Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CARYATIDES

quels les Grecs ont donné la forme d'une femme. Vitruve place l'invention de ces sortes de figures à l'époque des guerres médiques. II raconte que Carye, ville du Péloponèse, s'unit aux Perses contre la Grèce. Delh rés de la guerre par une glorieuse victoire, les Grecs, d'un commun accord, prirent les armes contre les Caryates, La ville fut détruite, les hommes massacrés, les femmes emmenées en esclavage. On ne voulut pas qu'elles quittassent le vêtement et les parures qui appartenaient à des femmes libres ; les architectes du temps les représentèrent sur les monuments publics, en faisant de leurs images des supports pour de pesants fardeaux 1. La vraisemblance de cette origine a été contestée On a fait observer avec raison que, longtemps avant les guerres médiques, la figure humaine s'était développée sur les supports des édifices orientaux et que les Grecs eux-mêmes l'avaient fait entrer, dès la période de l'art archaïque, dans la composition de petits monuments destinés à. orner l'intérieur des temples. Un bas-relief du musée de Naples 1 semble, au premier aspect, confirmer la légende racontée par Vitruve, ou montrer tout au moins qu'elle s'était répandue chez les anciens. Ony lit, en effet, l'inscription suivante qui s'étend entre deux caryatides et surmonte l'image d'une captive' « Ce trophée a été élevé à la Grèce, après la défaite des Caryates. » Les caryatides placées aux angles de ce monument sont accolées à des piliers sur lesquels repose une architrave ; elles paraissent la soutenir concurremment avec lei: supports quadrangulaires. Cette fonction est exprimée d'une manière précise par le bras qu'elles élèvent à la hauteur de l'architrave: une pose semblable a été donnée assez fréquemment aux caryatides ; il y est fait allusion dams un passage cité parAthénée5,oùun parasite se trouvant dans une salle glr menace ruine s'é crie plaisamment: il faudra donc souper Plan. le bras levé comme les Caryatides. Dès le siècle dernier, Maffei e a élevé des doutes sur l'authenticité de l'inscription que porte le bas-relief de Naples. Des 117 longues discussions qui se sont engagées à ce sujet' il ressort que, si le bas-relief est antique, sans remonter toutefois à une haute époque ,l'inscription qu'il porte est apocryphe. xiisisenissist 1111H1111 CAR 930 CAR Cet exemple et d'autres encore 8 montrent qu'il ne faut pas chercher exclusivement dans les figures de caryatides la représentation de canéphores, jeunes femmes choisies pour porter dans les cérémonies religieuses les corbeilles sacrées [CANEPHORAE], quoique cette application soit vraisemblable pour la plupart d'entre elles, mais que dans aucun cas on ne saurait voir 9 dans des figures de ce caractère les prêtresses d'Artémis Caryatis appelées xapuéT;Ses : celles-ci célébraient le culte de la déesse qu'elles servaient par des danses d'un mouvement très-vif, qui les a fait comparer à des bacchantes 10 [CAlsvATIS]. En Grèce et dans l'Italie ancienne, l'expression des caryatides est calme et contraste avec l'attitude tourmentée des atlantes [ATLANTES] ; de plus, les proportions de ce genre de support sont subordonnées à celles des ordres : jamais la statuecolonne ne se substitue à la colonne proprement dite. C'est ainsi que les caryatides de la méridionale de l'Erechtheum (fig. 1203) sont d'une hauteur moindre que celle du temple 4S. Des six figures de cette édicule quatre sont placées en façade, deux sur les côtés. Toutes ces statues reposent sur une trépide ou soubassement continu et se montrent de face au spectateur qui regarde le front de l'édifice. Ces caryatides sont simplement désignées, dans une inscription provenant de l'édifice même par les mots ut xépst, les jeunes filles 12. Elles représentent en effet la femme dans tonte la grâce et la force de la jeunesse. De larges draperies, aux plis nombreux et serrés comme des cannelures, les enveloppent tout en laissant les bras découverts. « Pardessus la longue tunique, l'hémidiploïdion et un troisième vêtement, qui ressemble au petit péplus dorique, tombent sur les hanches et forment comme une seule ligne perpendiculaire depuis l'épaule jusqu'aux pieds t3 » Les formes élégantes de ces statues sont empreintes d'un caractère si marqué de solidité et d'ampleur que, suivant l'expression de M. Viollet-le-Duc, des colonnes paraîtraient moins résistantes