Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CHIROGRAPHUM

CIIIROGRAI'IHUM. Voy. pour les Grecs svNGibAPné. Ce mot dérivé de ycip et de yFn'sin indiquait chez les Romains, dans son acception originaire et la plus large, tout écrit émané d'une personne intéressée aux faits qui s'y trouvaient relatés, indépendamment même de toute affaire juridique I. Plus tard, il désigna plus spécialement, chez les Romains, d'après un usage emprunté aux Grecs, mais avec une valeur et une efficacité moins considérables, un écrit préconstitué fourni par une partie qui veut donner contre elle un moyen de preuves $. En ce sens le chirographum procure une sùreté, en constatant par exemple une obligation unilatérale comme un prêt, une promesse°, ou un paiement', et devient synonyme d'instrumentum, CAUIIO ou epistola °. Au contraire, chez les pérégrins et notamment chez les Grecs, Gaius nous apprend que par le chiroyraphum (acte unilatéral), signé d'une partie comme par le synejrapha (acte synallagmatique), signé des deux parties 8, on entendait un contrat littéral, qui trouvait non pas seulement sa preuve, mais sa force obligatoire dans l'écrit même qui en était considéré comme la cause efficiente au même titre que la convention 7. Ce genre d'obligation, soumis à des règles différentes de celles qu'établissait le droit civil romain pour les nomina transcriptitia et pour les nomina ai-caria, était propre aux seuls pérégrins 3. Cependant plusieurs jurisconsultes allemands°, à cause des mots de Gaius, litterarum obligatio fieri videtur, ne voient dans le chiroyraphum qu'un moyen de preuve ; mais cette opinion qui parait contraire à l'ensemble du texte de Gains est rejetée par les interprètes français f0. Quoi qu'il en soit, les préteurs de province devaient assurer l'exécution de pareils actes où les pérégrins étaient engagés entre eux ou envers des Romains, ce qui arrivait très fréquemment ". Nous trouvons, dans le Digeste, des exemples de chiroyraphum consacrés par les jurisconsultes; ainsi Scævola fournit le texte d'une obligation ainsi souscrite envers un banquier", et Modestin un chiroyraphum, signé à l'occasion d'un prêt de dix solidi aureit3. Epistola désigne aussi un écrit probatoire en forme de lettre ", qu'on appelle parfois également litterae1e. Le terme générique est instrumentam15, qui s'ap CHI -1104 CHI plique notamment aux reconnaissances de dette ou billets 17; on trouve le mot documentum, employé dans ce sens, au code Théodosien 18. Primitivement aucune forme particulière n'était exigée pour la validité du chirographum considéré comme moyen de preuve. Mais les Romains, afin de prévenir toute difficulté, employèrent de bonne heure diverses précautions. L'acte qui indiquait en tête ou dans le corps du texte le nom du souscripteur et celui du créancier était revêtu du cachet de la partie et de celui des témoins (oboigoo,tio), comme dans les cautions habituelles ou les tabulae dotales et les testaments 10, Car on employait des témoins nommés pararii '-0 pour attester au besoin la sincérité de l'acte. Plus tard, un sénatus-consulte, rendu sous Néron 21 détermina la forme extérieure que devaient avoir les écrits, tabulae, constatant un contrat ou acte public ou privé; ils devaient être percés en tête de la marge et au milieu, puis traversés d'un triple lien sur lequel étaient apposés les cachets des témoins, afin d'assurer la conservation de l'écriture intérieure 22. Toute altération, tout faux intellectuel ou matériel tomba sous l'application des peines de la loi Cornelia de falsis, comme l'usage fait par dol de faux instruments 23. On trouve un exemple d'écrit revêtu de ces formes dans le triptyque de Blasendorff (tripycon) constatant une vente d'un jeune esclave avec garantie et quittance du sixième du prix (puerum apochatum pro unclis duabas!, de l'année 895 24. On connaît aussi les tablettes d'Erdy23 dont la première contient une slipulatïo duplte avec fdei rogatio, de l'année 892, revêtue des sceaux et de l'apostille de cinq témoins et du vendeur d'une esclave. Dans l'instrument de Blasendorff, avant le le nom du vendeur, auctor, se trouve celui d'un autre garant (auctor secundns 9fi). Le second écrit constate une stipulation faite à l'occasion d'un prêt de l'an 915 de Rome (162 ap. J.