BARBARI (Bolpèapot). I. Les Grecs appelèrent Barbares indistinctement tous les hommes, toutes les cités
qui n'appartenaient pas à la famille hellénique. A l'origine, ce nom signifiait seulement des hommes dont on n'entend pas le langage t. Thucydide a remarqué ' que le mot (irlp€spot ne se rencontre pas dans les poèmes d'Homère, mais les Cariens y sont appelés Fapèapptevot3, c'està-dire ceux qui parlent d'une manière peu intelligible. La répugnance causée par la différence du langage et des habitudes fut donc ce qui marqua d'abord la séparation entre les Hellènes et les peuples qui les entouraient, et ils les comprenaient tous sous une désignation commune qui n'impliquait pas nécessairement un sens défavorable ." Puis le sentiment de leur supériorité naquit, et la juste fierté qu'ils avaient de leur indépendance, de leurs victoires, de leurs arts, fit attacher à ce mot Barbares l'idée d'un état inférieur auquel manquaient la culture et la liberté. Ils en vinrent à considérer les Barbares comme naturellement destinés à la servitude, tandis qu'à euxmêmes appartenait le droit de leur commander', et ce nom devint à la fin le synonyme de grossier, d'inculte et de sauvage ; c'est l'acception qui a prévalu, mais elle souleva les protestations de quelques Grecs dès l'antiquité E. SAGLIO.
II. Le mot Barbari longtemps appliqué par les Grecs aux Romains eux-mêmes, semble avoir suivi, dans sa signification chez ces derniers, le même développement. D'abord étendue à l'homme de langue étrangère puis réservée à celui qui ne participe point à la civilisation gréco-romaine, dont Rome s'enorgueillit d'être le centre 9, cette expression ne désigne plus que les peuples de moeurs sauvages, en province ou au dehors'. Mais, plus tard, sous l'empire, on cessa de confondre les sujets provinciaux (peregrini ou provinciales) avec les nations placées en dehors des frontières et qui, ne reconnaissant pas la suzeraineté romaine, n'avaient lié avec Rome aucune alliance [FOEDUS] ou amitié. Ces gentes exterae non foederatae sont implicitement distinguées par un texte de Pomponius 90, jurisconsulte du second siècle, texte que Cujas " et Pothier 12 ont appliqué avec raison aux Barbares. La condition de ceux-ci ne doit pas être identifiée, comme l'ont fait de nombreux auteurs", avec celle des sujets étrangers ou non citoyens ( peregrini), placés dans les limites de l'empire. Cette analogie ne peut être reçue en partie que pour certains des Barbares transplantés ou admis dans l'intérieur et soumis aux lois romaines'", sous le titre de
ment, pour les Romains ennemi (Usas"), et étranger (pe
BAR671 BAR
regrinus) ont été synonymes, et si l'on ne reconnut aucun droit aux étrangers, plus tard on distingua réellement les peregrini des bustes, et l'on admit les premiers aux droits privés faisant partie du droit des gens (jus gentium) : les sujets provinciaux et les étrangers alliés furent traités comme peregrini; mais la même concession ne paraît pas s'être étendue aux Barbares du dehors. Ceux-ci, même en pleine paix, étaient à la discrétion des Romains, qui auraient pu s'emparer de leur personne et de leurs biens 16, et qui ne les admettaient sur le territoire qu'en vertu d'une autorisation extraordinaire et individuelle. Ce système existe même au temps de Pomponius, et on reconnaît aux Barbares un droit de saisie réciproque, sauf
