chemin du retour,' mais leur voyage n'était pas encore terminé, le redites n'était pas totalement accompli ; pourtant ils s'acquittaient de leurs voeux. Parmi les vases votifs découverts` L VOT 9'73 VOT dans les sources chaudes de Vicarello, il en est un qui porte l'inscription suivante : Apollini sancto et 1Vyinphis vote suscepto Gavia Rhodine d. d. calicem argenteum pecunia sua'. Gavia Rhodinè a contracté un voeu (veto suscepto) envers Apollonet les Nymphes; cependant elle qualifie d'offrande (donum dat, ou dat dedicat) le vase d'argent qu'elle dépose dans la source; il semble donc, en l'absence de la formule velum solvit, qu'elle n'ait pas attendu la réalisation dé son désir, qu'elle ait, pour ainsi dire, payé d'avance la faveur demandée par elle à la divinité. Dans les ex-voto à Diana iïemorensis, la formule la plus fréquente est, non point v(otum) s(olvit) l(ibens)m(erito),mais d(onum)d(edit) l(ibens)m(erito)2. Peut-être, là aussi, les fidèles manifestaient-ils leur confiance à la déesse en lui dédiant leurs offrandes avant d'avoir reçu ses bienfaits. Mais, dans la masse des tex tes et des documents, de tels exemples sont rares, et le rite du voeu chez les Romains garde bien le caractère général de contrat, de pacte conditionnel entrel'bomme etla divinité. Ce caractère se révèle d'ailleurs par maints incidents curieux. Ainsi le taux de la dette contractée et le mode de paiement donnèrent lieu à de curieuses controverses. Nous en citerons quelques exemples. Lorsque le dictateur Camille vit approcher le moment de la chute de Véies, il adressa à Apollon Pythien le voeu suivant : « C'est sous ta conduite, Apollon Pythien, c'est inspiré par toi que je vais détruire la ville de Véies ; aussi je te voue la dîme du butin. » Après la victoire, Véies fut pillée par l'armée romaine et l'immense butin fut immédiatement distribué au peuple. Puis, lorsque Camille eut célébré son triomphe à Rome, il fallut songer à s'acquitter des voeux contractés, en particulier de celui qui concernait Apollon. Comme Camille rappelait qu'il avait voué à ce dieu la dîme du butin, les pontifes déclarèrent qué le peuple devait payer cette dette sacrée. Mais ce qui était difficile, c'était de faire rapporter par le peuple le butin déjà distribué, afin qu'on prélevât la part destinée à la divinité. On se décida enfin pour le procédé qui parut devoir le moins peser au peuple: on décréta que tout citoyen, qui voudrait s'acquitter, lui et sa famille, du voeu contracté, évaluerait lui-même le butin qu'il avait reçu, et rapporterait au trésor public la somme représentant le dixième de la valeur estimée : avec les sommes ainsi réunies on offrirait à Apollon un présent en or... Cette décision ne fut pas du goût de la plèbe et Camille devint impopulaire. Or, pendant l'année qui suivit la prise de Véies, Rome fut en proie à des discordes incessantes; il fut question de transporter sur l'emplacement de la cité vaincue la moitié du sénat et du peuple romain; cette proposition souleva des débats scandaleux. Camille intervint de nouveau et harangua le peuple en ces termes : « Il n'est pas étonnant que la ville souffre d'un tel délire; bien qu'elle soit tenue par un voeu, elle s'occupe de tout autre chose que de payer cette dette religieuse. Je ne veux rien dire de la contribution déjà versée, qui fut plutôt une aumône qu'une véritable dîme : l'obligation que s'est imposée chaque citoyen a libéré la cité entière. Mais il est un autre point dont ma conscience m'oblige à parler; on n'a prélevé la dîme que sur la partie mobilière du butin ; quant à la ville elle-même et au territoire conquis, que le voeu comprenait également, il n'en a été nullement question. » Le sénat, fort embarrassé, renvoya la question à l'examen des pontifes ; ceux-ci s'adjoignirent Camille et déclarèrent que la dîme vouée à Apollon s'appliquait à tout ce que les Véiens possédaient avant que le voeu n'eût été formulé, et à tout ce dont les Romains s'étaient emparés depuis le même voeu. On estima la valeur de la ville et du territoire ; on tira du trésor public la somme d'argent équivalente à la dîme de cette valeur, et les tribuns militaires à puissance consulaire qui gouvernaient Rome furent chargés d'acheter de l'or avec cette somme. Comme on ne trouvait pas dans le commerce la quantité nécessaire du précieux métal, les matrones romaines apportèrent au trésor public tous leurs bijoux et toutes