f4. Il ne sera pas hors de propos d'indiquer sommairement les procédés dont l'architecte et le sculpteur se sont servis pour produire une telle impression. Ces procédés sont au nombre de trois: 19 La courbe légère de l'axe des statues. Les trois figures placées à droite du spectateur s'appuient sur la jambe gauche, tandis que celles qui sont placées à gauche s'appuient sur la jambe droite. Par ce moyen, les figures de droite, comme celles de gauche, tendent à s'infléchir vers l'intérieur de l'édifice ; sur les côtés opposées elles accusent au contraire une silhouette en quelque sorte analogue à l'éoT«os de la colonne dorique. Ce renflement donne aux angles de l'édifice une très-grande fermeté. 2° L'ajustement particulier des figures avec le chapiteau. Quoique la composition en soit fine et délicate, le chapiteau du Pandrosium semblerait peser lourdement sur les caryatides, si le sculpteur n'avait obvié à cet inconvénient en donnant une importance considérable à la chevelure qui les protége. Sans cet artifice le support aurait certainement paru affaibli à la hauteur du cou des statues. Mais, puissamment renforcé en cet endroit par des tresses ingénieusement disposées, il s'adapte d'une manière parfaite à la forme évasée du chapiteau 39 La suppression de la frise dans l'entablement. La corniche du Pandrosium repose directement sur l'architrave. De cette manière, l'entablement perd une notable partie de sa hauteur et les figures le soutiennent, sans que l'eeil du spectateur s'inquiète du poids dont elles sont chargées. Ajoutons qu'en se succédant sans interruption, les saillies de l'architrave et de la corniche impriment à l'entablement une richesse de ligne en harmonie avec l'ornementation des autres parties de l'édifice. Ces particularités, dont nous ne pouvons pas ici prolonger l'étude, suffisent à montrer cependant combien l'architecture et la sculpture ont été savamment unies dans le Pandrosium. Aussi, malgré la petitesse de ses proportions, ce monument est-il classé à bon droit parmi les oeuvres plastiques les plus belles que le génie grec ait jamais produites. On a voulu voir dans les caryatides du Pandrosium des Canéphores, des Errhéphores et des Hydriaphores 15. Il est impossible de se prononcer en connaissance de cause sur ces conjectures ; les bras des statues sont malheureusement brisés, et l'on n'a aucune notion sur les attributs qu'elles devaient tenir à la main, selon toute probabilité. Des traces certaines de peinture montrent avec évidence que ces figures étaient polychromes, ainsi que le reste de l'édifice ts Une caryatide antique (fig. 1204) a été trouvée, en 1766, dans une vigne de la maison Strozzi, près de l'ancienne voie Appienne f7. Sur le calathus qui la couronne est gra CAR 931 --CAS vée la signature des sculpteurs grecs Kriton et Nikolaos 18, Quoique inférieure en tout point aux statues du Pandrosium, la caryatide de la vigne Strozzi est d'un bon style ; les plis de ses draperies sont disposés avec art et traités, semblet-il, en vue de la rendre propre à remplir les fonctions effectives de support. Toutefois, l'exécution de ces plis, très-négligée derrière la statue, peut faire supposer qu'elle devait être placée près d'un mur. Dans un certain nombre d'exemples, les caryatides sont adossées à des piliers. Telle est la statue trouvée près du monastère de Loukou, dans le Péioponèse, et dessinée par Blouet 's. Cette figure, traitée en bas-relief, est vêtue de la courte tunique dorienne, de l'épomide. Elle repose sur un stylobate et paraît supporter en partie le chapiteau du pilier contre lequel elle s'appuie, D'autres caryatides, également adossées à des piliers, sont complétement dégagées du chapiteau. Ces sortes de hauts-reliefs accusent en général la décadence de l'art et font le plus souvent partie de l'attique, ou petit ordre complémentaire d'un édifice. Il en est ainsi des figures de f'lncantada de Thessalonique', L'intérieur du Panthéon était orné, suivant le témoignage de Pline, d'un certain nombre de caryatides exécutées par Diogène d'Athènes u. Le même auteur désigne sous le nom de Caryatide une statue de Praxitèle Les sculpteurs anciens n'ont pas uniquement employé les caryatides à la décoration des édifices : fréquemment ils les ont fait servir à l'ornement des oeuvres d'art de petite dimension, telles que les trônes, les sarcophages et les candélabres. CHAHLrs CH1prez.