Cette condition était certainement fort inférieure à celle des peregrini et ne s'éleva pas non plus avec celle-ci progressivement. Cela tient peut-être autant à la nature des choses qu'à la politique défiante d'Auguste, qui, jugeant l'empire assez étendu, recommanda à ses successeurs d'assurer plutôt que de reculer les frontières. Dès lors les ordonnances impériales et toutes les mesures gouvernementales tendirent à organiser et à défendre la limite de l'empire (limes isnperii)18, à créer une frontière artificielle 19 là où les limites naturelles faisaient défaut, et à refouler au delà les populations barbares dont on craignait l'invasion ou les incursions subites 20, ou même l'alluvion insensible. Quelquefois les traités interdisaient à certains d'entre eux, comme aux Quades 21, aux Marcomans, etc., de séjourner dans un certain rayon au delà de la frontière 223 et d'entretenir des barques sur des fleuves, comme le Danube 23, tandis que les flottilles romaines exercaient un contrôle sévère sur les personnes et les marchandises non spécialement autorisées à franchir la frontière. Ainsi la prohibition en cette matière était la règle 24. En 70 de Jésus-Christ, les envoyés des Tenctères se plaignent aux citoyens de la Colonia Agrippinensis de ce système, qui ne permettait aux Germains d'entrer que désarmés et sous escorte sur le territoire romain 26, moyennant une redevance (vectigal). Mais les négociants romains (mercatores) pouvaient en général pénétrer à leurs risques et périls chez les Barbares, pour y chercher des produits du pays, comme des pelleteries, l'ambre en Germanie 26, le bois de titre en Gétulie 27, des murex et des pourpres, la soie en Inde, les peaux de hérisson, dont le monopole donna lieu à de nombreux sénatus-consultes et aux plaintes des provinciaux 98. Quelquefois on fixait, près de la frontière 29, desmarchés autorisés, sortes de foires neutres pour l'importation et la vente des produits des pays barbares ; ainsi, on assigna un lieu et un jour aux Marcomans "; en l'an 180 il est encore question d'un marché tenu sous la surveillance d'un centurion romain 31. En Orient, il y avait des lieux et des stations déterminés pour l'importation des marchandises de la Perse ou de l'Inde32 [MERCATURAj.
Cela posé, le droit international privé romain dut être très-pauvre et très-restrictif à l'égard des Barbares. Les textes sont fort rares en ce qui les concerne dans le Digeste; suivant nous, les lois ne permettent pas de les confondre, comme certains jurisconsultes l'ont fait 33, avec les peregrini. Non-seulement ceux-ci étaient admis à acquérir et à contracter par les modes de droit naturel, mais encore par les modes de droit des gens, sensu lato 36, et, au moyen d'actions fictives, on arrivait à leur accorder l'action furti 33, et en général la plupart des actions. Bien plus, on admit avec eux un mariage de droit des gens ; on reconnut la validité du testament fait selon les lois de leur cité (adversus(secundum) leges civitatis suce 36), et à Rome le PRAETOE PEREGRIIVUS jugea les procès qu'ils avaient entre eux ou avec les citoyens romains. Il est impossible de croire que toutes ces prérogatives reconnues par Ulpien et Gaius aux pérégrins leur fussent absolument communes avec les Barbares, surtout pour ce qui concerne le mariage, le testament, la juridiction et notamment le droit d'acquérir des fonds stipendiaires ou tributaires, ou l'in bonis sur les fonds italiques transmis par tradition.