leurs parures d'or. On put ainsi fabriquer un cratère, qui fut porté au sanctuaire de Delphes et consacré à Apollon 3. Le double récit de Tite-Live et de Plutarque, parfaitement concordant sur les faits essentiels, nous fait assister à toutes les péripéties qui retardent ou compromettent l'accomplissement du voeu contracté par Camille. Plusieurs questions prêtent à discussion ; deux fois les pontifes doivent être consultés ; c'est seulement après un temps assez long que Rome réussit à s'acquitter vraiment du voeu prononcé en son nom. Non moins curieux est l'incident qui se produisit en l'an 200, au moment où Rome allait s'engager dans la guerre contre Philippe de Macédoine. « Tandis que les consuls, rapporte Tite-Live, procédaient aux enrôlements et faisaient tous les préparatifs de la guerre, le peuple montra combien il était préoccupé de la religion, surtout au début des luttes nouvelles. Après qu'on eut adressé des prières aux dieux et qu'on eut célébré une supplicatio dans tous les temples, il ordonna, pour que rien ne fût omis de ce qui avait pu être fait jadis, que le consul désigné pour diriger la guerre de Macédoine vouât à Jupiter des jeux et une offrande. Le grand pontife Licinius retarda l'exécution de la décision prise par le peuple, en déclarant que l'on ne pouvait pas faire un voeu sans fixer d'avance la somme affectée à son accomplissement. « Cette somme, ajoutait-il, ne doit pas être employée aux dépenses de la guerre; il faut la mettre immédiatement de côté et ne pas la confondre avec les autres fonds publics : si l'on agit autrement, le voeu ne pourra pas être accompli selon les rites. » De telles objections et l'autorité de celui qui les présentait firent impression; toutefois le consul fut invité à en référer au collège des pontifes et à lui demander s'il était possible de contracter un voeu sans fixer d'avance la somme destinée à l'accomplissement dudit voeu. Les pontifes décidèrent que cela était possible et même préférable. Alors le consul, sous la dictée du grand pontife, prononça le voeu en usant de la formule employée pour les voeux des jeux quinquennaux, avec cette différence toutefois que le sénat fixerait, au moment où le voeu devrait être accompli, la somme qui serait dépensée pour les jeux et pour l'offrande. Toujours jusqu'alors, quand on avait voué de grands jeux, on avait spécifié la somme prévue ; ce fut la première fois qu'on ne la fixa pas 8. » Treize ans plus tard, le collège des pontifes confirma sa jurisprudence en déclarant qu'en pareil cas le VOT 971 VOT chiffre de la dépense n'avait point de valeur religieuse' ; cette décision acquit par la suite force de loi. Par là sans doute le sénat voulait éviter que l'État ne vit s'évanouir en jeux et en fêtes une trop grande partie du butin fait sur l'ennemi. Les scrupules de l'assemblée se dissipèrent, lorsque la plus haute autorité de Rome, le collège des pontifes, eut dénié toute valeur rituelle au chiffre même de la dépense. Mais que le sénat ait cru devoir consulter en la matière le collège des pontifes et surtout qu'un grand pontife ait émis une opinion contraire, cela prouve évidemment combien stricts paraissaient être les termes du contrat que tout voeu établissait entre l'homme et la divinité. L'homme ne pouvait se réserver, dans le détail de l'exécution, quelque latitude que s'il laissait indécise telle ou telle condition secondaire du voeu, par exemple le taux de la dépense occasionnée par la pratique du rite. Ce n'est pas seulement l'étude concrète des faits qui nous permet de déterminer le véritable sens du voeu; ce sont aussi les expressions, pour ainsi dire officielles et consacrées, par lesquelles étaient désignés les divers moments et les actes successifs dont se composait le rite. Le grec, à ce point de vue, fournit moins de données précises que le latin ; il convient cependant de rappeler la formule oiy-?v â7oôtôôsŒt, qui indique bien qu'aux yeux des Grecs l'accomplissement d'un voeu équivalait au paiement d'une dette. Chez les Romains, les expressions étaient plus variées et plus nettes. Au moment où le voeu était formulé, il était dit susceptum ou conceptum : l'engagement dès lors était pris, le contrat passé. Mais ce n'était pas un engagement de principe et le contrat n'était pas rédigé en termes vagues : l'homme stipulait, avec une égale clarté, ce qu'il demandait à la divinité et ce qu'il promettait de lui donner, si