des formes primitives des cultes idolâtriques a été la litholâtrie. On la retrouve dans l'état de barbarie chez presque toutes les races humaines 1, car avant la naissance des arts, dans le culte fétichiste des premiers âges,
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une pierre informe dressée fut un des objets dont on se servit pour représenter la divinité et offrir un signe sensible aux adorations. Des vestiges de cet usage extrêmement antique se conservèrent en Grèce jusque dans les derniers temps du paganisme. Telle était la pierre brute que l'on donnait à Hyette, en Béotie, pour une image d'Hercule 2, telles les trente pierres que l'on adorait à Pharie sous le nom de divinités et qu'on y voyait auprès de la statue d'Hermès pierres à propos desquelles Pausanias affirme que les plus anciens simulacres des Grecs rentraient dans ce type, telles beaucoup d'autres encore qui ont été signalées dans un précédent article [ARGOT
Un premier progrès consista à ne plus laisser brute la pierre que l'on dressait pour en faire une idole, mais à la tailler plus ou moins grossièrement pour lui donner une forme régulière d'un symbolisme très-simple, lequel se retrouve le même chez des peuples assez différents. Cette notion symbolique fit conserver les simulacres de ce genre en beaucoup d'endroits, même après qu'on sut faire des statues. Les formes données aux pierres sacrées se ramènent à deux types principaux.
Is La pierre conique, dont la forme imitait celle du phallus dressé, tandis que la section de sa base rappelait le x'cniç, ce qui en avait fait généralement le symbole de la réunion des deux sexes dans la divinité. Par suite, des pierres de ce genre symbolisaient tantôt un dieu mâle comme le Zeus Meilichios de Sicyone' et l'Apollon Agyieus d'Ambracie8 ( fig. 735) dans
les pays helléniques, comme
grand temple de Palmyre 6 ;
tantôt une déesse, comme l'Astarté de Paphos' (fig. 736), celle de Golgos 8, celle d' Elia Capitonna la Tallith de Carthage 70, la déesse à laquelle était consacrée la Giganteja du Gozzo 11, et même l'Aphrodite, évidemment d'origine phénicienne, de quelques localités de la Grèce Is [vtiNus]. La vénération attachée à la pierre conique se reportait quelquefois sur des rochers naturels présentant cette forme ; telles étaient les deux pierres sous-marines de Tyr, appelées rsrpcet p.6p4clat 13, que retracent à plusieurs reprises les monnaies impériales de cette ville 1° et dont les fragments de Sanchoniathon 75 font deux stèles élevées au Feu et au 'Vent par Ouso, personnage qui avait une grande importance dans les mythes locaux 78. Au
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reste, dans les pays syro-phéniciens, le culte de la pierre conique était étroitement lié au culte du dieu-montagne, très-développé dans ces contrées 17 [MONTES DIVIx1] ; la pierre était comme un diminutif de la montagne, dont on ramenait aussi la forme au type du cône 1B.
2° La pierre équarrie et plus ou moins allongée, comme celle du Zeus Téleios à Tégée d'Arcadie n. Chez les Grecs, la pierre de forme cubique est attribuée à Cybèle et celle de forme parallélogrammatique à Hermès G0, aussi la première, sur les monuments de l'art, sert-elle habituellement de siége à la déesse phrygienne [CYBELE], et la forme de parallélogramme demeure toujours celle des hermès jusque dans les plus beaux temps de la sculpture, quand on les surmonte d'une tête et qu'on y ajoute d'autres attributs n [HEROIAE]. Le livre du Pasteur d'Hermas introduit dans la symbolique chrétienne les idées attachées à la pierre cubique 22. Dans les pays sémitiques, nous trouvons à Pétra 23 et dans d'autres localités de la Nabatène 24, les pierres rectangulaires qui représentent le dieu DUSARES, celles de même forme dans lesquelles on adorait la déesse Alath ou Allât chez les Nabatéens 25 et chez les Arabes P6. Ces simulacres formés d'une pierre parallélogrammatique dressée étaient très-multipliés chez les anciens Arabes, comme nous l'apprennent Hérodote 27, Maxime de Tyr 28 et Clément d'Alexandrie 29 ; on les appelait ançab, et les auteurs musulmans racontent qu'en même temps que les pierres de ce genre étaient des images divines, on égorgeait quelquefois dessus les victimes ou du moins on les arrosait de leur sang 30, usage déjà décrit par Hérodote 31 et par Porphyre 32. Quelques-unes des pierres de cette catégorie se recommandaient à l'attention par des particularités merveilleuses, comme celle qu'au vie siècle Antonin Martyr 33 vit encore adorée sur le mont Horeb par les Sarrasins du voisinage comme le simulacre d'une divinité lunaire. La même vénération s'étendait à certains rochers naturels, adorés par des tribus arabes parce qu'ils reproduisaient la forme de la pierre levée et quadrangulaire 36. Une idée symbolique attachait si bien le caractère sacré à cette forme qu'en certains endroits on adorait, en le considérant comme étant lui-même l'image divine, le temple construit de forme cubique 3'.