Vers le II° et le In° siècle de l'empire, les relations pacifiques avec les Barbares ne devaient pas être assez ordinaires pour que Gaius s'occupât de leur réglementation3T; elles paraissaient devoir être soumises sans doute au pur droit naturel 33, commun à tous les hommes de cette qualité. Ainsi l'échange, l'achat et la tradition avaient dû être, avec le temps, permis avec les Barbares 39, sauf les restrictions introduites par les empereurs ou les gouverneurs, au point de vue politique ou fiscal 60. Mais les dangers de l'invasion générale des Barbares, à partir du In° siècle de notre ère surtout, eurent pour effet d'aggraver en fait la position des Barbares restés en dehors de l'empire (alienigeni"). Sans doute, dès le commencement de l'empire, les empereurs, en traitant avec des rois barbares vaincus, avaient concédé souvent le droit de cité 42 soit à eux-mêmes, soit à quelques personnages très-influents de leur tribu, même en dehors des limites de l'empire (fines imperii), ainsi au roi germain Arminius, etc., même à des peuples entiers k3. Cependant nous croyons, avec A. W. Zumpt, que cette concession n'emportait pas l'aptitude aux honneurs, à moins d'une clause spéciale et extraordinaire", qui se généralisa trop au bas-empire en faveur des alliés barbares (foederati) admis à certains grades militaires §3; Constantin L6 éleva même un barbare au consulat. En outre, Ulpien rapporte que l'usage autorisait les gouverneurs de province à faire des présents aux barbares du dehors accueillis près d'eux, soit à titre d'ambassadeurs, soit pour tout autre motif, au moyen des valeurs provenant de la dépouille des condamnés à mort (pannicularia) u. Une constitution de Léon et Anthémius valide exceptionnellement les dispositions de dernière volonté ayant pour objet le rachat des captifs, lors même qu'elles éma
6'7`2 BAR
d'un barbare 68. Cela démontre que, malgré la constitution d'Antonin Caracalla qui, en 211, donna la cité romaine à tous les ingénus actuellement sujets de l'empire 49, la condition civile des Barbares était restée en principe inférieure à la pérégrinité, fussent-ils admis à séjourner temporairement sur le, sol de l'empire. La loi romaine n'eut pas même à s'occuper, en général, de ceux qui demeuraient sur le territoire barbare, que l'on appelait Barbaricum au bas-empire,par opposition à la Rom ania ". Même quand Justinien eut aboli la distinction des affranchis en déditiees, latins-juniens et citoyens 5', il n'y eut plus d'étrangers que les barbares et les déportés, à côté des esclaves non citoyens et des colons 62 [COLONATUS] qui restaient sujets de l'empire.
Au bas-empire, des constitutions défendirent de vendre ou d'importer chez les Barbares de l'huile et du vin ", toute espèce d'armes", de leur acheter de la soie dont le monopole était réservé au comte du commerce (contes commerciorum) 55, et enfin de leur livrer de l'or contre d'autres denrées ". A cette occasion, Gratien, Valentinien et Valens paraissent même autoriser les Romains à subtiliser » l'or des Barbares 67. Bien avant ce temps le jurisconsulte Paul regardait comme une condition contraire à l'ordre public la modalité ajoutée à un legs ou à une disposition de dernière volonté quelconque, et consistant à paraître en publie costumé en barbare" ; mais les modes barbares envahirent l'empire à ce point que les empereurs furent réduits à interdire l'usage des vêtements barbares aux Romains " Néanmoins les juristes reconnaissaient la légalité de la servitude des Romains faits prisonniers par les Barbares et la nécessité de la fiction du postliminium pour restituer aux captifs libérés leurs biens et leur état, en cas de retour sur le sol romain fi0. Mais les ennemis (hostes) surpris, en cas de guerre, sur le sol romain devenaient esclaves de droit 61, et les Barbares, même en temps de paix, s'ils n'avaient un saufconduit spécial ". Quant à ceux qui mouraient en territoire romain, leur succession, même en pleine paix, était déférée au fisc 63. Il n'en était pas ainsi pour les peregrini ni pour les Barbares foederati, régis par leurs lois [FOEDUS]. Quand les incursions furent devenues fréquentes et désastreuses, Valentinien, Valens et Gratien en 366, Honorius et Théodose en 409, réglementèrent à nouveau le postliminium, et fixèrent le prix à restituer par les prisonniers à ceux qui les avaient rachetés des Barbares ". En 410 ces deux derniers empereurs défendent d'admettre aucun étranger dans les ports ou stations des frontières de l'Orient sans un passe-port (sacri apices), émané de l'empereur d'Occident Honorius". Ces princes renouvellent en 420 la défense de porter aux nations barbares des marchandises illicites B8, et ils permettent aux habitants des provinces orientales d'entourer leurs propriétés de murs de défense, murali ambitu 67. Sui
vant Godefroy, c'est en 410 que les mêmes empereurs restreignirent à certaines places, celles de Nisibis, Artaxate et Callinicum 66, les marchés entre les Perses et les Romains 69, sous des peines capitales, qui furent renouvelées par une autre constitution 70.
