Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article BACULUM

BACULUiM ou baculus, bacillara, scipio (6«xTpov, (3axriQia, doit pas être ici question du sceptre royal, ni d'aucun bâton ou verge servant d'insigne d'une dignité ou d'une fonction quelconque, ni de ceux que leur emploi spécial faisait les instruments d'un art ou d'un métier, tels que la houlette des bergers [PLouM], le lagobole des chasseurs [VENATIO], la baguette des devins [DIVINATlo, LiTres], la perche des arpenteurs ou des gymnastes [PERTICA, GVbIXASTICAI, etc. ; mais seulement des cannes que l'on voyait entre les mains de personnes de toutes conditions dans l'usage ordinaire de la vie. Cette distinction sans doute n'existait point à l'origine. On ne trouve ni dans la langue, ni dans les témoignages les plus anciens qui nous sont parvenus, de différence bien marquée entre le sceptre [scEPTBUM] qui était pour les rois ou les chefs de famille, l'attribut à la fois du commandement, du sacerdoce et de la justice, et les hauts bâtons sur lesquels, dans les monuments d'un temps postérieur, on voit toutes sortes de personnages s'appuyer en marchant ou se reposant. Le mot axie't pov, chez Homère et d'autres auteurs après lui 1, ne signifie bien souvent qu'un bâton quelconque dont s'aide un vieillard, un voyageur, pour marcher dans un chemin difficile et écarter les bêtes malfaisantes; quelquefois c'est celui d'un mendiant qui est ainsi désigné. Dans les monuments, qui nous offrent en grande abondance des exemples, moins anciens, il est vrai, que les textes, le sceptre des rois, des héros ou des dieux est ordinairement (mais non pas toujours) reconnaissable à ses ornements ~ un emblème ou tan fleuron est placé à son extrémité, des clous sont régulièrement disposés sur sa hampe ou un ruban de métal s'enroule à l'entour 4; tandis que les hâtons que tiennent d'autres personnages en sont constamment dépourvus 1, même dans les peintures de vases où les détails de costume sont marqués avec le plus d'exactitude. Cependant nous savons que de simples particuliers en eurent, au moins exceptionnellement, d'aussi richement ornés. Le peintre Parrhasius s'attira par cette recherche une épigramme que rapporte Athénée 11 vivait au ve siècle, et l'on n'avait certainement pas attendu jusque-là pour imiter un luxe qui d'abord appartint à 1'0rient. Hérodote décrivant le costume des Babyloniens dit que chacun d'eux avait une canne artistement tua vaillée fax rTpov /eiporo(A'cov), surmontes d'un fruit, d'une fleur, d'un aigle ou de quelque autre emblème, et qu'aucune n'en était dépourvue. N'est-ce pas cette sorte de canne, droite et vraiment semblable à un sceptre, qui, imitée en Grèce, fut appelée persique et qu'une locution proverbiale opposait au bâton à crosse recourbée (xxc.tua-1) conservé par les gens qui ne se piquaient pas d'élégance ni de nouveauté e? Au théâtre, où les types, nettement accusés, gardèrent une signification précise, la xaurûlr, f3axT'ep(x faisait partie du costume des vieillards 7, et celui des campagnards était peu différent. Pollux appelle ce dernier fax''epia et i.ayol cl'nove : c'était donc un bâton grossier et dont la crosse pouvait servir de massue comme celui des chasseurs et des bergers [PEDUM, VENATIOI. Les monuments qui représentent des acteurs jouant des personnages graves et âgés nous les montrent souvent, en effet (4-.722), tenant un long bâton contourné à son extrémité comme une crosse d'évêque Tels à peu près nous voyons aussi constamment figurés les pé même en dehors de la scène. Au contraire, la canne droite, plus ou moins élégante et ornée, passait pour un signe de richesse et de luxe t0, par opposition au bâton rustique, quand elle n'était pas la marque de la fonction, par exemple polir ceux qui devaient siéger dans les tribunaux [DIKASTERIONI,. C'est sans cloute cotte canne riche que Démosthène, dans un plaidoyer J1, reproche, en même temps que lé parler haut et la démarche affairée, à un adversaire dont il s'efforce de faire une peinture haïssable ; qu'il ait eu, en effet, la pensée qu'un bàton quelconque pût être considéré comme une preuve d'ostentation, alors que tout le monde en portait à Athènes 13, c'est ce qui n'est pas admissible. De nombreux monuments nous montrent que, l'usage en était général, et qu'on ne s'en servait pas seulement quand on y