Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

ASIA

ASIA. La plus ancienne personnification que l'on connaisse de l'Asie est celle qu'on voit sur le vase peint, devenu célèbre ', qui fut trouvé en 1851 à Canossa et sur lequel est représenté le conseil tenu par Darius avant de déclarer la guerre à la Grèce. Au-dessus des personnages qui ont un rote dans cette scène, on voit d'autres ligures formant une rangée supérieure qui représentent, les dieux, et parmi eux, l'Asie et l'Hellade sous les traits de deux femmes dont l'attitude et le costume contrastent : à l'Hellade (I-FAAA:) debout, vêtue simplement et sans ornements, est opposée (fig. 568) à t'Asie (A11A), richement parée, assise sur un autel deiant un hermès, qui paraît être une image d'Aphrodite; elle est couronnée et tient un sceptre surmonté d'une palmette : elle s'entretient avec AIIATrl, la ruse, armée de flambeaux allumés. 1Tn petit bas-relief 2 découvert en 1780 près du rivage de Lanrentum, et qui peut dater du iiie siècle avant. J.-C., présente (fig. 569) Les images de I'Asie et de l'Europe opposées de même l'une à l'autre et également désignées par des inscriptions. Ce sort deux femmes portant des couronnes tourrelées ; l'Asie est couverte d'une tunique sans manches; elle a des bracelets aux bras et des sandaies à ses pieds, tandis que l'Europe est dépourvue de bracelets ; des manches cachent en partie ses bras et elle a les pieds nus. Toutes deux soutiennent au-dessus d'un autel un bouclier sur lequel est gravée l'image de la victoire d'Alexandre à Arbèles. Le bouclier remplace, comme il arrive quelquefois, l'image de la divinité à laquelle l'autel est consacré, et qui n'est autre ici qu'Alexandre. Sur les monnaies de quelques empereurs romains, l'Asie a les traits d'une femme couronnée, entourée d'attributs de la puissance maritime 3. E. SAGLio. AS1ARCHA, ASIARCHÊS (Aatâp'1 ç). Les Grands pifèt,'es de l'Acte et les Asiarques ont fourni à Eckhel ie sujet d'une note savante, mais un peu confuse, dans Ia ASI. !6€r quelle il ne distingue pas nettement entre les deux charges, également importantes et ayant une origine commune, mais dont les attributions étaient très-différentes. Les nombreuses inscriptions appartenant aux provinces orientales de l'empire romain permettent aujourd'hui de jeter sur cette question quelque nouvelle lumière ; c'est ce qu'a fait récemment M. W. H. Waddington, dans une dissertation que nous ne ferons guère ici que suivre et que résumer 2. On peut se demander d'abord quelle était la divinité au culte de laquelle présidaient, dans chaque province, ces dignitaires que nous trouvons mentionnés, dans les auteurs comme sur les marbres, sous les titres de Grandprêtre de l'Asie, Grand-prêtre de la Bithynie, Grand-prêtre de la Galatie, etc. L'absence de tout nom de divinité après ce titre de Grand-prêtre, l'analogie de ce qui se passait dans les provinces occidentales, où les marbres nous donnent des désignations plus amples et plus circonstanciées, l'attachement qu'avait chacune des grandes villes de la province à quelque divinité particulière, attachement qui n'eût pas permis à ses habitants d'humilier leur divinité préférée devant quelque autre des habitants de l'Olympe, tout concourt à démontrer qu'il ne peut s'agir ici que d'un culte d'un caractère tout exceptionnel, que d'une divinité universellement reconnue et dont déesses et dieux anciens ne pouvaient être jaloux. Le culte à la tête duquel étaient placés, dans chacun des gouvernements de l'empire, ces personnages qui portent en Occident des noms différents, mais qui, en Orient, n'ont d'autre titre que celui de Grand-prêtre de telle ou telle province, était, on n'en saurait douter, ce culte singulier qui naît à la fin du règne d'Auguste, et qui, sous sa forme la plus ancienne et la plus simple, s'adresse « au Dieu Auguste et à la Déesse Rome n . Plus tard, quand de nombreux empereurs se sont succédé sur le trône et ont été admis après leur mort, par le sénat, dans l'Olympe officiel, la formule de cette étrange religion d'État se modifie, et