Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CINGULA

CINGULA. I. Ceinture [CINGULUM]. II. 1VIaaya).tarijp, sangle qui passe sous l'avant-train d'un cheval ou de tout autre animal 1. On en peut trouver des CIN 1174 --• CIN exemples dans des monuments de toute espèce où sont représentés des attelages ou des cavaliers (voy. p. 666 fig. 777 et p. 1179, fig. 1488), La figure 1471 est tirée d'un fragment de bas-relief où est représenté un attelage CtNGULUM, cinctara, zona, cestus. Zôvrf, ~ôlvtov, waTrlP, xto ç, ceinture, ceinturon. L La ceinture faisait, en Grèce, partie du costume des hommes aussi bien que des femmes. Elle était nécessaire aux uns et aux autres pour serrer au corps le vêtement; elle servait aussi de parure; pour les hommes elle était encore une pièce défensive. On doit mettre à part la bande que les femmes portaient en dessous de la tunique pour soutenir les seins. Il faut donc distinguer ces différents emplois sous les désignations dont les auteurs se servent d'une manière indéterminée, l'une étant souvent prise pour l'autre, et l'on n'y parvient qu'en tenant compte des circonstances où une ceinture est nommée. Les monuments figurés sont ici un secours indispensable. La principale utilité de la ceinture était d'assujettir la tunique, que rarement on laissait flottante, et de la raccourcir quand il le fallait, en la haussant de manière 4 rendre libre le mouvement des jambes [TuNICA]. On la tirait alors par-dessus la ceinture; l'étoffe, en retombant, formait un large pli (xaouç), qui tantôt la cachait entièrement, tantôt la laissait en partie visible. C'est ce que montrent les monuments, non seulement ceux où sont représentées des femmes vécues de l'ample et longue tunique ionienne', dont le repli profond était regardé comme une beauté de l'habillement féminin', mais ceux aussi qui nous font voir la tunique dorienne, plus étroite et plus courte, quelquefois tombant sans aucun repli, plus souvent retroussée et formant un repli qui descend plus ou moins bas: c'est, dans les monuments (fig. 1472, 1473) 3, le costume de Diane chasseresse, celui des Amazones et de beaucoup d'autres personnages, particulièrement de ceux qui, à raison de leur rôle mythologique ou des fonctions qu'on leur supposait dans la vie réelle, devaient être représentés dans un mouvement violent ou rapide. Cette manière de se ceindre est ce que les Grecs appelaient um d-zOxt ° et les Latins succingere 6. Le repli dont on vient de parler était souvent assujetti sur les hanches par une seconde ceinture, comme on le voit dans la figure 1473 , qui reproduit en partie une statue d'Amazone conservée au musée de Berlin e, et dans la figure 1474, tirée d'un vase peint inédit du musée du Louvre. La ceinture de l'Amazone est fixée à la fois à l'aide d'un noeud et d'une agrafe. Dans la deuxième figure, représentant Vénus, on ne peut voir l'attache de la ceinture supérieure; celle qui serre la tunique sous le xéÀaoç est un simple cordon, semblable à celui qu'on peut observer très fréquemment dans les monuments'. Les bouts noués forment ici un flot et sont terminés par es glands (6(laavot) Ailleurs, on oit, à la même place, un ruban plat, Pré par un noeud. Une ceinture en or (fig. 1475), trouvée dans l'île 1 CIN ®117 5 --CIN d'Ithaque', a pour fermoir un noeud de métal orné de légers fleurons et de grenats; de chaque côté sont suspendues à des têtes de Silènes trois cordelettes terminées par des petites grenades. On peut conjecturer, d'après cet exemple, que les pendeloques à peu près semblables que l'on voit souvent, mais moins distinctement, dans les peintures des vases ne sont pas toujours placées à l'extrémité du cordon qui serre la tunique '0, mais aussi bien comme un ornement, ajouté à une ceinture plus riche. Quelquefois cette seconde ceinture n'est pas posée, comme dans les exemples qui précèdent, par-dessus le repli de la tunique, mais par-dessus la première ceinture, qu'elle recouvre" et est alors moins un accessoire indispensable du vêtement qu'une parure. Le bijou reproduit (fig. 1475) montre quelle en était souvent en réalité l'élégance et la richesse. Ce n'est donc pas seulement dans la poésie homérique que les femmes ont mérité d'être appelées Eu{mvot" (aux belles ceintures) et qu'on les voit porter des ceintures toutes d'or ta. Nous savons aussi, et nous voyons par les monuments, qu'on brodait et qu'on mêlait dans le tissu même des dessins élégants et d'éclatantes couleurs 1`. Ces ornements sont particulièrement visibles dans quelques peintures de vases appartenant à l'époque où l'on cherchait par l'abondance et le soin des détails à donner plus de richesse à la décoration : par exemple, dans le célèbre vase de Ruvo où est représentée la mort de Talosf5, les figures de femmes et celles des hommes sont couvertes d'habillements également somptueux et, sur leurs tuni ques à fleurs et à personnages, les Dioscures et Jason, aussi bien que Médée, portent des ceintures où sont dessinés des ondes, des fleurons, etc. Des ornements du même genre sont brodés ou insérés dans la trame de la large draperie qui, dans une autre peinture" (fig. 1476), entoure la taille d'un prêtre de Bacchus, par-dessus la tunique talaire [RASsr_PA] propre au culte de ce dieu. Ce costume dionysiaque, qui d'Asie passa en Thrace et en Thessalie, on ne 1111 peut s'étonner de le retrouver sur la scène des Grecs 17 et, à l'irni tation de ce qu'on log. 1476. voyait au théâtre , dans les peintures des vases, où des rois, des héros et d'autres personnages" paraissent, comme ici Créon (fig. 1477), vêtus de longues robes orientales très ornées et souvent assujetties par de riches ceintures, auxquelles s'adaptent des bandes croisées sur la poitrine 78. Mais cette manière de soutenir la ceinture n'est pas restée exclusivement propre au costume tragique et aux personnages que l'art voulait représenter avec un caractère de majesté, elle est entrée dans l'usage général. Dans les monuments cette sorte de bretelles croisées fait partie de l'habillement d'hommes et de femmes inconnues ou sans rôle marqué, aussi bien que des rois ou des personnages mythologiques. La figure 4475 représente une femme portant des offrandes à un tombeau 90, à laquelle on ne saurait assigner aucun nom. On peut aussi remarquer que ces bretelles accompagnent la tunique courte aussi bien que la tunique traînante 2t. Quels noms faut-il donner aux différentes ceintures qu'on rencontre ainsi figurées? Ceux qui se trouvent chez les auteurs ont presque tous une acception très large et laissent souvent le sens indéterminé. Ainsi zatv(a et p.