Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ACIES

ACIES (T«~tç). Voy. pour les Grecs, TAXIS. Le mot actes a une signification toute particulière qui ne doit pas H r-1 a D u ACI _29 ACI être confondue avec celle du mot AGMEN, erreur que commettent souvent les traducteurs. Il signifie une armée rangée en bataille, ou tout au moins une ligne de troupes prêtes à combattre, et non pas le rang. Végèce' détruit toute incertitude à cet égard, en disant : Acies dicitur exercitus instructus. Quelquefois aussi on a employé le même mot pour désigner le combat lui-même 2. Les expressions aciem instruere 3, aciem instituere 4, aciem constituere' signifient ranger l'armée en bataille : prima acies signifie la première ligne de troupes ; secunda acies 7, la deuxième ligne; tertio acies',la troisième ligne, et quarta acies, la quatrième lignes. L'expression triplex acies 10 servait à désigner l'ensemble de l'armée rangée en bataille sur trois lignes, et celle-ci, in aciem procedere 11, indiquait la marche en bataille. On employait encore le mot acies dans la désignation de manoeuvres de détail, mais se rattachant aux formations de combat, telles que doubler et quadrupler les rangs, aciem duplicare, quadratam aciem constituere; se former en triangle, in trigonum (quem cuneum votant) aciem mutare 12, etc. Jusqu'à l'époque où vécut Camille, les Romains combattirent en phalange [PUALANX], c'est-à-dire sur une seule ligne pleine i3; puis, pendant tout le temps qui s'écoula ensuite jusqu'au moment où Marius changea l'organisation de la légion [LEGIo], celle-ci se forma sur trois lignes (fig. 56). La première était com posée des manipules de hastati laissant entre eux des intervalles dont chacun était égal au front d'un manipule : devant chacun de ces intervalles et sur une deuxième ligne, se trouvaient les manipules des principes; enfin, en troisième ligne, les manipules des triarii placés devant les intervalles des principes : si ceux-ci et les hastati ne pouvaient résister à l'ennemi, ils se portaient en arrière et allaient se reformer dans les intervalles des triarii. Cette dernière manoeuvre était possible, attendu que les triarii ayant un effectif moitié moindre que les hastati et les principes, les intervalles qui existaient entre leurs manipules étaient deux fois plus grands que ceux des deux premières lignes : donc, dans chacun de ces intervalles, un manipule de hastati et un manipule de principes pouvaient trouver place Derrière les triarii se rangeaient les rorarii et les accensi'S : quant aux velites, ils étaient répartis dans les intervalles de la première ligne 16, ou placés en avant de l'armée 17. Quelquefois, pour laisser passer sa cavalerie ou les élé phants de l'ennemi, le consul abandonnait la formation en quinconce dont nous venons de parler, et, tout en conservant les intervalles entre les manipules et les distances entre les lignes, plaçait chaque manipule de principes et de triarii derrière le manipule correspondant de hastati, de telle sorte que les intervalles existaient dans toute la profondeur de l'armée le Une armée consulaire comprenait habituellement quatre légions, deux composées de citoyens romains et les deux autres composées d'alliés du nom latin : les légions romaines étaient placées au centre de la ligne de bataille et les autres à droite et à gauche 19 [socn]. La cavalerie romaine était bien plus redoutable que celle des Grecs, puisqu'elle chargeait à fond soit en ligne, confertis equis 40, soit en fourrageurs en lâchant les rênes, effusis habenis 21, ou même en ôtant les mors des chevaux E2; elle n'hésitait donc pas à combattre de près et à pénétrer dans les rangs ennemis 23 et même à mettre pied à terre pour soutenir l'infanterie lorsqu'elle n'avait pas l'espace nécessaire pour charger 24, Aussi rendit-elle souvent de grands services soit en combattant, soit en opérant des diversions ou en exécutant des mouvements tournants 25Répartie généralement sur les