les hommages s'adressent à toute la série des Césars divinisés, à la domus divina, comme disent les inscriptions. De différents passages des auteurs du ne et du lue siècle, il résulte que cette grande prêtrise de l'Asie était la dignité la plus brillante qu'un provincial pût obtenir dans sa province, qu'elle flattait singulièrement la vanité, mais qu'en revanche elle imposait de très-grandes dépenses : il fallait contribuer de sa bourse à l'éclat de ces cérémonies que l'on présidait 3. Ces fonctions, recherchées par ceux qui aimaient la représentation et qui désiraient avoir une occasion d'étaler leur richesse et leur luxe aux yeux de la foule, étaient redoutées, au contraire, par ceux dont la fortune était médiocre et qui aimaient le repos; mais alors on avait quelquefois à lutter contre l'obstination de concitoyens qui s'entêtaient à présenter comme eandidatà cette haute situation un compatriote dont ils étaient fiers, mais qui, plus célèbre que riche, déclinait cet honneur. C'est ce qui arriva par exemple au rhéteur Aristide, candidat involontaire des Smyrnéens °. Le récit d'Aristide, dont nous ne pouvons reproduire ici les détails, indique comment se faisait l'élection des Grands-prêtres de l'Asie. Les villes de la province nommaient des délégués (auvs'pot) Le Bas, Voyage archéol. part. Y, Explie. des roser. par M. Waddington, aa à une assemblée générale; l'assemblée générale (TÔ auvééptov, Tô xotvdv) était celle du xotviv 'Aataq, et elle se tenait tantôt dans une ville et tantôt dans une autre; les noms des candidats étaient soumis à l'Assemblée, et on dressait une liste de ceux qui avaient obtenu le plus de voix. Il paraît certain que cette liste devait être soumise au proconsul, et qu'il choisissait parmi les noms qu'on lui présentait. D'après une loi de l'empereur Septime-Sévère, on ne pouvait contraindre le père de cinq enfants à accepter la grande prêtrise d'Asie (sacerdotium Asiae) Au reste, tant que l'empire fut prospère, les candidats ne durent pas manquer; il y avait, nous le pouvons induire d'un passage de Philostraste, auquel nous avons déjà renvoyé plus haut, des familles opulentes où le goût de ces honneurs se transmettait avec la fortune qui donnait les moyens de les porter, et où de père en fils on arrivait à ce brillant sacerdoce. Les inscriptions nous apprennent qu'il y avait aussi des Grandes-prêtresses d'Asie (ap~tipeta'Aaias)et quelquefois le mari était appelé âpxtepuç et la femme cipyt6pi(a 6. Il arrivait aussi qu'on était désigné d'avance pour remplir ces fonctions, sans doute à l'assemblée qui avait précédé celle où on était nommé définitivement Il ne pouvait évidemment y avoir qu'un seul Grand-prêtre d'Asie à la fois, mais il avait des délégués dans les villes où le xotvôv Aa(aç avait élevé des sanctuaires, comme Pergame Smyrne 9, Éphèse 1Ô, Cyzique tt et Sardes 12. Leur titre était xpxtspeûç 'As(aç ou TŸ~ç 'Aa(aç vaO9 Twv 39 Hep? V.G) ou vaOU TOU iv llsnti i, ; enfin, dans une inscription copiée par Le Bas à Acmonia, la nature de la fonction est indiquée plus clairement encore : âpy tepaûç 'Aa(aç vaoü Tot iv 'Ecpéass xotvoü T',ç 'Aaias 16. Cette délégation était un acheminement vers la grande prêtrise elle-même. La grande-prêtrise d'Asie pouvait s'exercer concurremment avec des grandes-prêtrises locales et des fonctions civiles. La surveillance qu'exerçait le Grand-prêtre provincial sur les autres prêtres des temples de Rome et d'Auguste que la province avait construits en son nom et entretenait à ses frais dans les différentes villes 14, le caractère particulier de cette religion officielle si intimement liée à l'organisation même de l'empire, finirent par donner au Grand-prêtre de Rome et d'Auguste une situation tout exceptionnelle et éminente ; peu à peu, ce Grand-prêtre des empereurs, revêtu du sacerdoce le plus important, le plus recherché, le plus en vue qui fût dans la province, en vint à avoir sur les autres dieux adorés dans la contrée une sorte de prééminence qui finit par se changer en une suprématie acceptée et reconnue. Au lu° siècle, nous