Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CASTELLUM

CASTLLLUMMI. I. Diminutif du mot castrum i, désignant un ouvrage de fortification ayant moins d'étendue qu'un camp [CASTRA] : cette dénomination s'appliquait aussi bien à une redoute, c'est-à-dire à un ouvrage de fortification passagère, qu'à un fort, ouvrage de fortification permanente. La construction des redoutes était prescrite par le chef d'une armée qui voulait prendre possession d'une hauteur dominant son camp ou ayant une certaine importance stratégique 2, ou garantir des attaques de l'ennemi les ponts, les gués et les points où se rendaient ses troupes pour prendre l'eau, le bois et les fourrages 0; il employait le même moyen pour assurer la libre circulation des convois sur ses lignes de communication pour renforcer la ligne de circonvallation 5 ou une ligne de retranchement d'une grande longueur 7, pour établir solidement aux extrémités des ouvrages appelés bracchia, des postes destinés à empêcher qu'ils ne fussent tournés 6. Dans ces différents cas, les redoutes étaient placées sur les lignes elles-mêmes 9, ou espacées en dehors comme ouvrages détachés 1°. Si ces ouvrages n'avaient qu'une utilité passagère, on se hâtait de les construire en terre: c'est ce qu'on appelait castella temere munira 11 ou castella tumultuaria 1°, de même qu'on désignait par l'expression tumultuarium opus un retranchement fait précipitamment u, Les castella qui servaient à la défense d'une frontière, d'une ville, d'un pont fixe, ou à l'occupation. permanente d'un pays conquis, étaient placés, autant que possible, sur des hauteurs 21, et bâtis en pierre, ce qui les faisait appeler castella murata 1S. Ils étaient toujours pourvus d'une garnison, mais celle-ci était généralement peu nombreuse et quelquefois composée uniquement de cavaliers, ainsi que le prouvent certaines mentions de l'Itinéraire d'Antonin, telles que a Novesium, leg. V, Ma. Geldubam, lep. IX, Ala ». Plusieurs écrivains latins 1° appellent CASTELLANI les soldats formant la garnison d'un fort. Végète dit qu'on appelait burgus un castellum de petites dimensions : on fait dériver ce nom du grec 7tépyoç, qui signifie tour. Nous ferons remarquer que d'autres mots analogues, le èurg des Allemands, notre bourg primitif et le bord, des Arabes, expriment absolument la même chose. Les soldats et les indigènes qui occupaient Ies terres voisines des burgi, à charge de les défendre, les occupaient dans des conditions toutes spéciales [BURGARn]. Les forts établis sur les frontières devaient être trèsutiles, surtout si, comme le dit l'auteur du traité De re bus bellicis, ils étaient placés à mille pas (1475 mètres) les uns des autres et pourvus d'une enceinte solide, ainsi que de fortes tours. Le même écrivain dit encore qu'ils étaient construits aux frais des habitants du pays, auxquels on apprenait le service des sentinelles et des postes extérieurs, pour qu'ils pussent concourir à la défense, C'est Dioclétien qui, d'après Zosime u, fit construire ceux qui se trouvaient sur la frontière de Germanie, le long du Rhin, et y mit des garnisons permanentes, dont la présence suffit pour empêcher les invasions des barbares ; mais l'historien ajoute que malheureusement Constantin retira ces garnisons pour les placer dans des villes de l'in-térieur; en agissant ainsi, il ouvrit les frontières aux étrangers, imposa une nouvelle charge aux provinces et amollit le courage de ses soldats. Valentinien I reprit et compléta.les plans de Dioclétien, en relevant et exhaussant les enceintes des anciens forts',, ainsi qu'en ajoutant, dans leurs intervalles, de nombreuses tours placées sur les points les plus importants et les mieux choisis; il fit même construire quelques ouvrages sur la rive droite, et il alla jusqu'à faire détourner le Neckar, dont les eaux menaçaient l'un de ces forts. On peut voir dans la Netitia impe'r•ii"e que la défense de cette frontière était, à l'époque où elle fut écrite, confiée à des chefs d'un grade élevé, ayant chacun la surveillance d'un espace déterminé, et tous avaient l'ordre de faire chaque année un rapport à l'empereur sur le nombre et l'état des forts "1 ; ils devaient aussi les visiter et les faire réparer ; en outre, il leur était absolument interdit de s'absenter du pays placé sous leur commandement "z. On trouve encore dans les Institutions de l'empereur Léon s", écrites en partie d'après des traites plus anciens, des prescriptions conformes à la pratique des Romains sur l'établissement des forts permanents; le choix de leur assiette, leur défense, leur approvisionnement, la construction des citernes; mais les détails en sont trop longs et trop minutieux