-C.), avec frdei rogatio, liste des témoins et subscriptio du débiteur. En effet, la signature de la partie devint d'usage sous l'empire n, avec l'introduction de l'écriture cursive, et fut garantie contre tout faux par les peines de la loi Cornelia 23. Vers la même époque, le contrat littéral tomba en désuétude, parce que le codex accepti et depensi ne fut usité que chez les banquiers, argentarii; on n'employa plus guère que des écrits probatifs, chirographa ou cautions; la pratique tendit à les identifier avec les chirographa des pérégrins, en confondant ce qui crée l'obligation avec le moyen de preuve. Ainsi le souscripteur d'un billet en vue d'un mutuum ou prêt de consommation à réaliser ensuite était considéré comme tenu litteris. Il est vrai qu'en matière de prêt et à cause de fraudes trop fréquentes, le droit prétorien avait admis que celui qui avait promis par stipulation, ou re connu par écrit la dette à résulter du mutuum projeté, pouvait, au cas où les écus n'étaient pas comptés, opposer l'exception de dols, ou l'exception conçue in factum, non numeratae pecuniae [IXCEPTIO]30. Mais Antonin Caracalla décida qu'ici par dérogation aux règles ordinaires le prétendu créancier auquel cette exception nouvelle de dol serait opposée, devrait prouver la cause véritable de la dette, savoir la numération des écus 31. Cela tient à ce que celui qui a besoin d'argent, se trouvant d'ordinaire à la discrétion du prêteur, remettait par avance le titre au créancier qui, par fraude, refusait ensuite de compter les deniers. L'exception non numeratae pecuniae pouvait être opposée pendant un délai qui, d'un an 32, fut porté à cinq et ramené ensuite à deux par Justinien 33. Au reste le souscripteur était maître d'agir pendant ce temps et de redemander son billet (reddi cautionem), par la condictio sine causa (s'il n'était pas poursuivi 34), ou pour obtenir une remise solennelle, acceptilatio, quand il y avait eu stipulation sans cause. Ce délai écoulé sans que le promettant ou le souscripteur eût agi, ou opposé à la poursuite dirigée contre lui l'exception non numeratae pecuniae, il était présumé avoir reçu les écus 35. C'est en ce sens que Justinien 36 considère le souscripteur du billet comme obligé en quelque sorte litteris, bien qu'il soit tenu, en réalité, en vertu d'un mutuum présumé. Le jurisconsulte Paul semble restreindre la nécessité pour le créancier de prouver contre cette exception, au cas où la cautio s'exprimait en termes généraux, et sans préciser la cause de la dette (indiscrete loquitur ") ; mais le style de ce fragment paraît bien indiquer qu'il a été interpolé par Tribonien, de manière à le faire concorder avec une distinction introduite à cet égard par une constitution de Justin 38. L'empereur Justinien dispensa en outre le banquier (argentarius) de prouver l'existence de la dette 39. A part le cas de prêt, le chirograpltum était soumis, quant aux preuves [I RoBATIO], aux règles ordinaires applicables aux écrits privés. Quand la sincérité de l'acte était reconnue ou établie judiciairement40, prévalait-il sur la preuve testimoniale ? La question est controversée entre les interprètes modernes. Paul semble bien dire que lorsque la sincérité de l'acte n'est pas mise en question et qu'il tend à établir un fait contraire à l'intérêt du souscripteur 49, les témoins ne peuvent être entendus contre l'écrit 42; au contraire, les actes émanés d'un officier public ou du moins certifiés par lui étaient d'abord, d'après leur apparence extérieure, présumés authentiques, et en outre faisaient foi de tous les faits qu'ils avaient pour objet de constater, sauf l'accusation Existait-iI entre les chirographa et les syngrapha CH1 1105 CHI d'autres différences que celles que nous avons signalées plus haut? Le faux Asconiusb4 affirme qu'il y en avait au fond et dans la forme. Non seulement les syngrapha auraient constaté un contrat synallagmatique, mais pour une affaire purement financière, et à l'occasion d'argent non compté. Ces assertions paraissent peu conformes à la nature des choses, au texte de Gaius 4s et à ce que nous savons de l'exception non numeratae pecuniae, qui précisément s'appliquait au cas de simple cautio ou de chirographurn confondu avec la cautio. Cependant Heimbach n a récemment essayé de justifier le témoignage du faux Asconius, mais son opinion n'a pas prévalu". M. de Savigné, après avoir tenté de concilier aussi le pseudo-Asconius avec le texte de Gaius, a rejeté, en 1849, toute conciliation 46 ; il est probable que le premier, trompé par un passage où Cicéron parle avec quelque sévérité des syngrapha, s'est ingénié à trouver entre eux et les chirographa des différences aussi radicales que celles qui existaient entre les adversaria et le codex accepti et depensi.