Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article COLONUS

COLONUS. Ce nom dans son sens primitif' désignait le simple fermier (conductor) qui prenait une terre à bail [LOCATIO ONDUCTIO] et s'obligeait àla cultiver et à fournir au propriétaire soit une prestation' en argent, soit une part des fruits a ; dans ce dernier cas, le premier se nommait aussi colonus partiarius, c'est-à-dire colon partiaire ou métayer'. On ne doit pas confondre celui-ci avec le simple politor5, ou manoeuvre qui donnait son travail au fonds moyennant une portion de fruits. Mais, dans un sens tout spécial et qui n'apparaît que sous l'empire romain, on donnait le nom de coloni à une classe particulière d'hommes libres, mais considérés en quelque sorte comme esclaves du fonds, ou attachés à la glèbe e : Licet conditione videantur ingenui, servi tarsien terrae ipsius coi rirai surit existimentur, dit une constitution des empereurs Théodose et Valentinien. La condition des colons ou le colonat (colonatas), qui fut certainement la source du servage au moyen âge, a été l'objet de travaux considérables 7 de la part des jurisconsultes modernes. On se propose d'en tracer ici le résumé. 1. Origine historique du colonat. La condition des colons n'a pparattlégislativement organisée qu'au bas-empire à partir de Dioclétien, mais il est très probable qu'elle remonte plus haut, et que les lois n'ont fait que régulariser un état de choses déjà consacré par l'usage, suivant M. Bureau de la Malle e. L'origine de cette situation juridique spéciale se trouve dans la condition des esclaves attachés au service d'un temple. Ainsi le temple de Delphes abritait des esclaves à condition qu'ils seraient libres d'ailleurs et ne pourraient être cédés à autrui [MANUMISSfo SACRA]. Tels étaient aussi ces esclaves sacrés ou venerii d'Éryx en Sicile, les filles d'Aphrodite à Corinthe, les hiérodules de Camarca dans le Pont, qui ne pouvaient pas plus être vendus hors de leur pays que les ilotes de Sparte'. L'auteur compare à cette condition celle des Pénestes, des Brutiens et des Périoeques, et y voit le genre du colonat et de la glèbe. Cette idée est rationnelle, mais il nous semble qu'elle peut être généralisée. Les principes du droit privé permettaient d'attacher des clauses spéciales à la vente 10 (legem contractas) ou au legs d'un esclave, notamment qu'il demeurerait attaché à la culture d'un fonds. Cette clause dut se multiplier, lors de la destruction de l'agriculture libre en Italie [AGRARIAE LUGES] et du développement immense des LATIFUNDIA. En effet, le jurisconsulte Scaevola ", qui vivait sous Marc-Aurèle, distingue déjà, dans un fragment de ses Réponses, parmi les esclaves employés à l'agriculture l'esclave ordinaire qui travaille fide dominica, et celui qui cultive à charge de payer un fermage comme un colon, mercede, ut exlranei colons: Marcien 12, qui vivait sous Alexandre Sévère, suppose qu'un esclave est attaché à une terre comme fnquilinus, et déclare nul le legs par lequel le propriétaire aurait légué cet esclave sans le fonds. fine constitution d'Alexandre Sévère", de l'année 230 de J.-C., permet au maître d'une femme esclave ou d'une adscriptitia de revendiquer l'enfant exposé sans le consentement du propriétaire ; il y avait donc une différence admise entre l'ancilla et l'adscriptitia. Il est probable que quelque constitution qui ne nous est pas parvenue 14, ou même de simples édits des gouverneurs de province, furent rendus en vue de protéger l'agriculture. On peut même, avec Huschke 1o, dont l'avis a été suivi par Marquardt i6, faire remonter jusqu'à Auguste, qui se préoccupait de rétablir l'agriculture en Italie et en province, l'origine de mesures tendant à organiser le colonat" surtout en province, à l'occasion du recensement des colonies dans la forma ceusualis. On sait d'ailleurs que ce prince transporta en Gaule des Barbares germains, qui purent être soumis à cette condition, par attribution aux cités voisines, ou répartis entre les propriétaires romains. Si les jurisconsultes romains se sont peu préoccupés de cette classe de colonz attachés à la glèbe, c'est qu'elle se développa en province, en dehors d'ailleurs des cadres du vieux droit quiritaire. Les établissements de Barbares 16 se multiplièrent sous Marc-Aurèle, à qui Zumpt attribue même la formation du colonat", et sous ses successeurs". Elle doit avoir été la principale source de cette institution 21. En outre, la classe des petits cultivateurs libres existant encore en plusieurs provinces fut successivement assujettie par l'empire, sous prétexte de protéger l'agriculture, à la culture forcée de leurs terres, de même que la condition des curiales et celle des corporations tendit à devenir héréditaire. Constantin défendit aux fermiers de ses domaines d'exercer des fonctions municipales et de changer de terre, puis il étendit en 332 cette règle à tous les fermiers, ce qui lui a fait attribuer l'origine du colonat". On se préoccupait moins alors de protéger la liberté des personnes que