Nous venons d'emprunter la plupart de ces exemples aux religions de l'Asie, et en particulier à celles des peuples sémitiques. C'est qu'en effet l'antique litholâtrie s'est maintenue dans ces religions avec plus de persistance que dans celles de la Grèce, et qu'elle y a pris un caractère particulier. Il faut, à ce point de vue, étudier avec une attention toute spéciale dans la Bible 66 un des épisodes de l'histoire de Jacob, empreint, du moins dans la forme extérieure, de l'influence des idées des peuples au milieu desquels vivait alors la tribu patriarcale d'où sont issus plus tard les Israélites n. Jacob arrive, vers le coucher du soleil, en un lieu tout parsemé de grosses pierres. Ces
lieux dans l'Orient, étaient l'objet d'une vénération superstitieuse. Au vl° siècle de notre ère on y menait encore ce qui restait des dévots du paganisme 33. Jacob, indifférent aux superstitions voisines, s'endort dans ces lieux, sans s'apercevoir qu'ils sont pleins de la présence des dieux, et prenant une de ces pierres sacrées, il la pose sous sa tête. Le contact de la pierre devient pour lui la cause d'une vision divine. Il se réveille, et en mémoire du songe merveilleux dont il a été gratifié, il dresse. la pierre même qui lui a servi d'oreiller. Le lieu de l'apparition reçoit de lui le nom de Beith-El, c'est-à-dire « demeure de Dieu s. Le texte sacré, réservé comme on doit s'y attendre sur les révélations qui tendraient à montrer la connexité des cultes asiatiques et de la religion primitive des Hébreux, ne s'explique pas sur la valeur positive du nom de Beith-El. Suivant la Genèse, c'est à la localité que Jacob impose ce nom mystérieux; mais la gentilité elle-même est beaucoup plus explicite sur le sens des bétyles, pierres sacrées qui sont la demeure de la divinité ou plutôt la divinité elle-même. Ce qui prouve qu'en consacrant la pierre sur laquelle il a reposé, Jacob n'accomplit pas seulement un acte commémoratif, mais partage jusqu'à un certain point la foi dans la présence de la divinité dans la pierre, c'est ce qu'ajoute la Genèse, que le patriarche versa de l'huile sur la pierre qu'il avait dressée. Cette pratique est, en effet, celle que suivaient encore dans les premiers siècles du christianisme les plus superstitieux d'entre les païens S9. Les pierres ainsi honorées n'étaient pas seulement à leurs yeux la demeure du dieu, beith-el3atTUatov, 3x(Tu).os, mais encore le dieu lui-même, le « père vénérable, » ab addir, comme on les appelait aussi 80.
