Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article BIBLIOPOLA

BIB 707-BIB thèque, c'est-à-dire aussi bien l'endroit où l'on conserve des livres que la collection même de ces livres. 1. Ni les historiens de la Grèce, ni les érudits de l'époque romaine, qui avaient à leur disposition tant de documents aujourd'hui perdus, ne nous parlent de bibliothèques publiques fondées par les cités grecques. D'après AuluCelle une collection de ce genre réunie par Pisistrate aurait été enlevée par Xerxès et envoyée en Perse, puis reconquise et ,rendue à Athènes par Séleucus Nicator. Athénée' mentionne cette bibliothèque et en même temps celles qu'avaient formées Polycrate de Samos, Nicocrate de Cypre, Euclide (l'archonte), le poète Euripide, enfin le philosophe Aristote 3 ; Xénophon parle de celle d'Euthydème. Mais parmi ces bibliothèques, celle de Pisistrate paraît seule avoir eu le caractère d'un dépôt public. Les hommes instruits, en Grèce et à Athènes même, n'avaient besoin alors que d'un petit nombre de volumes pour posséder la somme des connaissances de leur pays et de leur temps : les traditions poétiques et historiques de la Grèce elle-même, pendant un petit nombre de siècles, composaient ce fonds commun, au delà duquel un très-petit nombre d'esprits seulement cherchaient à s'étendre. Athénée dit encore que Nélée conserva les livres d'Aristote à Skepsis. Ce Nélée, Strabon nous l'apprendavait été disciple d'Aristote et de Théophraste. Il avait recueilli en héritage la bibliothèque de celui-ci, légataire luimême de celle d'Aristote. Strabon va jusqu'à dire que cette collection était la première de ce genre, assertion qu'il ne faut pas prendre à la lettre, comme on vient d'en avoir la preuve, mais qui, sous la plume d'un écrivain tel que le géographe d'Amasée, montre du moins combien une grande réunion de livres était rare aux beaux temps de la Grèce. Les héritiers de Nélée ne s'occupèrent plus de ceux d'Aristote, si ce n'est pour les cacher sous terre, quand ils craignirent de se les voir enlever par les rois de Pergame, leurs souverains, qui se formaient une bibliothèque magnifique Ces livres furent retirés de la cave pour être vendus à Apellicon de Téos. Peu après la mort de ce dernier, Sylla, qui chassait alors de la Grèce les troupes de Mithridate, fit transporter à Rome la précieuse bibliothèque ; les exemplaires d'Aristote furent répandus, mais avec plus d'empressement que de critique, le texte en ayant été déjà gravement détérioré 8. La bibliothèque de Pergame est célèbre : créée par les rois de la famille d'Attale elle témoignait, comme celle d'Alexandrie, avec laquelle elle rivalisa, du goût pour l'érudition, qui succéda chez les Grecs à la production des chefs-d'oeuvre littéraires et que la richesse de quelques princes leur permit de favoriser. Nous n'avons de détails ni sur sa composition ni sur son administration 8; seulement Plutarque nous dit que, lorsque Antoine le triumvir la fit transporter à Alexandrie (un siècle environ après la conquête de Pergame par les Romains), elle s'élevait à deux cent mille volumes simples (47),a), c'est-à-dire ne contenant qu'un seul livre par volume [LIBER]. Le dernier roi de Macédoine, Persée, possédait aussi une bibliothèque importante, que Paul-Émile fit transporter à Rome "n. Mais celle d'Alexandrie fut de beaucoup, parmi celles que formèrent les successeurs d'Alexandre, la plus importante, la plus célèbre, et c'est aussi celle dont l'histoire nous est le moins inconnue. Cette histoire a été savamment écrite par MM. Parthey et Ritschl", dont il suffira d'analyser ici les travaux. II y avait à Alexandrie deux bibliothèques.Celle du Musée, au quartier de Bruchium, avait été créée avec cet établissement lui-même, c'est-à-dire très-probablement par le premier des Lagides, Ptolémée-Soter; mais elle fut surtout enrichie par son fils Ptolémée-Philadelphe. Athénée dit qu'il acheta de Nélée les ouvrages d'Aristote; mais il est plutôt à croire qu'il plaça seulement au Musée ceux de ces ouvrages qui étaient déjà répandus. Ce qui est certain, c'est que la méthode et le génie du grand philosophe présidèrent en quelque sorte de loin à l'organisation de cette bibliothèque. Les bibliothécaires ((3têatoptiaatxcç ") nous sont connus, du moins en grande partie, et l'on compte parmi eux Démétrios de Phalère, le savant Eratosthène, les critiques Zénodote d'Ephèse, Aristarque et Aristophane de Byzance, les poètes Apollonius de Rhodes et Callimaque ; ce dernier dressa le catalogue en cent vingt tables (a(vuaeg) ; mais la persécution contre les savants, qui signala la première partie du règne d'Évergète II, porta au Musée un coup dont il paraît ne s'être jamais bien remis, malgré le retour du même prince à d'autres idées 73. Une autre bibliothèque avait été formée à l'intérieur du palais, au Serapeum, c'est-à-dire dans le quartier de Rhakotis, au sud-ouest de la ville, peut-être dès le temps de Ptolémée II, et se substitua réellement à celle du Musée, après l'incendie allumé durant le combat que César eut à soutenir contre les Alexandrins ; le feu se communiqua des chantiers embrasés à la collection du Musée, qui fut consumée, au moins en grande partie ". Parthey cependant, réunissant sur ce point les récits de divers auteurs, soutient par des raisons spécieuses que le palais, éloigné du port, ne fut pas atteint et que si les livres périrent, c'est qu'on