Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ASKLEPEION

ASRLEPEION ('Aax)rxce?ov, 'Aex)rtrrtefov : ce mot s'écrit de plusieurs autres manières). On appelait ainsi les temples dédiés à Esculape. Le culte de ce dieu remontait en Grèce à une très-haute antiquité. Selon Pausanias, Alexanor, fils de Machaon, fit bâtir à Titane, ville de Sicyonie, un temple en l'honneur d'Esculape environ cinquante ans après la guerre de Troie. Celui de Trilcka en Thessalie, qui passait pour le plus ancien, paraît avoir été le véritable point de départ du culte d'Esculape [AescuLAPIUS]. Il en fut ensuite construit un très-grand nombre, de sorte que la plupart des villes grecques en possédèrent. Ces'Aax7,r,7ceia étaient desservis par des prêtres nommés Asclépiades qui, à l'imitation des prêtres égyptiens, étaient en même temps médecins et s'occupaient du soin et de la guérison des malades comme interprètes du dieu. II résulta de cette double occupation des ministres d'Esculape, que les temples devinrent par la force des choses des écoles où la science médicale se forma peu à peu par l'observation et l'expérience. Les plus célèbres de ces temples dans les temps antérieurs à Hippocrate turent ceux de Cos, de Cnide de Rhodes 3 et d'Agrigente. II y en eut aussi dans la Cyrénaïque 4, Ils se multiplièrent beaucoup dans les pays grecs, et Pausanias en mentionne soixante-trois dans son ouvrage. Dans le principe, les Asclépiades n'enseignaient qu'à leurs enfants les connaissances médicales qu'ils avaient eux-mêmes reçues de leurs parents, de sorte que l'art de la médecine se transmettait de père en fils et se conservait dans les familles sacerdotales. C'était une éducation toute domestique et d'initiation qui ne sortait guère des temples et dont les prêtres avaient le monopole, Les témoignages d'Hippocrate et de Galien ne laissent point de doute à cet égard 5. Mais il est également certain que longtemps avant Asa 471 -dd ASK le temps d'Hippocrate, les profanes s'immiscèrent dans l'art de guérir. Déjà Lycurgue voulut que des médecins fussent attachés aux armées de Lacédémone 6; plusieurs auteurs, il est vrai, ont pensé avec quelque raison que ces médecins étaient sans doute des Asclépiades.On peut d'autant mieux le croire que ces prêtres allaient souvent exercer la médecine en dehors des temples, comme le prouve l'exemple d'Hippocrate. En effet, ce médecin appartenait au sacerdoce médical, et cependant il voyagea beaucoup dans les divers pays grecs et il y pratiqua la médecine, comme il nous l'apprend lui-même. Or, non-seulement les Asclépiades sortaient des temples pour voir des malades, mais encore ils recevaient, pour les instruire, des élèves étrangers à la caste sacerdotale, ainsi que le fait voir Platon dans le Protagoras 7. Enfin, il est indubitable que Démocède de Crotone, qui s'illustra comme médecin à Egine, à Samos et à la cour du roi Darius, fils d'Hystaspe, n'était point un asclépiade, mais un médecin profane qui avait sans doute étudié la science à l'école de Pythagore 8. Cette école forma encore bien d'autres médecins dont les noms, au moins pour quelquesuns, sont venus jusqu'à nous. C'est à partir de cette époque qu'eurent lieu la diffusion de la médecine et sa sécularisation. Toutefois cette communication de la science aux profanes n'empêcha point les prêtres d'Esculape de continuer à soigner les malades, qui de leur côté ne cessèrent point devenir en foule se faire traiter dans les asclépions; et cet état de choses persista longtemps encore après la venue du christianisme et jusqu'à la destruction complète des temples païens. Les a.sclépions étaient, en général, établis dans des endroits salubres et agréablement situés. Ils étaient toujours entourés d'un bois sacré, dans l'enceinte duquel était le plus souvent ménagée une fontaine °. Le célèbre temple d'l pidaure se trouvait dans ces conditions. Le bois sacré qui l'entourait était lui-même délimité par de grosses bornes, et dans son enceinte il n'était permis ni à un malade de mourir, ni à une femme d'accoucher. En face du temple étaient les dépendances où restaient les malades suppliants du dieu. Plus près, on voyait une rotonde en marbre blanc, appelée Tholos, dans l'enceinte de laquelle se trouvaient un grand nombre de colonnes sur lesquelles on inscrivait les noms des malades guéris par le dieu, les maladies pour lesquelles ils étaient venus et la manière dont ils avaient été traités, le tout en langue dorienne. Telle est la description de l'asclépion d'Épidaure donnée par