son désir était exaucé. C'est en cela que consistait la voti nuneupatio. On peut définir le requin nuncupatum comme Cincius, d'après Festus, définissait la pecunia nuncupata : votum nominatum, certum, nominibus propriis pronunciatum 2. Pour caractériser le lien ainsi établi entre l'homme et la divinité, les Romains se servaient du mot obligare : « qui suscepto veto se numinibus obligat », lit-on dans Microbe'. L'inscription de l'autel dédié à la divinité d'Auguste par la plèbe de Narbonne contient la double formule : II'umini Augusti votum susceptum a plebe A'arbonensium in perpetuum; et d'autre part : qui se nurnini ejus in perpetuum colendo obligaverunt'. L'emploi du mot obligare nous introduit presque dans le domaine de la langue du droit : avec la formule reus voti nous y entrons de plain-pied. Tout Romain, qui avait fait un voeu à la divinité, était dit reus voti entre le moment où il avait formulé son voeu et celui où la divinité lui accordait la faveur demandée'. Pendant cette période, en effet, la promesse exprimée dans le voeu était conditionnelle, puisqu'elle ne devait être tenue que dans le cas où la contre-partie, c'est-à-dire l'événement heureux sollicité, serait au préalable réalisée ; à la fin de cette période seulement, on pouvait savoir si le fidèle serait délié de son obligation, comme Achille à l'égard du Sperchios, ou bien au contraire s'il serait définitivement tenu par elle. Lorsque le fidèle avait été mis par la divinité en possession de ce qu'il demandait, lorsqu'il avait été fait compos voti 6, aucun doute ne subsistait plus sur ses devoirs ; il était désormais tenu de remplir l'engagement qu'il avait pris, de payer la dette qu'il avait contractée, il était damnatus voti'. C'était bien, en effet, au paiement d'une dette qu'il était obligé, puisque l'expression courante, populaire, mille et mille fois répétée sur les ex-voto, était votum solvere, s'acquitter de son voeu ; les formules plus rares votum reddere, rotum referre ont exactement le même sensé. Donc, en Grèce et à Rome, le voeu était un contrat entre l'homme et la divinité, contrat proposé par l'homme, qui en fixait lui-même les deux termes, c'està-dire ce qu'il demandait et ce qu'en échange il offrait à la divinité. La divinité pouvait ne pas l'accepter ; si elle refusait sa faveur ou sa protection, le contrat tombait de lui-même ; mais, si elle acceptait le contrat, si elle accordait à l'homme ce qu'il demandait, celui-ci ne pouvait plus se soustraire à l'obligation qu'il avait contractée ; il était, suivant la forte expression des Rofnains, condamné à s'acquitter de son voeu. A quelle sanction s'exposait-il, s'il manquait à sa parole? Sans aucun doute, il encourait la colère divine; c'est pour ne pas attirer sur eux cette colère que les OrnéaLes cherchèrent et trouvèrent le moyen de s'acquitter, sans sacrifices trop lourds pour eux, de leur voeu imprudent 3 ; dans le récit que Tite-Live et Plutarque ont donné des péripéties qui accompagnent l'accomplissement du voeu fait par Camille à Apollon Pythien, Camille déclare que si Rome est en proie à de violentes discordes, c'est parce que la promesse faite au dieu n'a pas été complètement ni sincèrement tenue 10. La crainte d'une telle sanction devait être éprouvée en général par ceux qui adressaient des voeux à la divinité : le même homme, qui croit à la puissance bienfaisante des dieux, redoute leur courroux et ne veut pas s'exposer à leur juste sévérité. Toutefois il est intéressant de signaler que le droit romain n'est pas resté totalement indifférent à la question des voeux. Au titre 12 du livre L du Digeste, intitulé De pollicitationibus, la loi 2, sous la rubrique De voto, stipule d'une part que les voeux contractés par le paterfamilias ne sauraient engager les puberes sui juris, c'est-à-dire ses fils ou ses esclaves ; mais, d'autre part, que dans le cas où c'est la dîme de ses biens qu'un Romain a vouée, si l'auteur du voeu meurt avant d'avoir tenu sa promesse, son héritier est tenu de s'acquitter du voeu ainsi contracté. Il faut sans doute résoudre la contradiction apparente que renferme ce texte en supposant qu'un voeu portant sur la dîme des biens d'un particulier devait avoir un caractère public et que par conséquent la société devait veiller, dans son propre intérêt, à ce que ce voeu fût accompli. Remarquons, en outre, que cette loi est insérée dans le titre De pollicitationibus, ce