Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CHIRON

CHIRON, Xe(posv. Le centaure Chiron, fils de Cronos et de Philyra, nymphe océanide, d'où le surnom de Philyrides, qui lui est donné par les poètes'. Cronos, surpris par Rhée sa femme dans ses amours avec la nymphe, se changea en cheval pour lui échapper. De ces amours naquit Chiron, l'hippocentaure'. Chiron différe des autres centaures [CENTAURI] par la douceur de ses moeurs et par sa sagesse; comme il en différait par l'origine. Homère l'appelle « le plus juste des centaures » 3, et Pindare le qualifie « d'ami des hommes 114. Il régnait sur les vallées du Pélion, riche en plantes salutaires et il faut sans doute voir en lui un génie de la montagne, esprit bienfaisant, qui connaissait la vertu des simples et qui l'enseignait aux hommes. Virgile, qui joint dans le même vers son nom à celui du devin Mélampos, célèbre aussi dans la légende thessalienne, les qualifie tous deux de maîtres dans l'art de guérir les bestiaux 6. Selon un commentaire, « Chiron représente ici l'emploi des moyens naturels, Mélampos celui des artifices surnaturels 7. » Chiron fut le maître d'Asclepios [AESCULAPIUS], qu'Apollon lui avait confié à sa naissance pour l'instruire dans l'art de la médecine 6. Il lui montrait à panser les blessures 9. Il fut l'ami ou le précepteur d'un grand nombre de héros, tant des Argonautes que de ceux qui prirent part à la guerre de Troie. On cite, entre autres, Jason n et son fils Médos 11, le chasseur Actéon 19, Pélée et Achille. Sa liaison paraît avoir été surtout intime avec la famille des Éacides. Une tradition faisait de Pélée son Il. petit-fils. Eaque avait épousé Endeïs, fille de Chiron, qui fut mère de Pélée et de Télamon ". Chiron ne fut pas seulement l'instituteur, il fut l'ami constant et le conseiller de Pélée [PELEus-l. Ce fut gràce à ses conseils que Pélée parvint à vaincre la résistance de Téthys à un hymen ordonné par les dieux. Les noces se célébrèrent sur le Pélion, dans la demeure du centaure; et Pélée reçut de Chiron à cette occasion la lance de frène qui devait faire des prodiges de valeur dans les mains de son fils "4. Cette lance merveilleuse d'Achille avait la vertu de guérir les blessures qu'elle avait faites. Télèphe, blessé par Achille, fut ainsi guéri par l'arme même dont il avait reçu l'atteinte " L'éducation d'Achille n'est pas moins célèbre que les noces de Pélée dans la légende thessalienne. Apollodore nous montre le centaure nourrissant son élève du sang des lions et de la moelle des ours et des sangliers 16. Il lui apprit à lancer le javelot contre les bêtes sauvages et à atteindre les biches à la course 17. Quelquefois il le portait à la chasse sur son dos, et lui enseignait ainsi l'équitation avec les autres exercices héroïques 18. Il lui inculquait en même temps les principes de la sagesse antique, et ses leçons ont fait le sujet d'un poème d'Hésiode, qui n'est pas parvenu jusqu'à nous 19. Parmi les cures attribuées à Chiron, on cite celle par laquelle il rendit la vue à Phoenix, fils d'Amyntor, à qui son père avait fait crever les yeux. Phoenix s'était réfugié chez Pélée qui le fit guérir par Chiron 90. Chiron, dieu-centaure, fils de Cronos, était immortel par sa naissance divine. Aussi sa mort fut-elle volontaire. On racontait qu'il avait été blessé par hasard d'une flèche d'Hercule, comme il fuyait devant le héros avec les autres centaures ÈIl. D'autres disent qu'il avait lui-même laissé tomber sur son pied, en l'examinant, cette flèche infectée du venin de l'hydre de Lerne 99. Tous les remèdes ayant été impuissants contre le poison répandu dans ses veines, Chiron, en proie à des douleurs incurables, désira mourir. On dit qu'il avait laissé en mourant son immortalité à Prométhée ; mais Prométhée était lui-même immortel. Peut-être faut-il entendre que Zeus avait promis de délivrer Prométhée de son supplice à la condition qu'un immortel consentirait à mourir pour lui 97. La mort de Chiron se trouverait ainsi associée à la délivrance du Titan. D'autres expliquent par des causes morales la mélancolie du dieu-centaure et son dégoût de la vie 46. Après sa mort, Zeus le transporta dans le ciel, où il devint le Sagittaire. Pausanias a cru reconnaître Chiron dans un centaure aux pieds de devant humains, qui était représenté sur 439 CHI 1106 CHI le coffre de Cypsélus 23. On l'y voyait, paraît-il, déjà mort et passé au rang des dieux, venir consoler Achille de sa fin prématurée. Un des tableaux de Philostrate était consacré à l'éducation d'Achille 28. Parmi les monuments antiques parvenus jusqu'à nous, les uns le représentent aux noces de Pélée, parmi les dieux qui apportent leurs présents aux nouveaux époux 27 ; d'autres nous le montrent dans ses fonctions de précepteur du jeune Achille -a (comme dans la peinture d'un vase du musée du Louvre ici reproduite (fig. 1368). On l'y voit particulièrement enseigner à son élève l'art de jouer de la lyre 29. Dans une peinture de Pompéi, il est réuni aux dieux de la médecine Apollon et Esculape 30. L. de RONCHAUD. C 1IRURGIA , Xstpoupidz. La chirurgie, littéralement oeuvre de la main, opération faite par la main Xetpospyéq veut dire manouvrier. On donne le nom de chirurgie à la branche de la médecinequi traite certaines maladies par l'emploi de la main, aidée ou non d'instruments. Dans la haute antiquité la médecine comprenait tout ce qui touche la science des maladies et leur traitement. Mais à l'époque de l'école d'Alexandrie, on la divisa en trois parties distinctes dont l'une guérissait par le régime, l'autre par les médicaments et la troisième par le secours de la main. Les Grecs, dit Celse 2, appelèrent la première la diététique, la seconde la pharmaceutique et la troisième la chirurgique. Il. est clair que ce sectionnement de la science médicale ne fut en réalité qu'un artifice scolaire, commode dans son appropriation à l'enseignement et à la pratique de la médecine, mais nullement une séparation radiicale et complète, puisque ce sont ces trois parties réunies qui