Les Barbares proprement dits, ou alienigeni étaient donc traités avec une grande rigueur. Mais on permit de bonne heure" à certaines tribus de s'établir à l'intérieur près de la frontière, en conservant quelque temps leurs usages, jusqu'à ce qu'on jugeât utile de soumettre ces sujets à la loi romaine ". Plusieurs de ces tribus avaient été admises, à charge de service militaire, sous le titre
LAETI. Nous renvoyons à ces mots où il sera traité des barbares domiciliés dans l'empire. Une constitution de Valentinien et Valens, rendue en 36574, interdit à toute personne de nationalité romaine le mariage avec une personne de nationalité barbare [GENTILIS] ; car l'ensemble du texte prouve que ce mot y est pris dans son sens le plus large ". Godefroy y voit une loi de circonstance ; cet édit restreint le droit commun qui n'eût pas empêché un mariage de droit des gens ; mais il faut admettre la possibilité de dispense, par la concession éventuelle du sus CoNNUBII. Au surplus, Justinien n'a pas reproduit la prohibition dans son code. De telles unions en effet s'étaient multipliées sous l'empire. Depuis le temps de Marc-Aurèle surtout, on avait admis dans l'armée des corps de barbares à servir comme auxiliaires [AuxILIA], en les prenant au besoin parmi les vaincus 76. Claude et Probus en répartirent même des groupes parmi les légions ". Au bas-empire, l'armée se composa presque tout entière de foederati, laeti, gentiles ou autres barbares. Sous Constantin, ils remplissaient les troupes du palais et les offices militaires ; ils obtinrent même le consulat". Quant aux peuples barbares nouvellement conquis, événement rare à la fin de l'empire, on tâchait de les soumettre aux lois romaines"; c'est ce que nous apprend notamment une novelle intéressante de Justinien 30
III. Il n'entre pas dans le plan de cet ouvrage d'exposer ce que l'on sait des Barbares, de leurs moeurs, de leurs institutions, ni de décrire leurs costumes, leurs armes ou les autres objets à leur usage. Quelques-uns de ces objets, armes, costumes ou parties de costume ont passé dans l'usage des Grecs ou des Romains : on en trouvera l'explication dans les articles spéciaux. Nous devons nous en tenir à l'idée générale que Grecs et Romains se faisaient des peuples qu'ils appelaient Barbares et à la manière dont cette idée s'est traduite dans leurs oeuvres (l'art; disons seulement qu'on s'aperçoit, en recueillant les témoignages des géographes et des historiens, que les anciens avaient au sujet de ces peuples des notions plus
exactes qu on ne le supposerait au premier abord quand on consulte les monuments.
Il ne faut pas chercher l'exacte représentation des Barbares dans les oeuvres de la statuaire classique, qui se contente d'indications sommaires, moins par indifférence ou dédain affecté, comme on l'a dit, pour tout ce qui n'était point grec, que pour satisfaire au besoin de simplification qui s'impose à cet art et est une de ses lois. Les sculpteurs ont eu plus de souci de la beauté plastique des types et de l'harmonie des groupes que de la vérité historique et de ce qu'on appelle aujourd'hui la couleur locale. Dans leurs statues et leurs bas-reliefs, non-seulement des peuples fabuleux, tels que les Amazones ou les Arimaspes, mais ceux mêmes qui appartiennent à l'histoire, comme les Phrygiens ou les Perses, avec qui les Grecs ont été fréquemment en contact, ont un type commun, déterminé par quelques signes ou attributs facilement reconnaissables. Ce sont des armes différentes de celles des Grecs : l'arc et le carquois, la hache, le bouclier en demi-lune suffisent à faire reconnaître les AMAZONES ; OU quelques pièces de costume, les plus connues et les plus caractéristiques : ainsi le bonnet que nous appelons phrygien [PuLeus, TIARA], les pantalons [BRACCAE] larges ou collants, descendant jusqu'à la cheville, un vêtement à manches, étroitement ajusté (as,µ«ttov), comme celui d'un archer qui figure sur le fronton du temple d'Égine 81, et, par-dessus, une tunique ou blouse flottante, serrée à la taille par une ceinture, et quelquefois encore un manteau : c'est ainsi que sont représentés les Perses dans la frise du temple de la Victoire Aptère à Athènes 8'. Les artistes paraissent avoir surtout remarqué l'habitude des Barbares d'envelopper toutes les parties du corps et la richesse de leur costume, qu'ils mettent constamment en
contraste avec la simplicité de celui des héros grecs : ceux-ci, en effet, quand ils ne sont pas entièrement nus, ont le cou, la poitrine, les bras, les jambes découverts.