qui confirme, une fois de plus, le sens précis du voeu chez les Romains. Les diverses catégories de voeux. Puisque chez les Grecs et chez les Romains le voeu était un véritable con VOT 9'75 VOT trat, un pacte très net entre l'homme et la divinité, il convient maintenant d'examiner dans quelles circonstances l'homme proposait ce contrat, quels en étaient les termes les plus fréquents, par qui et comment le pacte ainsi conclu était mis en pratique. Quelles faveurs l'homme, dans ses voeux, demandaitil le plus souvent à la divinité ? Il faut ici distinguer les voeux privés et les voeux publics. Les voeux privés dont le souvenir a été conservé sont très nombreux et fort variés. Il est possible cependant de les grouper en catégories : voeux relatifs à la santé, soit du personnage qui contracte le voeu, soit de ses proches, femme, enfants, etc. ; voeux relatifs au retour, soit d'un voyage lointain, soit d'une expédition militaire ; voeux relatifs à la réalisation de quelque ambition, telle que l'accès à une magistrature élevée ou à un sacerdoce ; voeux d'esclaves aspirant à la liberté, etc., etc.'. Parmi les voeux publics, contractés pour le bien de la ville ou de l'État, dont les documents font mention, les uns furent exceptionnels, les autres devinrent périodiques. La Grèce ne semble pas avoir connu les voeux périodiques, qui furent institués d'assez bonne heure à Rome. Les voeux publics portaient, en général, sur l'issue heureuse des guerres entreprises ou des négociations engagées 2 ; l'histoire de Rome fournit en outre plusieurs cas particuliers : voeux pour la tin d'une sécession de la plèbe 3 ou d'un tumultus ", pour l'apaisement de discordes civiles 5 ou d'une sédition militaire 6, pour l'approvisionnement de la ville en cas de disette'. En de telles conjonctures, le rite du voeu était pratiqué pour solliciter la protection divine contre des périls particulièrement graves. En outre, l'esprit religieux des Romains eut recours au même rite pour assurer la prospérité courante et normale, pourrait-on dire, de la cité. Chaque année, en prenant possession de leur charge, les consuls s'acquittaient des voeux contractés un an plus tôt par leurs prédécesseurs et contractaient à leur tour des voeux analogues pour l'année qui commençait. Cette double cérémonie, solutio et nuncupatio votorum, s'adressait à Jupiter Optimus Maximus et avait lieu au Capitole 8. A partir de l'année 30 av. J.-C., les rota annua furent contractés pour le salut de l'empereur; la date indiquée par tous les documents est le 3e jour avant les nones de janvier 9. Le texte même de ces voeux nous a été conservé par les Actes des Frères Arvales 10. La solutio et la nuneupatio en étaient pratiquées par les magistrats et les collèges sacerdotaux de l'État romain ". Outre les voeux annuels, Rome imagina, dès l'époque républicaine et sous l'Empire, des voeux à plus longue échéance. Dès la fin du me siècle avant l'ère chrétienne, Tite-Live mentionne des voeux quinquennaux et des voeux décennaux. En 217, sous le consulat de C. Flaminius el de Cn. Servilius, le préteur urbain M. Aemilius, après avoir fait célébrer des ludi magni, fit voeu que ces mêmes jeux seraient célébrés in quinquennium 12. En 207 le dictateur T. Manlius Torquatus voua aussi in insequens lustrum des jeux et des sacrifices ; en 202 le voeu fut accompli 13. De même en 217, à la suite de nombreux prodiges, le préteur C. Atilius Serranus contracta des voeux décennaux i4. Dans l'un et l'autre cas, que l'échéance du contrat passé avec la divinité fût à cinq ans ou à dix ans, la formule du voeu était : si per quinquennium illud respublica eodem statu fuisset t5, si in decenl annos respublica eodem stetisset statu 16. Comme les vota annua, les rota quinquennalia et les rota decennalia continuèrent d'exister sous l'Empire; ils étaient contractés pour le salut et la prospérité de l'empereur et de la maison impériale ; nous en avons au moins la preuve formelle pour les rota decennalia ". On a cru que ces vota decennalia en faveur des empereurs avaient été institués parce que les pouvoirs suprêmes d'Auguste lui furent renouvelés à plusieurs reprises pour dix ans, et l'on a fondé cette opinion sur certains passages de Dion Cassius Se ; mais il n'est pas question de voeux dans le texte de l'historien . il est seulement fait allusion à des fêtes (le terme employé est i 'ra6xv) célébrées à la fin de chaque