Pausanias t0. Nous le reproduisons comme type de tous les autres en ajoutant ce qui suit : dans le bois sacré se trouvaient un temple de Diane, une statue d'Épïone, deux chapelles consacrées, l'une à Vénus et l'autre à Thémis, un stade et une fontaine. Disons aussi que les Epidauriens avaient un théâtre dans le temple même d'Esculape; et enfin que l'empereur Antonin embellit ce lieu en y construisant des bains, des temples et encore une maison où il fut permis aux malades de mourir et aux femmes d'accoucher Il est extrêmement vraisemblable que tous ces embellissements et cette réunion de jeux et de distractions de toutes sortes avaient pour but la salubrité du lieu et surtout l'agrément de ceux qui venaient y chercher la santé. Voici maintenant quelle marche devaient suivre les ma lades qui arrivaient pour consulter le dieu. Avant d'être admis dans le temple ou dans le lieu consacré à la consultation, ils étaient soumis à des pratiques hygiéniques entourées d'un appareil religieux. C'étaient des jeûnes plus ou moins rigoureux 12 et prolongés quelquefois plusieurs jours, des ablutions et des bains, des onctions et purifications variées, puis des sacrifices", Toutes ces préparations, qui étaient déjà en réalité un commencement de traitement, devaient être ponctuellement exécutées par les malades. Ces actes préliminaires une fois accomplis, les suppliants étaient admis dans le temple pour y passer la nuit; c'est ce qu'on appelait l'incubation [laCuBAvIO]. Ils couchaient souvent sur la peau même de l'animal qu'ils avaient offert en sacrifice 14. Dans certains temples, il y avait un lit placé à côté de la statue d'Esculape 1°. Pendant ]a nuit le dieu leur apparaissait, soit en songe, soit autrement, et leur prescrivait les remèdes nécessaires. Le lendemain, le malade racontait aux prêtres la vision qu'il avait eue, et le traitement ordonné par le dieu. Les ministres de celui-ci interprétaient le tout et soumettaient le patient aux prescriptions voulues. Aristophane, dans la comédie de Plutus, fait un récit aussi plaisant et comique qu'audacieusement irrespectueux, de cette entrée et de ce séjour d'un malade dans l'asclépion "6. Quelques-uns guérissaient, d'autres s'en retournaient avec leurs maladies. Les premiers seulement laissaient gravées sur le marbre, avec leurs noms, la description de la maladie pour laquelle ils étaient venus et l'indication des remèdes à l'aide desquels le dieu les avait guéris. Plusieurs de ces inscriptions sont venues jusqu'à nous; elles appartenaient très-probablement au temple d'Esculape érigé dans l'île du Tibre. On les trouve reproduites dans le recueil d'inscriptions antiques de Smetius ". L'une d'elles constate la guérison miraculeuse, c'est-à-dire sans aucuns médicaments, d'un aveugle qui vivait au temps de l'empereur Antonin le Pieux. Il y avait souvent un assez grand nombre de malades couchés à la fois dans l'asclépion 1e, Le dieu ne négligeait point d'agir sur l'imagination des consultants au moyen des serpents qui étaient toujours entretenus dans les temples [DRACO] 13. Du reste, il ne faudrait pas croire que le dieu consentait toujours à répondre aux malades et à leur prescrire un traitement. Bien au contraire, ii lui arrivait assez souvent de refuser de communiquer avec certains d'enfre eux, ainsi qu'on en a la preuve dans un passage de Plaute, où un personnage de comédie prend le parti de quitter le temple d'Esculape en se plaignant de ce que celui-ci ne fait aucun cas de lui et refuse de le guérir G0. Ce refus du dieu avait lieu surtout lorsque les malades avaient négligé ou refusé de se soumettre aux pratiques préalables qui leur étaient ordonnées et dont nous avons donné ci-dessus le détail. Les traitements prescrits par Esculape étaient le plus souvent assez anodins 21; mais parfois aussi d'une grande énergie. Ainsi, dans de certaines circonstances, c'étaient de, fortes saignées, de la ciguë, des vomitifs, des purgatifs 29. Les malades guéris faisaient presque toujours des offrandes, laissaient des ex-voto, ou encore jetaient des pièces d'or ou d'argent dans la fontaine 23 [DONAlIA] Enfin ces temples pouvaient être considérés comme des ASK 472 ASK archives générales de tout ce qui avait un rapport direct avec l'art et la pratique médicale. En effet, non-seulement on y mentionnait par des inscriptions les maladies et leurs traitements, comme nous l'avons dit plus haut, mais encore on y inscrivait le détail et la préparation des remèdes célèbres et qui avaient rendu des services, de