Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CAUPONA

auberge, cabaret. En Grèce, pendant de longs siècles, ceux qui se trouvaient éloignés de leur foyer n'eurent à attendre aucun secours que de l'hospitalité privée, d'ailleurs largement exercée : l'accueil de l'étranger fut toujours considéré comme un des devoirs incombant à la richesse 1. Mais à mesure que les voyages devinrent plus fréquents et que se perdit la simplicité des moeurs antiques, celui qu'aucun motif ne recommandait à la bienveillance personnelle d'un hôte put de moins en moins compter sur une pareille ressource. Dans les lieux surtout où le commerce, les pèlerinages, les fêtes attiraient une très grande affluence, on ne devait pas se procurer sans peine le vivre et le couvert. En quelques endroits la cité offrait au moins un abri aux visiteurs, dans des sortes de caravansérails assez semblables sans doute à ceux qu'on rencontre encore de nos jours en Orient. Nous n'avons à parler ici ni de cette hospitalité publique, ni de celle des particuliers [nospmum], mais seulement de l'industrie des hôteliers qui spéculaient sur les besoins des voyageurs. Il y eut en effet des hôteliers de profession (7cavlo zptat)', chez les quels on trouvait, avec le logement, la nourriture et les choses les plus nécessaires; chez d'autres moins bien pourvus, il fallait quechacun apportât ses provisions comme cela se pratique encore sur les routes peu fré quentées dans beaucoup de pays. Les débitants ixz ~aot)" qui vendaient à boire et à manger logèrent aussi les voyageurs; les deux métiers n'en firent souvent qu'un; métier mal famé, à cause de l'avidité et de la friponnerie de ceux qui l'exerçaient et de la réputation qu'avaient les cabarets d'être des lieux ouverts à toutes les débauches'. Les homni es bien nés, s'ils n'étaient étrangers ou contraints par la nécessité, ne pouvaient s'y montrer sans se décrier; ils avaient pour leurs banquets et leurs parties de plaisir d'autres lieux de réunion [symposium]. Il en fut ainsi jusqu'au déclin des moeurs ; mais par la suite, et au moins dès le Ive siècle, on ne fut plus si scrupuleux sur le choix des endroits Chez les Romains aussi , les professions d'aubergiste et de cabaretier se confondirent souvent, et s'appelèrent du même nom, caupona. D'autres noms à côté de celui-là s'appliquaient plus spécialement, soit aux hôtelleries où s'arrêtaient les voyageurs (deversorium , taberna deversoria)" et aux écuries où ils pouvaient faire reposer les bêtes qui leur servaient d'attelage ou de monture (stabula) t; soit aux gargotes et cabarets où l'on trouvait à boire et à manger (popina °, thermopoliunm 10, taberna vinaria) " et où l'on pouvait en même temps se procurer presque toujours tous les plaisirs de basse compagnie que, chez les Grecs, on trouvait dans les xa7sr),Eia. Les cauponae n'avaient pas chez les Romains meilleure réputation; elles ne sont pas autrement désignées quelquefois que par le nom de ganea, qui peut s'entendre de toute espèce de mauvais --1 lieu. La prostitution s'y exerçait ouvertement l'. Ceux qui tenaient les auberges et tavernes ou qui y servaient, hommes ou femmes (copones, copae, popae, popinariae, tabernart'i, hospitales), étaient facilement rapprochés, dans l'opinion publique, des voleurs, des escrocs ou des gens faisant les plus bas métiers, et leur profession seule les rendait déjà suspects aux yeux de la loi ; on les accusait de toutes les fraudes et de toutes les complicités". Leur surveillance appartenait aux édiles, chargés de la police des moeurs et des lieux de réunion, ainsi que de la répression des délits commis par les esclaves et les gens de bas étage [voy. AEDILES, p. 97]. CAll --974 ---CA LI Il semble que des hommes de la dernière condition dussent seuls se plaire dans les repaires sordides que les auteurs nous dépeignent en quelques traits, graisseux, enfumés, bruyants '°, mal meublés de quelques bancs ou l'on mangeait et l'on buvait assis au lien d'être couché selon l'usage antique : tels nous voyons (fig. 1257) dans une peinture de Pompéi", quatre hommes portant le capuchon des marins ou des voyageurs [cucuaLus;, réunis autour d'une table et servis par un jeune garçon. Des provisions sont suspendues au-dessus de leur tête. Les meubles ici toutefois ne manquent pas d'élégance. Dans d'autres