Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CHALDAEI

CHALDAEI (XuMcctot). Ce nom a été originairement celui d'un peuple, appelé Kaldi dans les textes cunéiformes, auquel la Bible donne une place dans ses plus antiques souvenirs' et qu'Hellanicos comptait parmi les éléments primitifs de la population de la Babylonie et de la Chaldée 2, mais qui ne fait son apparition dans l'histoire positive qu'au Ive siècle avant l'ère chrétienne et presque aussitôt s'empare de la suprématie dans les affaires babyloniennes'. Sous la dynastie à la fois sacerdotale et d'origine proprement chaldéenne, qui régna à Babylone après la chute de l'empire d'Assyrie et dont les représentants les plus illustres sont Nabopolassar et Nabuchodorossor, le nom de Chaldéens fut appliqué à la puissante caste sacerdotale qui, dans les pays du cours inférieur de l'Euphrate et du Tigre, avait le dépôt exclusif des connaissances religieuses et des études scientifiques. Après ce temps, le terme de Chaldéens n'a plus de signification ethnique propre, mais devient la désignation d'une caste de prêtres et de docteurs'. Le livre biblique de Daniel, qui malgré sa date relativement récente, contient beaucoup d'excellents renseignements sur la Babylone de Nabuchodorossor', représente les Chaldéens se servant, comme idiome scientifique et sacré, d'une langue à part 6, celle à laquelle la science moderne a donné le nom d'accadien ou sumérien', et les divise en cinq classes, CHA -1095-CHA kasdim ou Chaldéens proprement dits, docteurs en science religieuse, gazrim ou astrologues, khartumim ou conjurateurs, hakamtm ou guérisseurs, asaphim ou devins 8, Les membres de cette caste savante et sacerdotale recevaient leur éducation dans les grandes écoles sacrées, qui, au vue siècle av. J.-C., du temps de Sargon, roi d'Assyrie, étaient fixées à Sippara, Nipour, Babylone et Borsippa°, et du temps de Strabon 10 et de Pline 11, se maintenaient encore à Sippara, Babylone, Borsippa et Orchoé. Les Chaldéens, en dehors de leurs spéculations purement religieuses, étaient surtout adonnés aux fausses sciences de la magie', de la divination" et de l'astrologie u, dont ils passaient pour les principaux inventeurs. lls prétendaient appuyer leurs théories astrologiques sur une suite ininterrompue d'observations du ciel, inscrites dans leurs tablettes d'argile passées au four, in coctilibus laterculis, et remontant à 473,000 ans, suivant Diodore de Sicile 15, 480,000, suivant Cicéronn et Pline n, 7-20,000, suivant Épigène de Byzance ", ou même 1,440,000 d'après Simplicius " [ASTRONOIRIA , sect. vu]. L'énoncé de semblables prétentions suffit àles faire juger, et si l'on se reporte à la réalité des faits, on voit que le calendrier babylonien, avec les noms de ses mois et le rapport de quelquesuns d'entre eux avec les signes du zodiaque, n'a pas pu être constitué définitivement plus tôt que le second millénaire avant l'ère chrétienne 20. Nous possédons, par suite de la découverte de la bibliothèque palatine de Ninive, aujourd'hui conservée au Musée Britannique, un certain nombre de fragments du grand traité d'astrologie compilé à cette époque par ordre de Sargon Irr et de son fils Naram-Sin, rois d'Agadhê ou Sippara, lequel demeurait encore au vue siècle av. J.