Cette notion de la résidence de la divinité elle-même dans la pierre s'appliquait à toutes les pierres sacrées des religions asiatiques k1, même à celles façonnées de main d'homme. Mais elle s'y attachait d'une manière toute particulière aux aérolithes, aux pierres que l'on avait vues tomber enflammées du ciel et auxquelles cette particularité merveilleuse aurait suffi pour faire attribuer un caractère divin 42. Nous trouvons l'adoration de l'aérolithe avec une importance exceptionnelle dans la religion phrygienne de Cybèle. La fameuse pierre de Pessinunte, transportée ensuite à Rome, qu'on tenait pour « la Mère
elle-même, était de ce genre 43 ; c'était une pierre noire, de forme irrégulière, avec des angles saillants, assez petite pour qu'à. Rome on eût pu la placer dans la bouche de la statue de la déesse, qu'elle défigurait 2. La pierre adorée sur l'Ida 43 paraît avoir eu une origine analogue. Quand le culte de la déesse de Phrygie eut été porté en Grèce, l'idée que l'aérolithe appartenait à Cybèle et était sa manifestation, s'y introduisit en même temps ; de telle façon que Pindare, ayant vu une pierre tomber du ciel au milieu des flammes et du bruit, la consacra à la Mère des dieux 46.
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Le culte des aérolithes n'était pas moins développé en Syrie et en Phénicie. Le nom du dieu araméen Qaçiou 47, hellénisé en Zeus Casios, implique par le sens de son nom l'idée d'un pareil phénomène 46 Quand Séleucus Nicator cherchait un emplacement pour la nouvelle capitale qu'il voulait bâtir, il se laissa guider par l'augure de la foudre et construisit Séleucie à l'endroit qui en avait été frappé 89. Le foudre même qui était tombé en ce lieu y fut adoré so sous les noms de Zeus Céraunios " ou Casios 52, et les monnaies de Séleucie nous montrent que ce foudre n'était autre qu'un aérolithe 83, lequel s'y échange avec l'image ordinaire du foudre de Jupiter u. Le nom de « demeure divinen, beith-el, dont nous avons expliqué la signification tout à l'heure, s'appliquait spécialement chez les peuples sémitiques, comme celui d'ab-addir, « père vénérable », aux pierres sacrées de cette nature. En effet les bétyles, tels que les mentionnent les écrivains antiques chez les populations de cette race, sont essentiellement des aérolithes 64. « J'ai vu le bétyle volant dans le ciel, » dit Damascius Se. Dans les fragments de Sanchoniathon, Ouranos (le Ciel) invente et fabrique les bétyles 57 et Baitylos est fils d'Ouranos 58. La superstition attribuait même à ces pierres la faculté de se mouvoir encore à certains moments dans l'air, au rnilieu d'un globe de feu 59, comme au moment de leur chute. C'est sans doute à cause de cela et de la résidence qu'on croyait qu'y faisait la divinité vivante, que Sanchoniathon appelle les bétyles des « pierres animées » (XiOou; ~u'iuyou;) 60
La couleur en était presque toujours noire, marque de leur origine ignée et sidérale. C'est ainsi que les inscriptions cunéiformes mentionnent les sept pierres noires adorées dans le principal temple de la ville d'Orchoé en Chaldée, bétyles personnifiant les sept planètes G1; c'est ainsi qu'il faut reconnaître un ancien bétyle dans la fameuse Pierre noire de la Mecque 6'. Les pierres de cette espèce étaient regardées comme appartenant à des dieux divers 63, mais tous de nature sidérale et pour la plupart solaires. Il y en avait particulièrement un grand nombre dans la région du Liban 8'. La valeur symbolique et sacrée du bétyle était doublée, quand à son origine aérolithique il joignait une forme se rapprochant, d'une manière plus ou moins exacte, du type hiératique du cône 65. Tel était le cas du Zeus Casios de Séleucie86 (fig. 737); des pierres noires dites divines (lapides qui divi dicuntur), adorées à Laodicée de Syrie G7, et que la légende hellénisée disait avoir été dédiées par Oreste, comme beaucoup d'autres conservées dans des sanctuaires de l'Asie ; enfin de celle d'Émèse, appelée Elagabalus 66 (elah-yabal, a le dieu de la montagne », ou « le dieu montagne »). La
pierre d'Émèse présentait en outre à sa surface des saillies et des empreintes naturelles fl9, auxquelles on attachait une grande importance, et ce qu'on croyait voir dans ces marques nous est expliqué 7e par le célèbre aureus de l'empereur Uranius Antoninus 7s, où est représentée la pierre conique du dieu ELAGABALUS, avec la figure du xtieiç très-nettement déterminée à sa base
(fig. 738). Il faut expliquer dans le
même sens l'ixT roluzTii; A'poui'[r;ç, que
les écrivains byzantins "signalent sur la Pierre noire de la Mecque. Des particularités de ce genre ajoutaient encore à la vénération des bétyles où on pouvait les observer. Il en était de même des pierres non météoriques où se pré
sentaient des apparences analogues. Le Pseudo-Plutarque i3 parle d'une espèce de pierre que l'on trouvait en Asie Mineure dans le fleuve Sagaris et que l'on tenait pour sacrée parce qu'elle montrait « le type de la Mère des dieux »; Falconnet74 a très-bien établi qu'il s'agissait de ces pierres bizarres que les curieux d'autrefois recher
1 chaient sous le nom d'hystérolithes.
