Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CENTURIA

CENTURIA. Division des citoyens romains, à la fois militaire et politique. Pour la centurie militaire, subdivision de la légion, commandée par un centurion, nous renvoyons aux articles EXERCITUS et LEG10. 1. Dans l'organisation des citoyens romains établie par Servius Tullius sur les bases du cens', chacune des cinq classes se divisait en un certain nombre de fractions appelées centuriae, centuries. Cette expression qui dérive évidemment de centum 2 a fait croire à certains auteurs', que chacune de ces divisions renfermait un nombre égal de citoyens, au moins pour les centuries de junfores. Mais cette opinion est contraire au témoignage formel des anciens', et le mot centuria signifiait seulement alors une troupe ou division. Quoi qu'il en soit, les classes se partageaient d'abord en seniores et juniores5 les premiers étaient ceux qui avaient atteint l'âge de 45 ans; les derniers ceux qui étaient entre 17 et 44 ans accomplis (classis juniorum)', d'après les listes ou tabulae7, tenues par le curator tribus ou les magistri pagot'nm. La division des classes et des centuries servait également à établir les bases de l'impôt direct foncier [TRIBUTUIR EX crase], du recrutement [ExEncITUS], et enfin du système de vote dans les comices centuries. C'est à ce dernier point de vue qu'on s'attachera plus spécialement dans cet article. Un fait constant, c'est que tout citoyen inscrit aux classes votait dans sa centurie, que chaque centurie avait une voix, et que la majorité des suffrages des centuries dans les comices centuriates emportait le résultat du vote'. Il n'est pas moins certain que la distribution de chaque classe en un certain nombre de centuries avait été calculée de façon à assurer la majorité aux censi ou locupletes de la première classe, c'est-à-dire aux riches, lorsqu'ils parvenaient à réunir dans le même sens les suffrages de leurs centuries9, en sorte qu'il était inutile de pousser plus loin le vote et de consulter les classes ultérieures. Malheureusement, quand on veut aborder le détail de l'organisation des classes et des centuries, Tite-Live et Denys d'Halicarnasse présentent de grandes divergences, et le texte incomplet et mutilé ou corrompu d'un passage de la République de Cicéron 10 n'a pas fourni sur ce point de lumière suffisante ; loin de là, il a soulevé une foule de difficultés de détail, et donné naissance à un très grand nombre de travaux critiques", jusqu'ici demeurés presque sans résultat. Néanmoins, il paraît nécessaire de présenter d'abord un tableau parallèle de la descriptio classium et centuriarum, d'après Tite-Live" et Denys d'Halicarnasse". Comme ces deux tableaux présentent de très nombreux rapports d'analogie, il est plus simple d'y noter les divergences. Denys admet 6 classes, au lieu de 5 ; c'est une différence purement nominale [cLAssis]; il a rangé à tort dans une classe à part ceux qui n'avaient point le census noinimus de la cinquième classe. Sur ce point et quant à une seconde différence relative au cens de la même classe, nous renvoyons à l'article cLAssls. La troisième différence consiste en ce que Denys place les ouvriers forgerons et charpentiers (fabri) dans la 2' classe au lieu de la Ue, les musiciens dans la 4' au lieu de la 5e, et qu'il n'accorde pas de centurie aux ACCENSI; d'où il résulte que cet auteur compte 173 centuries au lieu des 174 de Tite-Live. On peut remarquer d'abord qu'il faut rattacher, avec Tite -Live, les fabri aerarii et lignarit à la première classe à raison de leur utilité pour la guerre ". Cicéron est formel sur ce point15; mais il ne leur donne qu'une centurie, sans doute parce qu'il a omis de les diviser enjuniores et seniores. Les derniers mots-du texte de Cicéron 16 paraissent aussi donner raison à Tite-Live, en plaçant hors classe, après la cinquième, les ACCENSI VELATI, les musiciens et les prolétaires, qu'il semble distinguer ainsi