les en avait déjà enlevés, peut-être pour les transporter à Rome. Aulu-Gellef5 assure que cette bibliothèque était alors arrivée au chiffre de 700,000 volumes ; elle en aurait possédé 400,000 seulement d'après le témoignage de Tite-Live recueilli par Sénèque Cette perte fut compensée par le transport à Alexandrie de la bibliothèque de Pergame ; mais, pendant toute la durée du haut empire, l'histoire du Musée d'Alexandrie se borne presque à de rares mentions de son existence t4, et, durant le nie siècle, cette malheureuse cité en proie aux plus cruels fléaux, depuis le massacre ordonné par Caracalla jusqu'au siége soutenu par Achillée contre Dioclétien, dut perdre en grande partie, non-seulement le goût et l'énergie du travail intellectuel, mais les trésors mêmes de la science autrefois accumulés dans ses murs. Au via siècle le Serapeum fut le centre de la résistance du paganisme; ruais ses défenseurs en furent chassés en 389. Lorsque, en 391, un édit de Théodose ordonna la destruction du Serapeum, les livres qui s'y trouvaient furent mis au.pillage par les chrétiens. On dispute aujourd'hui pour savoir s'ils avaient laissé aux soldats d'Omar beaucoup de livres à brûler comme on le devrait croire d'après les récits d'Abd-Alatif, d'Abulfarage et de Makrisi ". Il paraît que, dès le ne siècle avant notre ère, l'usage des bibliothèques et même l'existence de bibliothèques municipales n'étaient plus rares; car Polybe écrit 19 que l'on peut s'adonner sans péril ni peine aux recherches qui ne demandent que des livres, « pourvu qu'on se fixe dans une ville bien pourvue de documents, ou qu'on ait une bibliothèque dans son voisinage. » Paul-Émile, comme on l'a vu, avait rapporté à Rome la bibliothèque des rois de Macédoine, Sylla celle d'Apellicon ; la riche bibliothèque de Lucullus, dépouille des rois de Pont, fut ouverte par lui à tout le monde E0 ; mais il ne paraît pas que, jusqu'à la fin de la république, le peuple romain ait cherché à rivaliser avec les souverains de Pergame et d'Alexandrie : on ne trouve aucune allusion à un fait semblable dans les ouvrages de Cicéron, si avide pour son propre usage de livres grecs et latins. Son frère Quintus, son ami Atticus, l'érudit Varron en avaient réuni une grande quantité 21. César a été loué pour avoir formé le projet d'une bibliothèque publique, la mort l'empêcha de l'exécuter. Il en avait du moins fait rassembler les éléments par Varron ?2. Ce voeu fut rempli par Auguste, qui créa les bibliothèques publiques, à la fois grecques et latines, du portique d'Octavie 23 et du Palatin 24. Déjà Asinius Pollio (39 av. J.-C.) en avait fondé une ", dans l'ATRIUM de la Liberté. Ces exemples furent suivis. Il y eut une bibliothèque du palais de Tibère 26, une autre du temple de Trajan 47, une bibliothèque Ulpia, plus tard transportée aux thermes de Dioclétien 28. Vespasien en établit une encore dans le temple de la Paix 29. Le nombre des bibliothèques de Rome alla toujours croissant : il était de vingt-huit au Ive siècle 30. Une lettre de Pline le Jeune et une inscription de Milan constatent qu'il avait établi une bibliothèque dans son municipe de Côme et doté celle qui existait déjà à milan 31. Aulu-Gelle cite celles de Tibur et de Patras 32; mais ce n'étaient pas alors les villes seules qui possédaient des bibliothèques, il n'y avait guère à la campagne de riches habitations31, non plus que de thermes [THERMAE] dans les grandes villes, qui n'en fussent pourvus. Les invectives de Sénèque et de Lucien contre les ignorants collecteurs de livres 34 nous attestent que, de leur temps, ce goût était devenu une mode et quelquefois un ridicule. F. Rome. II. L'emplacement des bibliothèques était choisi avec soin ; on préférait l'exposition du levant ", afin d'avoir plus de clarté le matin , qui était l'heure où l'on travaillait généralement, et aussi afin d'éviter l'humidité et les vers qu'amènent les vents de l'ouest et du midi. Les livres étaient rangés dàns des armoires ou dans des ca siers (armaria 96 , loculamente 34 forlili S8, nldi 391. Les figures ci-jointes , la première (fig. 852) tirée d'un sarcophage romain '°, la Seconde (fig. 853) repro duisant une peinture du bas-empire `I, montrent des livres, les uns en rouleaux, les autres reliés sur les rayons d'armoires qui se ferment au moyen de volets battants. La bibliothèque découverte à Herculanum en 1752 était une fort petite chambre dans laquelle mille sept cent cinquantesix manuscrits étaient placés sur, des rayons disposés autour de la chambre à une hauteur d'environ six pieds; et au milieu était une armoire isolée, remplie de la même manière 42. Les armoires étaient souvent faites de bois précieux, et la salle qui les renfermait décorée avec luxe 43; on y voyait ordinairement des statues ou des bustes des grands écrivains ou d'autres hommes célèbres, ou encore les images de Minerve ou des Muses 44. III. Les hommes chargés de la conservation et de la surveillance des bibliothèques, désignés par les noms de a bi BID709 -BiD bliotheca 4 ou bibliothecarius 0°, furent des esclaves ou des affranchis de la classe des LrBnaan. De Néron à Trajan, un rhéteur alexandrin, Denys, fut directeur des bibliothèques de Rome 48; sous Hadrien, ce fut C. Julius Vestinus, son ancien précepteur, son secrétaire ensuite, qui devint plus tard administrateur du musée d'Alexandrie et grand prêtre de toute l'Égypte 49. E. SAGLIO.