On classait aussi parmi les bétyles, en y attribuant la même origine céleste, certaines pierres consacrées de temps immémorial comme images des dieux, qui n'étaient pourtant pas des aérolithes, mais auxquelles des particularités lumineuses fai
saient attacher une idée de nature ignée. Telle était l'émeraude colossale du temple de Melqarth à Tyr75, que les fragments de Sanchoniathon i6 désignent comme un astre tombé du
ciel, tiepoxcoTI âaripx, et relevé par Astarté. Ce dernier
mythe est représenté dans le type des monnaies d'argent de Marium de Cypre " (fig. 739).
On habillait les bétyles, comme certains simulacres des dieux, avec des parures et des vêtements qui paraissent avoir varié suivant les fêtes u. Damascius 79 parle du bétyle enveloppé dans ses voiles. Sur les monnaies de Séleucie la pierre de Zeus Casios est recouverte d'un réseau pareil à celui que l'on voit sur l'omrlALos de Delphes ; une ouverture est placée au sommet de cette enveloppe, afin de rendre le dieu directement accessible aux regards de ses adorateurs. La pierre du dieu Elagabale à Émèse se montre dans une nu
dité complète sur une monnaie de l'usurpateur Sulpicius Antoninus E0; sur les monnaies romaines de l'empereur Elagabale 81 et sur les pièces impériales d'Emèse 83, il y
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a seulement en avant de la pierre conique une figure d'aigle, qui paraît avoir été en métal (fig. 740) ; enfin l'aureus d'Uranus Antoninus (ci-dessus, fig. 738) nous la fait voir couverte d'une riche enveloppe, sans doute en métal, terminée au sommet par une couronne à pointes; par-dessus cette enveloppe est une sorte de manteau en étoffe ; les deux vêtements s'ouvrent à la base pour laisser voir l'empreinte symbolique marquée sur la pierre elle-même. Les diverses variantes de la représentation de l'idole de l'Artémis de Perga en Pamphylie sur les médailles 83 donnent l'idée (fig. 741) que la pierre conique qui représentait cette déesse, dont le nom indigène étai tdianapsa 81, portait un vêtement métallique, changé à diverses reprises et analogue à celui des images grecques ou russes de la Vierge; le plus souvent cette enveloppe de métal présentait vers le sommet une tête féminine, et au-dessous
des zones de bas-reliefs au repoussé Perga, en Pamphylie. ou une imitation de draperies.
C'est par la Crète, pays où les croyances phéniciennes s'étaient amalgamées dès la plus haute antiquité à la religion des Pélasges, que la notion sémitique du bétyle s'introduisit chez les Grecs. On donnait le nom de (3aiTiAoç 85 à la pierre emmaillottée que Rhéa avait fait avaler à Cronos à la place de son fils Zeus86, suivant la légende, d'origine sûrement crétoise 87, qu'Ilésiode accepta le premier 88, qu'il fit passer dans la mythologie poétique universellement reçue des Grecs et que les artistes ont quelquefois représentée S9 [sATOBNUS ]. Comme l'étymologie sémitique du mot était oubliée, on en avait forgé une grecque ; on disait que (31(Tu),0ç venait de W tri, la peau de chèvre dans laquelle la pierre avait été enveloppée comme un enfant nouvenu-né 90. Le stratagème de Rhéa n'est évidemment dans ce récit qu'une ingénieuse combinaison de l'imagination grecque pour rendre plus acceptable la fable d'origine orientale. On ne peut douter que, dans la légende crétoise primitive, ce rie fût Zeus lui-même qui fut dévoré sous la forme du bétyle, et il faut nécessairement reconnaître ici une forme du mythe phénicien dans lequel El, le dieu assimilé à Cronos, immolait son fils 91. Ceci n'était pas ignoré des Grecs instruits : aussi Lycophron, qui recherchait si volontiers les fables étrangères à la mythologie courante, fait-il de la pierre Zeus lui-même et lui donne-t-il à cette occasion le surnom de Disxot 92, qui semble faire allusion à la forme du bétyle crétois et aussi peut-être à l'origine projetée qu'on lui connaissait. Il est donc probable, comme l'a déjà reconnu Boettiger 98, que la fable de Crète se liait à l'existence antique d'un bétyle aérolithique adoré dans cette île comme une image de Zeus ou comme Zeus lui-même.