-C. le bréviaire des astrologues chaldéens n, Ce qu'on a pu en déchiffrer est rempli des plus étranges superstitions et ne renferme que bien peu de notions réelles d'une astronomie scientifique. Pourtant les Chaldéens, avec le cours du temps et la suite de leurs observations, finirent par arriver à un certain nombre de résultats de vraie science des astres n [ASTRONOMIA, sect. v et vil]. Ce sont eux qui ont inventé la division du zodiaque en dodécatémories 23 et les noms des signes 24 ; ils avaient constaté empiriquement la période de retour des éclipses lunaires u, qu'ils étaient ainsi en mesure de prévoir d'une manière exacte. Surtout ils avaient consommé de très réels progrès dans la science des nombres ; leur ingénieux système de numération sexagésimale, procédant par une échelle de 1, 60, 600 et 3 600, est celui qu'llipparque introduisit dans l'astronomie des Grecs 2S et que nous employons encore pour la notation des degrés et de leurs divisions; les Chaldéo-Babyloniens avaient construit sur sa donnée un système métrique savamment coordonné dans toutes ses parties, qui a exercé une grande influence sur tout le monde antique n. Diodore de Sicile 28, Philon le Juif 29 et l'auteur des Philosophumena 30 nous donnent les plus intéressants détails sur le système astronomico-religieux par lequel les Chaldéens expliquaient les mouvements sidéraux et leur relation avec les choses terrestres, ainsi que sur la théorie théologicophiiosophique qui servait de base à leur science augurale Les Chaldéens astrologues étaient surtout renommés par leur habileté à construire les thèmes généthliaques 32. Du temps de l'empire des Achéménides, leur réputation était déjà très grande dans le monde grec, et c'est à Ctésias que Diodore de Sicile semble avoir emprunté ce qu'il dit de leur science. Quand Alexandre le Grand entra à Babylone, après la victoire d'Arbèles, son premier soin fut de consulter les Chaldéens 33. Plus tard, il est vrai, lorsqu'il revint de l'Inde, il refusa d'écouter leurs prédictions annonçant que le séjour de Babylone lui serait funeste3b. Mais la réalisation rapide de cet oracle, comme de ceux que les mêmes astrologues donnèrent ensuite à Antigone, roi d'Asie, et à Séleucus Nicator 35, porta au plus haut degré la gloire des Chaldéens et la confiance dans leurs pronostications. Un succès certain était donc réservé à celui qui importerait chez les Grecs les principes et les méthodes de cette astrologie fameuse. C'est ce que fit Bérose, prêtre de Babylone et membre de la caste des Chaldéens, qui, né du temps d'Alexandre, avait étudié les lettres helléniques et composé en grec un livre infiniment précieux sur l'Histoire chaldéenne, XaASstxk 38, dédié à l'un des deux premiers Antiochus, roi de Syrie n, Le déchiffrement des textes cunéiformes a mis en pleine lumière la parfaite exactitude et l'importance incomparable du livre historique de Bérose38, dont nous ne possédons malheureusement plus que des lambeaux qui n'y ont même pas été puisés directement, mais empruntés aux abrégés qu'en avaient fait Cornelius Alexander, dit le Polyhistor, et Abydène. Ici nous n'avons à l'envisager que comme astrologue. C'est après avoir publié ses Xa),Sciï,cà qu'il vint en Grèce. A Athènes, où il séjourna quelque temps, ses prédictions excitèrent, dit-on, un tel enthousiasme qu'on lui éleva officiellement une statue 39. Il y fit connaître un type nouveau d'horloge solaire, d'invention chaldéenne, jusque-là ignoré des Grecs 40, dont on a cru retrouver un exemple à Pompéi 4t [H0ROLOG1uM]. Enfin il s'établit définitivement dans l'île de Cos, où il ouvrit publiquement école de la sciences,astro CHA 1096 CHA ogique, et où ses premiers disciples furent Antipater et Aebinapolos 12. A dater de ce moment, le terme de XaMa?ot en grec u et celui de Chaldaei en latin 4" n'est plus le nom d'un peuple, ni même de la caste sacerdotale de Babylone; c'est la désignation des astrologues d'une certaine école, qui prétend suivre la discipline des docteurs de la Chaldée, transportée dans le monde grec par Bérose. A la fin de la république romaine et au commencement de l'empire, Chaldaei n'a jamais un autre sens. Pour Pline'' Chatdaeorum disciplina, comme pour les Grecs XaaSaïxâ E7tt'crlce4LXTa L6, est une manière de dire l'astrologie et l'astronomie. On forme même un verbe xaaSagety pour signifier exercer les pratiques