(-rpa s'emploient pour toutes sortes de rubans, écharpes, bandeaux et bandelettes, pour ceux dont on se ceignait la tête aussi bien que pour ceux qui entouraient la taille, et pour la bande que les femmes portaient sous la tunique et qui soutenait les seins [FASCIA PECTOPALIS), comme pour les ceintures posées par-dessus le vêtement [TAENIA, NITRA]. Il en est. de même de c7Tpéptos (proprement un cordon ou une étoffe enroulée), qui est tantôt un des noms de la fascia pectoralis, tantôt celui d'une ceinture véritable, passée comme celle-ci sous les seins, non sur la peau, mais par-dessus la première tunique; tantôt encore celui d'un ornement de tête : ces distinctions seront établies au mot STROPnIUu. ''Au éEaµoç aussi se prend dans ces diverses acceptions. Ce nom, qui petit s'entendre de toute espèce d'attache, est peut-être celui qui convient le mieux aux bandes croisées sur la poitrine et dont il a été parlé plus haut 2'-. Zs»vg et « vto't et les autres dérivés de u'nvuizt, comme ceux de cingo en latin, ont une ac CIN -1176 CIN ception plus étroitement limitée et signifient la ceinture proprement dite, celle qui tient le vêtement serré au milieu du corps. On a cru, sur la foi d'anciens grammairiens ", que le premier, ÿGro~, était réservé à celle des hommes, et que o'svlov était le nom de la ceinture des femmes ; mais éivx) se rencontre dans tous les temps appliqué aussi à cette dernière". On ne saurait dire si sous l'un ou l'autre nom il faut entendre la première ou la seconde des deux ceintures que les femmes portaient souvent, comme on l'a vu, simultanément. Quant à déterminer le nom de la ceinture d'après la hauteur où elle était placée tantôt immédiatement sous les seins, tantôt sur les hanches et tombant même au-dessous, et à reconnaître sur cette indication, comme on a essayé de le faire, si celle qui la porte est une jeune fille ou une femme mariée, c'est une distinction qui n'est pas justifiée par l'examen des monuments. La ceinture brodée de Vénus (xecrdçig«ç) où, d'aprèsHomère, l'aiguille avait tracé la peinture des désirs, des joies et des peines de l'amour 3a, est devenue le type des ceintures pareillement ornées 26, et l'épithète xeerdç a été employée comme un nom commun pour les désigner27. Vénus, dans l'Iliade, détache cette ceinture de son sein, et Junon la place dans le sien; mais, d'après les termes dont oeo xeltin ), on ne saurait décider s'il a voulu parler de la bande soutenant les seins (fascia pectorales), que l'on voit dans des ouvrages d'un âge avancé àdes figures de Vénus représentée nue 23, ou s'il ne faut pas entendre, comme il serait plus naturel de le supposer quand il s'agit d'une si riche parure, une ceinture mise en évidence par-dessus le vêtement". Il semble que par la suite le mot cestes ne fut pas plus rigoureusement appliqué à l'une qu'à l'autre sorte de ceinture. Le mot ù,a rs°,p, quoiqu'on le rencontre aussi désignant une ceinture de femme 30, est proprement le nom d'une ceinture d'homme 31, et plus particulièrement de celle qui pouvait servir de soutien et de défense, soit à la guerre, soit pour les simples exercices du corps. Ors se ceignait pour la lutte ou pour le combat : c'est ce que font Ulysse et Irus, qui n'ont pas d'autres armes , lorsqu'ils se défient mutuellement 32 ; c'est ce que fait tout le camp des Grecs aussitôt qu'Agamemnon a commandé de se préparer pour la bataille n. L'expression dvvueeat ou (6,casOat est ici l'équivalent de « s'armer », et elle avait en effet cette acception 3d, Des monuments nous offrent la représentation de lutteurs ou de guerriers32 n'ayant, pour protéger le milieu du corps, qu'une ceinture : tel est le vase d'où la figure 1479 est tirée, où des Grecs combattant sont placés en face d'Amazones3°, avec l'intention manifeste de caractériser les uns et les autres par les particularités de leur costume. Ces monuments sont d'un art avancé et appartiennent géné ralement à l'Italie méridionale; mais ils ont été exécutés sous l'influence des grandes écoles de la Grèce, et si l'on ne doit pas les prendre à témoin pour l'époque homérique, on ne peut leur refuser pour d'autres temps l'exactitude, dans des détails si attentivement notés. Homère, quand il décrit l'armure de ses héros, nomme, avec la cuirasse, le Çmcrrp le ô,len, la g(-raii. Celle-ci, portée sur la peau même, était une dernière protection après que toutes les autres armes avaient été percées 37. Elle s'attachait sur les flancs, de manière à couvrir les parties molles au-dessous des côtes 33. L'analogie avec les pièces de vêtement ordinairement désignées par le même nom [bnTRA] indique qu'elle devait être faite d'une étoffe ou d'une peau souple, mais non pas dans toutes ses parties : c'est ce que prouve d'abord le rôle qu'elle avait comme arme défensive ; puis ce que dit Isomère parlant de Ménélas, dont la o(rpl avait été faite par des ouvriers qui travaillent le métal 30. Une plaque de bronze (fig. 1480), trouvée dans l'île d'Eubée40, appartenait peut-être à une g(rpa. Elle est courbe et pouvait couvrir entièrement l'estomac; elle se termine à l'une de ses extrémités par un crochet qui devait s'engager dans un anneau , tandis qu'à l'autre des trous marquent la place des rivets qui se fixaient sur le cuir ou l'étoffe de la ceinture, Cette plaque peut aussi avoir fait partie d'un marr,p. Ce nom, qui a, comme on l'a vu, un sens fort large, peut fort bien s'appliquer à la large ceinture de guerre portée comme unique défense du milieu du corps, dont on vient de citer des exemples ; mais, chez Homère, ce nom 148 CIN 1177 C1N est particulièrement réservé à la ceinture qui s'ajustait extérieurement au bas de la cuirasse, en assujettissait les pièces et protégeait le bas-ventre ", que celle-ci laissait découvert [LORICA]. Les épithètes employées par le poète indiquent qu'elle était toute brillante de l'éclat des boutons [RULLA] et des plaques de métal dont elle était garnie, et aussi de la couleur même de l'étoffe sur laquelle celles-ci étaient placées i2. Sur les vases