On conservait à Delphes, en avant du temple, et non
loin de la source Cassotis, une pierre de médiocre dimension, sur laquelle on versait chaque jour de l'huile et qu'on enveloppait de laine à toutes les fêtes 08 ; on la considérait comme la pierre même donnée à Cronos par Rhéa et rejetée ensuite par ce dieu 93. La colonie crétoise, à laquelle on attribuait la fondation du temple de Delphes 90, avait donc apporté en ce lieu la tradition de sa patrie, et peut-être aussi la pierre même, un des bétyles que la Crète ne paraît pas avoir conservés dans les âges historiques. Tout un groupe de peintures de vases, dont nous plaçons un exemple sous les yeux du lecteur (fig. 742), et pour lesquelles on a pendant longtemps proposé des explications qui n'avaient rien de satisfaisant, ont trait à
cette pierre de Delphes 97. La pierre est de forme ovoïde irrégulière, placée sur un autel élégant, et dans un seul exemple sur une construction cyclopéenne ; elle occupe le milieu de la scène. Une déesse, coiffée d'une stéphané radiée, contemple la pierre avec un geste d'admiration et de respect ; dans une des peintures elle la dispose sur l'autel, et semble l'envelopper suivant le rite décrit par Pausanias : c'est Thémis, qui précéda Apollon dans la pdssession de l'oracle de DelphesBB ; ellea la même coiffure sur un vase où elle est désignée par son nom 99, et c'est elle qu'il faut reconnaître dans la déesse au front ceint de la stéphané radiée qui verse une libation à Apollon, sur d'autres monuments céramographiques 100 [T11EMIS]. Derrière elle est Zeus lui-même, en roi, tenant le sceptre. En face, de l'autre côté de l'autel qui porte la pierre, on voit les Dioscures, caractérisés par leurs astres sur la peinture quenous avonsfait reproduire; sur d'autres ils sorttconduits par Hermès. Les Dioscures n'étaient pas étrangers aux traditions de la Phocide 101, dont quelques monnaies portent leurs symboles 102 ; à Amphissa on les confondait avec les Curètes 103. A ce titre, conformément aux traditions spéciales du pays, ils peuvent figurer dans nos peintures de vases comme personnifiant la colonie crétoise qui apporta
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la pierre de Cronos et son culte, et comme identifiés aux gardiens de l'enfance de Jupiter. Le lieu de la scène est d'ailleurs caractérisé de la manière la plus précise clans la peinture ici reproduite, par le fameux laurier de Delphes et par une colonne dorique du temple d'Apollon, dans d'autres, par le trépied mantique, seul ou avec le laurier.
Rome prétendait aussi posséder la pierre donnée par Rhéa à Saturne 104 dans la pierre informe de Jupiter Ter
minus dressée sur le Capitole 10' [TLAMINUS1.