des capite censi. Dans cette hypothèse, il faudrait compter 195 centuries' parce que Tite-Live aurait confondu à tort les PROLETARII et les CAPITE CENSI. En effet, au-dessous de la cinquième classe, parmi ceux qui n'atteignaient point le taux, on distinguait plusieurs catégories de citoyens. Ceux qui avaient une fortune de plus de 1500 as (ou de 300 as d'aes grave) se CEN 1016 ---CEN nommaient AccrNSt vCLATI, d'après Niebubr. Is, et formaient une centurie, Au-dessous, venaient sous le nom de mouÉtau ceux qui possédaient au moins 37-5 as (ou 75 crues grave), réunis aussi en une centurie; enfin ceux qui n'avaient pas même cette valeur se nommaient capite cens?' 1', et jamais on n'appelais; leur centurie au service militaire. Parmi ces derniers votaient peut-être les artisans moins estimés que les fer?' tignarii et aeratii 20, Ce mode de calcul donnerait donc 195 centuries, chiffre qui ne s'accorde ni avec le dire de Tite-Live, ni avec celui de Cicéron et de Denys2 , Mais le texte de Cicéron est tellement corrompu, et les deux leçons principales" que présente le manuscrit sont si incertaines qu'il est difficile d'asseoir sur cette base un calcul un peu vraisemblable, tin ne voit pas bien d'ailleurs si l'auteur, qui fait parler Scipion, se réfère partout aux chiffres du cens de Servius, u du cens au temps de son héros. Quoi qu'il en soit, indépendamment du chiffre normal de 195, 194 ou 193 centuries, il existait une centurie supplémentaire nommée ni quis sciait, et qui ne servait qu'aux besoins du vote. En effet, on n'y inscrivait personne d'une manière permanente; elle n'avait pas non plus de centurionto. Suivant Festus, elle avait été instituée par Servius, afin de permettre de donner leurs suffrages à ceux qui n'avaient pu voter lors de l'appel, de leur centurie régulière. Mais il est difficile de comprendre comment cette centurie ne troublait pas les conditions du vote, en changeant le total impair des centuries. A cet égard, les critiques modernes se sont épuisés en conjectures 24, M. Lange pense que Festus attribue à tort à Servius l'institution de cette centurie supplémentaire, à une époque ois les citoyens convoqués militairement ne pouvaient manquer à l'ordre du roi, revêtu de l'imperiurn militare; cet auteur croit qu'elle ne fut créée que plus tard, sous la république, et que, dans chaque classe, une des centuries fut alors appelée pour recevoir les votes des retardataires de la classe précédente. Du reste, voici l'ordre dans lequel Ies centuries étaient appelées à voter, En première, ligne, et avant les autres i'entu'ses de la 1° classes les 18 centuries de chevaliers, formées de six anciennes centuries patriciennes, qu'on appelait .se a s'i l)'agia depuis leur organisation par Tarquin l'Ancien. en primi et seeundi liamne.s, l'uses et Lueeres et de douze centuries nouvelles ajoutées par Servius aux iirécédentes23. Remarquons que rien dans les textes ne garantit l'opinion de Niebuhr u, suivant qui tous les patriciens étaient exclusivement réunis dans les six premières centuries, et que les classes ne se composaient que de pedites plébéiens. Au contraire, il fallait une certaine fora tune même aux patriciens pour faire partie des équités, comme le prouve l'exemple de L. Tarquitius, forcé par sa pauvreté de servir dans l'infanterie. Il devait en effet y avoir un grand nombre de patriciens dans les classes ae puisqu'ils prédominaient dans les comices centuriates, En tous cas, les centuries de chevaliers, à raison de la priorité de leur suffrage et de l'influence qu'il exerçait naturellement sur le vote, se nommaient centuriae praerogativae 3°, Après elles, venaient les 80 centuries de la première classe, et les centuries de fabri, puis les autres classes dans l'ordre indiqué plus haut ; en sorte que si les 98 centuries de la première classe étaient d'accord, elles emportaient le vote, sans qu'il fut nécessaire d'aller plus loin, 98 formant la majorité, II. Cette organisation des centuries demeura en vigueur sous la république, et conserva longte-mps une certaine analogie avec l'organisation de l'armée ; d'où les noms de ci.essis ou urbanus exereâtus pour ces comices centuriates. Même après l'an 351 de Rome (403 av, J.