Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ASYLIA

ASYLIA ('Aau),(cc). On peut distinguer, en Grèce, deux sortes d'«au),(a : l'une était un privilége accordé à certaines personnes; l'autre, un privilége attaché à certains temples. 1. L'eiau)r(«, lorsqu'elle était accordée à un individu, mettait celui-ci, quant à sa personne et quant à ses biens, à l'abri de toute entreprise hostile de la part des habitants du pays qui avait concédé le privilége. Lors même que la guerre éclatait entre ce pays et la nation à laquelle appartenait l'âeuaoç, lors même que les États belligérants délivraient des lettres de marque [SYLI:] et autorisaient les courses ou les expéditions de partisans, l'«auaoç n'avait rien à craindre. Son nom rappelle précisément qu'il était protégé contre les corsaires'. L'«aua(« appartenait de plein droit aux athlètes pendant toute la durée du voyage qu'ils faisaient pour se rendre aux jeux solennels et pour en revenir Les am I. bassadeurs l'avaient également en vertu de leur titre. Elle était souvent octroyée, par décrets individuels, aux personnes étrangères qui avaient rendu des services au pays : c'était alors une distinction honorifique, une espèce de décoration. Les cités la décernaient fréquemment aux proxènes, que rappellent assez bien ceux qui, avec le titre d'agents consulaires, veillent à l'étranger sur les intérêts de nos compatriotes On la voit aussi accordée, pour favoriser l'exercice de leurs charges, à des hérauts à des artistes dionysiaques à des ouvriers employés aux travaux d'utilité publique, etc. Nous pourrions même citer des cas où l'«aua(a fut concédée, non pas seulement à quelques individualités, mais à un pays tout entier. Une riche série de documents authentiques, provenant des archives de Téos montre que cette ville avait obtenu d'un grand nombre d'autres villes la déclaration que la cité et le territoire de Téos seraient sacrés et inviolables et que tous les Téiens auraient à jamais pleine sécurité tant sur terre que sur mer. Notons aussi, comme une espèce d'«au)r(a, la protection, qui, sous le nom de trêve sacrée (éxayetp(a), était accordée à l'Élide pendant la durée des Jeux Olympiques°, et que l'on trouve également mentionnée à l'occasion des fêtes d'Éleusis des Jeux Néméens, Isthmiens, etc. II. -Le respect qui s'attachait aux temples des dieux protégeait contre toute atteinte, non-seulement les objets consacrés au culte, mais encore les personnes qui se trouvaient dans l'enceinte religieuse. Les malheureux, qui, à tort ou à raison, étaient l'objet de persécutions, cherchèrent à bénéficier de cette inviolabilité en se réfugiant dans les temples. Des monuments de toute espèce offrent des représentations nombreuses de fugitifs assis sur l'autel ou embrassant la statue de quelque dieu. On en pourra voir plus bas des exemples (et ci-dessus p. 351, fig. 42, Il est vraisemblable que, dans les temps anciens, la plupart des sanctuaires jouissaient du privilége de mettre à l'abri des poursuites les personnes qui s'étaient placées sous la. tutelle de la Divinité. Mais les abus étaient inévitables. Accorder à tous sans exception, innocents ou coupables, la même faveur, c:était rendre vaines les lois pénales et encourager au crime les méchants par la perspective d'une impunité facile à obtenir. Aussi le droit d'asile fut réglementé, et, à l'époque classique, il n'appartint plus qu'à un petit nombre de temples 9. On doit bien se garder, en effet, de confondre à cette époque l'ixetE(e et l'dsua(«. L'txETE(a appartenait indistinctement à tous les sanctuaires, c'est-à-dire qu'un malheureux, innocent ou coupable, lorsqu'il se voyait poursuivi, pouvait se réfugier dans le premier temple qu'il rencontrait, lors même que ce temple n'était pas un asile. Était-il un de ces suppliants lepo(TE x«i «ro(, dont parle Pausa 64 ASY 506 esAS' nr ,10, dignes par leur innocence d'une sollieitude particulière, il était protégé contre des persécutions ultérieures par la sainteté du lieu. Était-il coupable, il différait habituellement I°heure de son supplice ; car, si l'exécution eut lieu quelquefois dans le temple lui-même 11, ce fut là cependant une exception, et l'opinion publique s'y montrait défavorable. Mais le coupable n'était pas protégé par une impunité, tout au plus l'abri que le dieu lui donnait était pour lui un