période décennale. Tl est possible qu'au cours de ces fêtes des voeux fussent prononcés en faveur de l'empereur ; mais les rota decennalia sont beaucoup plus anciens et, comme les vota annua, remontent à l'époque républicaine. Les monnaies impériales mentionnent les vota decennalia à partir d'Antonin le Pieux [DECENNALIA]. On connaît aussi des vota quindecennalia et des vota vicennalia, dont le caractère est analogue à celui des vota quinquennalia et decennalia [VICENNALIA]. Par l'institution des voeux périodiques, annuels, quinquennaux, décennaux, etc., la piété romaine plaçait ainsi la cité, plus tard l'empereur et la maison impériale, sous la protection continue de la divinité ; le rite du voeu, exceptionnel ou du moins temporaire chez les particuliers, acquérait ainsi, en faveur de l'État et de ceux qui le représentaient, une valeur pour ainsi dire permanente, dont l'efficacité se trouvait sans cesse renouvelée et comme ranimée. Les effets du voeu. En échange des faveurs nettement définies et de la protection générale que l'homme demandait à la divinité en contractant ses voeux, que lui promettait-il ? Comme il est naturel, il pensait surtout aux cérémonies du culte, à la construction, à la décoration des sanctuaires. Des sacrifices, souvent considérables (des hécatombes), des offrandes, des processions, des jeux ; des temples, des autels, divers ornements destinés à l'embellissement du sanctuaire 19, un territoire ou encore une augmentation du domaine sacré 20 : voilà une catégorie fort abondante d'actes ou de dons votifs que nous font connaître les documents. A Rome, beaucoup de temples furent construits à la suite d'un voeu, beaucoup de jeux furent donnés pour la même raison. Quant aux offrandes votives, elles s'entassaient dans tous les sanctuaires ; on en trouvera l'énumération au mot DONARIU11I 21. Parmi ces ex-voto de caractère cultuel, on doit une mention particulière aux chevelures, que les jeunes gens et les jeunes filles promettaient de consacrer à la divinité (fig. 25413) 22, aux dépouilles des ennemis, que l'on disposait en trophées [TnoPAEusr], ainsi qu'àla dîme VOT 9'76 VOT du butin [SPOLIA]'; aux reproductions demembres du corps humain, accumulées dans tous les sanctuaires des divinités auxquelles on attribuait la guérison des maladies, principalement d'Esculape, d'Apollon, des Nymphes 2 (fig. 2340 et sq.) : aux lames de métal (fig. 4073), souvent précieux, d'argent par exemple, recueillies sur l'emplacement de divers temples, comme celui de Jupiter au col du Grand-Saint-Bernard 9 ; aux objets de prix, dont les ensembles forment des trésors, comme le trésor de Berthouville en Gaule Lyonnaise (fig. 977, 978)', ou celui de Vicarello, au nord du Latium (fig. 396) De même, parmi les rites que les fidèles s'engagent à pratiquer si leurs désirs sont exaucés par la divinité, nous devons signaler spécialement la prostitution sacrée chez les Locriens de la Grande Grèce 6 ; les sacrifices humains en Thessalie' ; à Rome, la cérémonie exceptionnelle de la suppli saurions énumérer toutes les sortes d'ex-voto qu'ont fait connaître les découvertes archéologiques et épigraphiques; ces monuments sont en nombre à peu près illimité ; on en trouvera d'ailleurs l'indication aux mots DONARIUM, INSCRIPTIONES. A propos des inscriptions votives, une question peut se poser : l'inscription ellemême, accompagnée ou non de reliefs représentant, soit un sacrifice, soit diverses offrandes, constitue-t-elle tout l'ex-voto ou bien a-t-elle été gravée pour perpétuer le souvenir d'une cérémonie votive? Il est fort probable que le plus souvent elle constituait tout l'ex-voto ; il est peu vraisemblable par exemple que, dans les sanctuaires de Saturne d'Aïn-Tounga et du Bou-Kourneïn, chacune des très nombreuses inscriptions votives rappelût le sacrifice d'un taureau et d'un bélier ; les fidèles, dont les noms sont inscrits sur ces pierres, étaient de trop petites gens pour pouvoir offrir à la divinité des sacrifices aussi dispendieux'. Plus rarement le texte épigraphique lui-même mentionne le rite accompli, par exemple le sacrifice d'une jeune vache f0. Il arrivait parfois que la valeur de l'objet votif, ou la dépense à faire pour la cérémonie votive, fussent indiquées d'avance dans la formule même du voeu 11 ; mais ce n'était là une condition indispensable, ni chez les Grecs, ni chez les Romains 1R. Non moins que l'objet même du voeu et