Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CLASSIARII

CLASSIARII, CLASSICI. Soldats de la flotte romaine. 1. Sous la République. Après leurs grandes guerres maritimes contre Carthage, les Romains ne construisirent plus eux-mêmes leurs navires de guerre. Ils imposèrent cette construction aux peuples alliés ou sujets, et c'est parmi eux aussi qu'ils recrutèrent leurs équipages. Le recrutement des troupes de mer et des hommes chargés de la manoeuvre à bord des navires avait quatre sources différentes: 1° Les citoyens de la sixième et dernière classe formaient, dit Polybe', les troupes de marine. Ils composaient sans doute ce détachement d'hommes in classeur scripti, dont parle Tite-Live°. Les troupes de terre servaient aussi sur mer en cas de besoin. Tite-Live mentionne une legio classis, et la xvile des trente légions levées par Antoine portait le surnom de classica 2° Mais Polybe dit aussi 4 que ces citoyens pauvres, réservés pour le service de la marine, étaient, en cas de nécessité, incorporés dans les légions. Les Romains devaient donc recruter d'un autre côté leurs troupes de mer, et, en effet, ils enrôlèrent souvent des affranchis pour ce service. Mais ce qui montre bien qu'ils n'en venaient là que quand ils ne trouvaient plus d'ingénus à qui la République pût donner des armes, c'est que, dans les circonstances où Tite-Live mentionne de tels enrôlements, Rome était engagée dans des guerres considérables où toute sa milice de condition libre était occupée. C'est, par exemple, sous la dictature de Fabius Maximus, pendant la guerre contre Antiochus, les colonies maritimes ayant refusé leurs redevances en hommes et vaisseaux ; c'est encore pendant une épidémie ou au milieu de la guerre contre Persée 3° On alla plus loin encore: dans des circonstances très graves, la République recruta ses équipages parmi les esclaves °. Cette mesure, d'après le discours que met Tite-Live' dans la bouche de Valerius, fut tout à fait exceptionnelle. Peut-être même ces esclaves, achetés par l'État à vil prix, reçurent-ils leur affranchissement avant d'être armés, comme fit Octave pour ceux qu'il enrôla dans la guerre civile e. 4° Enfin on recrutait les troupes de mer soit parmi les peuples alliés, soit dans les colonies ou dans les provinces. Hiéron, les Rhodiens, Attale, Eumène, les habitants de Smyrne rendirent à la République des services signalés pendant les guerres maritimes'. Quant aux colonies dites maritimes, elles étaient dispensées du recrutement légionnaire, à la condition de fournir des équipages. Un sénatus-consulte rappela cette obligation aux villes d'Ostie, Frégènes , Castrum-Novum, Pyrgi, Antium, Terracine, Minturnes et Sinuesse10. D'autres villes, telles que Rhegium, Velia, Pcestum" devaient fournir des vaisseaux. A mesure que les Romains étendirent leurs conquêtes dans les pays baignés par la mer, ils imposèrent des conditions de ce genre aux peuples vaincus. Non seulement l'Italie leur fournissait des troupes de mer, mais ils en demandaient à la Sicile, à l'Asie, à d'autres provinces qui continuèrent à peupler les flottes sous l'Empire Ces contributions en hommes et en vaisseaux étaient ordinaires ou extraordinaires. Les premières résultaient d'un traité, tel que celui conclu avec les Mamertins, et par lequel ceux-ci étaient obligés à fournir un vaisseau et son équipage 10. Ils livraient le navire tout armé à la République, qui pouvait l'envoyer où bon lui semblait, dans l'Océan même. La ville se chargeait aussi de la solde des hommes, dont le montant était remis au capitaine. Ainsi tout embarras de recrutement, de paiement, CLA 1 222 CLA de gestion, était épargné à la République. En Asie, la dépense de la flotte avait été répartie par Sylla entre toutes les villes, proportionnellement à leurs ressources. Le frère de Cicéron les affranchit de cette contribution 14 mais ce fut pour peu de temps. On sait tout ce que Pompée en tira pendant la guerre civile f5. Voici maintenant une contribution extraordinaire. Dans la Xie Philippique1e, Cicéron demande au sénat que le proconsul C. Cassius soit chargé de l'administration de la Syrie et de la guerre contre Dolabel]a, et qu'il puisse lever des navires, des matelots, de l'argent en Syrie, en Asie, en Bithynie et dans le Pont. A recruter seulement chez leurs alliés leurs troupes de mer, les Romains trouvaient cet avantage de se