titre à la clémence '2. Dans les temples qui jouissaient de l'«cuàlce, il en était autrement. Les criminels, ceux mêmes qui avaient été condamnés au dernier supplice ", échappaient à toute peine tant qu'ils demeuraient dans l'enceinte consacrée. Euripide s'élevait avec raison contre cette faculté accordée à tous indistinctement, innocents ou coupables, acquittés ou condamnés, de se placer sous la sauvegarde de la Divinité; il aurait voulu que cette faveur ne pût être réclamée que par les innocents' . Mais ses objections n'avaient pas semblé décisives. Le peuple ne voyait rien de surprenant dans ce fait que les temples mettaient obstacle à l'exécution des lois. A ses yeux, c'était le dieu qui prenait le condamné sous sa protection, et la justice humaine devait s'incliner quand la Divinité intervenait pour arrêter son action ". La distinction que nous venons (l'exposer entre l'«au),(e et l'ixaTe(e doit certainement être admise en principe: mais on se heurte à de grandes difficultés, lorsqu'on essaye de déterminer quels étaient les temples qui méritaient, à proprement parler, le titre, d'asiles. Il est. en effet, malaisé de reconnaître, dans les récits des historiens anciens, si tel temple a joui véritablement de l'«auàla, ou s'il était resté dans le droit commun de l'ïxazeta. Peut-être les anciens eux-mêmes étaient-ils souvent embarrassés pour résoudre cette question. Car la plupart des temples qui réclamaient le droit d'asile ne produisaient pas des titres précis et se bornaient à invoquer la tradition. Lorsque des doutes sérieux existaient et qu'il devenait nécessaire de les dissiper, on s'adressait aux amphictyons 1e, qui, après un examen approfondi, tranchaient la difficulté 17. On cite habituellement comme asiles proprement dits les temples suivants l" Dans l'Attique, 1° le temple élevé en l'honneur de Minerve sur l'acropole d'Athènes, et l'on invoque en faveur de cette opinion les faits qui suivirent la conspiration de Cylon i°. Cependant. Fcerster, après un examen attentif des récits d'Hérodote de Thucydide " 2 et de Plutarque 22, déclare qu'il ne résulte pas des détails conservés par ces historiens que le temple de Minerve ait joui de prérogatives supérieures à celles de tous les temples; il croit que les complices de Cylon n'y trouvèrent pas une protection plus grande que celle que leur eussent offerte les temples de Mercure, de Neptune ou de Diane "-3. Les objections de Fusrster ne nous paraissent pas décisives. Si le refuge choisi par les Cylonicns ne leur eût pas assuré l'impunité, on ne s'expliquerait pas pourquoi les magistrats se décidèrent à négocier avec eux et à contracter des engagements pour les décider à sortir du temple. Il est vraisemblable toutefois que le sanctuaire de Minerve perdit plus tard le privilége de l'«aura 24; car on n'en trouve plus de mention bien formelle dans l'histoire d'Athènes 20. Il faut peut-être en dire autant du Theseion et même du temple des Érinnyes ou Euménides; à l'origine, ils étaient des asiles 2"; à l'époque classique, ils avaient perdu ce caractère et servaient tout au plus de refuge, ordinaire ou extraordinaire 27, aux esclaves maltraités par leurs maîtres 28. 2' Le temple de Diane à Munychie. Mais les textes que l'on invoque pour démontrer l'«aura de ce sanctuaire nous semblent faire seulement allusion à l'lxsTela29. Ils nous apprennent que les citoyens, qui se croyaient injustement soumis aux charges de la triérarchie, pouvaient, en attendant que leurs réclamations fussent jugées, trouver dans le temple de Diane un refuge momentané contre les mesures de répression dont ils auraient été l'objet de la part On cite encore quelquefois le sanctuaire d'Amphiaraüs à Oropos; mais le seul texte invoqué à l'appui du droit d'asile de ce temple 61 n'est pas décisif 3x. En Laconie, le temple de Minerve Chalcicekos à Sparte. L'«au7,la de ce sanctuaire est prouvée par le jugement que les anciens portèrent presque unanimement sur la conduite des Spartiates à l'égard de Pausanias, qui y avait cherché un refuge 33. Fcerster croit cependant que l'on donne à ce fait une importance excessive, et il conteste l'«au),ia en se fondant sur ce que l'orateur Lycurgue approuvait l'acte des Spartiates34; approbation qui serait inexplicable si ceux-ci avaient véritablement violé un asiles'. Mais Polybe déclare