Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

ARATRUM

ARATRUM, ApoTpov, la charrue. L'usage de la charrue remonte en Grèce et en Italie jusqu'au passé lointain où les inventions sont enveloppées de fables et attribuées aux dieux, ou aux héros qui sont issus d'eux. En Grèce, on nomma tour à tour comme ses inventeurs Jupiter ou Bacchus', Pallas ou Cérès; ces deux déesses en auraient appris l'emploi à Triptolème [TRIPTOLEMUS], qui l'enseigna dans toute la Grèce : d'autres en faisaient honneur à Buzygès (Be,éyilç) dont le nom signifie celui qui lie les boeufs sous le joug [AROTOI uIEROII, et il semble que la tradition de l'Attique, qui faisait d'un héros national le premier laboureur, ait été acceptée par les Romains, chez qui on ne rencontre, pour expliquer l'origine de la charrue, aucune légende qui leur soit propre. La charrue primitive était celle qu'on rencontre encore L chez certains peuples, un tronc d'arbre formant avec une de ses branches une bifurcation, qui put servit' de pic ou de houe avant qu'on eût l'idée d'y atteler des bêtes de trait. Elle est représentée dans quelques monuments, notamment dans un bas-relief fréquemment reproduit sur les urnes cinéraires de l'Étrurie 3. On y voit (fig. 429) un héros athénien qui combattit à Marathon, d'après la légende, armé seulement de sa charrue, avec laquelle il tua un grand nombre de Barbares. Il était inconnu et disparut après la bataille. L'oracle interrogé prescrivit d'honorer d'un culte particulier le héros de la charrue (r;pwç'EeTaaïoç), le nom du manche (i1é nr,), qui servit à le désigner , étant pris pour l'ins trument entier; et, en effet, la charrue représentée dans la figure n'est qu'un long manche terminé par un crochet. C'est cette charrue qu'Hésiode appelle 5 âuTÔyusv ciporpov, c'est-à-dire charrue d'une seule pièce : elle pouvait, sans l'addition d'aucune partie, être pourvue d'un manche : il suffisait pour cela que le même tronc fût pourvu de deux branches dirigées en sens opposés, la plus forte et la plus courte formant le soc, la plus longue le manche. On donnait d'avance à un jeune chêne ou à un ormeau une pareille disposition, en pliant les branches ou en les assujettissant au tronc par des liens e. Nous avons un exemple de charrue d'une seule pièce, dont le manche et le soc sont formés par des prolongements naturels, sur une pierre gravée de la galerie deFlorence' (fig. 430); et c'est aussi sans doute cette charrue qu'il faut reconnaître sur les monnaies des colonies romaines, où est rappelée la cérémonie pratiquée à la fondation des villes [COLONIAj. On en traçait la limite en creusant un sillon à l'aide d'une charrue attelée 45 ARA -354 ARA d'un taureau el d'une vache : il n'est guère douteux que cette charrue n'eût conservé, comme tous les instruments qui servaient à l'accomplissement de rites très-anciens, sa forme primitive; mais on n'en peut être assuré par les images trop peu distinctes que nous offrent les monnaies s. Hésiode, à côté de la charrue simple (at'ré'uov), place la charrue composée (7rgx7sÔn tzpoTpov) °, et il engage le cultivateur à avoir l'une et l'autre préparées dans sa demeure. Il énumère les différentes parties qui doivent être assemblées, et pour chacune d'elles recommande un bois différent: la flèche ou timon laurier ou d'orme , le sep (éàuµv.) de chêne, l'âge (yGt„) d'yeuse ou chêne vert 10. Ce sont là les trois parties principales qui constituent, les charrues composées les plus anciennes , comme le prouvent les explications des com mentateurs , d'accord avec des représentations antiques que nous reproduisons. l' ius, c'est cette pièce de bois recourbée dont le laboureur, selon le précepte d'Hésiode, doit s'empresser de se saisir, s'il rencontre sur la m ontagne ou dans la plaine un arbre qui lui en offre la conformation naturelle; elle constitue à elle seule toute la charrue simple ; dans la charrue composée, c'est la partie inférieure du timon bol xfLTCJ7uoov p.