proscer des hommes habitués aux manoeuvres des vaisseaux. D'antre part, les changements survenus dans leur constitution militaire devaient les conduire au même résultat, Des quatre sources de recrutement que nous avons énumérées, les prolétaires, les affranchis, les esclaves, les alliés, la dernière seule restait ouverte à la fin de la République ; car les esclaves, comme nous l'avons dit, rte furent enrôlés que par exception. Marius incorpora dans les légions les citoyens pauvres, et les affranchis y entrèrent pendant la guerre sociale. Mais ce mode de recrutement maritime les exposait à de graves périls. Pendant la guerre sociale, une trahison éclata parmi le contingent latin de la flotte. Déjà Polybe disait 14 que de son temps, les Romains, maîtres absolus de l'univers, et disposant d'une puissance beaucoup plus grande qu'elle ne l'était autrefois, ne pouvaient plus ni armer autant de galères ni lever des flottes aussi nombreuses. Les Romains ne connaissaient plus la mer. Un soldat d'Antoine lui disait, la veille de la bataille d'Actium, en montrant ses cicatrices : « général, pourquoi te défies-tu de ces blessures et de cette épée, et mets-tu dans un bois pourri tes espérances? Laisse aux Égyptiens et aux Phéniciens les combats de mer, et donne-nous la terre, à nous qui sommes habitués à y combattre de pied ferme, à y vaincre ou à y mourir 13 Depuis deux siècles, en effet, la proportion des contingents alliés augmentait constamment dans la flotte romaine. Dans la première guerre punique presque tous les marins sont Romains ; en 557 les alliés fournissent un cinquième des navires ; en 581 ils en fournissent le tiers; en 583, la moitié. Lucullus, dans la guerre contre Mithridate, n'emploie que des vaisseaux et des équipages fournis par les Asiatiques 79. Les troupes de mer étaient tenues en médiocre estime. Lorsqu'on fit la guerre au roi de Macédoine, Philippe, beaucoup de marins désertèrent adspem honoratioris tiae 20. Ces troupes recevaient du trésor public une solde qui se composait d'argent, de blé et de vêtements. Le montant de cette solde ne nous est pas connu : il était peut-être égal à celui de la solde légionnaire, car légionnaires et marins recevaient la même part de butin Si, Les commandants des navires étaient logés aux frais des provinces où la flotte était en station 2 H. Sous l'empire. Les soldats de marine étaient choisis uniquement parmi les provinciaux non citoyens, comme le prouvent les diplômes militaires qui leur confèrent le droit de cité et le droit de connubium, et aussi l'absence du prénom du père sur la plupart de leurs inscriptions funéraires. Sous Auguste et sous Tibère les capitaines et les équipages appartiennent tous à la familia imperatoris et ne semblent pas avoir été organisés militairement 93. Claude soumit le personnel de la flotte à un régime plus régulier, et à l'époque d'Hadrien la marine romaine apparaît sous la forme qu'elle a conservée à partir de ce règne n. Cette milice, aussi dédaignée sous l'Empire que sous la République, était recrutée surtout dans les provinces grecques, en Égypte, en Syrie et en Asie Mineure; dans les pays latins c'était la Dalmatie, la Sardaigne et la Corse qui fournissaient le plus grand nombre des marins". Pour accorder une faveur aux soldats de marine, les empereurs les incorporaient dans les légions, ou bien en formaient des légions nouvelles 16. Inversement, pour punir un soldat de l'armée de terre on le faisait servir dans la marine 27. Végèce dit 28 qu'à chacune des flottes de Misène et de Ravenne était attachée une légion. Ce mot donne lieu à. quelque confusion, et a induit en erreur Fabretti luimême 23. Juste Lipse avait cependant montré 30 l'erreur de Végèce. Elle tient à ce que les classiarii étaient divisés en cohortes pour leur service à terre [cLASSICISS CENTURIO]. Outre leur service sur la flotte, les soldats de marine étaient employés à divers services. Claude en établit deux cohortes, l'une à Pouzzoles, l'autre à Ostie 3t. Commode les employait comme machinistes dans les représentations du cirque3R; et, en effet, leur habitude de manier les voiles et les cordages les rendait tout à fait propres à ce service. Les classiarii figurent dans une liste de soldats qui donnèrent à Rome une représentation scénique l'an 212 de notre ère 33 Les marins de Ravenne et de Misène, détachés à Rome pour ces divers