le voyons par la correspondance de Julien 15, ces grands-prêtres provinciaux de Rome et d'Auguste ont, sur tous les prêtres de la province, à quelque divinité et quelque temple qu'appartiennent ceux-ci, une autorité qui rappelle, à certains égards, celle d'un évêque ou d'un archevêque catholique. C'est là le premier essai d'une hiérarchie ecclésiastique que nous présente le paganisme ; tout incomplet, tout inefficace qu'il paraisse être resté, il a ceci de curieux, qu'il offre comme une faible ébauche, dans les limites de l'empire, de cette grande hiérarchie du clergé catholique qui va s'établir avec le christianisme triomphant. Les sub -S1 3461. 13 Le Bas, 753. 14 Les dépenses relatives à l'entretien de ces temples étaient supportées par toutes les villes qui faisaient partie du cowwo,, qu'elles eussent ou non un des temples dans leurs murs, Bio Chrls. Orat. XXV, p. 70. 15 Epist. 49 , ASI_ 469 -st -ASI divisions religieuses qui, par cette organisation graduelle du culte des empereurs, se forment dans tout l'empire, correspondent, en général, aux divisions politiques. Quand le christianisme se substitue au paganisme, il arrive naturellement que les provinces, la religion nouvelle ont les mêmes noms et les mêmes limites que celles de la religion qu'elle remplace ; l'archevêque siégeant, lui aussi, à côté du gouverneur, dans le chef-lieu de la province, paraît succéder au Grand-prêtre d'Auguste, comme les évêques semblent prendre la place de ces Grands prêtres locaux du même culte que possédaient les principales villes de la province 16. L'Asiarque était un personnage au moins aussi important que le Grand-prêtre d'Asie ; mais ses fonctions étaient différentes, ce que l'on n'a pas toujours compris ; il était chargé de la direction des jeux célébrés par la province d'Asie et appelés xotvâ 'Ao-(aç, et surtout il devait en faire lui-même les frais, en tout ou en partie, comme autrefois à Rome les édiles. Strabon dit expressément que les asiarques sont choisis parmi les citoyens opulents l7; ce témoignage est confirmé par celui des inscriptions et des médailles qui font souvent mention des Asiarques, et, autant qu'on peut en juger, ces derniers appartiennent toujours aux principales familles de leurs villes natales 18. Chaque fois aussi qu'un personnage compte des Asiarques parmi ses ancêtres ou ses parents, on a soin de le rappeler, comme un grand honneur, dans les épitaphes ou les inscriptions honorifiques ; ainsi une médaille de Sardes porte une légende qui indique que Rufus était fils et petit-fils d'un asiarque n Pendant la durée de ses fonctions, l'Asiarque ne pouvait être chargé d'une tutelle 90. Les femmes aussi portaient le titre d'Asiarque 21. L'élection se faisait sans doute de la même manière que pour les grands-prêtres de l'Asie 22. On pouvait être élu plusieurs fois 23. La question du nombre des Asiarques a été fort controversée, à cause du passage bien connu des Actes des apôtres 2``. Il est probable que l'on continuait à donner le titre d'Asiarque à ceux qui avaient rempli ces fonctions, même après leur sortie de charge, et cela seul suffirait à justifier le langage de saint Lue, mais il semble d'ailleurs probable que, cette charge occasionnant de grandes dépenses, on cherchait à les répartir entre des citoyens riches pris dans les principales villes de la province. C'est ce que l'on pourrait déjà induire du passage de Strabon auquel nous avons renvoyé plus haut, et ce qu'indique d'une manière plus claire encore une inscription d'Ephèse 2a. La nature des fonctions de l'Asiarque est clairement établie par les témoignages anciens. Dans le récit contemporain du martyre de Polycarpe, à Smyrne, conservé par Eusèbe, on voit l'Asiarque diriger la célébration des jeux". Deux inscriptions funéraires prouvent aussi que ces dignitaires entretenaient des compagnies de gladiateurs 27. Quoique les textes précédemment cités montrent bien quelle était la différence entre les Asiarques et les Grandsprêtres d'Asie, on a soutenu quelquefois que c'était la même fonction désignée sous