Les sculpteurs, en se contentant de ces indications à grands traits, se conformaient aux nécessités de la sculpture monumentale ; dans des ouvrages faits pour être considérés de plus près, ils n'ont pas négligé les particularités de costume qui pouvaient faire reconnaître plus facilement les personnages ou ajouter à la signification de la scène : c'est ainsi que le bonnet de fourrure [ALOPEKIS], les hautes bottes lacées [EMBKDES] et un manteau qui doit être la zeira des Thraces , ont permis de reconnaître (fig. 790) un personnage de
1.
cette nation et de lui restituer son vrai nom, dans le bas-relief du Louvre qui représente, en effet, Orphée avec Eurydice". Les détails du costume sont plus visibles encore dans un ouvrage de petites dimensions d'où est tirée la figure 791 : c'est un fragment d'une boîte à miroir en bronze, trouvée en Épire a',
qui représente Anchise au moment où, jeune pasteur, il est visité par Vénus sur l'Ida 85. Le travail, très-fin, fait distinguer toutes les parties du costume que nous avons énumérées. Les manches du vêtement de dessous, pareilles au pantalon, sont semées d'ornements qui paraissent être ces BRACTEAE ou fleurons d'or mince (a_T«a« Xeua«) que l'on fixait sur l'étoffe : les tombeaux de la Grimée en ont fourni de nombreux exemples. Le
héros phrygien porte un second vêtement, sorte de pelisse ou de dolman à manches flottantes, attaché aux épaules et, à ce qu'il semble, doublé de fourrure. Toutes les parties de ce costume se retrouvent avec une grande richesse de détails dans les peintures des vases grecs B6.
Il semble qu'à l'aide de ces peintures, dont les traits sont en général précis et significatifs, on puisse s'approcher davantage de la vérité et y trouver même toutes les ressources nécessaires pour étudier les costumes des Barbares, les sujets représentés indiquant d'ailleurs leur nationalité. Mais là encore on s'aperçoit bientôt que les artistes se sont moins attachés à copier exactement des modèles qu'ils avaient pu rencontrer, qu'à reproduire des types facilement reconnaissables parce qu'ils étaient déjà fixés par une constante tradition. Il semble que des traits empruntés aux populations des contrées situées au nord de la Grèce s'y mêlent à d'autres qui appartiennent plutôt aux Asiatiques. Les pantalons, le justaucorps dont nous avons parlé plus haut, le bonnet de fourrure ou la tiare à fanons tombants ou relevés sont portés par Orphée ou Rhésus 8s, ou par les Thraces qui figurent dans leur histoire, aussi bien que par les Phrygiens des légendes de Pélops 89 et de Tantale 90 ; par ceux qui combattent sous les murs de Troie comme par les Amazones ou par les Scythes, si souvent opposés aux Grecs, dans des mêlées où ceux-ci sont vainqueurs 81 ; les Lydiens ou les Bactriens qui font cortége à Bacchus vainqueur de l'Inde 93 (p. 599, fig. 676), les Éthiopiens conduits par Memnon 96 ont le même vêtement brodé et bariolé. On en pourra voir des exemples aux articles concernant les personnages qui viennent d'être nommés. Darius, représenté sur un vase célèbre du musée de Naples
85
(fig. 792), au moment où il tient conseil avant de déclarer la guerre aux Grecs94,porte, ainsi que plusieurs des personnages qui l'assistent, la tiare, la longue robe brodée par
