Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

ASEBEIA

ASEBEIA ('Aa€Pat«). Ce mot chez les Athéniens, comme chez nous le mot impiété, n'avait pas d'acception bien délimitée '; aussi le nombre des faits qui pouvaient être groupés sous ce titre était-il très-considérable. Nier l'existence de la Divinité, soutenir qu'elle ne peut avoir d'influence sur les choses de ce monde, tourner en dérision les cultes admis par l'État, renverser ou profaner les sanctuaires et les autels I, violer ou divulguer les mystères, mutiler les statues des dieux, détruire les objets qui leur étaient consacrés, négliger les devoirs de piété prescrits par les lois voilà certainement des actes contraires à la religion et que l'on peut comprendre sous le nom génésique d'4eééata. Beaucoup de philosophes et de citoyens libres penseurs furent, à raison de faits de ce genre, traduits devant les tribunaux et poursuivis comme coupables d'impiété '' : Théodore, parce qu'il affirmait qu'il n'y a pas de dieux ; Socrate, parce que, ne croyant pas aux dieux reconnus, il cherchait à détourner ses disciples du culte officiel; Diagoras de Mélos et Eschyle, parce qu'ils divulguaient les mystères; Alcibiade, parce qu'il les parodiait chez lui; Archippe 6 et Andocide, parce qu'ils mutilaient les Hermès, etc. Une foule d'autres faits qui intéressaient moins directement les dieux, rentraient également sous le titre d'âaéPna: rendre à un simple mortel les honneurs divins arracher un fugitif du temple dans lequel il avait cru trouver un abri ; entrer dans un sanctuaire et participer à des processions ou à des sacrifices sans réunir les conditions de pureté exigées 7; insulter un prêtre ou une personne remplissant un office religieux tel que celui de Chorége 8 ; s'acquitter d'une fonction sacerdotale sans avoir les qualités requises, se livrer à des maléfices et à des sorcelleries 9 ; commettre un parricide 10 ; vivre avec l'auteur d'un pareil crime 'I; corrompre la jeunesse ; négliger de donner la sépulture à un cadavre, etc., etc. Nous en avons dit assez pour faire comprendre que le délit 59 d'ésAEta était très-élastique et que beaucoup de personnes étaient exposées à une action publique fondée sur l'impiété. On range habituellement parmi les délits d'àséèeia l'introduction non autorisée par l'État d'un culte nouveau dans l'Attique. L'historien juif Josèphe rapporte, en effet, qu'une loi athénienne prononçait la peine de mort, xxtià rdw Eévov Elaayovv ov 0sév 1', et le grammairien Servicus affirme de son côté que « Cauturn fuerat apud Athenaénses ne quis novas introdueeret religiones 13. » Ce fut, dit-on, en vertu de cette loi que Phryné fut poursuivie devant les tribunaux, ,ç xatvob OEOÛ alarynjrpox li, parce qu'elle avait cherché à établir le culte d'lsodaitès 13. Pour qu'un culte nouveau fût légitimement introduit dans l'Attique, il fallait que l'assemblée du peuple eût préalablement, sur le rapport du sénat, autorisé cet établissement. Aussi les inscriptions mentionnent-elles des autorisations données à des Égyptiens pour la fondation d'un temple d'Isis, à des Cittiens pour la fondation d'un temple d'Aphrodite 16, à des Tyriens pour la fondation d'un temple d'Hercule 17, Nous persistons cependant à croire que les étrangers admis à établir leur domicile dans l'Attique, avaient le droit d'honorer les dieux de leur pays natal et de continuer à les honorer lors même que la république, à raison des services qu'elle en avait reçus, leur conférait le titre de citoyen. Nous croyons même que les citoyens d'origine pouvaient, sans s'exposer à aucune pénalité, honorer les dieux qui avaient leur préférence 18, La prétendue loi, qui punissait de mort l'introduction à Athènes d'un culte noie veau, se trouve seulement clans les livres d'écrivains étrangers à l'Attique, et qui vécurent longtemps après l'époque où ses lois étaient en vigueur ; leur témoignage est sans autorité. Si Phryné fut poursuivie devant les tribunaux, ce fut parce que, comme beaucoup