Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CIVITAS

CIVITAS. Voyez pour les Grecs POLITEIA. Dans la langue du droit romain, ce mot désignait tantôt la qualité de citoyen t avec les différentes prérogatives qui en dépendaient, tantôt l'ensemble des citoyens d'une ville, ou la cité elle-même considérée comme personne morale', respublica. Nous renvoyons aux articles coLONI_-v, concerne l'organisation des différentes cités soumises à 24 Clame, Mus. de se. pl. 338 c, n. 1102 b, figure ici reproduite d'après un recueil de planches supplémentaires aux Antiquités d'Ilerculanuon, appartenant s la bibi. de l'Institut de France. 25 ltenndorf, Gr. und Sicil. Voscnbilder, pl. mi. big. De rein club. XXXIV, 5. 3 Leur ensemble formait l'optimum jus cicimn lionranoracm; Willems, Le droit public romain, 46 éd., p. 73 et s. 4 Ulp. Il. la domination romaine, pour ne traiter ici que de la qualité de citoyen romain. On examinera successivement comment elle s'acquérait, quelles prérogatives y étaient attachées`, et enfin comment elle pouvait se perdre. est l'ensemble des facultés légales attachées au titra de citoyen; aussi les confondait-on souvent dans l'usage sous les noms de jets Qlcirit'iunt, dénomination plus antique peut-être, ou civitas, jus eivis'. La cité romaine s'acquérait de trois manières 5, par la naissance, par concession spéciale, ou par nfanuenissio. 1. Dans le cas de justurrt letatrimonium. ou mariage civil romain entre deux personnes qui avaient le conntthiutrt6, en principe l'enfant suivait la condition du mari lors de la conception, et, si celui-ri était citoyen romain, l'enfant naissait avec le même titre'. Il en était de même quand lafemme étai t pérégrine ou latine, si elle avait oh tenu le eonnubium. En l'absence d'un mariage romain, ou dans le cas de simple union naturelles, l'enfant suivait la condition de la mère, au point de vue de la cité, en se plaçant â l'époque de la naissance 2. Cependant l'application de cette règle avait été écartée par une loi 3lensia, ou plutôt lllinicia d'après une inspection nouvelle du manuscrit de Gains". Quelques auteurs avaient prétendu que cette loi se confondait avec la loi Aelia Sentie. et corrigeaient le texte'-] en ce sens; mais cotte correction n'est plus admissible depuis la révision du manuscrit de Gaius 12 par Studemund. Cette loi Dlinicia décidait qu'au cas de mariage sans cwtnubiunt entre deux personnes dontl'une était pérégrine ou latine, l'enfant prenait la condition du parent non citoyen. Mais le progrès des idées amena un sénatus-consulte proposé par l'empereur Hadrien, aux termes duquel l'enfant devait toujours, en pareil cas, suivre la cité du pèret"; par analogie on décida que celui qui naîtrait d'un mariage pérégrin, lorsque la mère n'avait acquis le droit de cité qu'a l'époque de l'accouchement, demeurerait pérégrin 14. H. La concession de la cité romaine pouvait être accordée individuellement à certaines personnes (viritïm ou sigillatim), ou même en bloc aux habitants d'une cité, par une décision souveraine émanée primitivement du roi1.', puis, sous la république, du peuple romain" assemblé dans les comices centuries ou par tribus, Quelquefois celui-ci confirma les décisions des généraux ou proconsuls1'. W. Zumpt admet même que ce droit appartient aux censeurs]$. Après la guerre sociale, la plupart des cités d'Italie obtinrent le droit de cité en vertu de lois successives Iri'ALIA, Jas ITALICUM] en 661 et 665 de Rome, et même celles de la Gaule transpadane le reçurent de Jules César en 705 de Rome, ce qui donna lieu à la loi Subi 23 de Gallia Cisalliina, et en 709 à la loi Julia inunicij;alis qui organisa toutes les cités d'Italie". Sous l'empire, le mouvement se généralisa et les princes, soit en vertu de leur Cursus instftu, g 217 et Itudorff, ltechts,gesch. 1, ~ 26. 12 1, 78, 79; Iteg. V, 8. 13 Cadis, 1, 77. 14 Gants, 1, 89, 90, 92; Demangeat, 1, p. 170 et s. Pro R¢lbo, 10, 11, 14, 21; Pro Archm, f0; Ibo Gois., p. a et 41; 'é alter, Gesch. des rrim. Recht+, 36 édit. n° 352. 17 Plut. JI,. 