peints, où nous avons déjà cherché des exemples, d'un temps il est vrai très postérieur, on peut observer des garnitures de ce genre. Les agrafes (ôyrlaç) au moyen desquelles la ceinture se bouclait lui servaient aussi d'ornement. Le poète parle d'agrafes d'or ou dorées 43. Nous pouvons nous faire une idée du soin avec lequel ces agrafes étaient travaillées en examinant celles qui garnissent un assez grand nombre de ceintures de guerre. On en voit une (fig. 1481) qui appartient au musée d'artillerie de Turin. Plusieurs musées en possèdent" qui sont comme celle-ci formées d'une large lame de bronze et s'agrafent de la même manière. Les piqûres qui se remarquent sur les bords étaient destinées à coudre les garnitures intérieures. On pense que ces pièces sont de fabrication grecque; toutefois elles ont été trouvées dans les tombeaux de l'Italie méridionale,etc'est dans les peintures des vases de ce pays, ou dans celles qui décoraient les parois des sépultures reproduisant des types des populations de la Grande-Grèce, de la Campanie, du Samnium, que l'on a pu observer comment des ceintures de ce genre étaient attachées, ordinairement par dessus la cuirasse ou le vête ment. Le petit bronze reproduit (fig. 1482) a été trouvé en Sicile k3. On en trouve également des exemples dans les oeuvres de l'art gréco-étrusque. Nous n'aurions pas à nous occuper ici du (ôiu.a, également mentionné par Homère, mais qui n'est pas proprement une ceinture, et dans lequel on ne peut voir que l'étoffe dont on s'entourait le milieu du corps ou le jupon qui descendait au-dessous de la cuirasse sur le haut des jambes [CtNCTL'S] ; toutefois on pourrait, au sujet des monuments qui viennent d'être cités, se demander si ce nom ne doit pas aussi bien s'appliquer à un appendice que l'on voit dans quelques-uns, suspendu à la ceinture. C'est un court tablier (fig. 1483), qui cache le ventre et les parties naturelles 17; il paraît placé là moins par pudeur que pour protéger un endroit particulièrement vulné rable 48 : on voit en effet, dans un très grand nombre de monuments grecs et étrusques, l'armure complète laissant précisément à nu ce qui devrait être caché 4°. II. Les explications qui précèdent nous ont fait passer des monuments grecs ou italo-grecs à ceux qui sont propres à l'Italie. Dans ce pays comme en Grèce nous trouvons la ceinture faisant partie de l'habillement des hommes aussi bien que des femmes, par suite des mêmes nécessités : il fallait assujettir la tunique et la relever au besoin, et à cet usage constant répond la variété des termes employés pour indiquer le plus ou moins de hauteur, non de la ceinture même, mais de la tunique tirée par dessus pour dégager les jambes : ainsi les épithètes succinctus,altiicinctus, ou aile praecinctus 30 sont appliquées aux personnes que leur condition, leurs occupations habituelles ou d'un moment obligeaient à donner aux mouvements plus d'aisance parce moyen. Par contre, un antre terme, discinctois 51, qui désigne quelqu'un qui porte la tunique sans ceinture, implique toujours l'idée d'une certaine négligence ou même d'un relâchement accoutumé dans le costume, indice de celui qui devait exister dans les moeurs. La figure 1484 reproduit une statue du musée du Capi tole 3S, représentant un camille ou assistant dans un CIN -1178w-. CIN sacrifice : les jeunes garçons qui remplissaient cet office sont constamment figurés la tunique ainsi retroussée [cAMlr.r,usj. La ceinture est ici un simple cordon noué sur le devant. A côté l'on voit (fig. 1485), d'après une peinture qui décore un tombeau de Ptestum ic, un personnage vêtu de la toge, sous laquelle est une tunique serrée à la taille par une large ceinture plate, munie d'agrafes, et qui ressemble à la ceinture militaire en usage, comme on l'a vu plus haut; dans la Grande-Grèce et dans l'Étrurie. On rencontre souvent dans les monuments étrusques" la ceinture faisant partie du costume masculin ou féminin, àla fois comme tin soutien nécessaire etcomme une parure ; elle est richement brodée et bordée de franges, de pierreries ou de boutons saillants. Quelquefois, elle maintient, au lieu de tunique, une sorte de jupon ou de C1aCrus attaché à la taille et descendant plus ou moins bas sur les hanches (fig. 1486). On y retrouve aussi" ces bandes croisées sur la poitrine, qui ont été déjà signalées dans le costume grec, tantôt se reliant à la ceinture et paraissant en être le complément nécessaire, tantôt formant un pur ornement, qu'il ne faut pas confondre, comme on le ferait aisément, avec des chaînes dont on a donné ailleurs des exemples [CATENAi. Ces bandes ou bretelles accompagnent aussi quelquefois la ceinture clans le costume militaire °'. On retrouve enfin dans les monuments qui appartiennent à l'Étrurie 58 cette sorte de tablier dont il a été parlé plus haut, souvent renforcé de lames ou d'écailles, qu'on peut supposer• de métal on de corne, posées à recouvrement (fig. 1487). Les guerriers étrusques, comme ceux des contrées méridionales de l'Italie dont on a parlé plus haut, portaient en général, soit par dessus la cuirasse de cuir ou de lin [uotucal, quelquefois garnie d'écailles, qui couvrait le ventre et le haut des cuisses, soit au bas de la cuirasse de métal,dont lespiècesne descendaient pas au-dessous de la taille, une large ceinture, qui ne différait pas de celle que les Grecs appelaient éwar/;p, Ies Romains cingulum ou balfeus; car ce dernier mot sert souvent à traduire lwa'cip en latin et ne s'applique pas uniquement au baudrier passant sur l'épaule, qui tenait une arme suspendue au Cingulum 60 est le vrai nom de la ceinture du soldat romain. Elle était une partie essentielle de l'équipement militaire et comme un insigne dont s'honorait et auquel on reconnaissait celui qui était soumis à la discipline de l'armée. Prendre le ceinturon (eingi) était synonyme de devenir soldat"; être dépouillé du ceinturon (discingi) était une marque de dégradation, et il ne manque pas d'exemples de l'application de cette peine à des soldats, à des officiers et même à une cohorte ou à une légion tout entière "x. C'était aussi pour les vaincus le signe de la capitulation et de la défaite ". Non seulement il n'était pas permis au soldat de quitter le cingulum quand il était en campagne, en présence de l'ennemi ou occupé des