composent le tout scientifique. Par conséquent la chirurgie ne forme point, ainsi que beaucoup le croient aujourd'hui, un art autonome et distinct de la médecine générale; elle n'a point un domaine séparé et indépendant; elle ne se distingue des autres parties et du tout que parce qu'elle est en possession de moyens spéciaux qu'elle applique à une catégorie particulière de maladies. La diététique et 1 la pharmaceutique sont dans le même cas. La chirurgie est donc bien réellement une partie de la médecine, laquelle est la science qui nous apprend à connaître les maladies et à les guérir ou à les prévenir par tous les moyens possibles. En fait, aujourd'hui les médecins et les chirurgiens font les mêmes études et subissent les mêmes examens. Hippocrate avait parfaitement compris ainsi la science qu'il a portée si haut ; car il nous dit dans un de ses aphorismes : « ce que les médicaments ne guérissent pas, « le fer le guérit ; ce que le fer ne guérit pas, le feu le « guérit ; ce que ne guérit pas le feu doit être considéré « comme incurable » Au reste, tous les ouvrages qui nous restent de l'antiquité médicale comprennent à la fois la médecine et la chirurgie sans distinction ; de telle sorte que si l'on voulait distraire l'une de l'autre, ces ouvrages resteraient tronqués et incomplets et manqueraient d'unité. Scribonius Largus, entête de son livre sur la Composition des médicaments, ne veut pas laisser croire aux lecteurs qu'il ne cultive que cette partie de la science : « Quant à moi, dit-il, ayant suivi la route droite, je n'ai « rien en plus à coeur que de m'instruire dans toutes les « parties de l'art ". » Homère ne fait aucune distinction entre le médecin et le chirurgien lorsqu'il s'exprime ainsi : a Le médecin est un homme qui en vaut plusieurs autres, lui qui retire les traits et répand sur leurs blessures des remèdes adoucissants'. La chirurgie est aussi ancienne que le monde ; car il est certain que dès qu'un homme s'est luxé ou fracturé un membre, il s'en est trouvé un autre pour essayer de réduire la luxation ou la fracture et de rendre à ce membre ses fonctions. Elle s'est développée comme la médecine, dans la suite des siècles. Mais il ne serait pas exact de dire que ses progrès aient été parallèles à ceux des autres parties de la science, La chirurgie scientifique, en effet, repose absolument sur la connaissance des organes qu'il s'agit de diviser, de ménager, de retrancher ou de replacer, c'est-à-dire sur la science de l'anatomie. Or, les anciens ne connaissaient guère que la grosse anatomie, c'est-à-dire celle des os et des grands organes intérieurs et extérieurs. On doit en conclure que la chirurgie des anciens, au point de vue de la pratique des opérations, était assez limitée. II y avait même quelques-unes de ces opérations que refusaient résolument de faire les médecins respectables et instruits. Ils les abandonnaient aux empiriques et aux spécialistes, ne voulant pas eux-mêmes se livrer à des pratiques aventureuses, aveugles et manquant de toute base scientifique et raisonnable e. C'est certainement pour cela, par exemple, que l'école hippocratique défendait à ses élèves de faire l'opération de la pierre, pourtant si impérieusement exigée par les malades et si indispensable, mais qui ne présentait aucune sécurité et ne s'appuyait sur aucune connaissance précise des parties sur lesquelles il fallait porter le couteau ; de sorte que le hasard seul décidait du succès 7. Au contraire, les chirurgiens anciens étaient fort habiles et adroits quand il s'agissait d'opérer sur les organes CH1 1107 CH1 extérieurs et visibles, alors que l'instrument pouvait être conduit avec sûreté vers le but à atteindre ou que l'opérateur pouvait se rendre compte des déplacements que sa main était appelée à réduire. Dans un grand nombre de ces cas les préceptes et les indications de l'école hippocratique sont encore aujourd'hui employés avec faveur et succès; et il est permis d'affirmer que, en dehors des opérations où la connaissance de l'anatomie est indispensable, les médecins anciens étaient fort ingénieux à trouver et à. fabriquer des instruments, ainsi qu'à les employer à la guérison des maladies chirurgicales. Nous avons insisté sur l'impossibilité de séparer doctrinalement la chirurgie de la médecine afin de combattre un préjugé très répandu dans tous les temps. Il faut reconnaître pourtant que la pratique des opérations chirurgicales exige des qualités et des aptitudes particulières; et que s'il est indispensable aux chirurgiens de posséder les connaissances médicales générales pour bien déterminer les maladies dans leurs origines, dans leur marche, dans leur nature et dans leurs tendances, en un mot pour poser un diagnostic et un pronostic exacts, il n'est pas donné à tous les hommes de bien manier le scalpel et de l'enfoncer avec un sang-froid imperturbable dans la chair vivante, mais ici il faut distinguer l'opérateur du chirurgien, et surtout bien se pénétrer qu'avant d'être opérateur le chirurgien doit être médecin. Dans l'antiquité, comme aujourd'hui, on exigeait de celui qui voulait se livrer à l'art chirurgical certaines qualités spéciales pour qu'il fût reconnu apte à bien exercer cet art. Voici le tableau de ces qualités tel que Celse l'a consigné dans son oeuvre médicale : « Le chi « rurgien doit être jeune, ou du moins encore près de la « jeunesse; il doit avoir la main ferme et sûre et jamais « tremblante ; être aussi adroit de l'une que de l'autre; « avoir la vue claire et perçante, le coeur intrépide ; sa « sensibilité doit être telle que, déterminé à guérir celui « qui se confie à ses soins, et sans se laisser émouvoir par « ses cris, il ne se hâte pas plus que ne l'exige la cir • constance, et ne coupe pas moins qu'il ne faut, mais « qu'il accomplisse toutes choses comme s'il n'était nulle « ment affecté des plaintes du patient B. » Ce tableau si énergiquement tracé est absolument complet. Les temps pas plus que les progrès de la science n'y ont ajouté une syllabe ; et les dispositions