-C.) où l'on distingua trois sortes d'EQuITES, ceux qui recevaient un cheval de l'État, ceux qui touchaient une solde à la charge d'entretenir leur cheval, ou enfin qui seulement atteignaient le census equester (quadruple de celui de la 1" classe) 3't, les premiers composaient encore seuls les 18 centuries de chevaliers et l'ordre équestre 33. La division en cinq classes de citoyens, ayant pour hase le cens, continua d'exister également, ainsi que le partage des centuries en centuriae ,junior°um et seniorum. Mais sous d'autres rapports, et à une époque demeurée incertaine, 38, il y eut de graves modifications dans le système des centuries. M. Mommsen°' place ce changement en 513 de Rome (241 av. J. C.), M. Marquardt, de 462 à 536 ; M. Lange, de 513 à 536 de Rome et enfin Walter, à l'époque de la loi des douze tables.36 La centurie devint alors une subdivision des tribus locales [TRIBUS], en sorte que, dans les comices centuriates, on vota à la fois tributina et eenturiatim. Les auteurs anciens n'ont pas clairement expliqué le procédé de cette combinaison. Mais voici en résumé l'hypothèse généralement admise aujourd'hui" Les citoyens étaient appelés à voter par classe, mais dans leur tribut à cet effet, chacune de celles-ci comptait cinq centuries de 'es et autant de seniores, c'est-as dire dix centuries por les cinq classes, ou deux par classe, Comme ily avait 35 tribus, ii existait donc i0 centuries de pedites dans chaque classe A. On plaçait dans une urne les noms des 35 centuries de senior es et des 35 de y'uniores de la première classe avec le nom de la tribu de chacune d'elles. Le sort désignait la centuriae raerngotiba 39 ou appelée à voter la première ; c'était Ie seul reste du CEN 1017 CEP privilège de la première classe, Quand le résultat en était proclamé, les autres centuries de la première classe jure vocatae votaient toutes ensemble, en sortant des parcs où elles étaient distribuées, pour passer par les ponts (pontes) : savoir les 12 centuries de chevaliers, les 70 centuries de pedites et les sex suffragia de l'ordre équestre°0, avec les sénateurs y compris; puis les autres classes votaient à leur tour de la même manière, jusqu'à la fin, à moins que la majorité ne fût acquise auparavant. Or il fallait au moins pour cela consulter la 3' classe, car les centuries de pedites étaient au nombre de 350, plus 18 centuries de chevaliers, plus 2 centuries de musiciens, plus 2 de /abri, plus une au moins pour les capite censi °1, total 373 au minimum. IH, Sous l'empire, même après la cessation des comices, la division en centuries subsista dans les quatre tribus urbaines; chacune d'elles fut divisée en deux classes, le corpus seniarum et le corpus juniorum,• chacun d'eux partagé en centuries, présidées par les curatores tribus °z. Ces divisions qui coexistaient avec la distinction des classes, survécurent même à l'extinction de l'ancien cENsus. On voit, dans une inscription k3, mentionner huit centuries et centurions de juniores de la tribu Succusane (ou Suburana). Mais ce système a-til encore un rapport direct avec les anciennes centuries des comices. MM. Mommsen " et Marquardt b5 admettent l'affirmative ; mais cette idée est combattue par d'autres, qui objectent que jadis les centuries des juniores de chaque tribu formaient seulement cinq suffrages, et non pas huit °6; puisque chaque tribu avait en tout IO suffrages ou centuries, ou 2 centuries de chaque classe. On voit d'ailleurs qu'une autre corporation, le corpus dulianum se partageait en six centuries; ce n'était donc plus qu'un genre de division on de fractionnement familier aux collegia, et usité pour la distribution des secours publics à la plèbe plebs