que la nature de l'ex-voto promis par l'homme aux dieux qu'il invoquait, les vicissitudes par lesquelles passait ou pouvait passer l'accomplissement du voeu ont besoin d'être précisées. Le cas le plus normal, et de beaucoup le plus fréquent, était celui dans lequel le personnage qui avait contracté un voeu en sa propre faveur s'en acquittait luimême. Souvent aussi un père de famille contractait un voeu pour la santé de tous les siens en général, ou pour la santé de tel ou tel membre de sa famille frappé de maladie ; c'était encore lui qui procédait à l'accomplissement du voeu. Des voeux collectifs pouvaient être contractés par plusieurs personnages appartenant à un même groupe social, officiel ou non : tels les officiers de la dixième cohorte prétorienne en '2'21 ou 222 ap. J.-C."; les ursari de Turicum, dans la Germanie Supérieure". Des voeux furent souvent contractés par de simples particuliers en faveur soit de l'empereur15, soit de la ville dont ils étaient citoyens16. Dans tous ces cas de voeux privés, il ne semble pas qu'il y ait eu, pour l'accomplissement du voeu contracté, des conditions de temps ni de lieu. Parfois c'est à l'endroit même où la faveur divine s'est manifestée que le dévot tient à payer sa dette: ainsi Maecius Probus, vir consularis, praefectus alimentorunt, s'acquitte à Capoue même du voeu qu'il a contracté envers Jupiter quod hoc in loto anceps periculum sustinuerit et bonam valetudinem reciperaverit 17 ; mais dans d'autres circonstances, plus fréquentes, semble-t-il, le voeu est accompli fort loin du lieu où il a été contracté : L. Naevius Verus Roscianus accomplit dans le temple de Minerva Memor, aux environs de Plaisance, le voeu qu'il avait fait en Bretagne à la tête de la cohors IIa Gallorum equitata 18, L. Cornelius Secundinus d'Aquilée, evocatus Augusti, consacre à Aquilée même l'offrande qu'il avait vouée à Rome au dieu Belenus '9. On peut croire que dans ces cas-là le voeu avait été contracté envers une divinité nommément indiquée : Minerva Memor pour L. Naevius Verus Roscianus, Belenus pour L. Cornelius Secundinus. Un voeu fait à Neptune, pendant une traversée sans doute mouvementée du détroit de Messine, est accompli seulement à Capoue 20. Il fallait bien attendre que le dévot eût gagné le temple de la divinité pour que la promesse fût tenue avec exactitude et précision. Peut-être croyait-on que la divinité était obligée parfois de rappeler au fidèle l'engagement qu'il avait pris et qu'il omettait de tenir : tel est sans doute le sens qu'il faut donner à la formule ex viso ou viso admonitus qui se lit sur quelques inscriptions votives 21 Lorsque l'auteur d'un voeu mourait avant de s'en être acquitté, nous ne savons pas, en fait, si la dette était considérée comme éteintepar cette mort ; en droit, d'après le Digeste, comme nous l'avons indiqué plus haut 22,l'auteur d'un voeu était seul lié par l'engagement qu'il avait pris, sauf le cas où le voeu portait sur la dîme des biens. La situation était tout autre quand il s'agissait de voeux publics, stipulés au nom de l'État ou en faveur de l'État. A Athènes, c'estle héraut public qui prononce la formule du voeu, conformément à une décision de l'assemblée du peuple23 ; il n'est point dit, dans le texte des documents, par qui le sacrifice promis sera célébré et la procession organisée; mais il est bien évident quel'accomplisscment du voeu sera réalisé par les prêtres et les magistrats, après que les détails en auront été décidés par le peuple. A Rhodes, dans un cas analogue, le voeu est contracté, sur l'ordre du peuple, par les prêtres et les sacrificateurs"; comme àAthènes, le peuple se réserve de fixer plus tard le détail des cérémonies promises. Dans d'autres cas de voeux publics, nous ne savons pas par quels personnages ils étaient contractés et accomplis : la cité seule est nommée, Locres de la Grande Grèce 25, Sicyone 26, Élatée 27. VOT --a 977 VOT Pour Rome, nous sommes renseignés avec plus de précision. Qu'il s'agisse de voeux exceptionnels ou de voeux périodiques, nous pouvons suivre l'évolution du rite depuis le moment où le voeu est prononcé jusqu'au moment où il est accompli. Outre les exemples que nous avons cités plus haut, en voici d'autres non moins significatifs. En 345 av. J.