de cette école et en professer les doctrines. Les nouveaux Chaldéens étaient fort multipliés à Rome et y trouvaient grand crédit auprès des superstitieux. Moyennant un bon payement, ils dressaient des horoscopes et donnaient d'après les astres des consultations sur l'avenir. Leur grande affaire était de reconstituer l'état du ciel au moment de la naissance ou de la conception 47 de la personne au sujet de qui on les interrogeait; ceci fait, ils prétendaient en déduire toutes les fortunes de sa vie. La vieille doctrine chaldéenne prétendait en effet que chaque homme avait une étoile qui influait sur sa vie et en déterminait le bonheur ou le malheur d'après sa position dans le ciel au moment décisif où il avait commencé d'exister 4B. Les nouveaux Chaldéens dressaient encore des almanachs où ils prétendaient annoncer quel temps il ferait tous les jours de l'année sous tel ou tel climat et quelle serait l'issue des récoltes "9 Ils faisaient aussi des prédictions d'après des combinaisons de nombres auxquels on attachait une valeur augurale, les Babylonii numeridont parle Horace 50. Ces Chaldéens du monde gréco-romain, dont Sextus Empiricus, Aulu-Gelle 51 et d'autres encore ont combattu les doctrines, puisaient principalement les principes de leur fausse science dans des livres qu'ils attribuaient à Bérose lui-même, et dont Sénèque 52, Pline S3, Vitruve n et Plutarque u nous ont conservé quelques fragments. Ces fragments ont trouvé jusqu'à présent très peu de crédit. II y a, en effet, la plus étrange contradiction entre les connaissances exactes et scientifiques snr la lune, l'origine empruntée de sa lumière et la cause de ses éclipses, que Diodore de Sicile attribue aux astronomes chaldéens de Babylone, et les idées grossières sur le même sujet, que les écrivains que nous venons de nommer disent avoir puisées dans le livre de Bérose. Car, d'après ces dernières idées, la lune aurait été une sphère obscure d'un côté et enflammée de l'autre, et ses phases auraient été produites par une révolution qu'elle aurait opérée sur elle-même, ses éclipses par un mouvement subit qui lui aurait, à des époques fixes, fait présenter à la terre sa face obscure au lieu de sa face brillante. Ceci a paru misérable aux critiqués modernes, et la plupart ont admis que des renseignements d'un tel genre devaient provenir de quelque astrologue ignorant et sans rapports réels avec la savante Chaldée, lequel aurait faussement paré ses écrits du grand nom de Bérose. Mais le point de vue doit changer aujourd'hui. Cette singulière théorie de la lune, nous la trouvons exposée tout au long, et de la manière la plus nette, dans le récit cosmogonique assyrien, lorsqu'il y est question de l'organisation des corps célestes et de leurs mouvements parle dieu Anou 56. Et nous pouvons constater que les notions encore si grossières, que l'on nous dit empruntées au livre de Bérose, sont exactement conformes à celles dont la trace est empreinte à chaque pas dans le vaste traité d'astrologie compilé par ordre des rois Sargon ter et Naram-Sin. C'est bien aux écrits du vrai Bérose que ces choses ont été empruntées. Et en les exposant, il se montrait un rapporteur des croyances exprimées dans les livres sacrés de sa nation, aussi exact en matière d'astrologie qu'en matière de cosmogonie et d'histoire. La contradiction qui surprend dans les rapports des écrivains grecs sur la science chaldéenne existait dans la réalité, au moins dès le temps du règne des Sargonides en Assyrie (ville-vne siècles av. J.