énumérées ici sont toujours exigées comme autrefois. Ce sont bienlà les qualités indispensables pour être un bon opérateur et l'on comprend très bien que tout le monde ne puisse pas aspirer à l'être. Mais pour se montrer un bon chirurgien ii faut quelque chose de plus ; et ici nous rencontrons un autre préjugé très répandu dans le monde et qui existait sans aucun doute dans l'antiquité. Les qualités énumérées cidessus tombent facilement sous l'appréciation du public étranger à la médecine, car leur nécessité est aisée à comprendre et saisit immédiatement l'esprit. Mais il n'en est pas de même de celles dont il nous reste à parler. On entend souvent dire que la chirurgie est bien plus sûre et moins conjecturale que la médecine, parce que le chirurgien voit et touche les parties sur lesquelles il opère et que les maladies qu'il traite tombent immédiatement sous les sens. De plus, il enlève le mal avec son instrument, tandis que le médecin ne voit point les organes malades et ne marche par conséquent qu'ara veugle ou du moins par conjectures plus ou moins probables. Tel est le sophisme avec l'aide duquel on vent établir une suprématie illusoire de la chirurgie sur la médecine. Si le rôle du chirurgien se bornait à opérer plus ou moins habilement, l'argument serait plausible. Mais dans une maladie chirurgicale, la question n'est pas aussi simple et il y a bien d'autres conditions plus difficiles à remplir; et, de fait, aucun chirurgien ne consentirait à accepter de n'être qu'un simple opérateur. Il doit d'abord, comme le médecin, s'assurer par un bon diagnostic s'il y a utilité et opportunité d'opérer, si le mai localisé n'est pas la manifestation d'une affection générale ou constitutionnelle et si, en enlevant le mal apparent, il n'exposera pas son malade à une récidive dans d'autres organes ou dans le même, enfin si l'opération n'aura pas un retentissement général, qui mettra en danger la vie de l'opéré. Or toutes ces considérations si essentielles exigent des qualités bien autrement précieuses et rares que celles dont Celse nous a donné le tableau ; et c'est par là que le chirurgien est véritablement médecin et qu'il accomplit la partie la plus excellente de son art ; et les traités anciens de chirurgie ne manquent point d'en faire la remarque. En effet, toutes les données du problème qui se pose devant le chirurgien avant qu'il devienne opérateur sont précisément les mêmes que rencontre le médecin devant une maladie quelconque, et c'est par cette ressemblance qu'ils sont les sectateurs d'une seule et même science, Donc le chirurgien est un médecin ; celui qui ne serait qu'opérateur ne devrait être regardé que comme un manoeuvre plus ou moins adroit, plus ou moins ingénieux, mais non point comme un savant et un véritable artiste. Toutes ces observations se trouvent disséminées dans les livres médicaux qui nous restent de l'antiquité La médecine s'exerçait autrefois, en Grèce comme à Rome, dans des officines ouvertes sur la rue. Lorsque la pratique médicale sortit des temples d'Esculape pour porter au dehors des secours aux malades, elle se sécularisa, et beaucoup de médecins qui avaient étudié à l'école des Asclépiades, c'est-à-dire des prêtres d'Esculape, ceseès rent d'être attachés aux Asclépiens [ÂsaLrreloaa] et exercé-relit leur profession dans les villes. C'est ainsi qu'ils s'établirent avec tout leur matériel dans des boutiques où venaient les trouver tous les malades qui avaient besoin de leurs services. Ces lieux d'exercice de la médecine et surtout de la chirurgie se formèrent successivement dans toutes les villes qui leur offraient quelques ressources par leur population et par leurs richesses. Au dire de Galien 10, les villes qui entretenaient des médecins publics s'obligeaient à mettre à leur disposition une officine, nommée. à cause de cela, :x-pzïov, en Grèce, etmedicatr'ina ou medieina dans les pays de langue latine. La collection hippocratique contient un traité spécial consacré à ces officines et à la description des conditions où elles devaient se trouver et aux objets qu'elles devaient contenir". Galien de son côté a écrit trois livres de commentaires pour expliquer ce traité hippocratique de l'officine. C'est dans cet ouvrage qu'il nous apprend Glue ces boutiques devaient être grandes, avec de CHI 1108 CHI larges portes pour laisser entrer pleinement la lumière. On comprend bien en effet que la pratique des opérations exigeait une grande clarté et un jour éclatant " Nous pouvons juger par là quelle importance on attachait dans l'antiquité à ces boutiques où affluaient les malades pour se faire panser et opérer, pour faire réduire les luxations et fractures dont ils étaient affectés, et, en un mot, pour subir toutes les opérations dont ils avaient besoin. Là se trouvaient tous les objets de pansements usités, tous les instruments nécessaires, tous les médicaments simples et composés et tous les remèdes en usage. On y trouvait bandes, bandages, charpie, compresses, éponges, ventouses, cautères de formes diverses,couteaux, lancettes et bistouris pour toutes les appropriations, sondes de toute espèce, tiges creuses et pleines et autres instruments pour extraire toutes sortes de projectiles et de corps étrangers enfoncés et cachés dans les chairs, aiguilles, rugines, crochets de petite et grande dimension, pinces très variées, attelles, machines pour réduire les luxations, dilatateurs et spéculums divers, tarières et couronnes de trépan, appareils à fumigations et à injections, en un mot, tout ce qui est nécessaire et même simplement utile dans la pratique de l'art. Nous connaissons les instruments dont se servaient les chirurgiens anciens, non seulement par les descriptions qu'ils nous ont laissées dans leurs ouvrages, et par les dessins que contiennent les manuscrits de ces ouvrages, mais aussi par les nombreuses découvertes archéologiques qui ont été faites tant dans les fouilles d'Herculanum et de Pompéi que dans différents endroits de la Grèce, de l'Italie et de la Gaule. Dans la