travaux qu'il devait toujours exécuter en armes (accinctus) fi4 : c'est ainsi que l'on voit dans les bas-reliefs de la colonne Trajane 63 des soldats ceints et armés, travaillant à creuser des fossés, à moissonner, à abattre des arbres et à porter du bois, etc. ; mais dans la paix même, il faisait partie de la tenue d'ordonnance " : on n'eùt pas osé, par exemple, paraître devant le prince sans le cingulum. On voit aussi par les textes que la ceinture était pour le soldat la poche lapins commode et la plus sùre pour serrer son argent; mais les témoignages à ce sujet se rapportent mieux encore à une ceinture intérieure serrant la tunique qu'an ceinturon d'ordonnance, tel qu'on va le décrire 87, Outre les bas-reliefs des colonnes de Trajan et de Marc-Aurèle et ceux des ares de triomphe, qui sont les monuments principalement consultés pour les armes et /:° i le costume du soldat romain, on possède un certain nombre de tombeaux de militaires ornés de leurs effigies, où les détails sont reproduits avec plus d'exactitude que l'on n'en rencontre d'ordinaire dans des œuvres d'art d'un ordre plus élevé. Ils appartiennent à toutes les époques de l'empire. Les bas-reliefs du monument des Jules, à Saint-Remy (Bouches-du Rhône), offrent même des types de soldats de la fin de la république a8. Ceux-ci, fantassins et cavaliers, ont (fig. 1488) avec le baudrier [RALTEUS] auquel l'épée est suspendue sur le flanc gauche, une large ceinture joignant la cuirasse au jupon qui lui servait de prolongement ; à quelques-uns on voit encore les bretelles croisées qui ont été signalées dans le 0k vr p( M A costume des N N 1_4 X x I Grecs et des Étrusques. On ne distingue -IŸ ` pas nettement 54 ~. 5 Il les autres dé \~ O tails dans ces sculptures très ~ l(\~ dégradées. Au _ même temps environ remonte,croyons nous, un basrelief du musée du Louvre s , où l'on voit, assistant à un sacrifice solennel, des soldats qui portent par dessus la cotte de mailles une ceinture large et plate, à laquelle est attachée une épée courte : deux d'entre eux l'ont fixée sur le côté droit; un troisième, qui est un cava lier, sur le côté gauche (fig. 14€9). Les bas-reliefs de l'arc de triomphe d'Orange90 offrent l'image de soldats à peu près pareillement armés (fig. 1499). Parmi les figures qui décorent des tombeaux (fig. 1491), on peut citer aussi des cavaliers 7L revêtus d'une cuirasse ou d'un justaucorps, par-dessus lequel un ceinturon est serré à la taille , l'épée pend ordinairement au côté droit T4. Dans les bas-reliefs de la colonne Trajane et dans ceux du même temps qui ont été placés plus tard sur l'are de Constantin, les cavaliers ont tous la cotte de mailles ou d'écailles, par dessus laquelle est passé obliquement le baudrier, auquel l'épée est suspendue. Ceux de la colonne Trajane nous montrent le soldat légionnaire au commencement du ile siècle, la taille ceinte de bandes de métal flexibles, qui s'ajustent de manière à se prêter aux mouvements du corps [Loalca], et, par dessus les bandes inférieures de ce corselet, on peut observer, dans quelques-unes des sculptures lesmien xconservées73, un ceinturon garni de plaques carrées à boutons ou autres ornements saillants; sur le devant pendent des courroies garnies de même et ayant des extrémités en métal (fig. 1492), qui rappellent le tablier que nous avons remarqué dans des mo numents beaucoup plus anciens Cette ceinture est indépendante du baudrier auquel l'épée est suspendue. On peut faire les mêmes observations sur une figure del1giorinaire du une siècle, dont la pierre est au musée de Wiesbaden?". Les soldats que l'on ié voit dans les bas-reliefs des colonnes et des arcs triomphaux, couverts de cuirasses d'une espèce différente, c'est-à-dire de la cotte de mailla o ou du justaucorps garni d'écailles, ont aussi l'épée pendre à un baudrier et on n'aperçoit aucune ceinture, soit que leur ceinture fût altaebec sous cette cuirasse. moins étroitement ajustée que celle dont on vient de parler, soit qu'en revêtant celle-ci ois échangeât la ceinture contre le baudrier. On a vu, par les exemples des figures 1489, 1490 et 1491, représentant des cavaliers, qu'une ceinture pouvait être cependant portée par-dessus des cuirasses semblables': c'est ce que prouve également l'examen des effigies de fantassins placées sur des tombeaux. Plusieurs ont la ceinture passée par-dessus la cuirasse ; les autres, sans cuirasse, par-dessus la tunique. La ceinture sert alors de support à l'épée, et le baudrier, auquel celle-ci est V CUN 1180 C1N ordinairement suspendue, est en ce cas absent : ce qui a fait penser16 que dans leurs effigies les défunts n'ont pas toujours été figurés dans la tenue de guerre, comme ils le sont sur la colonne Trajane ou sur la colonne Antonine,mais dans une tenue moins rigoureuse , qu'il était peut-être loisible d'adopter hors du service. Alors ~~ sans doute on pouvait se soulager du poids de la cuirasse, mais sans quitter le cingulum; peut-être même donnait-on à celui-ci plus d'apparence et de richesse, et il semble que, dans les monuments dont nous parlons, une attention particulière ait été donnée à tousles détails de cette pièce essentielle. Alors aussi on pouvait se passer du baudrier, devenu inutile puis que l'épée et aussi le poignard étaient fixés à un ceinturon. On peut, en effet, constater que les personnages ainsi figurés portent un ou deux ceinturons, suivant qu'ils sont munis de l'une des deux armes ou des deux à la fois. Dans ce dernier cas, les deux ceinturons sont tantôt superposés parallèlement l'un à l'autre et tantôt entrecroisés. Nous donnons des exemples de ces diverses dispositions. La figure 1493 est celle d'un soldat de la flotte de Misène 77, sculptée sur un tombeau du commencement du u° siècle. Il n'a pas de cuirasse. Sa ceinture consiste en une simple bande d'étoffe ou de cuir souple'", frangée à ses extrémités et nouée par devant. Cette manière d'assujettir la ceinture n'est pas ordinaire dans le costume militaire : le plus souvent la ceinture s'attachait au moyen d'une boucle à ardillon, dans laquelle s'engageait une languette de cuir, comme le montrent les figures 1494, 1495, 1496, qui sont tirées des pierres funéraires de légionnaires du 1°r siècle et du commencement du n° siècle de l'empire 79. Quelquefois on ne voit qu'un disque