-C.), entre l'astronomie proprement dite, fondée sur l'observation et le calcul, et déjà maîtresse de réelles découvertes, et les doctrines des anciens livres dont les prédictions augurales continuaient à servir de code pour les consultations astrologiques. Dès lors, non seulement les docteurs chaldéens connaissaient la vraie cause des éclipses de lune et savaient en calculer le retour, mais ils étaient partis de là pour établir un calcul de prévision des éclipses de soleil, calcul qui, dans certaines occasions, se trouvait exact 54, comme celui que Thalès de Milet fit un jour 58, évidemment d'après leurs principes, et qui dans d'autres cas était démenti par l'événement 59. Mais en même temps, quand les particuliers ou le souverain les consultaient sur l'avenir, d'après l'état du ciel, ils répondaient conformément à l'antique traité, que leurs connaissances réelles avaient bien dépassé, mais dont ils croyaient les prédictions toujours vraies, si les théories scientifiques en avaient dû être abandonnées 6o 11 y a même plus, et je crois que l'on est en droit d'affirmer, d'après le témoignage de Sénèque, que c'est précisément le grand traité d'astrologie de Sargon Ier que Bérose avait traduit en grec, ou tout au moins analysé. En effet, le philosophe dit, en parlant de cet écrivain : Berosus qui Bellini interpretatus est 61. Or, d'après les formules de pagination qui accompagnent ses tablettes en écriture cunéiforme, le traité en question était intitulé « L'illumination de Bel, » Narnar Beli 62. Et même une fois on trouve simplement : « Tablette 57 de Bel". » C'est manifestement à ce titre, cité par Bérose lui-même comme la source où il avait puisé ses renseignements, que font allusion les expressions de Sénèque, dont le véritable sens n'avait pas pu être compris jusqu'ici. Pendant que l'école des Chaldaei astrologues s'établis CITA 1097 CtlA sait et se répandait dans le monde gréco-romain, l'exemple de Bérose, dans son pays natal, ne demeurait pas stérile et devenait le point de départ de toute une littérature gréco-babylonienne, qui se développa dans les derniers siècles avant et les premiers siècles après l'ère chrétienne. L'histoire de cette littérature est encore à faire, et elle constituera sans contredit l'un des plus curieux chapitres des rapports de l'hellénisme avec les civilisations orientales n. Malheureusement, nous n'en avons plus que de rares lambeaux, et la plupart des auteurs de cette littérature ne sont connus que par leurs noms. Les uns sont des hommes d'origine chaldéenne, comme Kidénas, Naburianos et Sudinas, que cite Strabon"; d'autres sont qualifiés de Parthes comme le Inpsada ou Impsanda de Pline °8, le Yanbouschad de l'Ay7 iculture nabatéenne n ; d'autres enfin paraissent, d'après leurs noms, avoir une origine grecque, comme Teucros de Babylone, le Tenqélouscha des écrivains astrologiques arabes et de l'Agriculture nabatéenne 69, et Séleucos de Séleucie, que mentionne Strabon 6S. Aucun de ces auteurs n'est signalé comme ayant suivi Bérose sur le terrain de l'histoire. Leur affaire, leur unique préoccupation est de mettre en grec des doctrines de philosophie religieuse, qu'ils donnent comme celles des anciens Chaldéens. Car dès lors, à partir de l'ouverture de l'Orient à l'hellénisme par les conquêtes d'Alexandre, et surtout, en avançant dans le temps, à mesure que l'Orient, par un mouvement de remous qui en était la conséquence, faisait invasion dans le monde classique, livré désormais aux tendances syncrétiques, l'ancien point de vue, l'ancienne disposition des Ilellènes avaient changé. Au lieu de s'enfermer dans leurs propres traditions et de dédaigner celles des autres, ils devenaient avides de connaître les doctrines religieuses et la philosophie des sanctuaires de l'Asie et de l'Égypte, dont l'antique réputation de sagesse imposait à leurs imaginations. Surtout les écrivains de la littérature gréco-babylonienne se consacrent à la propagation, à la vulgarisation de la prétendue science divinatoire des Chaldéens, de leurs superstitions astrologiques, augurales et magiques. Ils écrivent sur les