expressément que ceux qui se réfugiaient dans le temple de Minerve Chalcimkos y étaient en sûreté, lors même qu'ils auraient été condamnés à mort 36, et son témoignage est confirmé par l'histoire d'Agis : Léonidas, malgré sa méchanceté, n'osa pas attenter à la vie de ce jeune prince tant qu'il resta dans l'intérieur du temple de Minerve u. Le temple de Neptune à Ténare était le lieu de refuge habituel des esclaves, des Idiotes et des périèques 33, tandis que les personnes de condition libre se réfugiaient dans le sanctuaire de Minerve Chalcimkos. Cette affectation spéciale est démontrée par l'histoire de Pausanias" ; le messager de ce prince, étant à Lacédémone, ne serait pas allé demander protection au temple de Ténare, si cette protection lui eût été fournie par le temple de Sparte 40. En Argolide, nous citerons le temple d'Esculape à Épidaure 4t, le temple de Junon à Argos 42, les temples de Cérès Chthonia et de Proserpine à Hermione L3, le temple de Neptune à Calaurie. Fmrster a cependant soutenu que ce dernier n'était pas un asile 44; mais Strabon le qualifie de L'histoire légendaire d'Athènes nous offre un fait qui autoriserait à croire que les réfugiés continuaient à jouir de l'ttauÀ(x en dehors du 7ieo(Po),o;, pourvu qu'ïls restassent unis à l'asile par un signe matériel et visible. D'après Plutarque, les partisans de Cylon, quand, sur les instances de Mégaclès, ils se décidèrent à sortir du temple de Minerve, voulurent conserver le droit d'asile. Pour cela, ils attachèrent une corde à la statue de la déesse et marchèrent en déroulant cette corde entre leurs mains. Ce fut, seulement après la rupture, accidentelle ou préméditée, du lien que ces malheureux furent massacrés par les Alcméonides B8. Cette anecdote peut être inexacte ; mais elle n'a rien d'invraisemblable, et d'autres faits attestent l'importance que les Grecs attachaient à l'existence d'une connexité apparente. Lorsque Crésus assiégea Éphèse, les assiégés ne se bornèrent pas à consacrer leur ville à Diane, dont le sanctuaire était éloigné de sept stades (environ treize cents mètres) 67; ils rattachèrent matériellement Éphèse au temple à l'aide de câbles tendus entre l'autel de la déesse et les murs de la ville. De même, quand Polycrate, tyran de Samos, voulut consacrer à Apollon Délien l'île de Rhenea qu'il venait de conquérir, il fit établir une chaîne reliant cette île à Délos 68. L'tlau),(a ne fut pas toujours respectée, et les historiens citent beaucoup de cas dans lesquels, malgré la sainteté de l'asile, on atteignit le réfugié, soit directement, soit indirectement. Quand on n'osait pas lui faire ouvertement violence, on employait des moyens détournés; on environnait le temple de troncs d'arbres auxquels on mettait le feu pour contraindre le malheureux à se rendre ou à périr dans les flammes Rs ; on enlevait le toit du sanctuaire pour exposer le réfugié aux injures du temps ; on murait les portes pour le faire mourir par la famine, sauf à les ouvrir, par scrupule de conscience, lorsque la mort était imminente 70. Dans d'autres cas, I'outrage à la Divinité était manifeste: ainsi les Lacédémoniens massacrèrent des hilotes qui s'étaient réfugiés dans le temple de Neptune à Ténare11. Mais ces faits étaient flétris par l'opinion publique qui les regardait comme des sacriléges, et, lorsque des malheurs atteignaient plus tard les auteurs de ces violences, la foule y voyait une punition infligée par las dieux justement irrités 7'. Hl. Lorsqu'un maître excédait le droit de correction que la loi lui reconnaissait sur son esclave, et lui infligeait de mauvais traitements hors de proportion avec ses fautes, l'esclave pouvait, comme l'homme libre, demander protection aux dieux et se réfugier dans leurs temples n. Il y avait même des sanctuaires spécialement affectés aux esclaves : le Theseion à Athènes74, le temple de Neptune à Ténare n, le temple d'Hercule à Canope i0, le bois sacré d'Apollon Karneios près d'Andanie 77 ; mais souvent, contraint par la nécessité, l'esclave cherchait un asile dans le temple le plus rapproché de lui. A Athènes, par exemple. nous voyons des esclaves, qui, au lieu de fuir jusqu'au iapôv ciau),ov et parle de 1'âau)s(x qui y était attachée L5; Plutarque le mentionne dans l'énumération des asiles qui furent pillés par les pirates ; enfin Démosthène y chercha