ville de Pompéi, on a découvert une boutique de médecin encore munie de ses instruments, à l'exception cependant de ceux qui étaient susceptibles de brûler. Ces instruments sont déposés au musée de Naples avec d'autres trouvés à Herculanum. Nous en reproduisons ici quelques-uns ". Il en existe aussi dans différents musées et collections, parmi lesquels nous en choisissons aussi un certain nombre. On voit donc que la chirurgie ancienne était riche en instruments et qu'elle était habile et ingénieuse à trouver les outils qui lui étaient nécessaires pour s'en servir suivant les cas et les circonstances. Elle excellait particulièrement dans l'art d'extraire de la chair vivante, où ils étaient enfoncés et souvent cachés, les projectiles dont les formes étaient extrêmement variées. En effet, par des artifices habilement calculés, on compliquait les traits et les flèches en y ajoutant des appendices qui en rendaient la présence dans le corps très dangereuse, et dont 1 extraction était aussi pénible et douloureuse pour le patient que difficile et délicate pour l'opérateur. Ceux qui désirent connaître l'art adroitement et ingénieusemen t inhumain avec lequel étaient fabriquées ces armes offen sives devront lire le long, mais très intéressant chapitre consacré par Paul d'Egine, dans sa Chirurgie", à cette fabricants de flèches et de traits, si ce n'est l'incomparable CHI 1109 CHI partie essentielle de la médecine antique. Ils concluront de cette lecture que rien n'égalait l'habileté cruelle des adresse des chirurgiens à les extraire et à en débarrasser leurs blessés. C'est ici le lieu de dire quelques mots de la médecine militaire et de son intervention dans les armées des anciens. A Rome il n'y eut aucun service de santé dans les armées en campagne, tant que ces armées ne furent pas permanentes, c'est-à-dire jusqu'au principat d'Auguste. Pendant tout le temps de la république libre, il n'exista point de secours médicaux organisés dans les légions. Toutefois, les officiers supérieurs et les guerriers riches se faisaient accompagner en campagne par des esclaves ou même des affranchis médecins 18, qui avaient pour devoir et pour mission de secourir leurs maîtres et de leur donner leurs soins, s'ils étaient blessés ou malades. Parfois même ces propriétaires d'esclaves médecins les prêtaient à leurs amis 78, s'ils en avaient besoin. Mais tous ces actes étaient purement privés, et l'État n'avait rien à y voir 17. Au contraire, lorsque l'empereur Auguste forma des corps de troupes spéciales et sédentaires telles que la garde prétorienne, la garde urbaine et le corps des vigiles pour sa sûreté personnelle et pour la police et le bon ordre de la ville, il les établit d'une manière stable dans des camps permanents; et la nécessité se fit alors sentir de donner des soins médicaux à ces soldats et d'organiser des secours parmi ces troupes. C'est alors que furent institués véritablement le corps des médecins mi litaires et les infirmeries où l'on transportait les soldats malades pour leur donner les soins qu'exigeait leur état. Cette organisation se développa et acquit de grandes proportions ; et bientôt il y eut des médecins et des infir meries dans tous les camps et dans toutes les légions i8. Les choses ne se passèrent pas ainsi dans les pays helléniques. Dès la plus haute antiquité et dès le commencement des temps historiques, on voit figurer les CHI 1110 CHI médecins dans les armées grecques. Les vases peints et d'autres monuments nous montrent ces médecins ou les héros eux-mêmes, habiles à panser les blessés sur les champs de bataille. Homère, en différents passages de ses poèmes, mentionne les médecins et leur intervention dans l'armée des Grecs avec les plus grands éloges. Ils se portaient partout où il y avait des blessés à panser ou des malades à traiter. Ceux qui avaient reçu des blessures légères étaient soignés sur le champ de bataille, mais les soldats gravement atteints étaient emportés sur les vaisseaux. Bien que le poète ne nomme que Machaon et Podalire, il est certain qu'il y avait plusieurs autres médecins dans l'armée des Grecs, ainsi que le dit Homère lui-même 19. Hippocrate dit peu de chose de la médecine militaire25; ruais ce qu'il en dit démontre jusqu'à l'évidence que les médecins étaient nombreux dans les armées. Xénophon parle fréquemment des médecins attachés aux armées et donne même quelques détails sur ceux de Lacédémone et, II en est de même de la plupart des écrivains qui sont parvenus jusqu'à nous. Du reste tout le monde sait combien la profession médicale était en honneur dans les pays grecs et quel cas les villes grecques faisaient des médecins et des services qu'ils rendaient. Il est à peine besoin d'ajouter que ces médecins faisaient beaucoup plus de chirurgie que de médecine, ainsi que le remarque le poète lui-même' car les épidémies qui éclataient dans les armées étaient considérées comme des fléaux envoyés par les dieux et qui exigeaient autre chose que des secours humains et médicaux a3 Il est permis de conclure de tout ce que nous venons de dire que la chirurgie ancienne, si riche en instruments, se livrait à la pratique d'un très grand nombre d'opérations, à part l'extraction des traits et des flèches dont nous venons de parler et qui forme une catégorie à part, du ressort principalement de la médecine des armées. Il convient maintenant de rechercher quelles étaient les opérations qui se faisaient le plus habituellement. Le sens de la vue est un des plus précieux à l'homme et un de ceux qui lui rendent la vie et les relations sociales le plus agréables et le plus utiles. On ne s'étonnera donc pas d'apprendre que les médecins anciens se livraient avec ardeur et succès à l'étude des maladies des yeux et à leur traitement médical et chirurgical. Vingt chapitres de la Chirurgie de Paul d'Egine et quinze de la section septième du livre VIIe de l'ouvrage de Celse, sont consacrés à la chirurgie oculaire. En regard de quelques pratiques grossières tenant aux systèmes de médecine générale qui