présages célestes et terrestres, sur la généthliaque, ou bien, comme Zachalias de Babylone 70, sur les vertus curatives et talismaniques des gemmes. Leurs livres étaient donc de ceux où s'instruisaient les Chaldaei astrologues du monde gréco-romain, et qu'ils invoquaient pour justifier leur qualité de Chaldéens. Il est même remarquable que, dans ce qui touche à la superstition augurale, nous pouvons saisir sur le fait, en dehors de cette école des Chaldaei, une influence des Gréco-Babyloniens sur le centre même de la littérature et de la philosophie des Grecs, dès le ne siècle avant .I.-C. On sait que les Stoïciens popularisèrent de plus en plus la croyance à tous les augures, qui semblait avant eux prête à tomber en décadence, et la firent accepter de beaucoup d'esprits éclairés, en lui donnant une base philosophique, liée à leur doctrine de fatalité. Ce fut Chrysippe qui le premier formula cette théorie stoïcienne de la réalité de la divination et des augures, dont Quintus Cicéron se fait le défenseur contre son frère dans le premier livre du traité De divinatione. Chrysippe écrivit un livre sur les ora il. cles et un autre sur les songes. Quant aux différents genres de divinations et de prodiges, ce fut son disciple Diogène le Babylonien qui en fit un traité complet, que Cicéron regardait comme l'ouvrage classique par excellence sur la matière. Il ne se bornait pas à y parler des procédés mantiques purement et anciennement grecs, comme Philochore dans son traité antérieur71, mais il exposait aussi ceux des peuples étrangers', et en particulier ceux des Chaldéens, qu'il devait bien connaître, comme né à Séleucie de Babylonie. Aussi est-ce seulement à dater du livre de Diogène que nous voyons employer chez les Grecs certaines méthodes de divination qui jusqu'alors semblent y avoir été inconnues, et qui tiennent une place considérable dans le grand traité babylonien sur les présages compilé par ordre de Sargon I~r 73. Diogène le Babylonien, venu de bonne heure à Athènes et élève de Chrysippe, devait être plus purement grec que les écrivains que nous avons cités tout à l'heure, même que Teucros et Séleucos. Mais, étant donnée son origine et quelques-unes des choses qui se trouvaient dans ses livres, une certaine influence exercée sur lui par l'école gréco-babylonienne, qui naissait alors, peut-être par Bérose, est probable. Au temps de la floraison du néoplatonisme, il se forma dans les cités des bords de l'Euphrate et du Tigre, à Ctésiphon, à Séleucie et à Babylone, toute une école dite Chaldéenne, qui procédait des Néoplatoniciens et prétendait surtout s'appuyer sur les anciennes doctrines de la religion chaldéo-babylonienne, de même que prétendait s'appuyer sur les doctrines de la religion pharaonique l'école Alexandrine égyptisante à laquelle nous devons tes Livres Hermétiques grecs et le traité d'Iamblique Sur les mystères des Égyptiens. L'école néoplatonicienne et syncrétique de la Babylonie n'a pas eu le même succès ni le même retentissement dans le monde classique que l'école alexandrine. Mais les doctrines s'en sont conservées par une tradition non interrompue dans le monde byzantin jusqu'en plein moyen âge, comme celles d'une secte mystérieuse, ennemie de l'orthodoxie et du fond même du christianisme, qui se communiquait par une sorte d'initiation secrète et qui combinait des prétentions théurgiques et des superstitions augurales avec une sorte de philosophie panthéiste et matérialiste. Les philosophes Chaldéens, dont il. est si souvent question chez les écrivains grecs de la période médiévale, jusqu'au xnie siècle, étaient les héritiers de cette branche chaldéenne du néo-platonisme, qui a exercé aussi une puissante influence sur la formation de la Kabbale juive. On doit, dans l'étude des religions antiques, ne se servir