était contraint par l'âge ou les infirmités. L'invalide que fait parler Lysias 16 est forcé d'avoir n deux bâtons au lieu d'un, qu'ont, dit-il, tous les autres. » C'est ainsi que sur des pierres gravées t4, qui paraissent conserver le souvenir plus ou moins exact d'une statue célè BAC 640 BAC bre de Pythagore de Ithégium, on voit Philoctète blessé, dans l'île de Lemnos, marchant à l'aide d'une canne (fig. 723) ou, d'après une de ces pierres, de deux cannes, lesquelles sont à hauteur de la main. Celles qui, dans les peintures de vases, sont tenues par des vieillards, tels que Pélias, Priam, Nestor, Télamon, Hécube, lEthra, etc., sont ordinairement longues et terminées le plus souvent à leur extrémité supérieure par une crosse ou par une béquille ; mais bien souvent aussi des jeunes gens en ont de semblables. Aucune Fig. 723. Philoetete. règle constante ne paraît avoir dirigé le choix des artistes. Nous voyons dans les peintures de vases et dans les autres monuments une foule de personnages qui se servent, sans distinction d'âge ni de condi tion, de bâtons de toutes grandeurs et de toutes formes, longs ou courts, droits ou recourbés, tantôt unis, tantôt noueux ou épineux. Le plus souvent ils sont fort hauts, venant au niveau de l'épaule, quelquefois de la tête, ou la dépassant même, comme sont les bâtons des pèlerins ou ceux dont on se sert pour l'ascension des montagnes. La figure 724 est tirée d'une coupe où est représenté OEdipe allant à la recherche du Sphinx avec ses compagnons 18. Tous sont munis de bâtons, et l'un d'eux, que l'on voit ici, porte de plus un sac, que les peintres ont souvent donné pour attribut aux voyageurs 10. Sur un autre vase 17 où est représenté Ulysse de retour à Ithaque et reconnu par sa nourrice (fig. 725). Le héros tient de même une besace faite d'une peau de bête et une corbeille, toutes deux suspendues au bout d'un bâton, tandis qu'un second placé sous son aisselle lui sert d'appui. Cette manière de soutenir le corps, soit en avant, soit en arrière, était familière aux Grecs; elle a été fréquemment représentée dans les oeuvres d'art. On n'en peut citer de meilleurs exemples que les groupes 18 qui, dans la frise du Parthénon, font suite, à droite et à gauche, à la réunion des divinités placées au centre. Ces groupes se composent en tout de neuf personnages, qui semblent attendre la procession plutôt qu'ils n'en font partie : ce sont des magistrats sans doute, peut-être les archontes ; le bâton sur lequel ils s'appuient (fig. 726) n'est pas pour eux un insigne : s'il devait faire reconnaître leur dignité, il est permis de croire qu'ils le tiendraient comme d'autres personnages tiennent le sceptre, dans de si nombreux monuments; aucune hésitation ne serait permise. Quand Poly gnote peignit Agamemnon dans le r.Esclil de Delphes, il lui mit le sceptre dans les mains en même temps qu'il le représentait appuyé sur un bâton placé sous son aisselle droite n : c'est précisément la pose que l'on rencontre si souvent figurée 90. Les artistes ne faisaient que reproduire les modèles qu'ils avaient journellement sous les yeux. Les monuments, les vases peints surtout (car le bâton est un accessoire qui, dans les oeuvres de la sculpture, a souvent disparu ou a été volontairement négligé), nous montrent dans la même attitude familière des hommes, jeunes ou vieux, dans les assemblées 21, dans les banquets, aux écoles, au gymnase, aux bains. La figure 727 est tirée d'un vase du musée du Louvre signé par le peintre Andocides, où l'on retrouve cette recherche et cette précision dans les détails qui lui étaient propres 222: on y voit deux hommes jeunes, vêtus et coiffés avec un soin affecté et auxquels il ne manque rien de ce qui constituait alors la tenue d'un élégant, pas même la fleur ou le fruit à la main 23, tous deux ont des bâtons droits, sans aucun ornement; ils paraissent assister, comme juges ou comme auditeurs, à un concours de musique. Beaucoup de coupes, au fond ou au revers des BAC 641 BAC quelles sont peintes des scènes des bains publics, rendezvous ordinaire des oisifs, représentent ceux-ci s'entretenant ensemble drapés dans leurs manteaux, soigneusement coiffés et en général munis de cannes. Sur une coupe du musée de Berlin d'où est prise la figure 728, les cannes, de taille moyenne, paraissent faites d'épine et sont