pour que nous puissions les reproduire ici. MASQUELEZ. Il. CASTELLUM signifiait aussi, chez les Romains, un château d'eau 1, ou bâtiment où se déversaient les eaux amenées par les aqueducs, et d'où partaient les conduits qui devaient ensuite les distribuer pour le service du public et des particuliers On appelait anciennement ce bâtiment dividïeulum 3; sans doute le nouveau nom s'introduisit lorsque, au lieu d'un simple bassin de distribution, on éleva de hauts et somptueux édifices. Isolés et fermés de foutes parts, on pouvait leur trouver quelque ressemblance avec un lieu fortifié, II y avait à Rome un très-grand nombre de châteaux d'eau. Agrippa, sous II. Auguste, en fit construire cent trente, la plupart magnifiquement ornés 4 • un siècle plus tard Frontinâ, curateur des eaux, en comptait deux cent quarante-sept, C'est par lui principalement et par Vitruve que nous savons comment s'opérait la distribution au moyen des castella. Vitruve, dans le chapitre où il traite de la conduite des eaux °, suppose qu'un aqueduc les a amenées jusqu'aux murs de la ville. Là, il veut que l'on construise un castellum, et, à côté, trois réservoirs (triplex iminissariurn), où l'eau de ce castellum se déverse par trois conduits d'égale capacité et disposés de telle sorte que l'un d'eux soit placé entre les deux autres et que l'eau n'y arrive qu'après que ceux-ci seront remplis. Ce réservoir alimentera les bassins (laces) et les fontaines publiques (salientes); l'un des deux autres, les bains, qui rapportent à la ville un revenu annuel ; le troisième, les maisons, dont les propriétaires payent une contribution. Ainsi, l'eau destinée aux nécessités publiques, complétem.ent séparée de celle qui est à l'usage des particuliers, ne pourra être détournée. Les conduits de distribution, qui prenaient naissance dans un pareil castellum, étaient des conduits principaux, chacun d'eux alimentait un ou plusieurs châteaux d'eau, où l'eau se subdivisait, pour être dirigée, soit à sa destination définitive, soit encore vers d'autres castella. L'eau en traversait souvent plusieurs avant d'arriver au point où elle devait être livrée. Les prises d'eau s'effectuaient au moyen de tubes en bronze [c.Ar.IX] de différentes grandeurs, mesurant la quan-• tité d'eau à laquelle chacun avait droit 7. Les orifices étaient placés verticalement sur les parois intérieures du réservoir, de telle sorte que la partie inférieure de chacun reposât sur la même horizontale. Le niveau de l'eau ne variait jamais, il était toujours maintenu à une hauteur où il couvrait l'orifice du calix le plus élevé, et la pression était égale sur tous les calices. Dans les castella privés on ne plaçait pas toujours des calices, et les prises d'eau s'appelaient fistulae solutae e. Les eaux devant garder le même niveau dans le castellum, on détournait celles qui étaient, superflues ; on donnait à celles ci, de même qu'aux eaux provenant du suintement des tuyaux, le nom de caduccte, eaux tombantes ; les agine cadette appartenaient de droit au prince, qui accordait rarement des concessions 9. En effet, les particuliers ne pouvaient tirer directement l'eau des canaux publics ; ils devaient la prendre dans un château d'eau public, où ils la recevaient en commun i c'est-à-dire que dans le caste/lm publicum une seule prise d'eau servait à plusieurs d'entre eux. Le tuyau qui recevait cette eau la conduisait dans un castellum prrivaturn leur appartenant, et établi à leurs frais fl0. C'est dans ce castellum que, pour chaque particulier, se prenait et se mesurait, au moyen du calix, la quantité d'eau qui lui était accordée. L'emplacement, aussi bien au dedans qu'au dehors de la ville, était désigné par les administrateurs des eaux"; chacun devait se conformer à cette règle. On évitait, grâce à ces dispositions générales, de dégrader la voie publique par des tranchées trop souvent répétées. Il était interdit de tirer de l'eau d'un autre castellum que de 1 CAS 938 CAS celui qui était désigné par la dispense. Beaucoup de castella furent ainsi érigés par des groupes de particuliers. On ne manqua pas de profiter de l'abondance avec laquelle l'eau arrivait dans les castella pour la faire contribuer à l'ensemble décoratif de ce genre de monuments. De plus, la fraîcheur occasionnée par la chute des eaux et par les jets compris dans cette décoration assainissait la ville et en dissipait l'air pesant et épais ; c'est ce que laisse entrevoir Frontin lorsque, faisant l'éloge de Nerva, à pro pos des améliorations que celui-ci avait apportées dans la distribution et dans l'augmentation des eaux, il cite les castella aussi bien que les fontaines et les eaux destinées aux particuliers