Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article AURIFEX

AURIFEX ou AURARIUS (Xpuaoydos)• I. L'or, à cause de son éclat, de sa pureté inaltérable, de la facilité avec laquelle on le découvre ou on l'extrait, dans les contrées où il est naturellement répandu, de sa malléabilité qui le rend propre à être travaillé sans beaucoup de peine, est vraisemblablement le premier métal dont les hommes aient fabriqué ou orné des objets à leur usage. C'est ce qu'attestent la découverte de quelques-uns de ces objets mêmes ayant appartenu aux plus anciens peuples, ou la mention que nous en trouvons faite à une époque trèsreculée de leur histoire [AUROM]. La Grèce reçut sans doute de l'Asie, avec l'or lui-même et les premiers objets de cette matière, les procédés de l'orfévrerie. Homère parle de vases et de bijoux d'or, de meubles, d'armes, etc.. qui en sont ornés. Il décrit même de grandes figures en or imitant la nature : tels sont les chiens, ouvrage de Vulcain, qui étaient placés des deux côtés de la porte (également en or) du palais d'Alcinoüs, et les porteurs de torches qui y éclairaient les convives pendant la nuit'. De pareilles productions ne peuvent appartenir qu'à un art avancé, et, s'il faut y voir autre chose qu'une pure création de l'imagination poétique, ce ne peut être qu'une réminiscence d'oeuvres dont la Grèce européenne ne possédait encore ni la matière ni les modèles. Le luxe de l'âge héroïque dépeint par Homère est tout asiatique, et il est à remarquer que pendant bien des siècles après lui les Grecs furent en réalité moins riches en or, qu'ils ne semblent être dans ses poômes'. Il faut observer aussi combien sont simples les procédés indiqués par le porte, dans les rares passages où il ne se AUR 569 AUR borne pas à la description des objets. A Pylos, l'ouvrier qui travaille l'or (xpuao-iéoç), mandé par Nestor. vient portant dans ses mains les instruments de son art, l'enclume, le marteau, la tenaille ; le roi lui donne de l'or qu'il applique autour des cornes d'une génisse destinée au sacrifices. Ces outils, cette opération qui consiste à envelopper les cornes de la victime , probablement d'une feuille d'or battu, ce sont bien ceux de l'art primitif; et il n'est pas nécessaire d'en supposer d'autres dans les endroits nombreux où il est question de meubles recouverts d'or ou d'argent par la main de celui qui les a construits, ou même d'or superposé à de l'argent. Des pièces d'une exécution plus difficile, comme le bouclier d'Achille et les autres chefs-d'oeuvre attribués à l'industrie de Vulcain, paraissent avoir été imaginés d'après les types que fournissait l'Orient'. Peut-être, pour achever les ouvrages qui leur avaient servi de modèle, des moyens plus perfectionnés avaient-ils été nécessaires; mais Homère ne paraît pas en avoir connu d'autres' que le battage et l'étirage de l'or au marteau, le placage et le repoussé, le découpage et l'assemblage mécanique sans soudure. Sans entrer dans aucun détail au sujet de ces procédés, qui seront expliqués ailleurs, ni énumérer la variété trèsgrande des objets ainsi fabriqués', nous rappellerons quelques faits qui semblent bien témoigner de l'influence que les contrées riches en or de l'Asie eurent sur les commencements et les progrès de l'orfèvrerie de la Grèce : C'est à Samos, où l'on fut de bonne heure habile dans le travail de tous les métaux, que nous voyons surtout ces progrès s'accomplir, dans l'atelier des Théodoros7. Un artiste de ce nom est particulièrement célèbre : on citait de lui un cratère en argent de la contenance de 600 amphores, qui fut consacré dans le temple de Delphes par Crésus; un autre cratère en or conservé dans les appartements des rois de Perse' avec un platane et une vigne également en or, dont les fruits étaient imités en pierres précieuses ; ces ouvrages ne devaient pas être sans ressemblance avec d'autres dont, avant Crésus, les rois de Phrygie et de Lydie, Midas et Gygès, avaient fait présent à Apollon de Delphes, et ils n'étaient pas moins admirés9. Ce Théodoros vivait vers le milieu du vie siècle av. J.