dessus le justaucorps à manches et à jambes, quelques-uns ont le manteau. Ce costume est ailleurs celui de Priam, de Tantale, d'Orphée ou de Rhadamanthe 95 (voy. ces noms) : c'est celui des rois, des prêtres, des devins. Les gardes qui entourent Darius, les envoyés, que l'on voit dans un registre inférieur, apportant le tribut des provinces de l'empire, ne
diffèrent en rien des Amazones dessinées sur le col du même vase. Que l'on compare toutes ces peintures avec les monuments où les Barbares se sont eux-mêmes représentés, quelquefois en s'efforçant de marquer entre les races des différences extérieures 9e ; ou encore avec ceux que les Grecs ont exécutés pour des Barbares, tels que les pièces d'argenterie et les armes trouvées dans les tombeaux de Crimée97, où des Scythes sont figurés avec une connaissance des moeurs et des costumes, qui témoigne d'un long séjour des artistes parmi eux : on se convaincra par cet examen que les peintres qui décoraient les vases, ou ceux qu'ils prenaient pour modèles, se sont d'habitude volontairement conformés à un type traditionnel. Ce type comporte une certaine variété selon qu'ils ont eu à représenter un vieillard, un jeune homme, un héros, un pâtre, un archer ; mais non pas des différences, à l'aide desquelles on puisse, sans risquer de se tromper beaucoup, essayer de distinguer les nationalités. A plus forte raison ne saurait-on être trop circonspect si l'on veut étudier au même point de vue le costume des femmes, où il est moins facile que dans celui des hommes de séparer les Grecs des Barbares. Nous renvoyons aux articles spéciaux sur les diverses pièces du costume féminin 98.
Des vases qu'on trouve dans l'Italie méridionale nous montrent 99 des peuples différents par les moeurs et le costume de ceux de l'Orient et du Nord, dont nous venons de parler, aussi bien que des Grecs dont ils sont quelquefois, dans ces peintures, les adversaires. Telle est celle qui est ici reproduite f00 où l'on remarquera (fig. 793)
une sorte de tunique très-courte, de hauts bonnets pointus, des bottes que n'ont point les guerriers en face desquels ils se trouvent : la trompe dans laquelle souffle l'un des combattants semble avoir été opposée à dessein à la trompette droite des Grecs. On a reconnu dans cette peinture des Messapiens, et sur quelques autres vases lM des habitants de l'Apulie et de la Lucanie, qui étaient alors des Barbares pour les peuples de la Grande-Grèce. Dans une autre peinture (fig. 794), tirée d'un vase de Cumes 102,
et dans beaucoup d'autres ornant des vases trouvés en différents endroits de l'Italie centrale, on voit des guerriers dont les casques ornés de plumes droites, les cuirasses ou plastrons à rouelles, les tuniques courtes, par-dessus lesquelles des ceintures sont bouclées, paraissent propres aux Samnites ; on peut les rapprocher, de même que ceux des femmes qui y sont représentées, des armes et des costumes que l'on voit dans les peintures qui décoraient des tombeaux de laLucanie, de la Campanie et du Samnium 102.
BAR_ -sas 675 BAR
Ces exemples suffiront, sans entrer dans l'examen des re
présentations grecques ou non, des anciennes populations de l'Italie, à montrer qu'elles se distinguent des types que nous avons observés ailleurs par des caractères propres et des détails qui n'ont rien de conventionnel, mais qui semblent avoir été copiés d'après nature 1o4.