d'autres étrangères, comme Théoris, comme Ainus, elle se livrait à d'impudentes débauches et usait de son influence pour corrompre les moeurs de ceux qui l'entouraient. Tout le monde est obligé de reconnaître qu'une grande tolérance religieuse régnait à Athènes et que beaucoup de religions étrangères se propagèrent sans autorisation clans l'Attique i°. Le fait certain de la tolérance et l'absence dans les auteurs athéniens de toute mention de lois restrictives rendent plus que probable le droit à la tolérance. Quant aux décrets que l'on invoque, ils ne nous paraissent pas av=oir pour objet l'autorisation de cultes nouveaux; Aphrodite avait des autels à Athènes, longtemps avant le ive siècle, et les Athéniens n'ont pas attendu le ne siècle pour honorer Hercule; les Cittiens et les Tyriens ne demandaient donc pas l'admission de divinités nouvelles `0. L'objet véritable des décrets, c'était l'i',(xrratç wpion, c'est-à-dire la concession à des étrangers du droit d'acquérir les terrains sur lesquels ils se proposaient d'édifier un temple, droit dont ils ne jouissaient pas à cause précisément de leur qualité d'étangers. PROCÉDURE ET COMPÉTENCE. Les textes nous apprennent que la répression de l«,ide tx pouvait être demandée de plusieurs manières. p. 426.-17 tiarpoc,. Cd. Rekker, p. 102. 18 Foucar t, 1,.. „ .' i'p -riel, liberté, de conscience a Attcnes dans 1, lIeni de S oi lai 30 5 , oie et mdc C 1, 187o, p. 341-304. et les autorités qui sont citées. 19 rouca t 1. p. 36 40 Y oui cependant Fouc rt, 1. c. p. loi. 21 Dean. C. Jar ot. § 27, R. 001. -3 Lsias, C. Aadoc. D. iii ; Dem. C. Laud. § 45, II. 940; Ilyperld. Pro, lia voie la plus ordinairement suivie était celle des -;payai ou actions publiques Le citoyen qui voulait jouer le rôle d'accusateur déposait une ypap ; entre les mains de l'archonte-roi =', chargé de la direction des affaires religieuses. L'archonte-roi instruisait le procès et renvoyait ici jugement au tribunal compétent. Quel était ce tribunal ? S'il fallait en croire le scholiaste de Démosthène, c'étaient les Eumolpides nous ne nous arrêterons pas à réfuter ce témoignage, parce qu'il nous semble dû à une interprétation exagérée d'un texte de Démosthène sur lequel nous reviendrons bientôt. Une opinion très-accréditée 2'' nomme l'Aréopage ", mais les plus grands procès d'impiété dont le souvenir nous ait été conservé, celui de Socrate, celui d'Andocide, celui d'Archias 26, celui d'Anaxagoras, celui d'Aspasie, celui de Phryné ", furent jugés par les tribunaux des Iléliastes. Pour concilier ces faits avec l'opinion dominante, Meier propose de dire que l'Aréopage était d'abord compétent; qu'il fut dépouillé par Éphialte de cette attribution, en même temps que du jugement des tçovtxai llxat, et qu'il en resta dépouillé même quand le renversement des Trente lui eut rendu une partie de son ancien pouvoir 26 nous avons vu ailleurs ]AREOPAS7's] ce qu'il faut penser de l'enlèvement aux aréopagites des t?ovtxai èixat par Éphialte ; la base du raisonnement de Meier manque donc complétement et son explication doit être écartée. Platner croit que la compétence appartenait tantôt à l'aréopage, tantôt aux Héliastes, suivant le point de vue religieux ou politique sous lequel le délit était envisagé. Quand l'ordre politique était désintéressé, parce que l'acte était exclusivement un acte religieux, l'aréopage était compétent ; mais, lorsque le délit prenait un caractère social, comme par exemple le délit de Socrate, qui non-seulement se moquait dss dieux établis, ruais encore corrompait la jeunesse par ses prédications, la compétence était aux Héhastes 33. --II nous paraît résulter des textes que le jugement des actions d'impiété rentrait en principe dans les fonctions des tribunaux ordinaires30; seulement l'aréopage était toujours compétent pour juger les personnes accusées d'avoir arraché des oliviers sacrés31. De plus toutes les fois que le délit d'xaéôeia.