services, y avaient des camps particuliers. Celui des Misénates était situé dans la IIIe région (Isis et Moneta) et celui des Ravennates au delà du Tibre ss Enfin les classiarii étaient, en campagne sur le continent, occupés aux travaux de terrassement de concert avec les soldats de l'armée de terre. Hygin, dans son livre sur la Castramétation écrit sous le règne de Trajan, dit que les classiarii sont placés en avant du camp parce qu'ils doivent en sortir les premiers pour ouvrir et dégager les routes au reste de l'armée 86. Une inscription trouvée à Salone, rappelle que l'équipage de la trirème Concordia (flotte de Ravenne) a travaillé au mur d'enceinte de la ville. Le chef de ces soldats de marine détachés pour suivre l'armée de terre était nommé praepositus vexillationi, titre et emploi qui ne sont connus que par une inscription de Rome 98. Pendant qu'ils servaient sur la flotte, ils étaient sous certains rapports, légalement assimilés aux soldats de l'armée de terre, par exemple pour ce qui regarde les Fig. 1574. -Soldat de la flotte de Misène. CLA 1223 CLA testaments. Le Digeste est formel à cet égard : « Navarchos et trierarchos classium jure militari pusse testari, nulla dubitatio est. In classibus omnes remiges et nautaesnilites sont 37. Le nombre d'années que durait le service militaire à bord de la flotte paraît avoir varié sous l'Empire. Les plus anciens diplômes militaires sont accordés à des soldats ayant vingt-six ans de service; ceux de Philippe et de Dèce à des soldats ayant servi vingt-huit ans 3S. D'autre part, un soldat qui n'a servi que vingt-six ans est qualifié de vétéran n. II n'y a donc rien de fixe à cet égard. Les vétérans de la marine pouvaient, aussi bien que les vétérans légionnaires, être rappelés au service. Un G. Nonius Calvisius, de la flotte de Misène, est dit veteranus evo/catus30. Végèce distingue 41 dans l'armée de terre les simplares, sesquiplares, duplares. On trouve souvent des soldats de marine duplarii ou dupliciarii, c'est-à-dire qui recevaient double ration ou double solde. La mention de la simple solde n'a pas besoin d'être indiquée, puisque c'est le droit commun. On la trouve cependant sur l'inscription de L. Didius Ruber mil. clans. ravenn. sirop. te. Neptun. On n'a pas trouvé encore d'inscription funéraire de sesquiplaris de la flotte ; cependant un librarius sesquiplarius de la flotte de Ravenne est mentionné dans un diplôme militaire de Trajan Dèce ". II serait très difficile d'énumérer les différentes charges remplies parles principales de la flotte. Parmi les fonctions purement navales des principales, on peut citer cependant celles du euBERNATOR, du PRORETA, du NAUPRIZAX et de l'I1ORTATOR. On rencontre aussi l'orTIO et le suboptio, l'ARMORUM CUSTOS, le sIGaIEER, le beneficiarius stolarchi [STOLARCnus], le secutor 1 trierarchi, le PITU Les, l'architeclus ou ingénieur-constructeur de la flotte qui avait sous ses ordres les compagnies d'ouvriers (artifices, fa bri, velarii) dirigées par un optio, le coementarius espèce de calfat, le SUBUNCTOR, le CoaoNARIGS, le CORNICEN 43. Le service de santé était confié à un MEDICUs attaché à chaque navire b4. Les employés du commissariat de marine connus par les inscriptions sont l'ExCEPTOR, l'EXACTES, 10 sCRIBA, le LIBRARIUS et le RATIONALIS qui appartenaient tous au service actif de la marine. Au contraire, le DISPENSA'TOR GLAS n. 2813. 41 Ib. n. 2743. 42 II, 7. 43 Aujourd'hui au masse de Saint-Ger sis ou payeur de la flotte et le TABULARIUS ou archiviste, qui étaienttous deux des esclaves ou des affranchis impériaux ne paraissent pas avoir fait partie du service actif 4s (voir ces différents mots). Un tombeau (fig. 1574), trouvé à Athènes dans le Cérarniqueb6, nous présente l'effigie d'un soldat de la flotte de Misène, vêtu d'une tunique et d'un manteau, il porte des braceae et est chaussé de bottines, il a le cinquluie (voy. p. 1180) ; une épée est suspendue à son flanc droit; d'une main ii tient une haste, de l'autre un coffret. On possède aussi la tombe d'un faber mutatis Le vêtement des gens de mer était de couleur noire. Plaute, à qui nous devons ce détail, nous apprend aussi qu'ils mangeaient beaucoup d'ail. Ils avaient un pain d'une espèce particulière, probablement analogue au biscuit, et un vin fort médiocre, que Caton se vantait d'avoir pu boire 48. C. DE LA BERGE. CLASSICUM [SIGNA].