Ce qui prouve en
core que les Grecs,
toutes les fois qu'ils
semblent s'écarter
de cette fidélité ri
goureuse à la nature,
le font par obéis
sance à une convention d'art supérieure, c'est l'exactitude avec laquelle ils imitent et l'esprit avec lequel ils saisissent toutes les particularités, quand ils introduisent dans un sujet, ou quand ils traitent à part des types qui sortent de cette convention : par exemple dans les sujets traités familièrement ou en caricature. Sans sortir de la matière de cet article, nous rappellerons les figures de nègres, qui ont été représentées plus d'une fois 10tl par les peintres et par les sculpteurs avec beaucoup de vérité. Des grandes compositions datant du temps où la peinture inclina vers une représentation plus historique et plus réelle des faits, il ne reste rien, si ce n'est peut-être quelque reproduction comme la grande mosaïque de Pompéi 106 dont le sujet est selon toute apparence la victoire d'Alexandre à Issus; l'on peut juger par la précision avec laquelle y sont retracés les types, les costumes, les armes, les harnais, les chars, etc., de l'importance attachée parfois aux détails et du soin avec lequel on pouvait les reproduire dans un tableau de ce genre.
Les Romains à leur tour ont représenté les Barbares qu'ils se glorifiaient d'avoir vaincus et soumis. Ils ont placé leurs images sur des arcs triomphaux, sur des colonnes commémoratives de leurs victoires, sur leurs médailles : images à première vue, trop semblables entre elles ; mais s'il est souvent malaisé pour nous de distinguer dans les monuments des peuples que rapprochaient une ancienne communauté des races et des rapports de moeurs, cela tient plus encore à notre connaissance trop imparfaite des antiquités barbares, qu'aux habitudes de généralisation des artistes grecs, à l'école desquels appartenaient ou s'étaient formés tous ceux qui travaillèrent pour les Romains. Le mouvement naturel de l'art porte les peuples, dès qu'ils en sont capables, à saisir et à marquer les traits qui distinguent d'eux leurs enne
mis ou leurs voisins ; à Rome aussi il en fut ainsi. Dès qu'il y eut un art exprimant la manière de voir et les sentiments des Romains, on s'efforça de faire reconnaître les Barbares par des traits qui leur étaient propres. Nous en prendrons des exemples dans quelques monuments romains ; car nous ne devons pas les chercher plus que précédemment dans les oeuvres des Barbares eux-mêmes, qui ont un autre caractère.
L'épigraphie a fixé la date longtemps fort contestée de plusieurs importants monuments de la Gaule méridionale. On sait aujourd'hui que l'arc de triomphe et le tombeau des Jules à Saint-Rémy 107, où se voient des Gaulois aux prises avec des Romains ; que l'arc d'Orangef05 décoré de trophées d'armes gauloises, au pied desquels sont enchaînés des chefs captifs, ne sont pas postérieurs aux premières années de l'empire 109. Les artistes qui en ont sculpté les figures ont pris avec soin pour modèles les vêtements mêmes, les armes, les enseignes, les parures des vaincus ; il n'est pas possible de les confondre aveccelles des vainqueurs. Le groupe que reproduit la figure 795 est
tiré des bas-reliefs qui ornent un monument un peu moins ancien, trouvé à Rome et connu sous le nom de sarcophage de la vigne Ammendola 110. On y voit un combat de Romains contre des Gaulois ; ceux-ci sont caractérisés par leur habillement, qui consiste en pantalons étroits, en un manteau carré agrafé sur l'épaule, en une chaussure à semelle épaisse, découpée sur l'empeigne : ce sont les braies, la
saie, les galoches LBRACCAE, SAGUAI, GALLICAE], dont les noms
devenus latins ont passé ensuite dans notre langue; à quoi il faut ajouter pour quelques-uns une tunique serrée, descendant jusqu'au milieu des cuisses; plusieurs sont nus ou au moins demi-nus 111 ayant pour unique vêtement les uns le manteau, les autres le pantalon ; tous portent au cou le collier appelé TORQUES ; tous ont la tête découverte 11x, une épaisse chevelure flottante, la barbe de la plupart est réduite aux moustaches et à une touffe de poils au menton ; leurs boucliers sont oblongs, ovales ou hexa