dominaient à ces époques, on trouve là des opérations très dé licates, savamment décrites , et révélant de profondes études, une grande expérience et une habileté consommée. Je citerai notamment la cataracte par abaissement qui se fait encore aujourd'hui comme la faisaient les chirurgiens de l'anti quité; l'opération de la fistule la crymale, celles de l'ectropion et du dystichiasis. Voilà pour ce qui regarde la médecine opératoire oculaire. Mais dans d'autres por Lions de leurs ouvrages, les medeFlévaleur des Aimante ciels anciens traitent longuement paupières. à cataracte. des maladies des yeux qui peu_ (Manuscrits d'Albn.asis.) vent se guérir à l'aide des médicaments, sans le secours de la main. Une des opérations pratiquées le plus fréquemment dans l'antiquité et qui est presque entièrement délaissée l) 11 VyJ, CHI 1111 CHI par la chirurgie de nos jours, c'est la trépanation. On peut dire avec toute vérité que les chirurgiens grecs en abusaient ; car ils la pratiquaient pour des accidents parfois peu importants survenus au crâne ou sur les autres os. Pour la faire ils se servaient soit de simples tarières soit de trépans à couronne. Si la lésion à laquelle ils voulaient remédier était étendue, ils employaient la tarière et circonscrivaient la partie malade par des trous creusés à petits intervalles, suivant une ligne circulaire; puis ils réunissaient les trous en coupant l'os intact entre eux. Si au contraire la lésion était cl e petite dimension, ils employaient la couronne de trépan mue par un vilebrequin, qui faisait une entaille circulaire dans l'intérieur de laquelle la lésion était circonscrite. Cette opération du trépan fut certainement introduite à Rome très anciennement ; car Plutarque raconte que, trois ambassadeurs ayant été envoyés en Bithynie par le sénat romain, il se trouva que l'un d'eux était infirme par la goutte aux pieds, l'autre avait été trépané et portait plusieurs trous à son crâne, le troisième enfin passait pour un niais ; si bien que Caton l'Ancien disait en raillant que les Romains envoyaient une ambassade qui n'avait ni pied, ni tête, ni coeur24. On a trouvé des crânes appartenant aux époques dites préhistoriques, qui portaient des perforations régulières en forme de, couronne. Ces crânes ont été l'objet d'études et d'examens suivis". Mais jusqu'à présent les explications qui ont été fournies par les anthropologistes ne reposent que sur des hypothèses en général peu vraisemblables. Pour donner une idée de la hardiesse et de la décision des chirurgiens anciens, nous pourrions citer l'opération de la pierre dans la vessie ; toutefois, comme elle était proscrite par la chirurgie scientifique, ainsi qu'on le voit dans le Serment d'Hippocrate, il vaut mieux n'en pas parler ici. Mais nous mentionnerons une opération très ancienne et assez fréquemment faite et que nous croyons propre â faire ressortir les qualités des opérateurs de l'antiquité. Elle avait pour but d'extraire un enfant mort dans le sein de sa mère vivante. Ainsi que chacun peut le comprendre, la présence de ce cadavre mettait dans un danger imminent la vie de la mère; l'urgence de l'extraction était donc instante. Elle se faisait en introduisant dans l'intérieur de la matrice des instruments qui avaient pour but et pour effet, soit d'écraser la tête du fcetns et de la réduire au plus petit volume possible, soit de couper, pour les faire sortir par portions, les différentes parties du corps; en un mot d'attirer au dehors par tous les moyens possibles le petit cadavre sans en laisser la moindre parcelle dans le sein de la mère. C'était là certes une opération qui demandait autant de hardiesse que de sang-froid et d'habileté ; et pourtant c'est une des plus anciennement faites et décrites. On la trouve en effet non seulement dans les livres grecs et latins, mais aussi très détaillée dans l'ouvrage de médecine indienne du Suçruta, antérieur, selon toute probabilité, à la collection hippocratique". II n'est pas hors de propos de rappeler à ce sujet qu'une très ancienne loi, appelée Lex Regia, que l'on attribue au roi Numa et qui est conservée au Digeste 2", prescrivait à toute personne présente au moment de la mort d'une femme en couches, d'ouvrir le ventre de cette femme et d'en extraire l'enfant. Par cette pratique on a sauvé la vie à un grand nombre d'hommes, dont les plus illustres se sont appelés César, Céson, Scipion l'Africain". Sans vouloir entrer dans une exposition plus complète de la pratique chirurgicale et de la médecine opératoire de l'antiquité, ce qui donnerait à cet article une trop grande étendue, nous nous contenterons d'ajouter que toutes les opérations nécessaires dans les fractures et les luxations des membres faisaient partie de la chirurgie courante et journalière. En effet, le développement que les anciens donnaient aux exercices du corps dans les gymnases et dans les jeux publics devait rendre ces accidents plus communs encore et plus fréquents que de nos jours. Aussi tous les livres de médecine qui nous restent entrent-ils dans les plus grands détails sur cette partie de la chirurgie. Hippocrate et Galien consacrent chacun plusieurs traités à ce sujet important; et tous les auteurs qui ont suivi ces maîtres n'ont pas manqué de décrire tous les procédés, toutes les méthodes, tous les instruments indiqués par eux pour l'exercice de cette partie importante de l'art de guérir. La pratique chirurgicale des médecins de l'antiquité, en ce qui concerne les fractures et les luxations, était beaucoup plus scientifique, plus sûre dans son maniement, plus habile et plus ingénieuse dans ses procédés et certainement plus heureuse dans ses résultats que dans aucune autre partie de la médecine opératoire. Là, en effet, le médecin pouvait se baser sur la connaissance qu'il avait acquise de l'anatomie des os et des articulations. Il était très facile, même dans l'antiquité, de se livrer à l'étude du squelette humain, puisqu'il n'y avait besoin pour cela ni de cadavre, ru de dissection et qu'il suffisait, ainsi