ou un bouton, qui recouvre peut-être une agrafe m. Quand un bouton semblable est placé dans le voisinage du poignard ou de l'épée (fig. 1494), on peut supposer qu'il servait à fixer l'arme "l. Il est rare quo le cuir du ceinturon ne soit pas couvert d'une série de plaques de métal (lamincie)", sur lesquelles on distingue plus ou moinsnettement des ornements en relief dans des compartiments carrés. Dans les figures 1494 et 1496 on aperçoit au-dessus des deux ceinturons qui se croisent une autre ceinture, c'est celle de la tunique, qui dans le premier exemple paraît faite de cordons enlacés. Enfin dans les trois figures on peut remarquer, comme dans la plupart de ces effigies, le tablier formé de lanières doublées de plaques ou de boutons de métal, qui défend le bas ventre, tantôt (fig. 1495) en retombant pardessus le ceinturon, sous lequel est son point d'attache (c'est ce qu'on a déjà observé dans les bas-reliefs de la colonne Trajane), tantôt en prolongeant une pièce carrée,qui est serrée et retenue par le double ceinturon et dont on peut voir, le dépassant par en haut, la partie supérieure (fig. 1494, 1496). On a retrouvé sur l'emplacement des camps romains "ides débris de ceinturons, qui permettent de se rendre compte de la manière dont étaient placées les garniFig. 1497. tures de boutons [BOLLA], et les ornements de métal qui pendaient au bout des lanières, affectant, comme on le voit, des formes très variées (fig. 1498 à 1500). Le cingulum se reconnaît encore dans les monuments des bas temps; il s'allège et se simplifie à mesure que le soldat se défait de tout ce qui l'embarrasse ou lui pèse dans son équipement. Dans la partie des bas C1N 1181. CIN reliefs de l'arc de Constantin exécutée du temps de cet empereur s`, il paraît réduit aux proportions d'un simple ruban par-dessus lequel retombe le pli de la tunique. Cependant il semble que Théodose, en rétablissant la discipline dans l'armée, ait fait reprendre à celle-ci un costume mieux adapté aux besoins de la défense. Sur la colonne élevée en son honneur à Constantinople a°, on voit des soldats couverts de cuirasses qu'entoure un étroit ceinturon ; à ce ceinturon se rattache à gauche la courroie, quelquefois remplacée par une chaîne, à laquelle est suspendu le poignard sur le côté droit. Aucun ornement, aucun détail ne semble destiné, dans les monuments qui ont été cités, à marquer le grade; on ne saurait du moins jusqu'à présent le reconnaître d'après les particularités qu'on ypeut signaler. Toutefois on remarque dans beaucoup de figures qui représentent des empereurs ou des personnages exerçant le commandement militaire, une ceinture 88 placée sur la cuirasse droite à lambrequins a7 et toujours nouée de la même manière sur l'estomac ; les bouts ne retombent pas régulièrement, t, mais sont ordinairement re levés sous la ceinture même, qui les retient, de manière à former un flot symétrique. A enjugerparsa souplesse apparente, cette ceinture était faite d'étoffe ou d'une peau mince. Bien que l'épée y soit quelquefois attachée, elle semble avoir été moins destinée à porter une arme qu'à être l'insigne du commandement, et cet insigne ne changea pas, au moins en Occident, jusqu'à la fin de l'antiquité. Tel on le voit dans la figure 1501, tirée d'un monument déjà cité83, qui remonte au moins au commencement de l'empire, et sur les statues des premiers césars, tel on le retrouve encore surle diptyque d'Aoste (fig. 1502) dont les deux feuilles offrent l'image répétée de l'empereur Honorius 89. Le cos tome qu'il porte n'était plus sans doute sous les derniers empereurs que la tenue traditionnelle du général, reproduite dans les représentations officielles, de la même manière que l'armure du moyen âge s'est conservée chez les modernes dans les portraits de personnages qui ne la portaient plus en réalité. Il existe des groupes de porphyre 90 grossiers mais curieux monuments de la décadence, qui sont probablement des portraits des Augustes et des Césars du ive siècle, réunis deux à deux. Ils sont vêtus de même et portent encore la grande cuirasse avec les lambrequins, qui prennent l'apparence d'une véritable jupe ; mais, à la place du ruban noué sur la poitrine, Fig. 1503. Empereur '0° on voit une ceinture enrichie de pier reries (fig. 1503), ce qui est conforme à ce que nous savons du goût et du luxe de cette époque; au bas de la cuirasse une seconde ceinture, ornée également de pierreries ou de plaques de métal, soutient l'épée. Un monument, peut-être postérieur, mais d'une bienmeilI leure exécution, le diptyque d'ivoire de Monza91, dans lequel on croit reconnaître Aétius, montre (fig. 1501) une nouvelle manière de porter l'épée, au moyen de deux ceinturons combinant leur action : l'un serre la taille, l'autre attaché sur la droite du premier descend obliquement vers le fourreau,danslequelils'engage. Ce mode de suspension se continuera et se perfectionnera au moyen âge. On ne peut douter de l'importance qu'avait gardée le eûtgulunz dans le costume militaire, quand on voit qu'il était devenu même pour les fonctionnaires civils la marque du rang et de la dignité. L'organisation et la hiérarchie administratives se sont réglées, au bas-empire, sur le modèle de l'armées'. Ceux qui exerçaient les emplois à tous les degrés formaient aussi une milice et en avaient le nom96.Ilsportaient comme les soldats le eingulunzmilitiae, qui faisait partie de la tenue obligatoire dans le service, et sans lequel ilne leur étaitjamais permis de paraître en présence de l'empereur9. Entrer, demeurer dans le service actif se traduisaitparsumere cingultlntou encore cirtgulo toereri9', CI N --1182 -ClN le quitter par cinynlom délionooe, loFierrs'i cinplllo, teévzs arofca so, â,oeivue 9b, et si c'était par suite de dégradation que l'on était forcé de s'en dépouiller, cela s'appelait iule;; ou sfo/tari ' ogiilo ", pa'ieilegio cinguli exuï °e. On peut juger par les prescriptions des codes et les textes des écrivains du bas empire du soin avec lequel était réglé le privilège de porter le conqulum et de l'éclat qui rejaillissait sur celui qui en était décoré 10'. Jean le Lydien a décrit I01 le cingulum (erx p) du préfet du prétoire, qui était fait d'un double cuir teint en pourpre, bordé d'une délicate broderie, et dont les extrémités portant d'urne part un ménisque d'or, de l'autre une languette en forme de grappe, d'or également, se bouclaient l'une dans l'autre. Nous n'avons aucun renseignement sur les ceintures des autres dignitaires. Sur le médaillon d'or de Valens, qui est ici reproduit1010 on voit (fig. 1505) cet empereur avec Valentinien associé à l'empire, tous deux assis sur le même trône et tous deux portant uns large ceinture enrichie de pierreries, à laquelle est suspendu sur le devant un ornement en forme de bulle [;3ur.LA]. Le disque votif connu sous le nom de bouclier de Théo ;iule ap. 1.