Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article BENDIS

BGNDIS ([3€vétç), Déesse lunaire des Thraces ; Jacob Grimm 2 en a très-ingénieusement rapproché le nom de f'anadis, « la belle, la lumineuse, la blanche o, surnom de Freyia dans la mythologie du Nord. Parmi les Grecs, les uns ont assimilé Bondis à A.rtémis 3, d'autres à Hécate', d'autres enfin à Proserpine'. Il est évident qu'il faut la reconnaître dans l'Artémis Reine à laquelle sacrifiaient les femmes de la Thrace et de la Péonie, suivant Hérodote e, et dans l'Hécate Zérynthia de Lycophron 7. Bendis était aussi adorée à Lemnos, où on l'appelait u la Grande Déesse8 », titre qu'Aristophane a employé dans sa comédie des Lemniennes 9 ; on lui sacrifiait primitivement des jeunes filles dans cette île 70. C'était donc la Diane Lemnienne dont parle Galien 11, et le nom de Ch) ysès, donne quelquefois à celle-ci, quand on parle de ses victimes humaines12, était comme une sorte de traduction grecque de celui de Bendis. II est impossible de méconnaître aussi une parenté entre Bendis et Axiokersa, la Proserpine des mystères de Samothrace 13 FcABIBI]. Enfin l'existence de son culte de l'autre côté de l'Hellespont, en Bithynie, est attestée par le nom du mois bithynien Bosèicdoç, ou plus exactement Be.vMeoç 14 Strabon 1a dit que les fêtes de Bendis en Thrace, comme celles de Cotytto, avaient le même caractère que les fêtes org astiques de la religion phrygienne. Quand le culte de la déesse eut été introduit en Attique, on les célébrait au Pirée conformément aux rites thraces [BmDDEIA], et aux renseignements que Platon donne à ce sujet dans le début du premier livre de sa Re publique, on voit qu'il s'y trillait un élément dionysiaque très-prononcé. C'est qu'en effet dans la Thrace, sa patrie, Bendis était associée au dieu d'origine phrygienne que les Grecs assimilaient à Dionysos, c'est-à-dire à SABAZIUS. Dans les bas-reliefs sculptés sur les rochers de Philippes en Macédoine 16, l'image de Dionysos Sabazius, aux cornes de taureau, est associée à deux déesses, l'une à l'aspect de matrone, que nous croyons être COTYTTO, l'autre pareille à la Diane chasseresse, qui est certainement Bendis'', car la qualité de ne 842. 4 Xenoph. Hellen'a. II, 4, il. -s Plat. De sep. 1, p. 327. 9 Ideorto Heortologie, Leipz. 1863, p. 425 et s. RENDIS. 1 vos. Maury, Hist. des relip. de la Gseee, t. 111, p. 135. 2 Alouatsba•ichte de l'Acad. d, Berlin, 1859, p. 515 et s. 3 Palaephot. 32 H.es,ch. s u ❑.,S,, et e}c pc,. 4 P_esych. s. v. a].-.Tho,. G Precl I t ec'og. p.353 , Pt:ot. s. u. Meydl,e,, te,.. 0 IV, 33. 7 Cassaudr. 77. 8 Stoph. Ily,2 s. o. Anus . 9 Hess eh. et Phot. s. u. 31e';,0 t.6;. 19 Stoph. 1. c. 11 De iustrre. si ai Il., 12t5. • Scaliger, De eo,end. temp. p. 50 ; lisser. De atm. tllaeed. p. 41 ; t abri,. lleaoloq. p. 61. 15 X, p. 470. i6 Ileuzey, ,iJ,.sicn de Mare'doine, pt. ec et A. .17 Il ,uzey, p. 80. BEN 6-87 BEN chasseresse lui est attribuée par Hésychius 1°, et c'est à elle que fait allusion CallimaqueS°, quand il représente Artémis conduisant ses premières chasses sur l'Haemus. Ce sont ces deux déesses que désigne Lycophron quand il pairle des deux souveraines de Zérynthe. Aphrodite 20 et Hécate", réunies quelquefois en un seul personnage, comme les Grandes Déesses dEleusis, et rapprochées dans ce cas de Cybèle". Elles répondent en effet, avec le caractère lunaire propre à la religion locale, aux deux déesses, l'une mère et l'autre fille, auxquelles s'unissait successivement Sabazius dans le mythe phrygien" [sABAzlus]. Sur les mêmes rochers de Philippes, la figure de Diane-Bendis est quelquefois remplacée par celle du dieu lunaire mâle de l'Asie ➢Mineure, MÊt1, comme s'il exprimait l'autre face d'une divinité au sexe ambigu" par une substitution ou une association qu'attestent des documents épigraphiques formels". Nous constaterons dans COTYTTO ie même caractère ambigu, et presque androgyne; au reste, pour Bendis, il est formellement indiqué parmi les explications que l'on donnait de l'attribut des deux lances qu'elle tenait à la main et qui l'avait fait qualifier de SE],oyyoç par le poête Cratinus dans sa comédie des Femmes thraces'-;. Les uns disaient en effet qu'elle les portait comme étant à la fois soleil et