un refuge. Archias, qui n'hésita pas à recourir à la violence contre les autres orateurs réfugiés dans le temple d'Ajax à Égine, n'osa pas user de contrainte contre Démosthène 4'; il se borna à faire des efforts pour décider le fugitif à sortir spontanément de sa retraite 47. A Phlionte, le temple consacré primitivement à Ganymède et plus tard à Hébé. Les personnes qui s'y réfugiaient y trouvaient l' ïèeia, et Pausanias vit suspendues aux arbres du bois sacré, comme hommages à la Divinité, les chaînes des prisonniers qui y avaient recouvré la liberté k8. Mentionnons encore les sanctuaires suivants, bien que, pour beaucoup d'entre eux, il soit permis de soutenir que les textes font seulement allusion à l'irais(« : en Arcadie, le temple de Diane à Lysa entre Clitor et Cyneetha "9; le temple de Minerve Alea à Tégée"; le temple de Jupiter sur le mont Lycée 3i; en Achaïe, le temple de Neptune à Hélice 3'; dans l'Isthme, le temple de Neptune 33; en Béotie, le temple de Minerve Itonia à Coronée 3'' ; en Acarnanie, le temple d'Apollon à Actium 53; puis le temple d'Apollon à Leucade u, le temple de Junon à Corcyre 67, le temple d'Apollon à Délos 38, le temple d'Esculape à Cos o0, les temples de Junon et de Diane à Samos 60 un autre temple à Samothrace6t, celui de Junon à Lacinium dans la Grande-Go. èceG8; enfin en Asie Mineure les temples de Claros, près de Colophon, Didyme, etc.... Nous avons dit que l'âau)`(a pouvait être réclamée, nonseulement par les innocents qui cherchaient à se dérober à d'injustes persécutions, mais encore par les criminels, même par ceux que les tribunaux compétents avaient reconnus coupables des plus grands forfaits et qu'ils avaient condamnés au dernier supplice 63. Nous devons noter cependant que, d'après la législation d'Athènes, il était naturel de refuser aux condamnés à mort le bénéfice de l'xauHx, puisqu'il leur était interdit de pénétrer dans les temples. Peut-être même tous les condamnés, qui, par suite de leur condamnation, étaient exclus des temples, étaient-ils par cela même exclus du droit d'asile, et, si l'un d'eux, après avoir commis un nouveau crime, avait voulu, malgré son indignité, se réfugier dans un sanctuaire, il aurait pu être arraché de l'asile et subir sa peine 64. La protection résultant de l'inviolabilité du sanctuaire rie pouvait être réclamée que pendant le temps que le réfugié passait dans l'enceinte consacrée (lrpiêo),o;)• Cette enceinte était plus ou moins étendue suivant les localités. Souvent, d'illustrespersonnages, afin de témoigner au dieu leur respect, profitaient de leur séjour dans le voisinage du temple pour en reculer les limites. C'est ainsi qu'Alexandre, Mithridate et Antoine augmentèrent successivement la circonférence du terrain privilégié qui entourait le temple de Diane à Éphèse, l'un des plus fameux de l'antiquité 6s __ ASY--508SY Theseion, se sont mis à l'abri du temple des Erinnyes 78, ou sont montés sur l'autel de la Mère des dieux 19. Quelquefois même, une simple couronne, posée sur leur front, leur imprimait une sorte d'inviolabilité religieuse. « Je vous persécuterai, dit l'esclave Carion à son maître Chrémyle, et vous ne pourrez pas me battre, grâce à ma couronne de laurier 80. n Il existe un certain nombre d'ouvrages de la sculpture antique, qui représentent des acteurs dans des rôles d'esclaves fugitifs 81 : on les voit assis sur un autel, quelquefois portant sur leur tète une couronne, d'autres fois la tenant à la main. Nous reproduisons un bas-relief en terre cuite de la collection Campana, au musée du Louvre (fig. 589), dont le sujet est une scène de comédie : un es clave s'est réfugié sur un autel, à l'intérieur d'un temple; deux personnages sont avec lui; il paraît vouloir échapper à la poursuite du plus éloigné n. L'inviolabilité de l'esclave n'était pas toujours de longue durée. Il était facile au maître, Chrémyle en fait la remarque, d'arracher à l'esclave sa couronne et de le corriger ensuite avec usure83. Si le fugitif était dans un temple, on le décidait quelquefois, par adresse ou par menaces, à sortir du refuge. A Andanie, le prêtre était appelé à juger les griefs de l'esclave contre son maître, et, s'il ne les trouvait pas suffisants, il ordonnait que le malheureux fût rendu à son propriétaire n. Enfin, lors même que l'esclave avait obtenu le pardon