était peu grave, l'Aréopage, en vertu de ses pouvoirs de police, avait le droit d'infliger des pénalités minimes. Ainsi, il punit d'une amende un archonte-roi qui avait épousé une femme indigne du titre et des fonctions de fige, taea 3E, Les autres voies ouvertes à l'accusateur étaient celles de l'ApACoGé, dans le cas de flagrant délit 33, de l'Exnerxis 9b, de l'EisANGi;LIA 35, sur lesquelles nous donnerons des explications spéciales. A ces procédures bien connues, Démosthène en ajoute deux autres : Stx7i IeOat pDç Evµo) 7 lia„ et rfpâ5Emn 7.pôç rôv ;?nia-t'a°S. Cette dernière consistait probablement en ceci, que le citoyen qui avait connaissance d'un fait d'impiété, mais qui ne voulait pas jouer le rôle d'accusateur, parce qu'il craignait, en cas d'insuccès dans la preuve, d'encourir les peines prononcées contre les accusations téméraires, se siuf. De p/aeits Ados. 1, 7, if 1, D 1072, et autres textes peu probnnts. es Cie. Dc dinbr t, 4.., p 34. Notons toutefois que sur le fait môme val porté par l'orateur, I i dissidence entre lu et r a t u1 d'une e nnon3n, de Sophocle éd. '0 01e, p l Ce dernier palle d peuple. (-ib ,x,, et non et la, 6 »cm. P. et et suie 32 D n. C. eaer. § 50, R. 1372. 31 Dion. C. t ,dr ot. § 27, ii 6UL 31 Andoc. De r„pst. passion 30 Plut. Alold. . 36 C. Auditif. § 27, A2 A 4 ASl bornait à signaler le délit à l'archonteroi. Le magistrat examinait s'il y avait lieu de donner suite à la dénonciation et de commencer d'office des poursuites. Il est plus embarrassant de dire ce qu'était le Stxât;eaOat apoç Ei,uoDr(t ç. L'opinion qui nous semble la plus probable est celle daprès laquelle, pour certains délits d'impiété relatifs aux mystères d'Éleusis, il était permis de poursuivre le fait, soit directement, soit par l'intermédiaire de l'archonte-roi, devant les Eumolpides, qui prononçaient seulement des peines religieuses, telles que l'exclusion des mystères ou la privation du titre d'initié, sans influer sur l'état civil et politique du coupable. Ce que Démosthène dit des Eumolpides était, suivant toute vraisemblance, également vrai des Céryces. PÉNALITÉS. La peine de 1'ticsèeta était plus ou moins grave, suivant l'importance du délit ; tantôt elle était fixée par la loi, tantôt elle était abandonnée à la discrétion des juges. Nous citerons seulement quelques exemples. Celui qui avait arraché des oliviers sacrés était puni de l'exil et de la confiscation des biens ". Tout homme qui entrait dans le temple de Cérès pendant les Thesmophories était puni de mort 'a. voilà des pénalités légales, et le procès était alors un «ntfu.,rcç âyév. Mais, clans la plupart des cas, c'étaient les juges, qui, après la déclaration de culpabilité, déterminaient la peine ; telle fut ta voie suivie pour Socrate. Gefle peine pouvait varier de l'amende à la mort. Des personnes, qui avaient frappé les Amphietyons et les avaient chassés du temple d'Apollon, furent condamnées à un exil perpétuel et à des amendes individuelles de dix mille drachmes 30. La peine du bannissement fut prononcée contre Anaxagoras, la peine de mort contre Socrate, contre deux magiciennes Ninus et Théoris et contre beaucoup d'autres, etc. Quant à la pénalité réservée à l'accusateur, lorsqu'il succombait sans avoir obtenu le cinquième des suffrages, les opinions des anciens sont très-divergentes. Pollux affirme qu'il était puni de mort L0 ; mais il n'est guère admissible que la loi ait édicté une pareille menace contre les poursuites téméraires ; aucun citoyen ne se serait risqué à déposer une olaiêe6,xç y payer; et les délits d'impiété eussent été impunis. Andocide parle seulement d'ethnie " t (ATIMIA) ; mais cette atimie devait être très-limitée quant à ses effets; i'«rtgoç n'avait pas le droit de paraitre dans les temples i2; mais il pouvait remplir des magistratures civiles : Eubuiide, bien qu'il eût succombé dans une accusation d'impiété, était membre du sénat des Cinq-Cents". Ce qui est certain, c'est que l'accusateur malheureux devait payer une amende de mille drachmes, E. CAII.LEJIER.