Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

ACROAMA

ACROAMA (Axpéaua). Ce mot, dans son acception la plus large, signifie, en grec comme en latin, tout ce que l'on écoute avec plaisir ou même avec déplaisir : ainsi la louange et l'injure, dont Xénophon dit, employant pour toutes deux ce même nom, que l'une est ce qu'il y a de plus doux, l'autre ce qu'il y a de plus difficile à écouter 1. Mais dans un sens restreint, le seul qui doive nous occuper ici, il se dit des plaisirs que procure l'audition de la musique, des lectures et récitations, des plaisanteries d'un bouffon et de toutes sortes de divertissements, même muets, qui servaient particulièrement à animer et à égayer les festins. Il s'appliquait non-seulement à ces plaisirs eux-mêmes, ruais désignait aussi les personnes qui se faisaient entendre2. La coutume était ancienne, en Grèce, d'ajouter par le chant ou le son des instruments à l'agrément des repas. à plus forte raison dans les villes de la Grèce où l'on sacrifiait davantage au luxe de la table 1e, on empruntait pour mieux traiter ses convives encore d'autres secours. On faisait venir des mimes (µip.ot), des faiseurs de tours de force et d'a On admettait à sa table des parasites et des bouffons (7capa tous les moyens à provoquer le rire; on en avait même chez soi à demeure 11. Les flatteurs et les plaisants qui livraient leur personne en risée pour égayer le maître abondaient autour des tyrans de Sicile, à la cour des rois de 5 ACR 34 ACR Macédoine, à celle de tous les successeurs d'Alexandre 12, comme plus tard on en vit à Rome à la suite des empereurs romains. Les monuments des Étrusques qui nous ont été conservés attestent que chez ce peuple on avait aussi l'habitude d'égayer les repas au moyen de la musique et de la danse. Ainsi les peintures de plusieurs tombeaux découverts à Tarquinii13 nous montrent des danseurs et des danseuses s'agitant au son des flûtes et des lyres, auprès des lits où les convives sont étendus. On voit des scènes analogues dans un assez grand nombre d'autres peintures et sculptures de l'Étrurie. Le bas-relief qui est reproduit (fig. 65) d'après une urne en albâtre trouvée à Volterre n nous montre d'un côté trois femmes jouant de divers instruments, de l'autre un groupe formé par un jeune homme et une jeune fille qui semblent prêts à exécuter une danse mimée et rappellent le jeune couple que le Syracusain fait paraître dans le banquet décrit par Xénophon 16. Les vieux Romains ne connurent point sans doute de tels raffinements. Ils prenaient plaisir à chanter eux-mêmes à table, accompagnés par les flûtes; mais c'était, s'il faut en croire Caton cité par Cicérone6, pour célébrer les louanges des aïeux illustres. Cependant, dès le temps de Caton, les moeurs des Grecs et des Étrusques prévalaient à Rome. Après les victoires de Cn. Manlius en Asie, on vit s'introduire toutes les recherches qui étaient à l'usage des peuples vaincus 1f, et le luxe ne fit que croître encore par la suite. Au dernier siècle de la République et plus encore sous l'Empire, les riches particuliers avaient à leur service des troupes de musiciens des deux sexes, habiles à jouer de toutes sortes d'instruments (symphoniarii, acroamatarii, mzcsican t 10), des chanteurs en si grand nombre que, selon Sénèque, on en voyait plus de son temps dans un souper que jadis de spectateurs au théâtre n, des danseurs et des danseuses20, des mimes, des pantomimes, des acteurs dans tous les genres 21. Le maître s'en faisait suivre parfois dans ses voyages, même en pays étranger et dans de lointaines expéditions 22. Sylla dès sa jeunesse et jusqu'à la fin de sa vie se plut dans le commerce des histrions et des bouffons dont il s'entourait à table P3. Antoine menait partout avec lui un long cortége d'acroamata, que Plutarque compare " au thiase bachique (O(«GOç «apoau«Tmv); mais c'est en Asie et en Égypte seulement qu'il connut jusqu'à quel excès peut être poussé le raffinement de tous les plaisirs. Rome sous l'Empire continua d'y prendre les modèles et d'y chercher les artisans de tous les genres de luxe 2B. Les plaisirs qui étaient devenus l'accompagnement et la suite du souper [caNA, COMISSAT1o] remplissaient la fin de la journée et souvent une partie de la nuit. Il n'y avait pas, comme chez les modernes, d'autres divertissements pour la soirée : c'est donc pour ce repas qu'on s'efforçait d'en réunir la plus grande variété possible. Celui de Trimafchion, décrit par Pétrone, en peut donner quelque idée' : c'est la fête d'un enrichi dont les extravagances et le faste