même qu'on y déposait les instruments de chirurgie, dès que leur utilité avait été démontrée par l'expérience 2'. On y déposait même les livres de médecine pour lesquels ce dépôt était une véritable publication Y5. C'est ainsi qu'une description de la thériaque avait été gravée sur la porte de l'asclépion de Cos 28. Dr RENÉ BBIau. II. On peut rapprocher des descriptions plus ou moins détaillées et précises d'asclépfôns que nous ont laissées les auteurs, les indications que nous fournissent des monuments encore subsistants. Caristie avait déjà reconnu dans les ruines de l'édifice de Pouzzoles, généralement appelé temple de Sérapis, dont il a fait une restauration, un de ces établissements dans lesquels les sources servaient de remèdes, ce qui est confirmé par la présence de ces sources encore abondantes aujourd'hui. Un autre architecte antiquaire, Hittorff 27, a retrouvé dans une peinture de Pompéi (fig. 571), la représentation de la façade d'un aselépion et démontré par la décomposition en dessins géométraux de la perspective de cette peinture, que l'édifice qu'elle représente est semblable au temple de Pouzzoles et analogue à celui de l'édifice de Pompéi auquel on a donné tour à tour les noms de Panthéon, d'llospitium ou de Sérapéum. Le monument se composait, dit M. Hittorff, au rez-dechaussée, de deux groupes de quatre colonnes élevées sur un plan carré, entre lesquels se trouve un grand espace formant l'entrée principale. Cette entrée est fermée par un voile ou rideau. Les groupes sont surmontés d'entablements surmontés de frontons à une pente qui abritent des offrandes sous la forme de vases magnifiques. Entre les colonnes du fond, aux deux tiers de leur hauteur, s'élève un mur, sur la corniche duquel est placé un masque colossal ; un autre occupe le devant de l'entrée. Au delà des passages laissés entre l'autel et les avant corps est une cour circonscrite sur trois côtés par des portiques. Au centre s'élève un temple circulaire monoptère à douze colonnes corinthiennes isolées ; leur entablement est couronné d'un chapiteau corinthien aussi, et d'une urne que couvre un voile. Des boucliers remplissent les entre-colonnements du temple et, au centre de la coupole, est suspendu un aigle qui tient dans ses serres un diadème. Sous les portiques latéraux sont distribuées, dans la restauration, des petites chambres ou cellules, et au milieu du péristyle du fond, dans l'axe du monoptère, se trouve un deuxième temple : un pronaos ouvert , qui précède la cella, est symétriquement accompagné de plusieurs salles et pièces moyennes. L'existence d'un premier étage dans la cour est constatée par les croisées parfaitement exprimées. Le temple monoptère, au centre de la cour, représenté dans la peinture et qui se retrouve dans un troisième édifice que M. Hittorff a comparé avec les précédents, le tombeau de Pétra, en Arabie 28, l'a conduit à voir dans cette édicule isolée, un lieu consacré à des cérémonies funèbres. On ne peut méconnaître dans l'urne voilée, placée au sommet, le symbole des cendres recueillies ; dans les boucliers suspendus entre les colonnes [CLIPEUS], M. Hittorff voit le souvenir de soldats vainqueurs morts pour la patrie ; l'aigle s'élançant avec un diadème vers l'Olympe est un emblème de l'apothéose généralement admise par les an « Un lieu, ajoute-t-il, consacré à l'accomplissement des devoirs rendus aux morts auxquels les anciens attachaient une si haute importance, était indispensable dans un établissement dont les malades étaient les principaux habitants. Les corps devaient pouvoir y rester exposés à couvert jusqu'au moment du départ pour la nécropole. Le cortége se réunissait à l'entour du sanctuaire, les choeurs faisaient entendre leurs chants de douleur et de louange, l'encens fumait et les victimes étaient sacrifiées sur l'autel à l'entrée de l'édifice. Le monoptère, par sa forme ronde, répondait bien à une pareille destination; tandis que le deuxième sanctuaire, dédié à Esculape, avait une celle entourée de murs, une place marquée pour la statue du dieu et satisfaisait aux exigences du culte. 11 était enfin dans les conditions d'un temple qui devait être garanti de tout contact impur, surtout avec les morts dont la seule vue taisait perdre aux pontifes leur caractère sacré. La tenture qui cache le fond de l'intérieur du monoptère est tout à fait disposée pour empêcher les prêtres du temple prostyle, placé derrière cette partie de l'édifice circulaire, d'apercevoir l'exposition temporaire des corps. n E. S.