que le constate Galien, d'assister aux démonstrations anatomiques qui se faisaient, pièces en main, dans les diverses écoles de médecine et notamment à Alexandrie". Il résultait de cette connaissance que le chirurgien savait pertinemment ce qu'il faisait et sur quelles parties il portait son action. Aussi cette section de la chirurgie a-t-elle été la plus perfectionnée, à ce point que les siècles suivants y ont peu ajouté et qu'elle est restée dans la science, presque entière, avec les principes que les maîtres antiques ont posés et qui dominent encore l'art de réduire les luxations CHI 1112 CHI et les fractures. C'est ainsi, par exemple, que dans la réduction de la luxation de l'épaule on emploie encore aujourd'hui les diverses méthodes mises en usage par les anciens et décrites dans leurs ouvrages sous les noms de procédé par l'épaule, procédé par l'échelle et procédé par l'ambi. Tous ces moyens de réduction ont le même but et un effet analogue qui est d'exercer une pression dans l'aisselle, sur la tête de l'humérus, pendant qu'en môme temps on exécute une extension sur le bras; et c'est la simultanéité de ces deux actions qui fait rentrer la tête de l'os dans sa cavité. Nous avons parlé déjà des officines médicales, de ces boutiques sur rue où les médecins de la Grèce et de Rome se tenaient à la disposition des malades et où ils pratiquaient leur art. Certes ces lieux d'exercice de la profession médicale servaient davantage encore aux besoins de la chirurgie qu'à ceux de la médecine, bien qu'ils dussent contenir, outre les instruments et les objets de pansement que nous avons énumérés plus haut, tous les médicaments simples et composés que les médecins administraient eux-mêmes, ou qu'ils vendaient au public pour être emportés. Ces boutiques étaient donc en même temps de véritables pharmacies munies de tous les remèdes minéraux, végétaux, animaux, entrés dans l'usage médical de ces époques 30. Les plus grands médecins de l'antiquité ont exercé dans ces officines. Il paraît même que Aristote, qui était de famille médicale, hérita d'une officine de grande valeur, mais qu'il ne voulut pas se livrer à la pratique de la médecine". Toutefois Epicure, au dire de Diogène Laerte32, accusait le philosophe de Stagyre , d'avoir été pharmacopole, c'est-àdire coureur de dre des remè des, ce qui n'est guère vraisemblable. Les grandes villes qui engageaient des médecins publics avec traitement annuel étaient tenues de leur fournir une officine dans des conditions convenables. C'est ainsi qu'au rapport de Pline le naturaliste ", en 535 la ville de Rome agréa le médecin Archagatus, fils de Lysanias, originaire du Péloponèse, et, après lui avoir accordé le droit de cité, lui acheta aux frais du trésor une boutique située au carrefour Acilius. Il y exerça la médecine et principalement la chirurgie, car il fut surnommé Vulnerarius, médecin des plaies. Telles étaient donc ces officines médicales qui tiennent une grande place dans la profession médicale chez les anciens. Mais quelques auteurs classiques nous les font connaître sous un autre point de vue qui a aussi son intérêt et dont nous devons dire quelques mots. D'abord on peut conclure d'une scène des Ménechmes, comédie de Plaute, que ces officines servaient au besoin de ce que nous appelons aujourd'hui des maisons de santé; c'est-àdire que l'on recevait des malades à demeure pendant un certain temps, sinon dans la boutique elle-même, du moins dans l'habitation du médecin qui en était sans aucun doute une dépendance. Il s'agit dans cette comédie d'un aliéné, ou prétendu tel, pour lequel on avait envoyé chercher le médecin. Celui-ci, après un interrogatoire fort plaisant du malade, sollicité avec véhémence par le beau-père du patient qui le presse d'agir et de lui donner des remèdes, lui répond : « Sais-tu ce qu'il y a de mieux « à faire? fais-le porter chez moi, je pourrai le traiter à « mon aise ". » Ensuite le même Plaute, qui nous donne tant de détails précis et exacts sur les moeurs et les habitudes des Romains de son temps, nous présente ces officines médicales comme des lieux de loisir, de flânerie, de rendez-vous où les oisifs et les désoeuvrés venaient porter ou apprendre les nouvelles du jour et les cancans de la ville. Ainsi, au quatrième acte de la comédie d'Amphitryon, il est dit que ce personnage a cherché Naucratès, son pilote, dans toute la ville, dans les places, les gymnases, au marché, dans les officines de médecin et dans les boutiques de barbiers. Il en est encore de même dans Epidicus où l'on vient dire" que l'on a cherché Périphane partout, au forum, dans les parfumeries et dans les boutiques de médecin. Pour désigner ces officines, le poète se sert toujours du mot medicina, au lieu de medicatrina. Enfin, il paraît que dans ces boutiques, en même temps que l'on vendait des médicaments de toutes espèces, on préparait aussi et on vendait des poisons. C'est du moins ce que l'on est autorisé à conclure d'un passage du même Plaute qui fait dire à l'un des personnages de la comédie du Marchand" : « Certaine« ment je vais aller chez le médecin pour m'y faire mourir « par le poison. » On voit, par tous ces détails, ce que pouvaient être ces officines de médecins ; quels étaient leurs usages, leur utilité et les emplois divers que les moeurs grecques et romaines leur assignaient. Cependant l'exercice de la chirurgie ne fut certes pas exclusivement confiné dans ces officines. Hippocrate avait déjà mis en honneur ce qu'il appelle lui-même la médecine clinique, c'est-à-dire celle qui consiste pour le médecin à aller voir le malade dans son lit. Assurément, beaucoup de médecins-chirurgiens se transportaient aussi près des malades pour leur donner des soins à domicile. Il est même probable qu'il en était ainsi, même avant Hippocrate et dès que la médecine fut sécularisée, c'est-à dire exercée par des médecins qui n'étaient ni prêtres d'Esculape ni sédentaires dans les Asclépions. Évidemment les malades riches n'allaient point se faire traiter dans les officines