établissements de même espèce les salles à mangea° étaient garnies de lits', et il y en avait enfin que leurs propriétaires savaient rendre assez attrayants pour que des personnes habituées à une vie raffinée y séjournassent volontiers et y fissent grande dépense. Ce fut une nouvelle mode de vice (luxure'a popinatis) qui se répandit dans les hautes classes dès le déclin de le république Comme les cabarets dans les villes, les hôtelleries oü s'arrêtaient les voyageurs étaient de tout ordre et offraient des ressources nécessairement très diverses. Il faut tenir compte et des pays et des temps différents pour lesquels nous pouvons recueillir des témoignages. Il n'est pas douteux, et cela résulte de textes précis, qu'il n'y en ait eu de confortables et abondamment fournies de toute choses dans les villes et dans les contrées les plus habituellement fréquentées; mais en général elles n'étaient pas faites pour les riches, Ceux-ci, quand ils n'étaient pas assurés d'ailleurs, à raison de leurs foncïi_ns ou de leurs relations, des ressources de l'hospitalité publique ou privée [noSPITIL4 voyageaient ordinairement aven une nombreuse suite de serviteurs transportant partout où ils allaient toutes les commodités de la vie u; mais quand ils voyageaient sans suite et sans appareil, ils en étaient réduits en bien des endroits à partager avec les muletiers, les matelots et les gens sans aveu, les misérables bouges auxquels font si fréquemment allusion les auteurs. Les prix paraissent avoir été généralement peu élevés. Polybe dit20 que, de son. temps (ite siècle av. J. C.), dans la Gaule cisalpine, on ne faisait pas même le compte des dépenses : on demandait seulement à chacun poila le défrayer de tout un demi--as. Nous connaissons les prix d'une auberge, probablement de même casse, au premier siècle de l'empire, par un monument trouvé à 1 ernia. (Aesernia, dansie Samnium)2", où, au-dessous d'un basrelief grossier (fig. 1258), qui représente un voyageur prenant congé de son hôtesse, on lit le dialogue suivant : « Hôtesse, comptons. » « Tu as un setier de vin, » (le vin devait être celui du pays et son prix, fixé par un tarif connu) "2. « Pour le pain, un as, pour lepulmenta_ rium (bouillie ou gâteau de farine) deux as, » « D'ace mord. » --« Pour la fille, huit as. , m« Pour cela aussi, d'accord, » --d « Du foin pour le mulet, deux as... » Les auberges que l'on rencontrait sur les grandes routes appartenaient souvent aux propriétaires des terres que ces routes traversaient; ceux-ci les faisaient tenir pale leurs esclaves ou leurs affranchis et y écoulaient leur vin elles autres produits de leur sole. D'autres furent établies sous l'empire aux frais du trésor, surtout dans les provin ces les plus dépourvues de refuges pour les voyageurs" Quelquefois des municipes, des particuliers même en fi rent les fraisz6 ; et ainsi sur toutes les routes, il flint par y avoir des stations 26 où l'on trouvait un abri pour la nuit (matisie), un relai de chevaux (mutatis) et dans le voisinage de ces stations établies surtout pour l'usage public, des maisons ou baraques (tabernae) oh l'on pouvait se procurer les choses les plus nécessairesLes habitations qui se groupèrent alentour formèrent de nouveaux centres de population, et dans le nom de plus d'un lieu marqué sur les itinéraires on reconnaît encore celui de l'enseigne b°'SoGYE], qui indiquait à l'origine unie maison isolée 27. Les inscriptions nous font connaître ce que pouvaient être les enseignes : elles présentaient l'image de quelque animal, ou de tout autre objet, quelquefois celle d'une divinité ; une inscription de Lyon2°, qui accompagnait prr.bablement les figures de Mercure et d'Apollon, promet au nom du premier le gain, et du second, la santé; l'hôtelier appelé Sept.uinanus offre le gîte et le souper. « Qui entrera s'en trouvera bien, ajoute-t-il; après cela, étranger, vois où tu veux demeurer. » Les gens de cette profession ne s'en fiaient pas, du reste, à leur seule enseigne du soin d'attirer les voyageurs; ils étaient empressés, quand cela était nécessaire, dans les endroits surtout où il était possible de choisir entre plusieurs d'entre eux, et ils s'efforçaient d'attiser par leurs paroles engageantes et l'énumération de tous les avantages que l'on devait trouver réunis dans leur maison". E. SAGr.IO.