deux ailes 26 ou massée sur une seule aile S7, ou môme encore placée der rière l'infanterie 23 elle commençait souvent l'action par une charge dirigée sur le centre de l'armée ennemie 2' ou contre sa cavalerie 30. Lorsque la formation par manipules fut abandonnée, on vit les armées romaines se mettre quelquefois en bataille sur une seule ligne 31, sur deux lignes 32, sur quatre li gnes 33, mais plus habituellement sur trois lignes '4, de telle sorte que chaque légion avait quatre cohortes [COI1oas] sur la première ligne et trois sur chacune des deux autres 3"' : contrairement à ce qui se faisait précédemment, les troupes qui inspiraient le moins de confiance étaient placées au centre de l'armée 3'; la cavalerie était répartie sur les deux ailes37 ou massée sur une seule aile 3'; enfin, l'infanterie légère était placée en avant de l'armée et rarement sur les ailes 39 L'empereur Alexandre Sévère, ardent admirateur d'Alexandre le Grand, organisa une phalange d0 qui ne fut pas conservée par ses successeurs : seulement, dans les derniers temps de l'Empire, la légion ne se rangea plus en bataille que sur deux lignes comprenant chacune cinq co AC1 •30 ACI hortes; la lr°, la 3e, la 5', la 6°, la 8' et la IO° cohorte qui occupaient le centre et les extrémités des deux lignes, étaient composées des soldats les plus braves et les plus ro bustes A4. Dans tous les temps, le centre de la ligne de bataille était désigné par l'expression media mies" : quant aux deux extrémités de cette ligne, elles ont été quelquefois appelées alae 43 ou laiera ", mais presque toujours cornua n; c'est là qu'on plaçait généralement la cavalerie 46 et quelquefois l'infanterie légère 47. Sous le Bas-Empire on y mettait une troupe spéciale appelée vnapxripa Teq ". Dans tous les temps aussi il y eut des troupes placées en réserve, subsidia : celles qui occupaient la deuxième et la troisième ligne étaient généralement considérées comme telle b9, mais ce rôle é tait quelquefois confié à la cavalerie 50 ou à un certain nombre de cohortes, subsidiariaecohortes 51 : sous le Bas-Empire, il fut attribué àune troupe spéciale appelées 'xoy,Saaxr«t 5E. Végèce 53 énumère sept ordres de bataille : 1° former un rectangle allongé en présentant l'une des grandes faces à l'ennemi, frons Tonga quadro exercitu; 2° former l'ordre oblique en refusant l'aile gauche et attaquant avec la droite composée des meilleures troupes, sinistram alam a dextra adversarii longius separare, dextram alam cum equitibus optiinis et probatissimis peditibus sinistraealae illius jungere : c'est la manoeuvre des batailles de Leuctres, de Mantinée et d'Issus ; 3° former l'ordre oblique en faisant avancer la gauche et en refusant la droite, a sinistre cornu cum adversarii dextre con fligium incipere, manoeuvre plus dangereuse que la précédente pour les anciens qui, en marchant vers la gauche. présentaient à l'ennemi le flanc droit que ne protégeait pas le bouclier; 4° attaquer l'ennemi par les deux ailes, ambas aires incitare, et alors le centre se trouve découvert, media acies nodales ; on peut rattacher à cette disposition la formation des troupes de Scipion à la bataille d'llinga, et l'ordre concave adopté par Annibal à la bataille de Cannes 5"; 5° renforcer son centre au moment où les deux ailes font leur attaque, levem armaturam et sagittaries ante mediam aciem ponerc : cet ordre n'est évidemment qu'une modification du précédent; 6° attaquer avec sa droite en laissant le centre en colonne et la gauche déployée en arrière de celui-ci, mais placée parallèlement à l'ennemi, pour être à même de tomber sur lui s'il veut marcher au secours du point attaqué,dextram alam sinistrae claeltostium jungere, reliquam partem longissime ab acie adeersariorum removere et in direclum porrigere, quasi venu; 7° appuyer une de ses ailes à un obstacle naturel, montent, out mare, aut Amen, aut lacum, aut paludes, aut abrupto, in una porte liabere et reliquum exercitum directa acte