Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CERVISIA

CERVISIA 1. Cervoise, sorte de boisson très connue dans le monde antique, quoique les Grecs et les Romains en aient fait peu d'usage. On la regarde comme l'origine de la bière. Elle était faite avec un mélange d'eau et d'orge ou d'autres céréales, auquel on ajoutait, suivant les pays , différents ingrédients aromatiques. Le mot de cervisia ou cerevisia, qu'on trouve de bonne heure dans les auteurs latins, semble être de source gauloise. Cette boisson était connue depuis longtemps dans les contrées du sud sous différents noms. Chez les Égyptiens elle était d'un usage populaire. On en attribuait l'invention à Osiris, c'est-à-dire qu'on n'en connaissait pas l'inventeur. Diodore de Sicile et d'autres auteurs ° parlent du vin d'orge des Égyptiens et le désignent sous le nom de ~doç, S~Boç, léOtov, que Pline et Columelle traduisent par le mot latin zythum. Columelle affirme que pour le rendre plus agréable on y ajoutait divers parfums', et, d'après lui, de Paw s dit qu'il pouvait se conserver longtemps sans se corrompre; car, au lieu du houblon absolument inconnu dans cette contrée, on y mettait une infusion amère de lupin. Les Égyptiens y faisaient encore entrer de la graine d'Assyrie et probablement d'autres plantes aromatiques, chacun suivant son goût particulier, car la manière de' brasser variait beaucoup. Mais le procédé indiqué par Columelle devait être le plus employé dans la Basse-Égypte où on convertissait le zythum, tout comme la bière ordinaire, en vinaigre, que les marchands grecs d'Alexandrie transportaient dans les ports de l'Europe. Les Éthiopiens composèrent aussi une boisson avec de l'orge et du millet', et l'on trouve encore aujourd'hui vers les sources du Nil des tribus de nègres qui font de la bière en suivant les antiques traditions. Les Byzantins appelèrent le vin d'orge tpouxns du mot arabe fokka En Crète on le nommait x(ipµa ou xoèplel, celia ou cerea 8 en Espagne, et Pline nous apprend qu'on en faisait dans ce pays une grande consommation, ainsi qu'en Portugal où, selon Strabon, on ne trouvait presque autre chose °. Les Ligures, les Phrygiens, les Thraces désignèrent leur bière sous le nom de (3pt ov 10, Les Arméniens s'en servaient également, comme on le voit par le récit de Xénophon ", qui raconte que, dans sa fameuse retraite, ses soldats en burent avec un chalumeau et trouvèrent ce breuvage fort agréable, mais très fort et très enivrant. En Illyrie et en Pannonie, la bière s'appelait sabaia ou sabaium 12, L'empereur Valens assiégeant Chalcédoine était injurié par les ennemis, qui du haut des remparts le nommaient sabaiariu.s 18. Enfin, lorsqu'en 448 des ambassadeurs grecs se rendirent auprès d'Attila, en Pannonie, on leur offrit à CES. 1088 -CES boire soit de l'hydromel, soit de la bière faite avec du millet, qu'on appelait x4 ,ov'4. Les habitants du nord de l'Europe, comme ceux du sud, employèrent de très bonne heure les boissons faites avec de l'orge. Pythéas, cité par Strabon n, raconte que dans les pays des côtes on buvait soit de l'hydromel soit une boisson faite avec des céréales. Jules l'Africain " dit que la bière des Celtes se nommait x1pNtta, Athénée'7 appelle xôpu.a celle que buvaient les Celtes du centre de la Gaule, au premier siècle de notre ère. Tacite 18 n'oublie pas non plus ce breuvage en décrivant les moeurs des Germains. Toutefois ce peuple connut la bière beaucoup plus tard que les Celtes et lorsque celle-ci commençait chez ce dernier peuple à être abandonnée par les classes riches. La cervisia des Gaulois occupe longuement Pline1°, qui cite aussi le mot braie, lequel signifie d'abord une espèce de grain et ensuite le ferment 20. Ce fut surtout sous le nom de cervisia, qui devait plus tard se changer en celui de cervoise, que les Romains connurent la bière primitive. Le jurisconsulte Ulpien, qui vivait dans la première partie du m° siècle de notre ère, en parlant des diverses boissons enivrantes analogues au vin et fabriquées avec de l'orge ou d'autres céréales, désigne expressément le zythum, et le camum 2'. Nous trouvons dans l'Edit de Dioclétien établissant le maximum, au début du ive siècle, la cervisia, le camurn et le zythum tarifés, les deux premiers à quatre deniers pour un setier, c'est-à-dire à moitié prix du vin le plus ordinaire, et le zythum à deux deniers 22 ; cette sorte de boisson ne fut pas plus goûtée des Pomians que des Grecs, qui possédaient le vin et regardaient la bière comme un breuvage convenable tout au plus pour des barbares. Aristote l'appelle sdLvov. La plupart des médecins condamnèrent cette boisson. Galien, Aétius, Paul VEgine, Dioscoride lui attribuent toutes sortes de maladies. Ce mépris pour la bière est exprimé dans une épigramme en vers grecs adressée par l'empereur Julien au vin d'orge : Ei; aines éssi xpe ilç : il raille ce produit d'une terre dépourvue de vigne, que la main d'un Celte a brassée et qui veut passer pour Bacchus, le fils de Jupiter. On possède deux vases, l'un et l'autre trouvés en Gaule, qui étaient destinés à boire et à verser la cervoise si l'on en croit les inscriptions qu'ils portent en caractères sigillés : l'un, conservé au Musée de Saint-Germain, est un pocuLUM très mutilé où il ne reste que le mot m'avisa ; l'autre (fig. 1338), appartenant au Musée Carnavalet, est une bouteille de forme annulaire sur laquelle on lit cette invitation d'un buveur : Les Gaulois ont gardé longtemps la cervoise, telle que l'a décrite Pline, c'est-à-dire fabriquée avec de l'orge. Mais dans la suite on y employa d'autres grains; on la lit même avec du froment. Celle que le roi Clotaire Ier but chez le seigneur Hozin 28 dans le pays d'Artois était de la première espèce; au contraire celle qu'on brassait grossièrernent en Auvergne pour les moissonneurs tenait plus de la cerea ou cella des Espagnols. Dans certaines contrées on se bornait à laisser tremper le froment dans l'eau jusqu'à ce qu'il poussât en germe ; ensuite on faisait griller les grains sur des claies allumées, puis on les jetait dans une nouvelle eau, où le tout s'échauffait 27. Nous ne rappellerons ici que pour mémoire le fovèpôç des Grecs ou alica des Latins, aliment liquide tiré de diverses sortes de céréales, mais qui n'était pas fermenté.