-C. ; mais dès le vine, à Samos, les hommes aussi bien que les femmes portaient, suivant la mode asiatique, des boucles d'oreilles, des colliers et d'autres parures en or. Comment ne pas admettre qu'il y eût dès lors d'habiles orfévres dans cette île, et dans toute l'Ionie, qui avait adopté les mêmes usages» ? L'empreinte orientale est profondément marquée à l'origine dans les ouvrages en or trouvés, non-seulement en Asie et dans les îles voisines", mais dans la Grèce même" et en Italie , particulièrement en Étrurie. Et c'est sans doute parce qu'ils possédaient les traditions d'une industrie déjà perfectionnée, que les orfèvres de I. ces pays atteignirent presque du premier coup à une habileté qui n'a pas été dépassée. Un de leurs modernes successeurs, le plus compétent pour les juger, s'est exprimé à ce sujet en des termes qui méritent d'être rapportés" n Nous voyons, dit-il, sortir aujourd'hui des nécropoles oubliées de l'Etrurie ou de la Grèce, l'or travaillé avec une perfection que tous les raffinements de notre civili sation non-seulement ne peuvent imiter, mais dont ils ne sauraient même expliquer théoriquement la méthode. Il semble que les Grecs et les Étrusques aient reçu pour ainsi dire dans son entier et à son plus haut degré de perfection l'ensemble des connaissances pratiques à l'aide desquelles les plus anciens peuples de l'Orient travaillaient les métaux précieux. u Cependant l'art de l'orfévre ne resta pas en Grèce, non plus qu'en Étrurie, tributaire de l'Asie. Parmi les ouvages en or qui nous restent de l'antiquité, il en est assez qui appartiennent en propre à ces pays pour nous mettre à même de juger la part qui revient à leurs artistes. Quoique de rares bijoux, dispersés dans les collections, quelques pièces d'ornement , des vases en petit nombre, soient, même si l'on y ajoute l'argenterie dont le travail appartient au même art, de bien faibles débris de la richesse que nous révèlent les descriptions des auteurs, il est facile de voir d'après ces exemples 14 comment les Grecs transformèrent ce qu'ils avaient reçu : en ceci comme en d'autres choses c'est par le goût qu'ils furent originaux. Il suffirait de rappeler pour la Grèce en général combien, dans l'antiquité de même que dans notre moyen âge, l'art de l'orfévrerie fut étroitement uni à celui de la statuaire, et que les plus fameux chefs-d'oeuvre de Phidias, de Polyclète et d'autres célèbres sculpteurs de la Grèce étaient des assemblages d'or et d'ivoire. Plusieurs d'entre eux, à côté des colosses qui ont fait leur plus grande gloire, ont exécuté en or, dans de petites dimensions, des ouvrages également vantés comme des merveilles [CAELATURA, ScuLPTURA]. A Athènes, au temps de sa plus grande prospérité, le travail de l'or tenait une place considérable.Plutarque" nomme des orfévres parmi les artistes et artisans de tout genre occupés par Périclès. Démosthène, dans son plaidoyer contre Midias 16, appelle en témoignage l'orfévre qui préparait la couronne d'or et les costumes du choeur qu'il s'était chargé d'équiper : cet orfévre avait vu sa boutique (ypuaoxoaiov), située sur l'Agora, violemment envahie. C'étaient des ouvriers d'Athènes, citoyens,métèques ou esclaves [ARTIFICES], qui fabriquaient les couronnes d'or données en récompense par des décrets publics [coxonA], et sans doute aussi les Victoires, les vases et la plupart des objets d'or et d'argent si nombreux dans le trésor du Parthénon 1', les bijoux dont les femmes, les jeunes filles surtout, se paraient", ou les pièces de vaisselle d'or et d'argent que possédaient les familles aisées" [AURUM, ARGENTUM]. Platon évaluait à 50 mines ce que Deinomaché, la mère d'Alcibiade, possédait 7 AUR b'70 AUR d'or pour sa parure ; Démosthène, à la même somme (ce qui faisait à peu près le septième de tout son héritage), celui qui appartenait à sa propre mère, en y ajoutant les vases à boire20. La possession de mines d'argent dans l'Attique même dut contribuer à développer à Athènes l'industrie de ceux qui travaillaient les métaux précieux. Il est permis de croire que dans les autres villes grecques renommées pour le travail des métaux, telles que Corinthe, Délos, Sicyone, Égine, etc., il y eut aussi d'habiles orfèvres. Toutes envoyaient aux principaux sanctuaires des couronnes, des cratères, des ustensiles sacrés et quelquefois des statues d'or ou dorées [DONARIA]. Dès le milieu duvllo siècle, Cypsélus, tyran de Corinthe (ou soufi lsPériandre), avait consacré dans l'Heraeum d'Olympie une image colossale de Jupiter, faite en or battu au marteau 21. Le coffre célèbre qui portait le nom de Cypsélus était orné de figures appliquées d'or et d'ivoire". Sicyone fut longtemps le foyer de toutes les industries qui mettent en oeuvre les métaux23 Sparte eut aussi, au moins parmi ses périèques, des artistes habiles au travail de l'or 26. Peut-être les premiers, ceux, par exemple, qui exécutèrent la statue