BAR . 6-76 BAR
gones, avec une armature saillante ; on ne voit pas dans ces bas-reliefs la ceinture de métal qui était encore caractéristique dans le costume gaulois 13, ni d'autres ornements, armes ou insignes dont on trouvera ailleurs des modèles 14. Nous n'avons pas à chercher ici tout ce qui constituait ce costume, mais à noter comment il a été vu et interprété par les Romains. On pourrait de même retrouver les traits distinctifs des autres nations qui furent successivement en contact avec eux, en étudiant de près quelques-uns des monuments où des Barbares sont représentés : il suffira de rappeler les bas-reliefs des colonnes de Trajan 16 et de Marc-Aurèle 16, où ont été retracées les expéditions de ces deux empereurs contre les peuples voisins du Danube. Non-seulement les guerriers, et aussi les femmes de ces nations, Daces, Sarmates, Quades, Mata romans, y sont figurés avec une grande abondance de détails originaux, mais encore beaucoup d'autres peuples déjà subjugués par les Romains et devenus leurs auxiliaires [voy. ceux qui sont figurés au mot AuxILIA] : le Germain qui combat nu jusqu'à la ceinture, armé d'une épée et d'un bouclier'', l'archer d'Asie au casque conique, à la robe traînante 16, par-dessus laquelle est passé un long justaucorps, le cavalier numide aux cheveux bouclés, à la tunique flottante 19, etc. : partout dans la longue suite de ces bas-reliefs se fait sentir une observation attentive, qui saisit le détail précis et donne à chaque figure sa physionomie propre.
Néanmoins il est vrai que dans beaucoup d'autres monuments l'accent particulier est plus effacé ; l'accessoire est subordonné à l'ensemble, et un type conventionnel se forme à l'exemple de la statuaire grecque, où le Barbare est reconnaissable tout d'abord à quelques parties principales de son costume trahissant une origine asiatique 1". On a coutume de classer dans les musées sous la désignation commune de « prisonniers barbares u des statues qui étaient destinées à la décoration d'arcs de triomphe, de portiques et d'autres édifices, autrefois l'ornement de Rome et des autres villes qui imitaient sa magnificence. Ces statues participent du faste des monuments qu'elles complétaient: beaucoup sont en marbres variés de couleur, en porphyre ou en d'autres matières de grand prix. Elles représentent, en effet (fig. 796) des Barbares captifs presque uniformément vêtus d'un manteau agrafé sur l'épaule, quelquefois frangé
ou doublé de fourrure, d'une tunique à manches, ordinairement serrée par une ceinture, de larges pantalons noués à la cheville, de chaussures lacées ou attachées par des cordons : la tête est couverte du bonnet que nous appelons phrygien , plus souvent nue ou simplement
ceinte du bandeau, insigne de la dignité du chef"1Il n'y a rien dans les différentes parties de ce costume
qui ne convienne aux Barbares du Nord aussi bien qu'à ceux de l'Asie. La plupart des statues dont nous parlons sont du temps de Trajan, d'Adrien ou de Marc-Aurèle, et si elles doivent rappeler leurs victoires, elles peuvent représenter des Parthes aussi bien que des Daces ou des Marcomans ; tuais les Parthes figurés en basrelief sur la cuirasse de la statue d'Auguste 122, contemporaine de ce prince, et sur une médaille de l'an 18 av. J.-C., qui consacre le souvenir de la reddition des aigles enlevées à Crassus sont vêtus de
la même manière ; de même le roi Parthamaspates qui figure sur une autre médaille frappée sous Trajan en 116 ap. J.-C. 1"; de même
encore les Barbares de la même nation qui figurentdans les groupes (fig. 797) et bas-reliefs de l'arc de SeptimeSévère, élevé au me siècle, et qu'on peul rapprocher de ceux des colonnes Trajane et Antonine (fig. 798) ; de même enfin, les dieux orientaux dont les re
présentations devinrent si nombreuses sous l'empire, Mithras, Atys, Mèn ou Lunus, etc.: on en trouvera des exemples dans les articles concernant ceux de ces dieux qui eurent un culte chez les Romains. E. SAGLIO.