médicales, et ils faisaient venir chez eux les médecins lorsqu'ils avaient besoin de leurs services.Mais les petites gens,lesmediocres, CHI 1113 CHI comme on disait à Rome, ceux qui n'avaient qu'une fortune restreinte, allaient préférablement chez le médecin boutiquier, comme ils font encore aujourd'hui en Angleterre, et de même qu'en France les gens du peuple vont à la pharmacie et même à l'herboristerie consulter et acheter les remèdes qui leur sont conseillés. Une autre manière d'exercer la chirurgie existait encore dans l'antiquité. Il y avait, en effet, des médecins voyageurs qu'on appelait periodeutes, circulatores, qui allaient de ville en ville et de pays en pays exercer leurs talents. C'étaient, pour la plupart, des spécialistes qui se bornaient au traitement d'une seule maladie, ou bien des maladies d'un seul organe. Il n'y a pas bien longtemps que cet usage était florissant en Europe; et il existe encore, quoique très atténué et amoindri, pour les dentistes, les oculistes et les bandagistes herniaires. Au reste en Grèce et à Rome, dans les premiers temps, il n'avait rien que d'honorable, puisque Hippocrate lui-même et aussi Galien, ainsi que Paul d'Egine, furent, à leur moment, des périodeutes et qu'une loi romaine exemptait ces médecins voyageurs des charges de la tutelle38. Ce mot de périodeute est aussi quelquefois pris par opposition aux médecins qui restaient assis dans leur boutique ou dans les Asclépions et auxquels on donnait le nom de médecins sédentaires (sellularius, iinlCcpptoc). Bien que la chirurgie n'ait jamais été réellement séparée de la médecine, au moins doctrinalement, pas plus enGrèce qu'à Rome, pas plus dans l'antiquité que dans les temps modernes, et qu'elle ait été exercée par les mêmes hommes à la fois médecins et chirurgiens, comme il arrive encore aujourd'hui en dehors des grandes villes, il faut cependant reconnaître que, dans la pratique, elle fut souvent exercée par des médecins qui prenaient exclusivement le titre de chirurgiens et qui se livraient très particulièrement à la chirurgie seule, parce qu'ils se sentaient les qualités naturelles exigées pour être un bon opérateur, telles que nous les avons tracées plus haut d'après Celse. Mais en outre, par suite de préjugés très répandus et de préventions enracinées, il se forma dans la chirurgie même des spécialités fort restreintes dont l'exercice suffisait à faire vivre, et même à enrichir ceux qui les pratiquaient. C'est ainsi que, dans les grandes villes surtout, la chirurgie fut fractionnée en un grand nombre de spécialités qui consistaient à faire toujours la même ou les mêmes opérations, sans s'occuper des autres et par conséquent sans connaître les doctrines générales de la science et sans avoir des idées et des vues d'ensemble sur la médecine. C'est parmi ces spécialistes surtout, que l'on trouve les pratiques de la charlatanerie. Dans l'antiquité, nous voyons d'abord les lithotomistes ou tailleurs de pierre. La lithotomie était une opération que les médecins instruits et honorables refusaient de faire, parce que l'extraction de la pierre hors de la vessie par la taille était une opération empirique, dangereuse pour la vie et faite à l'aveugle, puisque l'opérateur ne savait pas ce qu'il coupait, ni s'il n'allait pas tuer son malade en dirigeant son instrument sur des organes essentiels dont il ne connaissait ni la place ni les rapports. Aussi n'est-on point surpris d'apprendre que Hippocrate défendait à ses élèves, sous serment, de jamais pratiquer cette opération; et il ajoutait dédaigneusement qu'il fallait H. la laisser à ceux qui s'en occupaient37. Toutefois il ne faut pas perdre de vue que l'expérience s'acquiert par l'usage et que parmi ces lithotomistes il s'en trouvait qui, à force d'observations, finissaient par acquérir une habileté véritable et par faire des opérations heureuses, bien qu'ils ne fussent guidés par aucune méthode scientifique et par aucune connaissance précise des organes sur lesquels ils opéraient. Nous avons déjà parlé des développements qu'avaient pris la médecine et la chirurgie oculaires dans les temps anciens et de l'habileté que les médecins avaient acquise dans le traitement des maladies des yeux, comme le témoignent tous les ouvrages médicaux parvenus jusqu'à nous. Il nous reste à montrer, qu'à côté des vrais médecins qui traitaient les maladies de ces organes délicats concurremment avec celles de toutes les autres parties du corps, il existait des hommes purement oculistes qui ne s'adonnaient qu'à la spécialité exclusive de la thérapeutique ophthalmologique. Ils étaient en général périodeutes ou voyageurs; et, dans le but de se faire connaître et de populariser leur nom,ils avaient imaginé de fabriquer et de répandre ces cachets d'oculistique qui ont été trouvés dans divers pays, et principalement en France et qui nous révèlent combien l'art de l'oculistique était répandu et exploité, peut-être dans ce cas, plus au bénéfice des oculistes qu'à celui des malades. En effet, ces cachets faisaient l'office d'une réclame permanente qui répandait au loin le nom du guérisseur et faisait vendre son remède. Ces monuments exigus consistent en un petit bâton de collyre sec, en forme de cachet, sur lequel sont inscrits, 1° le nom de l'oculiste, 2° le nom du collyre et 3° le nom de la maladie àlaquelle il convient de l'appliquer. Ces cachets étaient susceptibles de passer de main en main et, en circulant ainsi, de populariser le nom du collyre et celui de son inventeur. Il existe à notre connaissance au moins 156 de ces cachets, trouvés dans des fouilles; et on en découvre encore de temps en temps. Il serait utile, aussi bien pour l'épigraphie que pour la médecine, de classer et de décrire tous ces petits monuments. Peut-être résulterait il ev.ee, de leur comparaison et des rapprochements auxquels cette étude donnerait lieu quelF g. 1412. Cachet ques notions inattendues et intéressantes. L'art du dentiste remonte à une très haute antiquité, et il était exercé d'abord par tous les médecins, de même que les autres parties de la chirurgie, ainsi qu'on doit l'induire des chapitres qui lui sont consacrés dans les oeuvres médicales des anciens 30. Il était déjà florissant à Rome à l'époque de la rédaction du code de la loi des douze tables, puisque la loi quinzième de la dixième table fait mention de dents attachées avec des fils d'or. Mais cet art tomba de bonne heure entre les mains de spécialistes, tant périodeutes que sédentaires, comme cela existe encore aujourd'hui chez nous, qui en firent leur profession exclusive, ce qui ne la rendit pas très recommandable. 