ornées d'anneaux entourant le bois. Ici c'est une béquille droite qui sert d'appui; mais, dans un grand nombre de peintures semblables, des jeunes gens ou des hommes faits tiennent de longs hâtons qui se terminent par une crosse recourbée. On voit combien l'on se tromperait si l'on croyait que cette crosse (xateri),ri) était dans la réalité, comme elle l'était au théâtre, un attribut exclusif des vieillards ou des hommes de moeurs rustiques. De même dans les scènes de banquet, si souvent figurées, des cannes de toutes formes et de toutes dimensions ont été mises par les peintres indifféremment dans les mains de personnages de tout âge. Ces cannes sont semblables, en général, à celles dont nous avons donné des exemples. D'autres fois elles se distinguent par une rudesse affectée : ce sont alors (fig. 729) de lourds hâtons 26, faits d'un bois dur, hérissés de noeuds et d'épines, épais à leur extrémité et au besoin garnis de fer, plus propres, en un mot, à servir de massue qu'à être portés par des convives dans de pacifiques réunions26; ou bien ils sont anguleux et tortus, quelquefois à ce point que l'on serait tenté d'y voir une intention comique, si on ne les trouvait figurés que dans des scènes empruntées par les artistes au théâtre 27 ; mais on en rencontre de pareils (fig. 730) dans des peintures S8 qui reproduisent simplement ce qui se passait dans la vie réelle et particulièrement dans les festins. Dans ces peintures il faut peut-être reconnaître le pesant gourdin lacédémonien (cxuré),rl), qu'il fut du bel air pendant un temps d'imiter à Athènes, comme tout ce qui venait de Sparte 29. Les représentations que nous venons d'indiquer répondent aux renseignements que l'on 1. trouve épars clans les auteurs et que nous en avons rapprochés. La scytale, avant que son nom devînt à Athènes un synonyme de 3«xre,,F(a, paraît avoir été le bâton en usage chez tous les peuples doriens 30. La massue d'Hercule, leur dieu, n'était pas faite autrement", et à l'exemple d'Her cule, les philosophes cyniques, qui prétendaient suivre la trace de ce dieu a2, portèrent à leur tour un lourd bâton. Nous serons forcément plus bref en ce qui concerne l'Italie. Les monuments étrusques, peintures, bas-reliefs, miroirs gravés, dans lesquels, il est vrai, l'influence de l'art et des habitudes de la Grèce est sensible, nous présentent assez souvent des personnages s'appuyant sur des bâtons et dans la pose familière que nous avons vue adoptée par les artistes grecs 66. Parmi les peintures murales d'un tombeau de Cervetri 21, on voit des figures d'hommes assis, ayant en main des hâtons droits terminés par un pommeau aplati (ces bâtons sont peut-être des sceptres et nous ne les reproduisons pas). Celui que tient Nestor, dans une peinture qui appartient à un tombeau, de Vulci g6, est surmonté d'une boule (fig. 731) et la tige porte quelques ornements. C'est aussi 81 BAE -642 à Voici 36 qu'a été trouvé un monument funèbre d'où est tirée la figure 732. On y voit sculptée l'image du défunt. Il porte une couronne, un collier, et s'appuie sur une canne, dont le bout est caché sous le vêtement; le bois est divisé régulièrement et, à ce qu'on peut voir, par une ramification naturelle, comme celle d'une tige de palmier. Il semble donc d'après les monuments, à défaut des témoignages écrits qui nous manquent, que les cannes étaient chez les Étrusques'' d'un usage à peu près aussi habituel que chez les Grecs. Il n'en fut pas de même chez les Romains. Sans doute, chez eux aussi des gens âgés ou infirmes 38, des voyageurs 39, s'en aidaient dans leur marche. Une peinture du musée de Naples 40 représente (fig. 733) un homme en guenilles, un aveugle vraisemblablement, car un chien lui sert de guide, qui assure ses pas au moyen d'un bâton. Mais le bâton n'était pas ordinairement porté par les Romains, en dehors de pareilles nécessités, ou à moins qu'il ne fût la marque de la dignité ou du commandement, comme le sceptre d'ivoire [scEPTRUsI] et le cep de vigne des centurions [CENTURIo] ; on ne le rencontre pas dans les monuments. Aussi verrons-nous plutôt un attribut de l'autorité qu'un objet d'usage commun dans la canne à pomme très-volumineuse que tient un maître me nuisier, qui est représenté (fig. 734) sur un verre à fond d'or de l'époque chrétienne entouré de ses ouvriers au travail. E. SAGLIO.