-C. dose"' nous offre aus si, avec l'image de l'empereur, celle de ses deux fils, assis à ses côtés, revêtus du costume impérial et portant une ceinture qui semble brodée de perles ou ornée de pierres précieuses. Le goût pour les joyaux et les riches broderies, qui faisait des ceintures au bas empire un objet de grand luxe, n'était pas nouveau chez les Romains, mais il avait été poussé très loin depuis que les habitudes et les modes orientales avaient envahi la cour des empereurs. Les ceintures des femmes n'avaient pas moins d'éclat 104. Une statue de femme du haut empire105 en offre un exemple (fig. 1506), qu'on peut rapprocher de ceux des siècles suivants. Elle consiste enunruban orné au centre d'une boucle et entièrement bordé de pierres en table ou en cabochon, avec de grosses perles en pendeloques. La ceinture que porte Galla Placidia (430 après J.-C.) sur une des feuilles du diptyque de Monza, en regard de celle d'Aétius106, est garnie de pierres dans . toute sa longueur. On en trouve d'autres à peu près semblables dans les mosaïques des églises 107 et dans les peintures des catacombes 108. Aussitôt que les chrétiens commencèrent à rehausser par l'éclat du costume la beauté qu'ils voulaient donner aux figures des saintes, ils leur donnèrent aussi pour parure des ceintures toutes brillantes de broderies et de pierres précieuses (fig. 150; et 1508). E. SAOL1o. CtNNARARIS (Kerieapt), cinabre. -La plupart des auteurs anciens, Aristote et Théophraste exceptés', n'ont pas su distinguer le cinabre proprement dit, qui est un deutosulfure de mercure, d'avec diverses substances minérales rouges, le minium ou bioxyde de plomb entre autres. Dioscoride réserve le nom de xtvvéàapt au sang-dragon, suc du dragonier commun(dracaena draco) ',aussi appelé cinabre indien (xtvvâfzpi 1vèisdo) 0, qui, outre ses emplois thérapeutiques, servait encore en peinture à représenter la couleur du sang 4; cet auteur désigne par le même mot, 4 ,u.tov, notre cinabre et notre minium '. Les Latins ont de même appelé couramment le vrai cinabre minium', tout comme l'oxyde rouge de plomb ; Pline confond perpétuellement les deux substances. Il donne, lui aussi, le nom de cinnaltaris au sang-dragon, et regarde cette résine comme un mélange' de la sanie du dragon avec le propre sang de cet animal et celui de l'éléphant'. Nous savons d'ailleurs par lui que le nom de cinabre a été appliqué au minium à cause de sa couleur. Ces confusions involontaires, auxquelles se joignait encore la fraude, causaient de nombreux accidents; il arrivait que l'on remplaçait, ce qui, on le comprend, L'i -1183saC1N était Ioin d'être indifférent, dans des préparations médicales le sang-dragon par le cinabre ou le minium se On trouvera à l'article cc-nones des détails sur la production et les usages spéciaux du srolliuln chez les anciens. Ici nous dirons seulement quelques mots de la métallurgie du vrai cinabre, puis nous passerons à ses emplois. Préparation du cinabre. Falsifications. Le cinabre vrai dont se servaient les anciens était soit natif, soit obtenu par le traitement d'un minerai. Le premier se tirait d'Espagne et de Colchide, peut-être aussi de Carmanie et d'Ethiopie où des mines avaient été signalées. Le minerai cinabrifère, qui était employé pour la préparation artificielle, se rencontrait, en assez faible quantité d'ailleurs, aux environs d'Ephèse, dans les champs Cilbiens, sous la forme d'un sable de couleur rouge et brillant ()sg-upiousa)10. On le traitait de la manière suivante : après l'avoir pulvérisé dans des vases de terre, on le lavait dans des bassins de cuivre, au fond desquels se formait un dépôt de matière riche en cinabre. La double opération du broyage et du lavage se répétait plusieurs fois de suite, et à chaque fois la proportion du cinabre dans le dépôt augmentait. Le rendement du minerai dépendait essentiellement de l'habileté de l'opérateur; celui qui ne possédait pas suffisamment le tour de main n'obtenait que peu ou point de cinabre". Ce procédé fut imaginé par un Athénien nommé Callias, quatre-vingt-dix ans environ avant l'archontat de Praxiboulos, l'an de Rome 439 (314 av. J.-C.)". L'éclat de ce sable, qu'il avait rencontré dams les mines d'argent, lui ayant fait supposer qu'il contenait de l'or, Callias l'avait soumis à divers traitements sans en obtenir le métal précieux qu'il cherchait; mais il se trouva en revanche avoir découvert une magnifique couleur rouge Les essais qu'il fit alors le conduisirent au procédé de préparation que nous venons de rappeler. Plus tard, chez les Romains, le minerai fut traité d'une façon un peu différente. On l'extrayait des mines sous forme de blocs qu'on expédiait à Rome sous scellés. Le bloc brut, tant qu'il n'avait pas été soumis aux manipulations, était appelé anthrax; c'est seulement à Rome qu'il était permis de le réduire et de l'affiner". Le traitement consistait, au temps de Vitruve, à broyer le minerai dans un mortier de fer, puis à le laver et à le griller, jus-qu'à ce que l'on obtint du cinabre bien pur74. L'extraction de ce minerai était considérée comme nuisible à la santé; car il donnait des exhalaisons étouffantes; aussi les ouvriers s'attachaient-ils devant le visage une vessie qui les préservait d'aspirer l'air vicié''. Selon Pline, c'est pendant le travail de la pulvérisation dans les ateliers que les ouvriers s'enveloppaient ainsi le visage". C'est, en effet, durant cette dernière opération que les vapeurs mercurielles et sulfureuses devaient se produire avec le plus d'abondance. Rome ne tirait guère son cinabre que des mines de Sisapon, en Bétique (aujourd'hui Almaden, ou, selon d'autres, Guadalcanal) ; c'était un tribut que payait la province, et il s'élevait en poids à environ deux mille