-C., le dictateur Camille, au milieu d'une bataille, voua un temple à Juno Moneta. Vainqueur, par conséquent damnatus voti, suivant l'expression de Tite-Live, il rentre à Rome et abdique la' dictature. C'est alors au Sénat qu'il incombe de prendre les résolutions nécessaires pour que Rome s'acquitte du voeu contracté en son nom ; le Sénat ordonne que deux duumvirs seront désignés pour faire construire un temple digne de la grandeur du peuple romain. L'emplacement du temple fut choisi surie Capitole, à l'endroit même où s'était élevée la demeure de M. Manlius Capitolinus 1. Pendant un combat contre les Samnites, le consul C. Junius Bubulcus voua un temple à Salus ; ce fut lui qui, -devenu censeur en 306, procéda à la locatio operis; et ce fut lui encore qui, dictateur en 302, présida à la dédicace du temple 2. Si C. Junius Bubulcus put suivre de bout en bout l'accomplissement du voeu qu'il avait contracté, dans d'autres cas chacun des actes successifs fut accompli par des personnages différents. Ainsi en 219, pendant une sédition militaire, L. Manlius, préteur en Gaule, avait voué un temple à la Concorde : en 217, on s'aperçut à nome qu'aucune mesure n'avait été encore prise pour l'accomplissement de ce voeu; le préteur urbain, M. Aemilius, chargea spécialement deux duumvirs, Cn. Pupius et Caeso Quinctius Flamininus, de procéder à la locatio operis, et l'année suivante, en 216, deux nouveaux duumvirs, M. et C. Atilius, dédièrent le temple construit sur le Capitole 3. Beaucoup d'exemples analogues sont cités dans l'opuscule d'Aust sur les temples qui furent élevés à Rome depuis les origines de la cité jusqu'à la fin de l'époque républicaine0. Les circonstances dans lesquelles les ludi Apollinares furent créés, puis devinrent annuels, ne sont pas moins significatives. En 212 -av. J.-C., Annibal était devant Tarente. A Rome circulait un carmen d'origine mystérieuse, le carmen Marcianum, qui conseillait aux Romains, s'ils voulaient se débarrasser de l'ennemi, de vouer à Apollon des jeux annuels, aux frais desquels contribueraient en même temps l'État et les particuliers, et dont la direction serait confiée au préteur urbaip du rang le plus élevé. Les Livres Sibyllins ayant été consultés au sujet de ce carmen, le Sénat décida que des jeux seraient voués à Apollon, et que, toutes les fois qu'ils seraient célébrés, le préteur recevrait douze mille livres d'airain et deux animaux destinés au sacrifice. Le préteur, quand le 'moment fut venu de donner les jeux, édicta que le peuple devait y contribuer, chaque citoyen versant une somme proportionnée à ses ressources 6. Les jeux furent ainsi célébrés en 211; en 210, sur la proposition du préteur Calpurnius, le Sénat vota que les ludi Apollinares seraient voués in perpetuum 6. Enfin, en 208, ils furent définitivement organisés ; jusqu'alors les préteurs Ix. urbains ne les avaient voués que pour l'année suivante et sans fixer d'avance le jour où ils seraient célébrés. En 208, une grave épidémie ravagea la ville et les environs; P. Licinius Varus, préteur urbain, fut chargé de proposer au vote du peuple une loi d'après laquelle les ludi Apollinares seraient voués à perpétuité et célébrés à jour fixe, ut hi ludi in perpetuum in statam client voverentur. La loi fut votée. P.' Licinius Varus célébra les jeux le troisième jour avant les nones de Quintilis (juillet), et ce jour demeura celui des ludi Apollinares 7. On voit combien de pouvoirs publics contribuèrent à cette organisation définitive des ludi Apollinares : les decemviri sacris faciundis pour la consultation des Livres Sibyllins, le Sénat, les préteurs urbains, l'assemblée du peuple. En réalité, c'était la cité elle-même qui contractait de tels voeux, et c'était elle qui devait s'en acquitter. La complexité des magistratures et la division des compétences avaient pour résultat que plusieurs magistrats, collèges et corps constitués collaboraient à la pratique totale du rite. 11 s'ensuivait que parfois un assez long délai séparait le moment où le voeu était contracté de celui où il était accompli. En 222, pendant la guerre contre les Gaulois de la Cisalpine, le père de M. Marcellus avait voué un temple à la Virtus; ce temple ne fut dédié par son fils, le vainqueur de Syracuse, que dix-sept ans plus tard, en 205 Des délais de quatre, six, dix ans sont encore mentionnés ailleurs 9. Auguste laissa passer quarante ans entre la bataille de Philippes et la dédicace du temple de Mars Ultor, qu'il avait voué pendant la lutte 10. Quant aux voeux périodiques, on sait que, sous la République, les