lune, d'autres comme reine du ciel et de la terre", d'autres enfin seulement comme chasseresse. Dans le mythe phrygien de Sabazius, la plus jeune des déesses à laquelle il s'unit est de sa part l'objet d'une tentative violente. On disait aussi qu'elle était sa fille. Enfin, on l'a plus tard identifiée à Proserpine. Il en était de même chez les Thraces dans les rapports de leur Sabazius avec Bendis, rapprochée aussi de la fille de Déméter. Quand on voit une tradition locale placer l'enlèvement de Proserpine sur les bords du fleuve Zygactès Pe, on ne peut pas, plus que ne l'a fait M. Heuzey"9, hésiter à y voir la transformation hellénisée d'une légende relative à Bendis, légende d'enlèvement et de violence à laquelle font certainement allusion les types des plus anciennes monnaies de la région du Pangée, particulièrement de Lété 30 et des Oresciens u (fig. 817). Le Sahazius thrace, comme roi de l'autre vie 32, a dû faci lement se confondre avec Pluton. Or, on (lisait Bendis fille d'Admétus ", et ce dernier nom est identique à celui d' ASX,.r.aç, donné quelquefois à plu ton 34, conforme à son épithète fréquente d'ài«N.aaros36, et rapporté au culte de Samothrace 98. L'Artémis Tauropole d'Amphipolis 37 est la Bendis thrace à peine hellénisée et toujours en rapport avec le Dionysos à forme de taureau. Les monnaies de cette ville la représentent le plus souvent assise sur cet animal et presque absolument semblable à une Europe enlevée'° {niais , EuROPA]; sur d'autres on voit d'un côté le buste de Diane portant un carquois et de l'autre le taureau 39, qui se montre également au revers de la tête de Dionysos 40. Mais la plus intéressante de ces pièces est celle où l'on voit au droit le buste de la déesse laurée, le croissant lunaire aux épaules, avec la légende TATeouoAoc, et au revers sa figure complète debout, le calathus sur la tête, le croissant passé derrière les épaules, comme l'a Mên dans la numismatique de l'Asie Mineure, tenant d'une main le flambeau d'Hécate ou de Proserpine, (fig. 818): c'est évidem ment un ancien type de représentation indigène. Le culte de Bendis fut adopté de très-bonne heure par les colonies grecques de la côte de Thrace, comme By-zance 4'' et les villes de la Chersonèse 43. Les relations commerciales avec la Thrace l'apportèrent en Attique ; il commençait à s'y répandre quand Cratinus le mit en scène dans sa comédie des Femmes thraces (17,7,ârrat), représentée vers 443 av. J.-C. 4°. Quand Aristophane fit jouer ses Lemniennes, dont le principal objet paraît avoir été de combattre ce culte étranger 45, l'entraînement public était déjà général Ÿ0, Le poëte y parlait du flambeau de la déesse 1?xvôçk7), que nous avons vu sur la monnaie d'Amphipolis. Il semble résulter clairement d'expressions qu'il employait66 et dont Euripide s'était aussi servi dans sa tragédie d'Hypsépyle 49, dont la scène était à Lemnos, qu'on se plaisait alors à rapprocher Bendis de l'Artémis de Brauron en Attique [BexutONtA, DIANA]. Ceci, du reste, était exact, car la déesse de Brauron était bien une Artémis Taurique (originairement une Artémis si au taureau ») apportée dès une époque extrêmement ancienne de Lemnos ou de quelque localité voisine 59; mais la vanité athénienne retourna le fait, et alors se forma l'historiette de la statue d'Artémis enlevée à Brauron par les Pélasges Tyrrhéniens et transportée par eux à Lemnos °1. Grâce à cette fiction, les dévots de Bendis, de jour en jour plus nombreux, parvinrent à obtenir pour leur déesse une condition différente de celle des autres cultes étrangers, parmi lesquels la range encore Strabon °2. Ce n'était plus une déesse étrangère, mais une déesse nationale, issue de l'Attique, qui revenait à son point de départ ; aussi la fête de Bendis, que l'on commença à célébrer du vivant de Socrate" et peu après la comédie d'Aristophane, reçut-elle un caractère public et officiel" [BEND1DETA]. Elle continua, du reste, à avoir pour théàtre le Pirée, où étaient la plupart des sanctuaires des divinités étrangères, et où avait été construit le Bendideiona3• réservé sans doute dabord aux marchands d'origine thrace. Le culte de Bendis fut établi plus tard àAlexandrie, où il y avait aussi un temple appelé Bendi.deien S°. F. Lrxorinlsx7 BEN