ordinare ceci constitue plutôt un choix de position qu'un ordre de bataille : telle fut la disposition adoptée par Pompée à Pharsale Ces ordres de bataille peuvent se résumer en trois seulement : l'ordre parallèle, l'ordre oblique et l'attaque par les deux ailes. L'empereur Léon 58 ne donne, comme l'empereur Mau rite, que quatre ordres de bataille appelés par ce dernier le scythique, l'alanique, l'africain et l'italique. Par le premier, on formait une ligne pleine dont les ailes s'inclinaient en avant pour cerner l'ennemi; dans le second, des parties de toute la ligne s'avançaient pour attaquer, en laissant des intervalles où elles pouvaient rentrer : c'est une marche en avant en échiquier ; dans le troisième, le centre restait immobile et la manoeuvre indiquée ci-dessus n'avait lieu qu'aux ailes; enfin, dans le quatrième, l'armée se formait sur deux lignes, ayant des corps séparés pour couvrir ses flancs et des réserves qui, au besoin, protégeaient les derrières : c'est celui qui se rapproche le plus de la manière de combattre des troupes modernes. Aulu Gelle 57 indique sept manières de ranger les troupes en bataille, qu'il dit avoir vues mentionnées dans certains ouvrages d'art militaire et qu'il appelle frons, subsidia, euneus, orbis, globes, forfices, serra, atm, turres : or, ce ne sont que des termes de tactique qui, généralement, ne se rapportent pas à des ordres de bataille, mais bien à des formations de corps de troupes placés dans des conditions particulières. Le fiions est une formation d'attaque et de défense : c'est la plus simple et la plus naturelle, un rectangle allongé présentant à l'ennemi une de ses grandes faces. Le second mot de cette nomenclature ne désigne pas proprement une formation : AuluGelle a dû le prendre dans les écrivains militaires qui insistaient sur l'utilité de constituer, les jours de combat, un corps de réserve, subsidiurn. Le troisième mot, cuneus, se rapporte à une formation d'attaque bien connue. Le cuneus était composé d'un certain nombre de soldats rangés en triangle, ce qui leur procurait deux avantages, celui de lancer un grand nombre de traits sur un mème point de l'armée ennemie en y provoquant ainsi un trouble extrême, et celui d'enfoncer plus facilement cette armée en lui opposant une troupe d'une grande profondeur : cette formation, qui rendit souvent de grands services à ceux qui l'employèrent, était aussi appelée tète de porc, caput porcinum 58 ou caput porcs S9. Le triangle avait sa base appuyée sur la ligne de bataille et l'angle antérieur était tronqué 60. La cavalerie 61 adoptait quelquefois cette disposition qui était fort en usage chez les Germains 62, chez les Francs 83, chez les Bataves 64, chez les Espagnols 65, chez les Scythes et les Thraces° ; les Grecs, qui y eurent quelquefois recours, l'appelaient isbol,ov 67 : quant aux Romains, ils n'en firent généralement usage que pour de petits corps de troupes ayant à se dégager de l'ennemi qui les entourait ou à agir sur un point isolé 66. Néanmoins, s'il faut croire Frontin S9, on vit un consul l'adopter pour toute son armée qui avait à combattre la phalange macédonienne. La disposition appelée orbis n'était autre que la manoeuvre instinctive et suprême employée par les petits corps de troupes qui, entourés par l'ennemi, se groupaient en cercle pour faire face de tous côtés 7°; par le même motif on donnait aux camps non fortifiés et dressés en toute hâte la forme ronde, in orbiculatam figuram 71. AC1 -31AC1 Les glohi ou drungi étaient de petits pelotons chargés de harceler l'ennemi et de le tourner n. La tenaille ou les ciseaux, forfices, constituait la disposition ayant la forme de la lettre V et adoptée pour résister au cuneus en l'étreignant des deux côtés Végèce 74 dit qu'on appelait serra une troupe de soldats courageux, opposés à. l'ennemi en avant d'une ligne désorganisée à laquelle on donnait ainsi la possibilité de se reformer; mais cette définition n'explique pas