et aux ouvrages publics, comme détruisant les causes d'infection qui, d'après le témoignage des anciens, corrompaient l'air des villes". Il reste peu de ruines de semblables édifices. Le castellum de laqua Claudia 13, construit en briques près de la Porta Maggiore, a été dénaturé par une construction moderne à laquelle il sert de soubassement. La villa des Quintilii possède quelques débris d'un château d'eau qui était richement décoré, à en juger par les marbres sculptés, les colonnes, les bases et les chapiteaux qui y furent découverts en 1852 et malheureusement emportés aussitôt. L'eau y venait par un aqueduc dérivant de l'aqua Julia et de laqua 7'epula, dont on voit encore quelques restes. Les ruines d'un édifice de ce genre, qui subsistent actuellement près de la porte Esquiline, ont été considérées tantôt comme celles d'un castellum de division de l'a qua Julia" ,tantôt comme celles d'une fontaine monumentale 1" élevée à l'extrémité de l'aqueduc de cette même eau. Les eaux, d'après les conjectures de Canina et de M. Garnaud, au lieu de passer du specus de l'aqueduc dans un réservoir, ainsi que le prescrit Vitruve, étaient divisées en deux courants de 0m,80 de long par un pilier oblong, probablement pour briser la force du courant ; derrière ce pilier elles se réunissaient dans un seul canal, large de 0m,50, et placé perpendiculairement aux deux courants formés par le pilier. De ce canal, toute l'eau s'échappait par trois canaux parallèles entre eux et perpendiculaires au dernier canal cité; deux de ces trois canaux, celui de droite et celui de gauche, se subdivisaient chacun en deux canaux. A l'extrémité des cinq canaux il y avait cinq ouvertures, par lesquelles l'eau se déversait dans un seul bassin. On peut se rendre compte de toutes ces dispositions par le plan ci-joint (fig. 1209). M. Garnaud suppose que le bassin où tous les canaux aboutissaient était le castellum ou réservoir à ciel ouvert où se faisait la répartition des eaux, dont une partie alimentait les quartiers voisins par des tuyaux en terre trouvés dans le mur de face, et dont l'autre partie, contribuant à la décoration (le la façade, tombait dans un bassin inférieur, d'où elle gagnait les quartiers bas de la ville. Nibby considère le bassin supérieur comme ayant été établi simplement pour la décoration, et il ne tient aucun compte des tuyaux dont il vient d'être parlé. Canina voit dans les cinq canaux mentionnés plus haut, premièrement les trois conduits indiqués par Vitruve, puis deux autres conduits donnant écoulement au surplus de la quantité d'eau voulue pour la distribution. Des revêtements de marbre encore en place, des fragments de colonnes en marbre cipolin, des chapiteaux corinthiens aussi en marbre, trouvés au pied des ruines, des niches, des arcades, un vaste cul-de-four démontrent suffisamment quelle devait être la richesse de ce monument 17. On voyait encore au xvle siècle, dans les deux arcades qui accompagnent la niche principale, des trophées, peut-être les mêmes qui sont connus sous le nom de trophées de Marius 18 et qui sont placés, depuis Sixte-Quint, sur la balustrade qui couronne la montée du Capitole. La dimension des briques employées dans la construction, leur dureté, leur forme en coin permettent d'en fixer la date au temps de Septime Sévère. Nous ne pouvons plus nous faire une idée de la somptuosité des châteaux d'eau de la Rome antique que par les dessins qu'en ont pris avant leur destruction les architectes de la Renaissance, et par les restitutions qu'en ont essayées les antiquaires de nos jours ; mais les villes, dans toutes les provinces, imitèrent, sous l'empire, les grandes constructions de Rome et rivalisèrent de luxe avec elle, particulièrement en tout ce qui touchait à la distribution des eaux. Nous plaçons ici (fig. 1210 et 1211) le remarquable exemple d'un monument dont la plus grande partie existe encore à Sidé, en Asie Mineure une colonnade régnant sur tout un côté de la place publique y réunit trois réservoirs, de chacun desquels l'eau s'écoule par un triple conduit et va tomber dans des vasques par autant d'orifices. On a retrouvé R0 à Nîmes, en 1844, un édifice beaucoup plus simple, offrant d'une manière assez complète un type différent de celui qu'a décrit Vitruve. C'est un bâtiment carré (fig. 1212 et 1213), au centre duquel est un bassin circulaire, autrefois couvert, ayant 6 mètres de diamètre et 0"',40 de profondeur, où l'eau arrivait par un aqueduc de lm,20 de large sur 2m,40 de haut, pourvu d'une vanne et d'une grille qui en fermait l'entrée. Du specus, l'eau passait directement dans le bassin. Ce bassin, en pierres parfaitement appareillées, est enduit d'une