le plus complet, rien ne lui garantissait qu'il ne serait pas châtié, plus rigoureusement encore qu'autrefois, dès qu'une occasion favorable s'offrirait au maître de se dédommager de l'impunité actuelleB3. La loi athénienne, préoccupée de ce danger, permit à l'esclave réfugié dans un temple d'exiger, au moins quand ses plaintes étaient bien fondées 88, que son maître le mît en vente (7cp«etv aireiv) u. Faute de détails sur l'exercice de ce droit, nous ne pouvons pas indiquer avec certitude comment il fonctionnait; mais on admet généralement que le maître pouvait être actionné en justice lorsqu'il refusait de consentir à la vente, et les tribunaux l'obligeaient à se dépouiller au profit d'un tiers de sa qualité de maître 88. IV. Quand les Romains furent maîtres de l'Asie Mineure, beaucoup de cités prétendirent qu'un droit d'asile était attaché aux sanctuaires édifiés sur leur territoire. A l'appui de leurs prétentions, les unes invoquaient d'anciennes légendes, tandis que les autres se fondaient sur des titres de date relativement très-récente ; mais les affirmations de la plupart d'entre elles étaient en réalité très-contestables 89. Les Romains ne cherchèrent pas d'abord à dépouiller les temples du privilége de 1'acuaia ; ce privilége pouvait même, à un moment donné, avoir pour la république des avantages, et les sanctuaires privilégiés servirent quelquefois de refuge aux citoyens romains contre les persécutions et les vexations des provinciaux. Mais aussi, grâce à cette tolérance, les temples devinrent, en quelque sorte, des repaires, dans lesquels les esclaves rebelles, les débiteurs insolvables, les criminels notoires venaient impunément braver leurs maîtres, leurs créanciers, ou la justice. Le scandale fut si grand que l'empereur Tibère, en l'an 22 de notre ère, prescrivit au sénat de vérifier et de contrôler les allégations des cités. Les villes furent invitées à envoyer à Rome des députés chargés de faire valoir et d'appuyer les titres sur lesquels reposait leur droit d'asile. Quelques-unes, reconnaissant que leurs prérogatives étaient usurpées, y renoncèrent volontairement. D'autres acceptèrent un débat contradictoire. fort sérieux, qui dura assez longtemps pour que le sénat finît par se décharger sur les consuls, en se réservant seulement le jugement des questions litigieuses. Le résultat de l'enquête ne fut pas, comme le dit Suétone 9°, l'abolition de tous les asiles, mais la limitation du nombre des villes favorisées et l'obligation pour elles de se renfermer rigoureusement dans les limites tracées par le titre constitutif, que le sénat confirma. Parmi les temples qui purent attacher à leurs murs une plaque d'airain, reproduisant les termes du sénatus-consulte qui consacrait leurs prétentions, figura en première ligne le temple de Diane, à Éphèse9'. Le droit d'asile de ce temple remontait à la plus haute antiquité; suivant la tradition, les dieux eux-mêmes en avaient bénéficié, et Apollon y avait trouvé un abri contre la colère de Jupiter après le meurtre des Cyclopes. Ce privilége avait été reconnu et proclamé à toutes les époques; Hercule, maître de la Lydie, l'avait accru; les dominations persane, grecque et romaine l'avaient respecté. Alexandre et Mithridate avaient étendu la circonférence de l'enceinte favorisée; Antoine l'avait doublée de telle façon qu'elle comprenait une portion de la ville ; Auguste l'avait enfin ramenée à ses anciennes limites. C'était, dit Plutarque9", le refuge préféré des débiteurs insolvables. Le temple de Diane Leukophryne, à Magnésie, avait été élevé à la dignité d'asile par Scipion, après sa victoire sur Antiochus, et par Sylla, après ses triomphes sur Mithridate98. -Le temple de Vénus à Aphrodisias, les temples de Jupiter et d'Hécate à Stratonicée, avaient été dotés par César du droit d'asile, en récompense des services qu'ils avaient rendus à sa cause, et par Auguste en reconnaissance de la fidélité qu'ils avaient gardée aux Romains lors d'une incursion des Parthes9'`. Le temple de Diane, à Hiéro ASY césarée, faisait remonter son privilége à Cyrus ; M. Perpenna, P. Servilius Isauricus et d'autres généraux romains avaient, non-seulement proclamé la sainteté de cet asile, mais encore étendu sa protection à une enceinte de deux mille pas 9J. Citons encore les temples de Vénus àPaphos et à Amathonte, le