deux noms différents, et on s'est fondé sur un passage du jurisconsulte Modestinus26: mais ce passage ne prouve rien ; la présidence des jeux avait nécessairement dans l'antiquité un caractère sacré, et on pouvait parfaitement dire que l'Asiarc/iia était un sacerdoce national, sans aucunement l'assimiler à la grandeprêtrise d'Asie. De même, dans une loi de 336, la Syriarchia et laPhoenicarc/lia sont appelées des sacerdoces 49. Mais ce qui confirme notre manière de voir et ce qui prouve que les fonctions des Asiarques n'étaient pas, à proprement parler, une prêtrise, c'est qu'après l'établissement du christianisme, il y eut toujours des Asiarques; dans une loi du cinquième siècle, ils sont assimilés aux agonothètes 30 un animal paresseux et stupide', et son nom était déjà chez les anciens une injure Il était cependant plus apprécié dans l'antiquité que de nos jours. Cela tient surtout à ce qu'il est plus beau, plus fort et plus noble dans les contrées méridionales'. On distinguait de l'âne domestique (asinus ou asellus proprement dit), l'âne sauvage ou onagre (onagres, ôvagpoç, Svoç â ptoç) qui vivait en Phrygie, en Lycaonie et en Afrique, où on en rencontre encore des troupeaux Parmi les ânes de la première espèce on appréciait surtout ceux d'Arcadie, en Grèce', et en Italie ceux de Reate, qui étaient tellement estimés que quelques individus se vendirent jusqu'à soixante mille et cent mille sesterces, c'est-à-dire de 12 à 20,000 francs 6. Les étalons se vendaient beaucoup plus cher. On entretenait aussi la race par des croisements avec l'onagre, qui passe facilement à l'état domestique 7. La sobriété de l'âne est telle qu'il n'a besoin que de peu de soins et se contente, s'il le faut, de feuilles et de chardons'. Varron ne donnait de plus qu'un peu d'orge à des ânes de grand prix 9. L'âne était avec le mulet [MuLus], la bête de travail par excellence ; sa vigueur naturelle le met à l'abri des maladies auxquelles sont sujets beaucoup d'autres animaux; il supporte admirablement la fatigue, tout en exigeant peu de dépenses pour son entretien; aussi était-il indispensable aux fermiers. Il portait sur son dos de lourdes charges; de là vient qu'il est appelé clitellarius, dossuarius, et en grec xav0.4toç[CLITELLAE, SAGMA]. ASIE 470 ASK On se servait de lui surtout pour transporter les produits des champs et des jardins, pour mettre en mouvement les moulins à blé, à huile 10 [moLA] et d'autres machines; on 1 attelait aussi à des charrettes (asinus plostrari'us) [PLAUsTBUM, XEHICULA], et dans quelques pays même à la charrue, par exemple en Campanie, en Bétique et en Libye Il. Il servait aussi de monture. On le voit fréquemment sur les vases grecs portant sur son dos Bacchus ou Vulcain 12, et dans des peintures de Pompéi ou d'Herculanum, il est représenté sellé 13 et monté par des hommes ou des femmes. Nous reproduisons (fig. 570) une curieuse peinture récem ment découverte à Pompéi, où EPONA, la déesse protectrice des écuries, est représentée dans une niche, assise sur un âne ; elle est, dans l'original, placée entre les images des lares domestiques ; un peu plus bas est un ânier(asinarius) conduisant deux ânes par la bride 14. Mais là ne se bornaient pas les services de l'âne chez les anciens. Ovide IS nous apprend que des dames romaines prenaient des bains de lait d'ânesse afin de conserver la fraîcheur de leur peau. La chair de l'âne n'était point non plus dédaignée, non-seulement des pauvres gens, paysans ou journaliers16, mais elle figurait aussi avec distinction sur les tables les plus riches. Les Perses, renommés pour leur délicatesse mettaient, le jour de leur fête, un âne à la bro che A Athènes on recherchait le filet d'âne comme le hachis d'âne et de chien la et le même goût se retrouve à Rome sous l'empire 10. Le cri de l'âne s'exprimait en Iatin par le verbe rudere (braire), en grec par le mot ôyic alat. Quant aux liens qui attachaient l'âne à la religion de Vesta, de Bacchus, de Vulcain, de Priape, nous renvoyons aux articles relatifs à ces divinités et à leurs fêtes. CH. MOBEL.