€pos trot ieruâocws), dit Hésychius "; l'endroit où la alanine est coudée (TOè Ô:péTpoV TiVéTtov, dit-il encore; et le scholiaste d'Apollonius dit d'antre part : « Le bois qui va de l'auuu vers les boeufs s'appelle 'vrac.» Cette pièce courbe est bien reconnaissable (fig. 431 ) sur un vase peint de la collection de Luynes" ; clans une coupe fig. 4.321 de la fabrique de Nicos thène, au musée de Berlin73, et dans une coupe de la collection ('am pana au Louvre ( fig. 433) 1" Quand un com mentateur d'llé siode,Prociusl", dit que le e =wr,ç est un bois long, implanté non loin de l'tAu,n, dans le manche que tiennent les labou reurs pour gouverner la charrue, » on doit croire qu'il a eu en vue une charrue telle qu'on en peut observer sur quelques monnaies coloniales romaines le et dans un bas-relief publié par Spon I7 : la pièce perpendiculaire que tient en main le laboureur se recourbe pour former le sep, vers l'endroit où l'âge vient s'ajuster, comme le dit l'écrivain grec. On voit aussi dans un dessin d'un ancien manuscrit d'Hésiode t8, souvent reproduit avant que l'on eût découvert des représentations véritablement antiques, une âge fortement courbée et implantée dans le manche à son extrémité, et dans le talon de laquelle le soc est introduit. Les figures qui précèdent feront également comprendre ce que les auteurs nous apprennent au sujet du sep ( dpp .). C'est, d'après Hésiode, la pièce dans laquelle doit être enfoncée l'âge; d'après le scholiaste des Argonaatiques, c'est celle dans laquelle le soc est introduit 15. Les figures démontrent que ces deux affirmations ne se contredisent en rien, mais que l'tàut,.a est une pièce intermédiaire (1,44 vI iv Tô} p.écw tioü «pd-rpou) "Q à laquelle, d'une part, l'âge est fixée, et d'autre part, à son extrémité, le soc. Les auteurs ajoutent que ces diverses parties sont assujetties par des clous ; on voit par les peintures ici reproduites qu'elles pouvaient l'être aussi à l'aide de bandages. Le soc, qui fouille la terre comme le groin du porc (fis), était appelé par les Grecs wvts ou 5v'ri , et sa pointe v4p9rl "1. Sa forme varie dans les représentations qu'on en possède : il est tantôt droit et tantôt courbé, tantôt aigu et effilé (fig. 431), tantôt, comme une pelle, plus large à sa base, en forme de coeur ou de fer de lance (fig. 432,-433). La flèche (uµ26) se compose de deux parties ", l'âge (ri-,Ii;) ou pièce courbe dont nous avons parlé, et le timon (iaToEooég) qui s'adapte à l'extrémité de l'âge, au moyen de traverses ou de fortes chevilles, comme on le voit (fig. 434) sur des monnaies de la ville d'O bulco en Espagne 2', ou à l'aide de courroies, comme sont encore liés les timons de charrues usitées en Égypte de toute antiquité 24. On appelait encore €nvaéaEés le lien qui attachait le joug au timon 2'. tOn nomme l'extrémité voisine du joug, ou IaEOuéotov, la large courroie qui s'attache au joug. On fixe le joug eu l'entourant de la courroie, après avoir inséré dans son trou la cheville ap Le manche (izéT)(7') est clairement figuré dans les exemples ci-dessus c'est le morceau de bois que tient en main le laboureur et au moyeu duquel il dirige la charrue. Dans la charrue primitive, comme on l'a vu, il se confond aveu l'âge, et de là vient le nom du héros de la charrue, 'EyE'7àe o;. La poignée sur laquelle le laboureur place sa main est appelée xesponaéa(s, et l'endroit où le manche s'adapte à la charrue, Oéiil " Les charrues qui sont plus ou moins clairement figurées ARA -355 ARA - sur des monnaies n et sur des pierres gravées 98 sont toutes à peu près conformes au type que reproduisent nos dessins. Celles qui sont encore en usage dans beaucoup de contrées de l'Orient et même dans une partie de l'Italie sont peu différentes. Nous retrouvons les parties de la charrue qui viennent d'être examinées , réunies et complétées encore dans un dessin que nous reproduisons (fig. 435) d'après Ginzrot u, et qui est pris, dit cet auteur, d'un bas-relief décorant la base d'une statue de Cérès, dans la presqu'île de Magnésie. La personne qui le lui avait communiqué, native de ce pays, assurait que l'on s'y servait encore de charrues semblables. Nous aurions donc ici, en admettant que tous les détails de ce dessin soient fidèles, un exemple de la charrue grecque arrivée à sa perfection. Outre les pièces déjà énumérées, on y remarquera tin étançon qui joint le sep à l'âge, etqu'on retrouve aussi dans le dessin que nous avons déjà cité d'un manuscrit d'Hésiode : il semble que cette pièce ait été confondue avec le sep sous le nom d'iàug« ; puis deux oreilles ou ailerons. attachés au sep près du soc, et dont nous parlerons plus loin, dans les explications relatives aux charrues romaines. On remarquera que dans la figure 432, comme dans la figure 433, la charrue est traînée par des boeufs ; une autre charrue, sur la même coupe d'où cette peinture est tirée, est attelée de mulets ; et en effet, Homère et Hésiode font mention 30 des deux sortes d'attelages. Les mulets étaient employés pour les terres les plus légères 31 La figure 429 représente un héros grec; mais c'est en Étrurie que l'on trouve le sujet d'où elle est prise, fréquemment répété sur des coffres en terre cuite qui contenaient les cendres des morts. Ce fait suffirait à prouver que l'on a commencé, en Italie aussi bien qu'en Grèce, par faire usage de la charrue simple, formée d'une seule pièce de bois crochue, et nous avons cité d'autres monuments qui le démontrent également. Pour construire une pareille charrue, on pouvait employer un arbre présentant cette courbure naturelle, ou qu'on avait plié tandis qu'il croissait encore dans la forêt, comme le conseille Virgile, qui imite ici les préceptes d'Hésiode 32. 1l désigne l'ormeau pour cet usage et appelle buris le bois courbé qui constituait primitivement la charrue italienne, comme le Yû~s celle des anciens habitants de la Grèce. La buris ou bura était cette pièce dans laquelle se confondent l'âge et le sep (dentale). On se rend mieux compte de l'emploi d'une même dénomi nation pour les deux parties, en considérant (fig. 436) un ancien bronze étrusque trouvé à Arezzo, où elles ne for ment en effet qu'une seule pièce 33. On les sépara, et buris devint le nom de l'âge, dans la charrue composée des temps postérieurs ; dentale fut celui du sep. Servius, commentant le vers de Virgile, dit que l'on appelait quelquefois buris la courbe du timon, c'est-à-dire la partie supérieure du crochet qui était toute la charrue primitive; urvum, la partie inférieure. Festus, d'autre part, réunit sous le nom d'urvum, qui signifie proprement une chose courbe, l'âge et le sep, auquel le soc est fixé (curvatione buris et dentis, etli praejigitur minent". Le soc (vomer, vomis) et le sep (dentale) unis ensemble sont de même appelés dens par Varron et par Columelle3G; cette dénomination date du temps où il n'y avait pas encore de soc ajouté au croc de bois durci au feu. Ce soc fut de cuivre, avant d'être de fer, chez les Étrusques et chez les Sabins, comme l'étaient en général les outils d'origine trèsancienne 3fi. La figure 436 montre comment il