temple de Jupiter à Salamis de Cypre°G, les temples d'Esculape à Pergame97 et à Cos93, le temple de Junon à Samos "9. D'autres sanctuaires, tels que le temple de Vénus Stratonice à Smyrne107, le temple de Neptune à Ténos, les temples d'Apollon et de Diane à Sardes et à Milet, furent moins heureux, parce que leur droit d'asile ne reposait que sur de vagues et obscures traditions 101. Il faut probablement en dire autant du temple de Bacchus à Tralles 102, du temple de Diane Leuko o % phryne à Milet 103, du temple d'Apollon et de Diane à Daphné , près Fig. 590. Temple de Diane d'Antioche, en Syriet06 et de beauà Perge, en Pamphylie. ' coup d'autres, élevés dans des villes qui avaient fait graver sur leurs monnaies le mot «oaov los : on en voit ici un exemple (fig. 590). V. A propos du droit d'asile, disons quelques mots de l'extradition. Dans les temps anciens, les États grecs accueillaient comme des hôtes inviolables les étrangers, qui, après avoir commis un crime dans leur pays, s'étaient dérobés par la fuite au châtiment106. Livrer un fugitif au souverain ou aux tribunaux d'une autre nation était regardé comme un acte d'impiété, que les dieux ne manqueraient pas de punir. Plus tard, l'extradition eut des partisans. Peut-être l'exemple des pays étrangers, avec lesquels la Grèce était en relations habituelles, et qui, de temps immémorial, extradaient les criminels, ne fut-il pas sans influence sur les Grecs. Nous possédons un document diplomatique, contemporain de Moïse, qui renferme le texte d'un traité entre Ramsès II et le prince de Cheta, et on y trouve plusieurs clauses relatives à l'extradition. Chaque souverain s'oblige à ne pas recevoir les habitants de l'autre pays qui seraient tentés de venir s'établir chez lui, et il promet de faire reconduire les fugitifs dans leur pays d'origine 107. Les deux princes s'engagent toutefois à traiter les extradés avec indulgence et à ne pas leur appliquer toute la rigueur des lois los Quoi qu'il en soit, la légitimité de l'extradition était encore douteuse au temps de Cyrus. tin fait rapporté par Hérodote le prouve suffisamment 109. Le Lydien Pactyas, qui avait soulevé ses compatriotes contre Cyrus, s'était refugié à Cymé pour échapper aux vengeances du roi de Perse. Mazarès, lieutenant du roi, ayant demandé que le fugitif lui fût livré, les Cyméens voulurent, avant de répondre, connaître l'avis des dieux. Ils consultèrent l'oracle des Branchides, qui répondit que l'extradition était possible. La majorité allait obéir, quand un simple citoyen, Aristodicus, cédant à des scrupules de conscience, proposa de soumettre l'affaire à un nouvel examen. Il se ren dit aux Branchides et interrogea de nouveau l'oracle, qui répondit, comme la première fois, qu'il fallait livrer Pactyas aux Perses. Aussitôt Aristodicus, faisant le tour du temple, chassa de leurs nids les petits oiseaux qui s'étaient établis dans le sanctuaire, et, comme le dieu lui reprochait son impiété, il s'excusa en disant qu'il mettait en pratique le conseil que l'oracle venait de donner, aux Cyméens. « Si je vous ai ordonné, répliqua le dieu, de livrer Pactyas, c'est pour que vous périssiez promptement en punition de votre faute. Vous ne deviez pas mettre en doute les droits d'un suppliant, et vous avez commis un acte impie en venant consulter l'oracle pour savoir si un fugitif pouvait être livré à ceux qui le réclament. u Les Cyméens, placés entre leur devoir et la colère de Cyrus, envoyèrent Pactyas à Mitylène; puis, apprenant que les Mityléniens, moins scrupuleux, allaient se soumettre aux injonctions de Cyrus, ils firent enlever et conduire le malheureux à Chios. Les habitants de Chios, qui prouvèrent dans d'autres circonstances leur insouciance pour les droits des suppliants 110, livrèrent Pactyas et reçurent le prix de leur bonne volonté pour les Perses 111. Mais ce qui montre que leur conduite était peu honorable, même à leurs propres yeux, et qu'ils croyaient avoir encouru le mécontentement de la Divinité, c'est que, pendant longtemps, ils s'abstinrent d'affecter aux sacrifices les revenus de l'immeuble que Cyrus leur avait donné. On finit par reconnaître que cette impunité offerte à de grands coupables pouvait avoir des inconvénients, et que le refus d'extradition devait être limité aux fugitifs qui n'avaient pas commis de