d'Apollon à Amyclée avec l'or envoyé par Croesus 2a, étaient-ils venus de Chios, de Samos ou de Magnésie : Bathyclès était Magnésien ; mais Doutas fit, pour le trésor des Mégariens à Olympie, des sculptures en bois de cèdre rehaussé d'or, et pour celui des Épidamniens des statues d'or et d'ivoire 26. Ces ouvrages appartiennent au temps où Sparte affectait le dédain des métaux précieux : aussi avaient-ils une destination religieuse ; mais, comme on sait, le luxe ne lui demeura pas toujours étranger, et même on vit par la suite un Lacédémonien, Callicratès, devenu célèbre par l'adresse avec laquelle il ciselait des objets de fantaisie, vrais joujoux dont le principal mérite consistait dans leur extraordinaire petitesse 37. Des vases d'or, désignés sous le nom de laconiens, figurent, à côté d'autres ciselés à Corinthe28, dans la pompe bachique de Ptolémée Philadelphe, dont la description montre par un exemple frappant la profusion des oeuvres d'orfévrerie à la cotir des successeurs d'Alexandre t9. C'est par la Grande-Grèce que l'influence hellénique pénétra en Italie. Il suffit de rappeler avec quel art exquis furent gravées les monnaies des villes grecques de l'Italie méridionale et de la Sicile, et la quantité de chefs-d'oeuvre d'orfévrerie qui s'y trouvaient encore après la conquête des Romains 60, pour faire comprendre quelle importance cet art dut longtemps y avoir et combien furent nombreux les artistes qui s'y employaient. Plusieurs , et non des moins renommés, vécurent encore à la fin de la république romaine et dans les premiers temps de l'empire 31 Mais avant même que les modèles de cet art eussent pu pénétrer dans l'Italie centrale, les Étrusques y étaient passés maîtres. Leurs productions furent recherchées dans la Grèce même, au temps des Myron, des Mentor et des Mys32. Tous les procédés de l'orfévrerie et de la bijouterie paraissent leur avoir été familiers et ils en possédaient, comme on l'a déjà dit, qui sont restés jusqu'à présent inimitables. Les témoignages que nous ont laissés les anciens à cet égard ont été confirmés par la découverte d'un grand nombre d'objets en or dans les nécropoles de l'Étrurie 33. Le goût de ce peuple pour les bijoux de toute es. pète nous est, en outre, attesté par beaucoup de monuments représentant des femmes ou même des hommes qui en sont chargés avec profusion. Il communiqua ce goût aux peuples plus pauvres qui l'entouraient, aux durs Sabins et à Rome naissante 31. Les Romains prirent des Étrusques la coutume de déposer dans les tombeaux des objets d'or, et il fallut en réprimer l'abus par la loi des Douze-Tables. Ils reçurent d'eux aussi l'usage des couronnes d'or (coronae etruscae) et des autres ornements du triomphe [conoNA, TRIUMPUUS], des bulles d'or [BULLA] portées par les jeunes garçons, des anneaux d'or [ANUI.usl et probablement des bracelets, des colliers et des autres bijoux qui furent portés par les Romaines dès un temps fort ancien et auxquels elles ne renoncèrent plus désormais. Dans les plus grandes calamités des guerres puniques, quand chacun dut porter au trésor public l'or et l'argent qu'il possédait, les sénateurs réservèrent l'anneau d'or pour eux-mêmes, la bulle pour leurs enfants et une once d'or pour la parure de leurs femmes et de leurs filles 36. Ce luxe s'accrut graduellement à mesure que la conquête rendit les Romains maîtres de nouveaux pays et de nouvelles richesses. Les prescriptions de la loi Oppia (215 av. J.-C.), qui interdisait aux femmes d'avoir sur elles plus d'une demi-once d'or, en suspendit à peine les progrès pendant quelques années. Il n'eut plus de bornes dès la fin de la république et grandit encore sous les empereurs. On vit l'or et l'argent employés dans la parure, la vaisselle 36 et l'ameublement ; servant à la décoration intérieure des appartements et même au revêtement des murailles et des toits; rehaussant l'éclat des tissus ou en formant la trame [vESTts, MANTELE, TAPES] ; ornant les armes et l'équipement des soldats, les chars, les harnais des Quels étaient les ouvriers qui travaillaient pour suffire aux besoins de ce luxe? On les trouve désignés dans les textes et les inscriptions non-seulement par les dénominations générales de aurifices, de aurarii et argentarii fabri, mais par d'autres encore qui précisent davantage le genre de travail auquel l'un ou l'autre était plus particulièrement adonné, depuis le batteur d'or, bractearius ou bracteator (astiaaoup »ù, aa'caaolcotd;), qui le réduisait en feuilles 37 [BRACTEA] propres à l'ornement ou à la dorure, jusqu'au sertisseur qui montait en or les pierres précieuses 33. Un bas-relief du musée du Vati AUR 71 -AUR can Os, au-dessous duquel on lit l'inscription AVRIFEX 13R bTTiAr, représente (fig. 659) un batteur d'or occupé à amincir une feuille d'or sur une enclume, à l'aide d'un maillet; auprès de lui on voit une pile de lingots , des balances sont suspendues audessus de sa tête. On retrouve les balances (fig.660) sur le tombeau d'un esclave nommé Hilarus que son inscription ne désigne que sous l'appellation générale d'aurrfex 40; mais le compas et le burin placés à côté, avec des lingots,indiquent les travaux plus fins de la ciselure ou de la bijouterie. Dans une peinture de Pompéi, qui représente Thétis chez Vulcain L1 et dont un morceau est ici re Fig. 660. Emblèmes gravés sur le tombeau d'un orfèvre. produit (fig. 661), on voit un ouvrier travaillant à l'aide d'un ciselet, à l'ornement d'un casque; auprès de lui, avec des marteaux de différentes formes, sont les autres pièces de 64, 1. On trouve aussi l'expression auro inluminare dans les inscriptions: Orelli, 5905; Le Bas, Voyage arch. (Syrie), 1881; Henzen, 6140; L. Renier, bise. de l'armure d'or d'Achille. Si l'on ne fabriquait pas, dans la réalité, des armes d'or, on en faisait qui étaient dorées, incrustées d'or 42 ou damasquinées : c'était l'ouvrage de la ctRYSOGRAPHIA.Pour l'explication de ce mot,pour l'industrie des RARBARICARII et pour toutes les dénominations qui s'appliquent à quelque partie, non de l'orfévrerïe seulement, mais du travail des métaux en général, tels que ceux du sculpteur, du graveur, du ciseleur, du brunisseur (scalptor, etc., nous renvoyons aux articles spéciaux [CAELATURA, SCULPTURA, STATUABIA ARS]. Les doreurs s'appelaient cleauratores ou inauratores 43 ; les fabricants de vases, vascularii. On voit (fig. 662) sur une pierre gravée 44 , un de ces derniers occupé à ciseler l'anse d'un cratère; d'autres pierres représentent, à ce qu'il semble, des sujets semblables, il est toutefois malaisé de distinguer dans les images qui y sont gravées si c'est à un ouvrage de métal ou de marbre que l'ouvrier donne ses soins. Quant au nom même de vascularius, il n'est pas moins difficile, le plus souvent, de deviner, dans les textes ou les inscriptions 43, s'il s'applique à celui qui fabriquait des vases ou à celui qui les faisait faire et qui les vendait. Ce dernier est quelquefois plus clairement désigné sous le nom de negotiator vascularius46 [NEGOTIATOR]. Il est probable que de bonne heure les banquiers [ARGENTARII], détenteurs des métaux précieux, en fournirent à la fabrication ou se firent eux-mêmes entrepreneurs, en faisant travailler des ouvriers libres ou surtout esclaves. Il y avait, il est vrai, à Rome, des orfévres libres et citoyens : ils formaient un corps de métier dont l'existence remontait jusqu'au temps des rois, et on peut encore en constater l'existence sous l'empire 47. Leurs boutiques (o fficinae, tabel'nae) paraissent avoir été groupées dans le voisinage du Forum et de la voie Sacrée et autour de la basilica argentaria L8. Il y avait, à côté de ces artisans romains, soit à Rome, soit dans les villes de l'Italie et des provinces, des étrangers exerçant la même profession 40 ; mais, citoyens ou étrangers, ils étaient en général misérables", faute d'un capital considérable qui leur eût été d'abord nécessaire et saris lequel leur industrie ne pouvait rester lucrative tandis que le luxe s'accroissait avec la richesse : c'est ce qu'on peut induire non-seulement de la valeur de l'or et de l'argent et de l'élévation des prix en général, mais plus particulièrement du prix qu'on donnait des ouvrages des ciseleurs fameux [ARGENTUM] ou même d'un modèle en plâtre destiné à être reproduit en métal9l. Les grands propriétaires, les grands trafiquants et leurs affranchis se trouvèrent seuls en possession d'un tel capital. Les artisans libres ne purent lutter que bien inégalement contre la concurrence ruineuse des esclaves qui travaillaient dans les ateliers des empereurs ou des riches parti 47 plut. ;Varna, 17; Gruter, p. 258, 7; 638, 9; Donati, p. 225, 2; Marini, 1. 1. Opifices et tabernarios atque illam omnem faecem civitatum ; Dion. Hal. 1I, 28; Naudet, Mém. de l'Acad. des fuser. N. S. t. XIII, 1:, partie. 61 Le modèle en plâtre d'un cratère fut pavé un talent (5,560 f,'). au sculpteur Arcésilaus, l'ami de Lu AUR AUR X72 esculiers ou qui faisaient partie de leur domesticité" [AR