était lié sous le sep ; d'autres fois il y était implanté, dit Varron n, comme une dent dans son alvéole. Cette sorte de soc est celle que Caton appelait indutilis et qu'il estimait le plus 38. Pline en décrit plusieurs 3s. Le soc le plus ordinairement employé avait la forme d'un levier terminé en pointe. Pour les terres légères, on se servait d'un soc qui ne couvrait pas (comme dans la fig. 436) toute la longueur du dentale, mais formait une pointe aiguë à son extrémité ;, ailleurs le fer était large, présentant un tranchant acéré vers le bout; il ouvrait le sol avec cette large lame et coupait les racines avec ses côtés. On en voit un ici (fig, 437) remarquable par son bord relevé 40, tel qu'on en a trouvé quelquefois dans diverses parties de l'ancienne Gaule. Pline décrit encore et range parmi les différentes espèces 'de socs l'instrument que nous appelons coutre ou couteau (cuiter), «qui tranche, dit il, la terre compacte, avant qu'elle soit soulevée, et trace d'avance la ligne du sillon, que le soc ouvre couché à plat sur le dos. » La position horizontale du soc indique ici par opposition celle du couteau, en même temps que la marche de la charrue qui en est pourvue 41. On distingue nettement le couteau placé devant un soc en forme de bêche dans le dessin d'une charrue (fig. 438) gravé sur un jaspe vert qui paraît avoir été suspendu pour servir d'amulette "9. Ce petit monument est aussi le seul où l'on voit des roues adaptées à la charrue. Ces roues sont menti onnées par' Pline connue une invention des habitants de la Rhétie gauloise, et il appelle ce genre de charrue plaustraratrum. Elle pouvait être connue de Virgile, né dans le Mantouan, qui n'était pas éloigné des contrées où ce genre de charrue fut d'abord en usage; et, d'après son commentateur Servius, ce serait celle-là même qu'il e décrite et pour laquelle il emploie le terme, il est vrai, très-général, de curies, quand il dit que c'est le manche placé en arrière qui im prime une direction à la charrue tout entière'"7Le manche (stiva), muni d'une poignée (manibula ou maniculal ", pouvait être simple, comme dans les charrues grecques et dans la charrue étrusque(fig. 436) représentées plus haut, ou double comme dans le dernier exemple. Dans sa description '1, Virgile parle encore du timon (lento), qui doit avoir huit pieds à partir du tronc dans lequel il est fixé, ou dont il est le prolongement, quand il ne fait qu'un avec la blinis; (le deux oreilles (aunes), qui sont ces pièces de bois qu'on voit dans la figure 435 adaptées au sep, comme elles le sont encore dans les charrues modernes, et qu'on employait dans les pays plats pour relever les deux côtés du sillon (porcae) tracé par le soc L6, afin de protéger les semences, qui eussent été gâtées par l'eau séjournant après les pluies d'hiver; une pièce enfin qu'il nomme le double dos du dentalia. On n'est pas d'accord sur le sens qu'il faut donner à ces mots : peut-être le poète a-t-il voulu dire que le sep tenait à l'âge par des étancons, comme dans l'araire moderne, et on voit en effet un support de ce genre dans la charrue grecque reproduite fig. 135; peut-être faut-il entendre que le sep était formé d'une double pièce de bois et qu'il se relevait de chaque côté. Servius dit que presque toutes les charrues, en Italie, offraient cette disposition. Virgile" recommande le bois de l'orme pour les pièces principales de la charrue, le tilleul pour le joug, le hêtre pour d'autres parties. Ces bois devaient être suspendus au-dessus de l'âtre, afin d'éprouver leur solidité, car s'ils n'étaient pas bons, la fumée les faisait fendre. Pour les travaux du labourage, voyez RUSTICA E. Sot jt, ARBITER [iUnlcssj.