28; Val. Max, V, 2, 8; Tit. Liv. C1V 1218 C1V censoria20, et même sine lege21, accordèrent le droit de cit© romaine à des pérégrins", à des chefs de tribus conquises23, à des villes et à des provinces entières". En outre, par faveur pour les anciens Latins et ensuite pour ceux qui y furent assimilés, certaines lois conférèrent le bienfait de la cité romaine ipso jure à ceux qui avaient accompli des conditions déterminées. C'est ainsi qu'Ulpien 25 nous montre les Latins Juniens pouvant acquérir le titre de citoyen : iteratione, par une nouvelle manumission, ce qui rentre dans la matière de l'affranchissement [LIRERTUS] ; militia, en servant six ans à Rome dans les gardes de nuit [VIGILES], en vertu de la loi Visellia" ; -pave, par la construction d'un navire de la contenance de six mille modii [3onlus] ; celui qui l'avait en outre employé pendant six ans à porter du blé à Rome, reçut la cité romaine en vertu d'un édit de l'empereur Claude27; aedif cio : la même faveur fut accordée à celui qui avait affecté à la construction d'édifices la moitié de son patrimoine". En outre, quand un citoyen épousait par erreur une pérégrine, ou réciproquement et en avait un fils, il pouvait établir son erreur (causam erroris probare) et leur faire acquérir la cité 29. Enfin la loi Aelia Sentia ouvrait aussi une voie analogue en permettant au Latin Junien de se marier avec une Latine ou une Romaine et réciproquement, et s'il y avait un enfant d'un an, de probare causam et d'obtenir la cité avec son fils 30 Si un pérégrin avait contracté avec une Romaine un mariage de droit des gens et que ce mari eût acquis la cité romaine après la conception, mais avant la naissance d'un enfant, celui-ci devenait citoyen 31 ; il en était de même pour celui qui obtenait ainsi que sa femme enceinte le jus civitatis 3°L, sans doute d'après des décisions de droit positif, dont la première ne paraît pas en harmonie parfaite avec le sénatus-consulte rendu sous Hadrien 33. En outre plusieurs rescrits impériaux avaient conféré ipso jure le titre de citoyens à ceux qui avaient exercé dans des villes latines des magistratures annuelles; malheureusement le passage de Gains " relatif à ce point est incomplet, et a donné lieu à de graves controverses sur l'existence d'un majus et d'un minus Latium [LATIKrrAS], suivant que le bienfait de la cité se serait étendu ou non à la femme et aux enfants du magistrat. Cependant le droit le plus avantageux à cet égard appartenait incontestablement aux habitants de la colonie latine de Salpensa, en vertu de la loi municipale récemment découverte Q3. Rappelons en outre que la loi Servilia repetundarun récompensait par la concession de la cité, le Latin qui avait fait condamner, sur son accusation, un magistrat n pour crime de III. Enfin, l'affranchissement d'un esclave lorsqu'il avait eu lieu avec les formes solennelles prescrites procurait encore à l'affranchi la cité romaine37, sauf certaines restrictions [voyez pour les détails, les articles LIRERTINU5 et MANUMISSIO]. Mais ce mode d'acquisition fut singulièrement restreint par les lois Aelia Sentia, Junia Norbana, et Furia Caninia38, abrogées seulement par Justinien39. Avant cette réforme déjà, il n'existait plus parmi les sujets de l'empire qu'un petit nombre de pérégrins, c'està-dire les déportés sans doute [EXSILIUM], les Latins Juniens et les DLDI'TITII. D'après un texte célèbre d'Ulpien L0, l'empereur Antonin Caracalla aurait concédé (211 à 217 après J.-C.) la cité romaine à tous les habitants de l'empire romain ; mais le sol de province ne fut pas en même temps assimilé au point de vue de la propriété au sol italique et rien ne fut changé à la constitution des villes [sus ITALICUM]. La portée de cette constitution et les motifs qui la dictèrent ont donné lieu à de graves controverses entre les érudits 41. En effet, un texte d'Ulpien 42 mentionne encore des Latins coloniaires et des Latins Juniens. On peut faire observer que ce dernier fragment a dû être écrit avant la constitution de Caracalla; d'autres pensent qu'il s'agit là seulement des affranchis non citoyens, auxquels ne se serait pas appliquée la loi nouvelle. Mais la généralité de celle-ci paraît embrasser tous les habitants actuellement vivants43 de l'empire, ce qui n'excluait pas la possibilité de trouver encore des pérégrins à l'avenir, soit parmi les affranchis postérieurement, soit parmi les étrangers admis à servir dans les armées romaines, ou enfin parmi les habitants des provinces nouvellement conquises. Quant au motif de cette concession de Caracalla, il faut le chercher dans les besoins du fisc. L'empereur voulut augmenter le produit de l'impôt de mutation sur les successions [vicESIMA nEREDITATUM], déjà doublé par lui, et qui ne se percevait que sur l'hérédité des citoyens; or, en donnant la cité à tous les habitants de l'empire, on élargissait de beaucoup la matière imposable. Conséquences de la cité romaine 4'". Elles peuvent être envisagées sous deux points de vue suivant qu'elles se rattachent au droit public ou au droit privé. 