voeux annuels étaient contractés et accomplis par .les consuls, le jour de leur entrée en fonctions : ils s'acquittaient des voeux contractés un an plus tôt par leurs prédécesseurs, et ils en contractaient de nouveaux, dont leurs successeurs devaient s'acquitter à leur tour et dans les mêmes conditions. Sous l'Empire, les voeux prononcés chaque année, le troisième jour avant les nones de janvier (3 janvier), pour le salut de l'empereur, étaient contractés par les consuls, les pontifes et tous les collèges de prêtres" ; les Actes des Arvales nous montrent la part que ce collège y prenait. Les Decennalia suivaient sans doute la même règle. Ainsi, quand il s'agissait de voeux publics, contractés au nom de l'État et en faveur de l'État, les magistrats qui prononçaient la formule du voeu, ou qui parfois même en prenaient l'initiative dans des circonstances critiques, engageaient non point leur personne, mais la cité dont ils étaient les représentants. Si les voeux ainsi formulés n'étaient pas accomplis, c'était Rome qui devait en souffrir. Tite-Live nous fournit à ce sujet un détail curieux. En 294, pendant la dernière guerre samnite, Fabius voua un temple à Jupiter Stator; Romulus en avait déjà voué un ; mais on n'avait alors consacré au dieu qu'un fanum, c'est-à-dire un locus templo effatus. Le Sénat ordonna que le temple voué par Fabius fût construit, bis ejusdem vo4i damnata republica 12 ; on considérait donc que le double voeu contracté liait, non pas Romulus ni Fabius, mais Rome elle-même. A l'inverse, .lorsqu'un magistrat négligeait, comme 123 VOT 978 VUL C. Flaminius, consul en 217, de prononcer les voeux annuels, Rome, plus encore que le magistrat coupable, passait pour être exposée à la colère des dieux'. Dans certains cas, toutefois, le Sénat crut devoir, soit ratifier par un acte formel les voeux ainsi contractés, soit au contraire en laisser l'accomplissement à la charge de leur auteur. Ainsi, en 205, Scipion, le futur Africain, de retour d'Espagne, fit décider par un sénatus-consulte que les frais des jeux voués par lui au cours d'une sédition militaire en Espagne seraient couverts par les sommes qu'il avait versées au trésor public 2• Mais quatorze ans plus tard, en tOI, un autre Scipion, P. Cornelius Scipio, consul cette année-là, ayant demandé au Sénat qu'une somme lui fût allouée pour la célébration de jeux qu'il avait voués, étant propréteur en Espagne, au cours d'une bataille indécise, le Sénat refusa, pour la raison que P. Cornelius Scipio avait voué ces jeux de sa seule initiative, inconsulto senatot, ex sua unius sentenlia, et décida que P. Cornelius Scipio paierait les frais de ces jeux avec le produit du butin de guerre qu'il avait pu faire, ou bien sur ses ressources personnelles3. Les voeux tenaient donc à Rome une place considérable dans la vie publique et officielle, aussi bien sous la République que sous l'Empire. La nuncupatio et la solutio votoruni étaient réglées par le jus sacrum. Il était du plus haut intérêt pour l'État romain que les engagements contractés en son nom envers la divinité fussent formulés d'abord, tenus ensuite en stricte conformité avec les rites religieux; la prospérité et la grandeur de Rome en dépendaient. C'est là sans doute ce qui explique le nombre considérable de sanctuaires qui furent consacrés dans Home en exécution d'un voeu, l'importance et la splendeur des cérémonies votives, jeux, sacrifices, supplicationes. Cette conception des rapports réciproques entre l'homme et la divinité, qui n'est certes pas absente de la religion grecque, paraît cependant s'être le mieux et le plus complètement réalisée dans le culte romain. Les formules votives sont proportionnellement beaucoup plus fréquentes dans l'épigraphie latine que dans les inscriptions grecques. Les inscriptions provenant des grands sanctuaires helléniques, aujourd'hui fouillés, de Dodone, d'Olympie, d'pidaure, de Délos, de Delphes, de Pergame, fournissent rarement les termes tels que cêyv, ciyç y4ts, 7tip xcc'r' cêcvo. Dans le recueil des inscriptions grecques de Ch. Michel, ces mêmes mots ou formules ne se retrouvent. pour ainsi dire pas dans la série des 232 textes religieux. groupés par l'auteur. Au contraire, la formule votwn solvit libens animo ou libens merito, abrégée en y. s. 1. a. ou y. s. 1. m., est une de celles que l'on rencontre le plus.-' dans tous les recueils d'inscriptions latines. J. TOUTAIN.