crimes trop odieux. Athènes, qui s'enorgueillissait de respecter soigneusement le droit des suppliants malheureux1l'-, avait reconnu dans ses lois le droit à l'extradition. Quand un citoyen d'Athènes avait trouvé la mort sur un territoire étranger, elle exigeait que le meurtrier fût poursuivi devant les tribunaux du pays. A zzdéfaut de poursuite, elle demandait l'extradition (7cpoo. T«St0 ÉXSOÛ9X1), et c'était seulement lorsque l'État étranger refusait de livrer le coupable qu'elle autorisait les parents du mort à user de l'ANDROLEPSIA 11°. Puisque les Athéniens réclamaient l'extradition de certains criminels, il est probable qu'ils l'accordaient eux-mêmes dans quelques cas. Nous devons toutefois ajouter que les Athéniens se montraient indulgents pour les homicides, qui, sans attendre leur jugement, quittaient le sol de l'Attique et se rendaient en pays étranger. Non-seulement ils ne réclamaient pas leur extradition 114 , mais encore ils avaient édicté des mesures destinées à les protéger contre les violences dont ils auraient pu être les victimes 115 «On ne reçoit pas en ennemis, dit Lycurgue 116, les meurtriers, qui, fuyant leur pays, viennent demander un refuge. D VI. Le droit d'asile, qui occupe, comme on vient de le voir, une si grande place dans l'histoire de la Grèce, ne paraît pas avoir été admis par les Romains. On ne trouve dans leur langue aucun terme correspondant à l'emua(« des Grecs, et une remarque faite par Tite-Live à propos de l'asile de Délos 117, prouve que cette institution était complétement étrangère aux moeurs de Rome 118. Sans doute, en Italie comme en Grèce, il dut arriver ATA 2O -p ATA quelquefois que des malheureux cherchèrent un refuge près des autels et dans les temples des Dieux 119; mais on serait embarrassé pour en citer beaucoup d'exemples. Quand, à la mort de César, le peuple décida que nulle violence ne serait faite à ceux qui se placeraient sous la protection du temple élevé en l'honneur du dictateur, cette décision sembla tout à fait exceptionnelle; Dion Cassius déclare qu'il faut remonter jusqu'à Romulus pour trouver quelque chose d'analogue 70. Il est vrai que les historiens parlent souvent d'un asile qui aurait été établi par Romulus et auquel Dion Cassius fait sans doute allusion dans le passage qui précède. a Romulus, dit Strabon, fit d'un bois situé entre la citadelle et le Capitole un lieu d'asile, et proclama citoyens romains tous les habitants des pays voisins qui s'y réfugieraient 111i. » Mais en l'honneur de quel dieu cette clcuàia fut-elle établie? Tite-Live ne prononce aucun nom ; Denys d'Halicarnasse déclare qu'il n'a obtenu aucun renseignement satisfaisant qu'il puisse communiquer à ses lecteurs; Plutarque parle d'un lei; âeuaaToç, qu'on ne peut prendre au sérieux; le grammairien Servius, d'un Lycoreus tout à fait inconnu 12. L'opinion qui semble prévaloir aujourd'hui est celle qui enseigne que le prétendu asile était le temple de Velovls, divinité dont le culte avait un caractère expiatoire et dont le sanctuaire était très-voisin du bois sacré 'L3. Nous ferons remarquer cependant que, d'après Dion Cassius f26, le lieu où se seraient rassemblés les premiers compagnons de Romulus fut si bien clos que personne ne fut admis plus tard à y pénétrer, tandis que le temple de Veiovis était accessible 125. Il est possible qu'il y eût à l'origine dans les bois du Capitole des chapelles expiatoires, dans lesquelles les criminels venaient chercher l'absolution de leurs fautes, et que Romulus ait recruté, pour sa nouvelle ville, les malheureux qui étaient dans ces chapelles. Mais la grande majorité des sujets du premier roi de Rome était certainement étrangère au refuge. On ne fonde pas, avec un ramassis de brigands, un État aussi bien ordonné que le fut dès le principe la République romaine. Il faut donc écarter la légende de l'asile de Romulus. On ne doit pas attacher plus d'importance au passage dans lequel Denys d'Halicarnasse, parlant du temple de Diane sur l'Aventin, l'appelle ïopôv «au),ov 126. Ce temple de Diane était, non pas un asile dans le sens propre du mot, mais un sanctuaire vénéré et respecté. E. CAILLEMER. Rhodes, dont l'organisation était celle des thiases [MASOS]. Elle tirait son nom de celui de la divinité qu'elle avait choisie comme protectrice, Jupiter Atabyrien, adoré sur le mont