la dénomination adoptée en pareil cas. Nous préférons celle que donne Festus 7S, d'après Caton, qui dit qu'on appelait ainsi une suite répétée d'attaques et de retraites, ce qui rappelle le va-et-vient de la scie, serra. Il est difficile de se rendre compte de la formation qu'Aulu-Gelle appelle ale : c'était probablement le double mouvement tournant opéré par les ailes, mouvement dont parle Végèce 78 et qui fut employé par les Lacédémoniens à la bataille de Leuctres n, et par Annibal à la bataille de Cannes n. Quant à la formation qu'Aulu-Gelle et Catonn appellent turres, il est probable qu'elle n'était autre que la disposition en colonne appelée aussi pilum ou veru. Aucun auteur ancien ne nous a fait connaître la distance qui séparait les différentes lignes de bataille, et ce n'est qu'en rapprochant certains textes qu'on peut en avoir une idée simplement approximative. D'après l'auteur du Commentaire sur la guerre d'Afrique S0, l'armée de Scipion et celle de J. César restèrent pendant toute une journée rangées en bataille à trois cents pas de distance l'une de l'autre sans engager le combat : or, il est naturel de penser qu'on se rangeait en bataille à une distance plus grande que la portée du trait, c'est-à-dire au moins double, et on peut en conclure que la plus grande portée était au plus de 150 pas. D'un autre côté, l'auteur des Commentaires sur la guerre civile 81 dit qu'à Dyrrachium Pompée avait rangé son armée en bataille de telle manière que la troisième ligne touchait à. ses retranchements, et qu'ainsi toute l'armée pouvait être protégée par les traits lancés sans machines par les troupes placées sur ces mêmes retranchements ; or, pour que le tir des soldats do Pompée fût efficace et pour qu'on n'eût pas à. craindre de les voir blesser leurs camarades, nous devons supposer que la première ligne était tout au plus à 120 pas du retranchement. Donc, au temps de la formation par cohortes, la profondeur du terrain occupé par une armée rangée en bataille était tout au plus égale à 120 pas (477 mètres). Les soldats, dans la cohorte, étant formés sur dix rangs 82, chacun d'eux occupant un espace d'environ un pied et demi de profondeur et étant placé à trois pieds de son chef de file u, chaque cohorte couvrait un terrain de 42 pieds de profondeur, suit 126 pieds pour les cohortes des trois lignes. Ceci posé, si l'on adopte pour la profondeur totale du terrain occupé par l'armée celle que nous avons indiquée, c'est-à-dire 120 pas, il reste 474 pieds pour la somme 'des deux distances qui séparaient la première ligne de la deuxième et celle-ci de la troisième, soit 237 pieds (70 m.) pour chacune d'elles. Les résultats de ce calcul s'accordent avec ce qui est dit par l'auteur des Commentaires sur la guerre civile 8' dans une autre partie de cet écrit, et par Végèce, à. propos de la portée du trait 850 Il est encore plus difficile d'évaluer la profondeur du terrain occupé par l'armée formée en manipules, parce qu'on ignore le nombre de rangs de chacun de ceux-ci. Cependant, si l'on prend en considération ce qui avait lieu dans la cohorte, réunion de trois manipules, et si en outre on remarque que Tite-Live a dit que la profondeur de la légion n'approchait pas de celle de la phalange qui était de seize hommes 86 on est autorisé à croire que le nombre total de rangs des trois manipules était de dix, dont quatre pour les hastats, quatre pour les princes et deux pour les triaires. Mais nous n'avons aucune certitude à cet égard; on peut seulement conclure de ce que les triaires se tenaient baissés et abrités derrière leurs boucliers 87, que la distance qui séparait les trois lignes était peu considérable. Enfin, nous ferons remarquer que les armes en usage aux deux époques étant à peu près semblables, leur portée ne devait pas être différente, et que par conséquent la distance entre les lignes au temps de la formation par manipules était probablement la même qu'au temps de la formation par