qu'avec une grande précaution des renseignements de source néoplatonicienne, et se garder de prendre pour des choses vraiment antiques des spéculations systématiques de l'école, auxquelles tout est ramené, bon gré mal gré. Toutefois, maintenant que l'on a pénétré profondément dans la connaissance des livres religieux de l'Égypte et de leurs doctrines, on a pu constater d'une manière formelle qu'il y a beaucoup d'excellentes données, vraiment égyptiennes et d'un grand prix, dans les livres grecs mis sous le nom d'Hermès Trismégiste et dans le traité d'lamblique. Les égyptologues n'hésitent plus à faire largement usage de ces écrits, en les compa 138 CUA 1098 -CHA gant aux textes originaux, et à y chercher la traduction de certaines doctrines égyptiennes dans une terminologie philosophique qui nous est plus familière. De même, les longs morceaux que nous donnent l'auteur des Philosophunlena i4 et Damascius 7a, l'exposé des doctrines physicoreligieuses de l'école des Chaldéens, de leurs dissertations sur les rôles cosmiques du sec et de l'humide, du lumineux et du ténébreux, de leurs spéculations raffinées sur la valeur des nombres, tout cela est, envers la mythologie que nous trouvons dans les textes cunéiformes, dans le même rapport que les livres dont nous venons de parler envers les vraies doctrines égyptiennes. Ce sont des 8so),oyoûu.eva transformés en ?thoaoco, aava; mais les faits y sont, en général, tous parfaitement exacts, présentés seulement à la mode néoplatonicienne. Il y a même davantage, et rien ne peut nous donner plus de confiance dans la fidélité de l'école philosophique dite Chaldéenne à conserver les doctrines essentielles et la mythologie de l'ancienne religion chaldéo-babylonienne que le morceau, inséré par Damascius dans son traité Des premiers principes, sur les générations des dieux cosmogoniques, se développant du sein du chaos 76, C'est la traduction, sans une faute sérieuse et presque mot à mot, du début théogonique du récit assyrien de la création, tel que G. Smith l'a retrouvé dans les tablettes cunéiformes du Musée Britannique ". Ni lamblique ni les Livres Hermétiques ne nous ont transmis rien d'égyptien qui ait conservé aussi exactement jusqu'à sa forme originale. Les renseignements de l'auteur des Philosophulnena et de Damascius nous font suivre l'école dite Chaldéenne et la conservation de ses doctrines jusqu'à la proscription du paganisme, non plus seulement dans le culte public, mais aussi dans l'enseignement philosophique. Quand elle passa à l'état de secte secrète et persécutée, ses doctrines s'altérèrent profondément. Bien que çà et là on puisse encore y retrouver un fait exact, dont la tradition s'est maintenue à travers les âges, il n'y a plus qu'un intérêt de curiosité assez oiseuse à la lecture de ce que Michel Psellos, au xr° siècle, appelle le système des philosophes Chaldéens n, dont il se montre fort préoccupé et dont il avait lu tous les livres qui circulaient de son temps. L'étude de la religion antique de Babylone et de la Chaldée n'a plus rien à en tirer de sérieux, non plus que celle des doctrines astrologiques des Chaldaei de la Rome républicaine et impériale. Quand quelquefois on y rencontre l'écho d'un fait réel, il est défiguré de la façon la plus singulière, Telle est la façon dont est arrangée en conte enfantin et transportée chez les Égyptiens l'histoire de Joannès, l'astrologue qui se couvrit d'une peau de poisson pour se faire proclamer roi 79. C'est la dernière déformation du grand mythe du dieu F'a-khan, Êa le pois son 80 s, créateur du genre humain, révélateur des choses sacrées et des principes de la civilisation, mythe qui avait été très exactement raconté par Bérose St sous le nom d'Oannès, par Hygin ss sous celui d'Euahanès et par Helladios 33 sous celui d'Oès. F. LENORMANT.