livres par anA7La vente de ce produit était un monopole de l'État, et une loi en avait fixé le prix maximum à soixante-dix sesterces (14f,70) la livre, Mais dans ers conditions mêmes, c'est vainement qu'on se serait natté de l'espoir de l'obtenir pur; car les mines étaient affermées à une compagnie, qui n'hésitait pas à réaliser de gros bénéfices en falsifiant le cinabre par toutes sortes de moyens. La principale altération qu'on lui faisait subir dans les laboratoires de la compagnie consistait à le méIanger avec du minium ; les Romains du reste considéraient cet oxyde comme un cinabre de seconde qualité (minium, secundariurn)10. Il fut mêlé quelquefois aussi avec de la chaux; mais cette dernière fraude était facile à reconnaître : il suffisait de mettre du cinabre sur une plaque de fer chauffée an rouge ; si, après refroidissement, il était devenu noir, c'est qu'il contenait de la cbaux'9 On le falsifiait enfin avec la rubrique de Lemnos (argile d'un rouge vif)". Un autre genre de fraude était pratiqué par les peintres : ceux-ci, au heu d'appliquer deux couches de cinabre l'une sur l'autre, donnaient la première soit avec de la rubrique, soit avec du syricurn 2i. Les peintres communiquaient encore artificiellement à leur peinture un éclat qui jouait celui du cinabre, en étendant sur une couche de sandyx [coLones7 du purpurissurn(laque de pourpre) mélangé avec de l'oeuf". Le cinabre indien ou sang-dragon, dont nous avons parlé plus haut, ne fut pas non plus à I'abri des falsifications; comme le véritable était un produit très-rare, et qui coûtaitfort cher, cinquante sesterces la livre (10£50), on le mêla avec du sang de cheire et des sorbes broyées 23. Emplois du cinabre. Dans l'antiquité, comme de nos jours, le cinabre servit à préparer le mercure' [nvnaaeorion], à peindre et à écrire 2a. Le rouge de cinabre passe pour avoir été la première couleur employée dans les arts ; c'est avec le sang-dragon et avec le cinabre d'Ephèse que furent exécutés, dit-on, les premiers tableaux monochromes; mais l'éclat de ces deux substances paraissant trop dur, et le cinabre exigeant beaucoup d'entretien, on passa bientôt à l'emploi des ocres ou argiles colorées (eubrica, sinopis) me A Rome, où le rouge fut une couleur sacrée, c'était en vermillon que l'on peignait aux jours de fête la statue de Jupiter; et le premier devoir des censeurs, en entrant en charge, était de mettre cette peinture en adjudication '. Cette coutume semble venir de ce que le Jupiter du Capitole, oeuvre du sculpteur frégeIlan Turianus, sous Tarquin l'Ancien, était d'argile, et qu'on avait pris l'habitude de le peindre en vermillon (oliniari) 28, soit CIN 1154 CIN pour le préserver, soit pour lui donner une teinte plus agréable à la vue. Les triomphateurs eux-mêmes s'enduisaient le corps de cinabre (ou peut-être de minium), et c'est ainsi qu'avait triomphé Camille. Les traditions religieuses exigeaient encore que l'on coloràt de la même manière les huiles dont on se parfumait au festin triomphal 29. Le rouge du reste entra toujours comme un élément assez important dans la composition des parfums, surtout ceux de rose et de safran, que l'on colorait avec du sang-dragon, de l'anchuse (orcanette, anchusa tinctoria) et du vin 30. Enfin quelques-unes des matières colorantes rouges familières aux anciens, particulièrement le minium et le cinabre, ont été utilisées dans la préparation du fard 31. Pour peindre les murailles des édifices somptueux, on employa le cinabre n. Le témoignage des anciens à cet égard a été confirmé par l'analyse qu'a faite H. Davy des couleurs que contenait un grand vase de terre, trouvé dans une chambre des bains de Titus. Il y avait dans ce vase quatre espèces de rouge ; l'un était du minium, deux autres des ocres ferrugineuses; un autre enfin du cinabre. Cette dernière substance avait même servi à peindre la niche et les autres parties de la pièce où fut trouvé le groupe du Laocoon". Mais cette peinture s'altérait facilement, soit par l'action de l'air et de la lumière, soit par l'humidité; on a vu plus haut que les artistes y avaient renoncé pour les tableaux. Voici ce qui avait été imaginé pour la conserver intacte sur les murailles : la peinture une fois sèche, on appliquait dessus à chaud, avec le pinceau, une couche de cire punique fondue avec de l'huile; puis on faisait suer cet enduit en le chauffant avec des charbons de galles; enfin, après l'avoir uni en passant dessus des chandelles de cire (candelœ), on le frottait avec des linges propres pour le faire briller 3W. Emploi du cinabre dans l'écriture. Le cinabre fut employé pour faire ressortir les lettres gravées sur l'or ou sur le marbre 35. Les inscriptions rouges sur les tombeaux ne sont pas rares. Elles n'étaient pas toujours gravées, mais souvent seulement peintes ; Boldetti et Lupi en signalent dans les cimetières de Rome na Les copistes usèrent non seulement du cinabre, mais encore du minium, du coccus, de la rubrique, et ces mots, quand il s'agit de l'écriture, sont la plupart du temps, chez les latins, employés pour signifier, d'une façon générale, la couleur rouge 37. Du reste, ici comme dans la peinture, bien des matières colorées furent en usage, que les anciens ne distinguèrent souvent les unes des autres qu'en les nommant d'après leurs lieux d'origine. Notons seulement, en passant, que les copistes ne purent employer le sang-dragon, qui est insoluble dans l'eau n. Les Grecs durent recevoir des Égyptiens l'encre rouge comme ils en avaient reçu le papyrus 39. « Les analyses de Landerer, dit M. Gardthausen, ont prouvé que l'encre rouge égyptienne était du cinabre, et l'on peut supposer qu'il en fut de même chez les Grecs, puisqu'ils connaissaient cette substance. i D'ailleurs des expériences, signalées par le même auteur, ont fait reconnaître dans l'encre de certains manuscrits anciens, conservés jusqu'à nous, la présence du mercure 80. C'est surtout dans les titres, les initiales et les premières lignes des livres que brillent les encres de couleur, et entre toutes l'encre rouge (µe)oéutov Y4xxivovl. De ce que les titres étaient le plus ordinairement rouges dans les beaux livres est résultée la synonymie entre les termes rubrica et titulus, et aussi entre rubrica d'une part et lex ou formula de l'autre, parce qu'on écrivait