140 CHI 1114 .-® CHI On trouve encore parmi ces spécialités restreintes les kélotornistes ou herniaires qui ne s'occupaient que de la réduction ou de la section des hernies, maladies très mal connues des anciens, aussi bien dans leur nature que dans leurs rapports avec les organes qui les avoisinaient"; aussi leur arrivait-il souvent de graves accidents qui les discréditaient aux yeux du public et faisaient des gens qui exerçaient ce métier des espèces de charlatans, mal considérés. Les médecins auriculaires, auricularii, se rencontrent un certain nombre de fois dans les inscriptions que nous restent; et il est très vraisemblable que la spécialité des maladies des oreilles attirait beaucoup de sectateurs dans les grandes villes et qu'elle était une source de gros profits pour ceux qui l'exerçaient. On trouve dans les auteurs diverses mentions du speculum aurïs, instrument très en usage dans l'antiquité, ce qui prouve que les maladies des oreilles avaient provoqué des études sérieuses et qu'elles étaient traitées scientifiquement. II y avait aussi des médecins adonnés à la pratique des accouchements et appelés principalement dans les cas difficiles où le travail de la parturition était entravé par des obstacles de diverse nature venant soit de la mère, soit de l'enfant. Ce fait est mis hors de doute par les écrits qui nous restent et qci formulent des préceptes relatifs à ces cas plus ou moins dangereux °u. Cependant il faut reconnaître que dans l'antiquité l'art des accouchements était très généralement exercé par des femmes nommées iarps aix ou simplement ruaïx en Grèce, et obstetrix ou medica en latin. Ces sages-femmes jouaient un rôle asssez important, car on leur confiait des expertises délicates dont le Corpus juris civilis faitplus d'une fois mention 1, En outre, il est tout à fait certain que dans beaucoup de circonstances on leur demandait des conseils médicaux peine des maladies au sujet desquelles on répugnait à recourir aux médecins : ainsi, outre que le titre de redit, est souvent employé concurremment avec celui d'ebstetrix, no :s arc as des inscriptions qui spécifient les cas où elles étaient appel es et qui nomment une medices a mammis s°~, une ciinicr ¢'. Ces textes indiquent déjà d'une manière bien claire qu'il s'agissait là de donner des soins pour des maux qui ne résultaient pas nécessaire ment de l'accouchement et de ses suites. Mais il y a plus nous avons dans le Digeste un passage qui ne peut laisser aucun doute sur ce fait que les medicaa et les obstetrices exerçaient bien réellement la médecine, même en dehors de leur spécialité obstétricale. Ce passage est ainsi conçu : sed et obstetricem audiant (preesides) quae urique rnedicinam exhibere videtur, « que les présidents entendent « aussi la sage-femme dans le cas où elle parait exercer la « médecine. s Les commentateurs ajoutent : afin de fixer le, salaire qui leur est dû. Les medicae faisaient donc habituellement acte de pratique médicale. Dirons-nous quelques mots d'une autre spécialité qui semble avoir été exercée sans vergogne à Home et en Grèce? II le faut bien, puisque l'opération à laquelle se livraient les castratores est décrite dans le livre de la Chirurgie de Paul d'Egine 4=. II est vrai que l'auteur en a quelque peu honte, qu'il s'en excuse et qu'il y prépare ses lecteurs en ces termes : « Notre art ayant pour but « de ramener à leur état naturel les parties qui s'en sont « écartées, l'eunuchisme se trouve dans un ordre con« traire. Mais comme, malgré nous, des hommes puissants « nous obligent souvent à faire des eunuques, je dois dire • en abrégé la manière de pratiquer cette opération.» Ce texte d'un auteur qui vivait dans les premiers temps du bas empire indique qu'à cette époque on appelait les médecins à faire des eunuques. Mais il est certain qu'avant le transport du siège de l'empire à Constantinople ce honteux métier était exercé par des spécialistes auxquels on donnait le nain de castrator en latin et de Toi4euç en grec, Juvénal en nomme un qui vivait de son temps et qui avait conquis une abominable -réputation d'habileté en ce genre d'opération. Il se nommait Héliodore 4 Enfin les anciens chirurgiens, bien qu'ils eussent infiniment moins d'occasions que les modernes de pratiquer les amputations des membres, savaient mettre en usage les appareils prothétiques destinés à. remplacer les jambes et probablement même les bras perdus. Le Musée du Louvre possède un vase antique de l'Italie méridionale, dont M. de Longpérier a le premier décrits en ces termes la peinture :aOn y voit, dit-il, un satire dont la jambe droite repliée et pour ainsi dire dissimulée s'ajuste avec _n long bâton, que le personnage tient de la main gauche, combinaison qui arrive à imiter une jambe de bois. Cette invention ne serait guère explicable, si elle n'avait eu pour raison d'être l'imitation d'un état de choses réel. n Une mosaïque trouvée à Lescar ( Basses Pyrénées), dans une église du xi° ou du xne siècle, mais probablement plus ancienne que l'édifice où elle a été rapportée, nous offre (fig. 1416) la représentation la plus claire d'un ehasseurqui marcheàl'aide d'une jambe de bois 4s. M. de Guilhermy 4L nous donne aussi, à la date de CI-IL 1115 --CIIL l'année 886, l'épitaphe de Odon le fauconnier, où il est dit que ce guerrier ayant perdu un bras le remplaça par un bras de fer qui n'était point, dit l'épitaphe, inférieur à l'autre en vigueur. D'' RENÉ Blum.