couche épaisse de chaux et briques concassées. Un emmarchement forme tout autour un chemin jadis bordé, du côté du bassin, par une balustrade ; de l'autre, par un mur peint, sur lequel on a retrouvé quelques tons et les con CAS 939 CAS tours de dauphins et de poissons tracés à la pointe. Dix ouvertures circulaires, où devaient être scellés des calices. horizontale, et correspondent deux à deux à des canaux destinés à porter l'eau dans la ville. Trois autres ouvertures, de même diamètre que les précédentes, sont placées dans le fond du bassin et débouchent dans un canal inférieur ayant les mêmes dimensions que l'aqueduc. Le débit de chacune des trois ouvertures ainsi placées était bien plus considérable que celui de chacun des orifices supérieurs. On les fermait par un système de clapets. Des scellements placés en ligne courbe paraissent indiquer qu'une barrière en métal, sur laquelle l'eau sortant de l'aqueduc venait se briser, avait été établie en avant des ouvertures que l'on vient de décrire, soit pour modérer l'impétuosité du courant, soit pour donner à l'eau une agitation qui, dans les idées des Romains, contribuait à sa salubrité, Des fûts de colonnes, des chapiteaux, des débris d'ordre corinthien, trouvés dans le bassin, donnent l'idée d'une assez somptueuse décoration. Il existe encore à Constantinople un eastellwn dans lequel on remarque les mêmes dispositions. Quand d'unie source l'eau était conduite à la ville par des tuyaux ", c'était à cette source même qu'on construisait un castel!um, afin de pouvoir régulariser la pression sont percées dans les parois du mur; elles ont 0m,40 de diamètre, et sont régulièrement espacées sur une ligne dans les tuyaux ; ce qui n'empêchait pas d'en élever un second près des murs de la ville, qui, outre sors utilité démontrée précédemment, servait à contrôler les pertes d'eau faites dans le parcours. Il arrivait souvent, par suite de la longueur de ce parcours, que la recherche des fuites était très-difficile, et que les habitants riverains profitaient de cette difficulté pour tirer de l'eau des tuyaux, sans autorisation et sans payer de droit. C'est pourquoi l'on divisa cette trop longue continuité de tuyaux par des récipients, qu'on appela aussi castella, et entre lesquels on laissait un espace de 200 ACTUS ou 4,000 pieds. Chaque castellum n'avait aucune répartition d'eau, ou d'autre issue que le tuyau qui conduisait l'eau au castellu'n suivant, en sorte qu'il recevait la totalité de l'eau débitée par le eastcllurn de la source. Quand l'eau était en moins grande quantité dans un réservoir que CAS -940 CAS dans les réservoirs supérieurs, il devenait évident qu'une fente ou quelque prise frauduleuse existait au delà de l'endroit où la diminution de l'eau se faisait sentir. Par la multiplicité des castella on évitait de fouiller tout le long de la conduite chaque fois qu'on avait à rechercher le point où il y avait un contrôle à exercer ou une réparation à faire. La mesure donnée par Vitruve n'était pas toujours applicable, car on ne devait établir de castella ni sur les pentes, ni dans les enfoncements appelés venter ou xaOril, ni aux endroits où l'eau était forcée de remonter, ni dans les vallées, mais seulement dans les lieux où les tuyaux avaient une pente telle que l'eau n'y était pas pressée et y coulait comme dans un aqueduc [AQUAE DUCTUS]. Le castellum pouvait être alimenté, non-seulement par des tuyaux et par des aqueducs, mais aussi par toutes sortes de combinaisons, entre autres par des roues munies de caisses qui montaient l'eau et la versaient dans le castel On trouve aussi la mention de castella domestira P3, qui ne pouvaient être que des réservoirs construits par les particuliers dans leurs maisons et pour leur usage privé. L'entretien et la surveillance des castella étaient confiés à des préposés appelés castellarii, et l'on peut penser qu'il y eut de tout temps de ces surveillants, dont la demeure devait être annexée aux principaux édifices de cc genre" ; mais ils ne sont expressément nommés que sous l'empire. Il est probable que ceux qui existaient à Rome avant l'édilité d'Agrippa furent incorporés par lui dans la troupe qu'il organisa pour le service des eaux, au nombre de 240 esclaves, dont Auguste fit des esclaves publics 'd. TJne autre troupe de 460 employés, distincte de la première, qui appartenait proprement au prince (familia Caesaris) fut formée sous le règne de Claude. Frontin, qui parle de l'une et de l'autre, nomme des castellarii parmi les AQUARII remplissant des fonctions diverses, qui en composaient le nombreux personnel 'e. Un castellarius de laqua Claudia nous est connu par son épitaphe a7. C. THIERRY.