1. La civitas romana optimo jure comprenait plusieurs jura publica : jus sufragii, jus llonorum, jus provocationis, jus census, jus militiae, etc. Le jus census 43 a pour effet de donner la faculté et d'imposer l'obligation au citoyen de figurer à Rome sur le registre du cens, avec son article particulier (caput) et l'indication de toutes les propriétés prises en considération pour la distribution des classes et des centuries. Or on sait que le CENSUS servait de hase au système électoral, financier et militaire organisé par Servius Tullius. En vertu du jus su/fragii b6 celui qui avait la cité complète, pouvait voter dans les comices [COMITIA]. Toutefois, d'après l'opinion commune, les patriciens jouissaient seulement de ce droit dans les comices curies ou par centuries, du moins à l'origine. Quant aux plébéiens, ils prenaient part aux comices centuries, et plus CIV 1219 CIV tard ils furent d'abord seuls admis aux comices tribus [COMITIA, SUFFRAGIUM]. Il existait cependant une classe de citoyens dépourvus du jus su ffragii, et dont la qualité se nommait civitas sine suffragio 47. Le jus honorum donnait l'aptitude à être investi des magistratures 4s [MAGISTRATUS.1 Depuis l'an 300 avant Jésus-Christ cette capacité fut égale pour les citoyens romains patriciens ou plébéiens n. Le jus provocationis permettait de faire appel au peuple contre toute décision d'un magistrat, ayant l'imperium et qu'un citoyen prétendait préjudicier à son droit So [APPELLATIO, PROVOCATIO]. Cette garantie ainsi que l'exemption de toute peine déshonorante 51, comme la croix et le fouet, appartenaient même aux cives sine suffragio. II en était ainsi de l'ancien principe renouvelé par la loi Sempronia, qui défendait de porter atteinte à la vie ou à la liberté du citoyen romain, sans une décision du maximus contitiatus 52. A cette inviolabilité politique se rattachait encore le droit de l'accusé de se soustraire par un exil volontaire à l'application d'une peine criminelle s3 et de ne pouvoir perdre la cité que par le moyen indirect de l'aquae et ignis interdictio [ExsxLIUM].En outre, le citoyen était seul admis en principe à l'honneur de servir dans les armées romaines'" (jus militiae) 55. Enfin, il jouissait du droit de porter une accusation publique devant les comices par l'entremise des magistrats qui avaient le jus rogationis, et directement devant les commissions permanentes [QUAESTIO PERPETUA, INSCR1PTIO IN CRIMEN, JUDICIUM]. II. Au point de vue du droit privé '6, la cité romaine comprenait plusieurs prérogatives importantes (jura privata) : le commercium, le connubium, le jus patriae potestatis,l'agnatioetla gentilitas.Onappelaitcommercium57 la faculté d'acquérir la propriété par les modes du droit civil [DOMINIUM;, tels que la MANCIPATIO 58, dérivée du NEXUM, la CEssio IN JURE 59, ou revendication fictive, l'USUCAPIO6o l'ADJUDICATIO61, admises dans les trois actions divisoires, et la loi (lege), ce qui comprenait notamment les successions et le legs per vindicationem, le CADUCUM et l'EREPTORIOM 62 On peut rattacher encore au commercium les modes civils d'acquérir les créances, comme la stipulation spondes spondeo n, les nomina transcriptitia 54, etc. Au commercium se relie naturellement le droit de prendre part à la confection d'un testament (testaanenti fâctio) u, puisque la forme la plus usitée au temps du droit romain classique était la mancipatio per aes et libram, ou vente fictive de l'hérédité à un emptor familiae, originairement l'héritier institué. On entendait par connubium 8° la faculté de contracter un mariage civil romain( justummatrimoniumsivenuptiae) avec une personne déterminée. Quant à la puissance paternelle [PATRIA POTESTAS], elle était organisée d'une manière toute spéciale aux RomainsparlaloidesDouze Tables, etn'appar tenait en principe qu'aux citoyenstl7. Quelquefois l'empereur accordait au nouveau citoyen les jura cognationis relativement à ses parents fie. Sur cette base reposait la parenté civile, AGNATIO, et sous certaines conditions, le jus gentilitatis [GENS]. Les Romains concédaient souvent par fraction les différentes prérogatives dépendantes de la