les titres de lois avec une espèce de sanguine (rubrica) 41, Au siècle d'Auguste l'absence du titre rouge en tête d'un ouvrage est présentée par Ovide comme un signe de deuil". Les premières lignes des manuscrits très-anciens des auteurs classiques, comme les Tite-Live de Vienne et de Paris, le Virgile de Florence, sont en rouged°. Un palimpseste, qu'a publié Tischendorf, en 1815, présente trois lignes à l'encre rouge au commencement de chaque livre de la Bible ; on en voit deux en tête de chaque évangile dans les deux plus anciens manuscrits de Cantorbéry 44. Les titres destinés à être passés à l'encre d'or étaient d'abord tracés en rouge [dHRYSOGRAPniAj. Dans quelques cas, mais assez rares, l'encre rouge a servi à écrire un texte continu, par exemple le résumé des chroniques; une version mise en regard d'une autre écrite en noir. C'est ainsi que, dans un vieux manuscrit de Bâle, le texte de saint Grégoire de Nazianze est écrit ers rouge, tandis que le commentaire d'Élie de Crète, qui l'accompagne, l'est en noir. Il en est de même du texte des psaumes, qu'entoure un commentaire de Cassiodore tracé à l'encre noir 4 . Une partie des exemples que l'on cite ici se rapporte, il est vrai, à une époque plus récente que l'antiquité proprement dite ; mais peu de manuscrits véritablement anciens sont parvenus jusqu'à nous, et faute de pouvoir juger de visu de l'exécution matérielle de ces derniers, il est légitime de conclure rétrospectivement, avec quelques justes réserves, de l'usage un peu postérieur à l'usage plus ancien. Souvent au contraire l'encre rouge servit pour les notes marginales et les remarques 46 ; pour distinguer les unes des autres des scolies de deux auteurs différents autour d'un même texte a ; pour marquer dans un livre les passages qui devaient être médités, ou qui attiraient la critique ; ceux sur lesquels on devait revenir ; et même, à cet effet, au lieu de tracer une marque à l'encre rouge, on collait quelquefois de petits morceaux de cire rouge (7tap'XlIt GuaTa) pour signaler l'endroit, comme cela ressort d'une lettre où Cicéron dit à Atticus qu'il redoutait ses cerclas miltiatulas 48. L'emploi du cinabre à ciité de l'encre noire avait encore pour but de distinguer entre elles différentes indications : Euthalius, au ve siècle, dans le programme de son CIN 1185 C1B édition des Épîtres catholiques prévient qu'il écrit en noir les titres des chapitres, et ceux des subdivisions de chapitre en rouge. Dans l'édition des Actes des Apôtres, il donne de même aux chiffres en couleur une valeur d'emploi différente de celle des chiffres en noir 49. On s'est aussi servi du cinabre, ou du minium, pour tracer, au milieu d'un texte écrit à l'encre noire, certaines lettres qui, par leur disposition, formaient des dessins rouges se détachant sur un fond noir. On a vu, à l'article CIIRYSOGRAPIIIA, le même procédé employé pour faire ressortir une figure dessinée par des lettres d'or au milieu des lettres d'argent. L'encre rouge fut choisie par les empereurs d'Orient, (de bonne heure, à ce qu'il semble, sans qu'on puisse d'ailleurs préciser l'époque) , pour signer les lettres écrites en leur nom, les actes ou les diplômes émanés de leur autorité 50. L'encre dont ils se servirent d'abord pour cet usage fut une encre faite avec la pourpre cuite au feu, et avec ses coquilles réduites en poudre ; c'était l'encre sacrée (sacrum encaustum). Par un rescrit de l'an 470 il fut interdit aux particuliers, sous peine de confiscation des biens et même sous peine de mort, de fabriquer cette encre, de la posséder, ou de chercher à l'obtenir de l'officier qui en avait la garde. Cet officier eut le titre de Garde de l'encrier rouge (`O in: xavtx),e(ou) J1. La loi, d'autre part, ne permettait de reconnaître pour rescrits impériaux que ceux où la signature du prince était tracée ou enluminée avec la pourpre''. Cependant l'encre de pourpre devenant de plus en plus rare, le cinabre à une époque qu'il est impossible de déterminer, la remplaça dans les souscriptions impériales, dont la couleur rouge, du reste, se maintint aussi longtemps que dura l'empire grec. Dans les actes de divers conciles on lit, avant la signature de l'évêque, la mention 6 Basônius à xtvvaêdpirsç 53. Cette encre impériale est encore désignée chez les Grecs par les noms de Gall' et de xôxxoç, aussi bien que par celui de xtvvxôr pt n. Quant à la façon dont signaient les empereurs, la plus ancienne était legimus, qu'on voit au bas de la lettre grecque adressée par un empereur d'Orient à Pépinle-Bref 55. II y a lieu de croire que, même quand les empereurs signèrent au cinabre, l'usage de cette encre ne fut pas interdit aux particuliers, car, après comme avant le rescrit' de 470, les Grecs n'ont jamais cessé d'orner leurs livres de lettres rouges oe. Autres encres de couleur. Comme les autres encres de couleur ne méritent pas que l'on consacre un article spécial à chacune d'elles, nous en dirons un mot ici, une fois pour toutes. A l'empereur seul était réservé, comme on a vu, le droit de signer au cinabre ; en cas de minorité, le tuteur de l'empereur souscrivait les pièces officielles à l'encre verte54, rTpatieiov Xfm, probablement le même corps connu sous le nom de cinabre vert 58. L'encre verte est as II. sez rare dans les manuscrits grecs et se rencontre plus fréquemment dans les latins ; encore ceux où elle a été remarquée sont-ils relativement récents 58. L'antiquité a connu aussi l'encre bleue. On a prétendu sans fondement que cette encre n'avait jamais été employée seule pour les titres et les initiales des manuscrits, mais toujours conjointement avec d'autres couleurs, le rouge notamment ; cependant Montfaucon avait déjà signalé des notes et des majuscules dans lesquelles l'encre bleue n'alternait avec aucune autre 80, et, si cela ne sortait trop du cadre de cet article, on en pourrait citer d'autres exemples. La couleur jaune et la couleur brune paraissent asoir été beaucoup moins employées dans les livres anciens que les précédentes ; pourtant quelques manuscrits présentent des initiales brunes. Outre les encres de fantaisie, les anciens connaissaient encore les encres sympathiques dont ils usaient pour les correspondances secrètes. On trouvera des détails sur ces encres à l'article EPISrOLAE SECRET 5E. At Inn. JAr.os.