sont tournés en ridicule ; mais il n'y a rien d'exagéré dans les magnificences qu'on lui prête; elles restent fort au-dessous, comme le prouvent d'abondants témoignages, non-seulement de celles de certains empereurs, mais de celles même de quelques affranchis, ses pareils et ses modèles. Chez Trimalchion tout se passe en musique : elle accompagne tous les mouvements des esclaves occupés du service; puis,comme intermèdes, on voit se succéder des équilibristes (petauristarii) ; des pantomimes représentant des scènes tirées des poèmes d'Homère (homeristt ), un imitateur (imitator) 27 faisant entendre le chant du rossignol ou contrefaisant divers personnages; une loterie (pittacia, sortes, APOPIIOIIETA2e). De temps en temps l'amphitryon fait appel au savoir de ses convives, ou veut lui-même faire étalage de ses connaissan I ces, parodiant ainsi ce qui se passait dans de meilleures compagnies. Les plaisirs, en effet, différaient nécessairement comme les goûts de ceux qui les offraient. Il y avait, même sous l'Empire, des esprits délicats se plaisant aux doctes entretiens 29, aux récitations et déclamations poétiques, à la lecture des anciens écrivains ou des productions nouvelles 30; parfois le maître de la maison, souvent au grand déplaisir de ses auditeurs, essayait de leur faire goûter le mérite de ses propres élucubrations 31. Des acteurs venaient jouer des scènes de, tragédie et de comédie 32. On goûtait plus généralement les danses des pantomimes, mais ces danses étaient réglées quelquefois sur des livrets écrits par un Lucain 33 .ou par un Stace 34; ils mettaient en action les oeuvres des anciens ACR 35 poêtes, la fable et l'histoire, et jusqu'aux dialogues de Platon u. Mais les amateurs de semblables acroamata devinrent de plus en plus rares; ils l'étaient dès le premier siècle de l'Empire; ils le furent plus encore au second; il n'y en eut plus à la fin que pour les chants licencieux 36, pour les danses lascives des baladins (cIN.nus) 37, des Syriennes et des Gaditanes u, pour les pantomimes et les pyrrhiques qui mettaient en scène des situations voluptueuses [PANTOMI jongleurs et les faiseurs de tours [CIRCULÂToR, PRÆSTIGIAToR]. Les empereurs ne furent pas ordinairement fort délicats dans le choix de leurs divertissements; Auguste appelait auprès de lui des histrions du cirque et de la rue 60 ; mais du moins il témoigna toujours de l'aversion pour d'autres spectacles dénaturés dont on s'amusait déjà de son temps : on vit fréquemment paraître dans les repas des nains [NANUS, pumilo] u ou d'autres malheureux estropiés, contrefaits (distorti), remarquables par la grosseur disproportionnée de leur tête, par leurs longues oreilles ou par quelque autre difformité qui était tournée en risée 49; enfin des idiots et des fous [Moalo, FATUUS, COPREA]. De bonne heure aussi on avait vu chez les Romains, et avant eux chez les Étrusques, des gladiateurs s'entr'égorger dans un repas ou lutter contre des bêtes féroces aux applaudissements des convives. Ce genre de spectacle était, disait-on, d'origine campanienne n. Le nom d'acroama n'était pas appliqué seulement aux amusements du repas et aux personnes qui y contribuaient, mais aussi aux divertissements semblables que l'on pouvait prendre en tout autre moment, par exemple, aux chants, ACR aux danses et aux intermèdes du théâtre à la musique, en quelque circonstance qu'elle fût exécutée (le concert que représente une peinture bien connue d'Herculanum ici reproduite (fig. 66), est un acroama 45); aux plaisanteries d'un parasite [PARASITUS], aux lectures ou récitations que l'on se faisait faire au bain, au lit, à la promenade, et pour lesquelles des esclaves étaient instruits avec soin (literati servi, ANAGNOSTES, LECTOR] 4U. Auguste en avait près de lui pour occuper ses nuits sans sommeil 47. D'autres fois il jouait avec de jeunes enfants, ou se laissait distraire par leur babil. Livie, sa femme, avait de semblables pages (pueri mi77uti, delieice, 4aCBupog) 48 dès avant son mariage ; ils furent très à la mode sous l'Empire 48. Recherchés pour leur grâce, leur esprit, leur langage piquant ou naïf, on les faisait venir des pays les plus éloignés, de la Syrie notamment et de l'É Nous pouvons encore ranger parmi les personnes qui servaient aux grands et aux riches d'acroa'enata ces Grecs faméliques (Groeculi), rhéteurs, grammairiens, philosophes, qui pullulaient à Rome sous l'Empire, et se trouvaient heureux quelquefois de s'enchaîner volontairement au service d'un maître ou d'une maîtresse qui faisaient d'eux leur jouet 51, E. SASLto.