Atabyrion, le plus haut sommet de l'île. Le titre des membres de cette confrérie est Atèç 'A aêoptaarai Eê+pavépetol. ; ce'dernier nom devait rappeler celui du fonda A'TALAN'TE, ATa),évT~. -Atalante, héroïne arcadienne, fille de Iasos, selon les traditions de ce pays, ou de Schoineus suivant celles qui avaient cours en Béotie. Les unes et les autres semblent avoir une origine commune elles ont été confondues dans les récits poétiques 1. On disait que le père d'Atalante, ne voulant avoir que des fils, l'avait fait exposer après sa naissance dans les montagnes elle y fut allaitée par une ourse, élevée par des chasseurs et devint, ce qu'elle est restée dans la poésie et les représentations de l'art, un type de force et d'agilité infatigables 2. Toujours armée et chassant, solitaire, inaccessible à tout sentiment tendre, et redoutable même pour ceux qui entreprenaient de vaincre sa résistance 3, elle fut cependant vaincue à la fin, avec l'aide de Vénus, par l'amour de Mélanion fils d'Athamas et donna le jour à Parthénopée, l'un des sept chefs de la guerre contre Thèbes. C'est ainsi que son nom a été introduit dans l'épopée thébaine. Il a été rattaché aussi à l'expédition des Argonautes 5: Atalante aurait pris part aux jeux funèbres en l'honneur de Pélias et y aurait été victorieuse de Pélée à la lutte. Elle a une grande place dans les récits de la chasse de Calydon [MELEAGLRJ. Méléagre, épris de sa beauté, la fit admettre, contre le gré des autres chasseurs, parmi les héros qui prirent part à cette expédition ce fut elle qui porta au sanglier le premier coup mortel Méléagre lui en donna la dépouille et la jalousie qu'il excita par cette préférence fut la première cause de sa mort. D'après la légende béotienne Atalante vivait à l'écart dans les bois, fuyant le contact des hommes, parce qu'un oracle lui avait interdit le mariage ; elle défiait les prétendants à la course et ceux qu'elle avait vaincus recevaient la mort de sa main ; le vainqueur devait l'épouser. Hippomène (d'autres nomment Mélanion), témoin de la défaite d'un grand nombre de rivaux, osa pourtant disputer le prix. Protégé par Vénus, qui lui fit présent de trois pommes d'or, il eut soin en courant de les laisser tomber: Atalante les ramassa et fut dépassée. Elle se réjouit de sa défaite, car Vénus l'avait rendue favorable aux voeux de son poursuivant ; mais elle négligea de témoigner à la déesse sa reconnaissance, et celle-ci abandonna les deux amants. Leurs transports leur firent oublier, dans un temple ou un bois consacré à Rhéa-Cybèle (ou à Jupiter), le respect dû à un lieu saint, et pour châtiment ils furent changés en lion et en lionne. Atalante était figurée sur le coffre célèbre de Cypsélus tenant un faon et ayant auprès d'elle Mélanion. Elle a été surtout représentée par les artistes comme compagne de Méléagre, dans de nombreux monuments où l'on voit les divers épisodes de l'histoire de ce héros et que nous n'avons pas à énumérer ici. Nous dirons seulemeut qu'elle y apparaît ordinairement dans le costume des nymphes de Diane, vêtue d'une tunique courte, chaus ATE sée de bottines de chasse, les cheveux relevés et noués sur Io sommet de la tète, le carquois sur l'épaule, et l'arc, plus rarement la lance ou le javelot, à la main' (fig. 591). Dans une autre série de monuments on voit Atalante luttant corps à corps avec Pélée s, nue ou vêtue d'un caleçon (fig. 592); ou bien se préparant à cette lutte par le bain et par les onctions: nous en donnerons pour exemple (fig. 593) une pierre gravée de style ancien, où on lit à côté de la figure le nom ATNAAATAtO. L'éponge, le strigile, la fiole à parfum, le coffre de toilette ne laissent aucun doute sur le véritable caractère du sujet. Au revers de cette pierre est gravée l'image d'Hélène , dont la beauté grasse et souple contraste, sans doute à dessein, avec les formes nerveuses et un peu sèches de l'héroïne arcadienne. Cette opposi auteurs comme ayant été dans le goût des anciens ", rappelle une peinture de Lanuvium dont parle Pline '2, où Atalante et Hélène étaient représentées nues, l'une à côté de l'autre. La perfection de ces figures était telle que l'empereur Caligula s'en passionna et voulut les enlever de la paroi de l'édifice en ruine à laquelle elles étaient adhérentes, mais la nature de l'enduit ne le permit pas. E. SAGI.IO.