La fable de l'enfance de Zeus est le seul exemple de l'introduction du bétyle des religions sémitiques dans la mythologie grecque. Mais dans les cultes particuliers et locaux on l'avait quelquefois admis. Ainsi M. Heuzey a établi 198 que la pierre à inscription grecque d'Antibes 1°7 était originairement un bétyle dédié par quelque habitant de la colonie grecque d'Antipolis et bien reconnaissable à sa forme ovoïde. L'inscription qu'il porte fait dire à la pierre elle-même : « Je suis Terpon, serviteur de la déesse, « de la vénérable Aphrodite ; » c'était un des Amours qui accompagnaient la déesse. Mais la Vénus adorée des Massaliotes, dans leur cité même 1°8, ainsi qu'à Portus-Veneris ou Aphrodisias 109 (Port-Vendres) et à Antipolis, était la Vénus de Cypre 1f0. Ici donc l'emploi du bétyle comme simulacre divin s'observe dans un culte qui, tout hellénisé qu'il fût, avait sa racine dans la religion phénicienne.
Les anciens confondaient la chute des aérolithes, habituellement accompagnée d'un météore lumineux et d'une explosion, avec celle de la foudre 111 qu'une croyance populaire, qui s'est maintenue ,jusqu'au seuil de notre siècle, supposait tomber quelquefois sous la forme d'une pierre 112. Pour les Grecs et les Romains comme pour la superstition populaire de l'Europe occidentale, encore acceptée des savants au xvi° siècle, les «pierres de foudre» par excellence étaient les haches, pointes de flèches ou de lances et autres instruments en pierre simplement taillée ou polie, vestiges des hommes des âges préhistoriques, dont I origine véritable était oubliée, et qui, rencontrés clans le sol, paraissaient des merveilles qu'on ne pouvait expliquer que par un prodige divin 11a. C'est ce qu'a démontré sans réplique M. Michel de' Rossi 1", établissant de plus que parmi ces objets, désignés sous le nom général de cerauniae 110 ou lapides Tul ninis 316, on distinguait trois espèces : les cerauniae proprement dites, à forme allongée, qui étaient évidemment les pierres où la science moderne reconnaît des couteaux et des pointes de lances, les betuli, semblables à des haches (sitziles securibus 27), qui en étaient réellement, enfin les glossopetrae 116, que l'on ne considérait plus comme venant avec la foudre, mais comme tombant silencieusement du ciel dans les nuits sans lune, et parmi lesquelles on confondait, comme on le faisait encore au xvi0 siècle, les pointes de flèches triangulaires en pierres siliceuses et les dents de squales fossiles.
Une inscription latine parle 715 de deux gernntae cerauniae placées dans le diadème d'une statue d'Isis. Martianus
Capella t20 décrit le diadème de Junon garni de céraunies. Prudence 121 parle des casques des Germains qu'on voyait, au sommet. Talais radiare ceraunis. Un des luxes les plus insensés d'lilagahale fut de faire faire des plats dans quelques céraunies d'une grandeur exceptionnelle 122. On possède des colliers étrusques en or au milieu desquels pend, comme amulette, une pointe de flèche en silex, c'est-à-dire une glossopetr•a 125 En effet l'origine céleste assignée à toutes ces pierres leur faisait attribuer des vertus talismaniques merveilleuses ; elles préservaient des atteintes de la foudre, protégeaient les navigateurs dans les tempêtes, enfin procuraient un sommeil paisible et des songes flatteurs 124
Mais la plus puissante, celle dont les propriétés étaient considérées comme les plus extraordinaires et les plus divines était le betulus. Sa possession assurait la victoire sur terre et sur nier 12ô. La découverte de sept haches de ce genre dans un lac du pays des Cantabres après une chute de la foudre fut pour Galba le présage de son élévation à l'empire 126. Nous plaçons ici la gravure d'un de ces betuli, c'est-à-dire d'une hache de l'époque de la pierre polie, découverte dans l'Archipel, sur laquelle furent gravées des inscriptions et des symboles cabalistiques vers le rate ou le Iv° siècle de notre
ère, quand on en fit une amulette 1n (fig. 743) ; elle fait partie des collections du Musée Britannique. Le nom de Geta/us est celui du
bétyle, dont la notion, transmise de l'Orient au monde gréco-romain, passe ainsi du
domaine des emblèmes religieux les plus augustes dans celui de la superstition talismanique. Et en voyant appliquer le nom de betulus en Occident aux haches de pierre regardées comme des pierres de foudre, on est conduit à penser que dans les pays syrophéniciens plus d'un objet de même nature était adoré comme bétyle, d'autant plus qu'ils rentraient dans la donnée de la forme la plus habituelle et la plus sacrée des pierres divines.