cité romaine ; c'est ce qu'on a déjà vu pour la civitas sine suffragio; mais la concession de partie des droits privés était beaucoup plus fréquente; ainsi les Latins, puis les Latins coloniaires59 et après eux les Latins Juniens 70, obtinrent le jus commercii, mais non pas le connubium", sauf privilège individuel [LATINITAS]. Du reste, certains citoyens comme les affranchis [LIRERTINI] pouvaient se trouver dépouillés d'une partie du droit public; ainsi dans l'origine privés du jus suffragii, ils ne le conquirent qu'avec certaine infériorité, et n'eurent qu'assez tard le jus honorum, et même le connubium complet72. Le titre de citoyen romain, si honoré sous la république", perdit beaucoup de son éclat avec la plupart de ses conséquences politiques, sous l'empire'`. Dès la fin de la république tous les habitants de l'Italie [sus ITALICUM], la Gaule cispadane et même en 705 de Rome la Gaule transpadane, avaient acquis la cité romaine75. Néanmoins, avant la constitution de Caracalla, ce. titre offrait encore de précieux avantages, comme la jouissance de tous les droits civils, l'exemption des peines corporelles78, la faculté de provocatio à l'empereur contre les sentences de tout tribunal criminel77, et l'aptitude aux honneurs. Cependant, jusqu'à Claude, les habitants de la Gaule chevelue (Gallia coma ta) ne pouvaient, quoique citoyens, entrer au sénat. Les Égyptiens étaient frappés de la mêmeincapacité,fondée sur des préjugés nationaux''' Néanmoins, à cette époque, le jus civitatis, conféré d'abord avec ménagement par les empereurs à des particuliers ou à des cités entières, fut bientôt prodigué. Il appartenait en principe à tous les Italiens, en province, aux habitants des municipes et des colonies romaines, et, par concession spéciale, à des villes ou à des particuliers79, qui prenaient alors le surnom de leur bienfaiteur80. Auguste s'était montré fort avare de semblables faveursR1, Tibère et Caligula ne le furent guère moins, mais Claude devint plus facileA2, ainsi que Néron83. L'empereur Galba revint à la rigueur primitive 80, dont on se départit beaucoup sous les règnes suivants85. On trouve des cas nombreux de Juifs mentionnés comme citoyens romainsS6. Quant aux Égyptiens, ils ne pouvaient devenir cives qu'en obtenant d'abord le droit de cité dans Alexandrie". Du reste, la civitas romana ou jus Quiritium s'accordait tantôt à des Latins Juniens, tantôt à des pérégrins ordinaires", c'est donc à tort qu'on a voulu établir une différence entre ces deux dénominations du droit de citéS9. C LA 1220 CLA Nous avons expliqué plus haut la portée de la célèbre constitution d'Antonin Caracalla90, qui étendait la cité romaine à tous les habitants de l'empire. Perle de la qualité de citoyen. La cité romaine se perdait jadis par suite de tout exil volontaire )ExsIL1uM], immédiatement, comme conséquence de l'aquae et ignis interdl'ctio 91, qui forçait un condamné à s'agréger à une cité nouvelle. Dans ces derniers cas, il y avait moyenne déchéance d'état (minor vel media capitis deminutio °') [cAPUT]. En effet il était de principe que nul ne pouvait appartenir à la fois à deux cités9', et la naturalisation volontaire entraînait la perte de la civitas romana, lors même qu'il s'agissait d'une cité foederata, ou de l'envoi dans une colonie latine [COLONIA, LATINITAS1. La déportation94 qui fut substituée sous l'empire à l'interdiction de l'eau et du feu, eut également pour effet la media capitis deminutio. Mais les enfants déjà conçus ex justis nuptlis, antérieurement à la déportation, demeuraient citoyens, soit que la mère ou le père eût été déportés'. De même un captif affranchi par les Romains, mais qui retournait volontairement vers les siens, perdait la cité romaine, en vertu de la fiction du posTl,tMINIuM96. A plus forte raison, toute cause de privation de la liberté, produisant la maxima capitis deminutio, impliquait par voie de conséquence la perte de la qualité de citoyen, sauf en cas de retour du captif, l'application du postliminium; il en était ainsi de la vente d'un Romain par son père à l'étranger9', ou de la tradition d'un citoyen à l'ennemi par les féciaux, pour violation du droit des gens''. Seulement on avait douté si, en cas de refus par l'ennemi, la simple expulsion faisait encourir au deditus la perte de la ennuis" . Du reste, ces deux cas ne donnaient pas lieu, en cas de retour, à la fiction du postliminium. G. HuaBERT.