La superstition populaire racontait au sujet des hachesbétyles recherchées comme talismans les mêmes histoires merveilleuses qui avaient cours en Syrie sur les bétyles divins, histoires qui étaient venues avec la notion du caractère surnaturel de ces objets. Au moyen âge elles continuaient à être répandues en Grèce, car le copiste du manuscrit de Venise qui a appartenu au cardinal Bessarion, après avoir transcrit l'extrait fait par Photius du prodige du bétyle se mouvant dans les airs, narré par Damascius 128, ajoute en marge : « Moi-même j'ai entendu
« parler en Grèce par les habitants d'un prodige démo
« Iliaque semblable, qui s'est manifesté dans la région du
« Parnasse; ils en disaient des choses encore plus extraor•
« dinaires, qu'il vaut mieux taire que raconterfn.» Encore contrée. A l'appui de cette explication on peut faire re
aujourd'hui les paysans de la Grèce attachent des idées marquer que partout, dans les habitations lacustres les
merveilleuses du même genre aux haches de pierre, qu'ils plus anciennes, on a retrouvé des restes et des grains de
appellent ciazsoTE),lxta, c'est à -dire « foudres 130». poires de l'espèce appelée acéras'. La plus ancienne image
Dans les rites si antiques des FETIALES, que les Romains de Junon àArgos était faite de poirier sauvage'. HLvzrhrR.
avaient empruntés aux Equicoles, les instruments de BALLETYS (B«Àkr,t.ç.Cérémonie qui avait lieu dans
pierre jouaient un rôle tout particulier. Non-seulement la un des derniers jours des Élensinies 1, après l'initiation
victime immolée par eux pour la conclusion d'un traité, aux mystères, probablement le 24 de boédromion [Eux
l'était avec une pierre de silex (saxo silice 13'), d'après une sINIA, sect. vi]. Elle consistait dans un combat simulé
coutume rituelle conservée religieusement par tradition à coups de pierres 2 et on lui donnait aussi le nom de
depuis les temps où les indigènes de l'Italie ne connaisTdniai, «les coups 3 », synon}use de a),a5'v;, qui dérive du
saient pas encore les métaux 13' ; mais aussi leur serment verbe (ia).w. C'est à cette cérémonie que fait allusion
solennel se prêtait sur une hache de silex conservée dans l'hymne homérique à Déméter ° en parlant du combat
le temple de Jupiter Feretrius 133 avec le sceptre du dieu, que doivent se livrer à jamais, en l'honneur de Démophon
Cette pierre, à laquelle on attribuait une origine surna[CERES], les enfants d'Éleusis 6.
tureile, n'était pas seulement le trait de la foudre que On retrouve des cérémonies du même genre [LiTIIOBO
Jupiter lance pour sanctionner les serments 1n; c'était le LIA] dans différents cultes apparentés à celui d'Éleusis,
dieu en personne, Jupiter Lapis, comme on l'appelait 135 entre autres dans les fêtes de Damia et Auxésia à Trézène
[JUPITER]. On a là une expression de l'idée du Jupiter Md[ELFUSINIA, sect. Ix]. Une signification symbolique très
gur 136, du dieu qui descend lui-même dans la foudre, importante était attachée à la pratique de la balletys, car
souvent sous la forme d'une pierre (ceraunios). Mais la un des interlocuteurs du banquet d'Athénée dit qu'il ne
pierre dans laquelle il se manifeste, et sur laquelle juraient voudrait pas donner d'explications à ce sujet, quand même
les fetiales, rentre par son origine et sa forme dans la tous les assistants le paieraient'. Il serait bien difficile au
classe des betuli. On est ainsi ramené au bétyle qui figure jourd'hui de chercher à pénétrer cette signification, liée
dans le récit de l'enfance de Jupiter et que nous avons aux idées fondamentales des mystères éleusiniens ; on déjà vu identifier par les Romains à la pierre de Jupiter li peut du moins remarquer, avec O. Jahn le rapport de
7'errninus. F. LENORMANT. nom qui existe entre la fête B8û0ee,tb; d'Éleusis, en l'hon