de pourvoir, on le croyait du moins, aux intérêts de l'agriculture, qui souffrait de l'abandon des cultivateurs libres, de la fuite des esclaves, ou par suite de leur malheureuse condition et des mauvais traitements qui tendaient à amoindrir sans cesse le nombre des cultivateurs. On aura attaché à la terre les esclaves coloni, en généralisant ce que certains maîtres avaient déjà fait, en faveur de leurs familles serviles, et en défendant l'aliénation de ces servi indépendamment des fonds qu'ils ex COL 1323 COI. ploitaient 23. En un mot, on en fit une sorte d'immeubles par destination. On limita l'arbitraire des grands propriétaires fonciers dans l'intérêt de l'agriculture et du trésor public 24 pour assurer la rentrée de l'impôt. Le fisc luimême organisa ce système sur les vastes domaines qui lui appartenaient. Plus tard enfin, à partir de Dioclétien, lors des grandes luttes avec les Barbares, les empereurs prirent de plus en plus l'habitude de distribuer les prisonniers'° entre les grands propriétaires, à charge de les attacher en qualité de coloni à la culture du sol, jus census, et de ne pas les rendre esclaves en les employant au service urbain. C'est ce qu'atteste une remarquable constitution 48 rendue en 409 par Honorius et Théodose, relativement à l'attribution des prisonniers de la nation barbare des Scyres, qui avaient partagé la défaite des Huns. Cette répartition de colons barbares entre les grands propriétaires fut alors la source la plus féconde du colonat, si bien qu'Isidore de Séville n semble supposer en général, en définissant les colons, que ce sont des étrangers (cultores advenae). Enfin outre la naissance qui, comme on va le voir, pouvait faire acquérir la qualité de colons, d'autres causes tendaient à recruter le colonat même parmi Ies hommes libres sujets de l'empire 23. Du reste, les coloni portent encore les noms de adscriptitii, censiti, inquilini, originarii, rustici et tributarii. Il pouvait en effet arriver que des hommes libres passassent à l'état de colons, soit volontairement par une sorte de pacte de dédition combiné avec le mariage, soit par prescription; car, bien que la liberté fût en principe inaliénable, on avait admis, comme on le verra bientôt, une modification de cette règle, en 451 de J.-C., pour celui qui épousait dans cette intention une femme adscriptitia 29, avec déclaration au greffe de la ville (gestis municipalibus). Anastase (491 à 418 ap. J.-C.) admit l'assujettissement au colonat par une possession d'état de trente années, ce qui fut consacré par Justinen 30. Mais ces colons forment une classe à part; assimilés aux coloni proprement dits d'une manière imparfaite, les premiers en effet demeurent véritablement libres et conservent le droit de disposer de leurs biens 31. Il en fut de même, dans le cas prévu par la Novelle 162 de Justinien, rendue en 539. On ne doit pas confondre cette classe mixte avec les fermiers libres, coloni liberi, dont il existait encore quelques-uns et mentionnés sous le nom de coloni liberi dans une constitution de l'empereur Zénon 32. Nous croyons donc que M. Serrigny, dans son savant travail surle colonat n, a exagéré la distinction des deux classes de colons, ou du moins donné trop d'importance et une date trop ancienne à la formation de cette classe de colons devenus tels volontairement par contrat; car il n'en existe aucune trace antérieure à la Novelle de Valentinien III. Ce mode ne peut donc expliquer les lois du code Théodosien, promulgué en 438. En fait, il est vrai, la misère a pu réduire des hommes libres à subir la condition servile de colon na comme un refuge contre l'impôt, etc. Mais aucun contrat de ce genre n'était valable avant 451, et même il ne fut pas admis dans le code Justinien. M. Guizot n voit l'origine du colonat dans la situation primitive de la plèbe gauloise; mais ce système ne saurait expliquer le colonat dans le reste de l'empire romain. Selon M. Giraud", a le colonat fut formé d'un côté par la tc population libre dégénérée et de l'autre par la population « servile améliorée : l'une et l'autre se fondirent en une a position moyenne qui d'abord n'eut d'autre règle que « la coutume ou le contrat, et qui plus tard fut soumise a à des règlements que sollicitait le bon ordre de l'État, et l'intérêt de l'agriculture et la garantie respective des propriétaires et des colons.» D'après les textes cités par nous 37, il semble qu'on doit s'en tenir, quant à l'origine du colonatus, au système de Marquardt exposé ci-dessus. L'élément servile et barbare a formé la plus ancienne et la plus considérable catégorie de colons. II. Comment on devenait colon. Les premiers colons, sont devenus tels, ainsi qu'on l'a dit, ou par suite d'une clause ajoutée à la vente ou au legs d'un esclave, et devenue de style pour les travailleurs de condition servile 33; ou par attribution de prisonniers sous certaines conditions au propriétaire d'un domaine 39. Une fois la classe des colons formée, elle s'est recrutée encore par la naissance , par l'adjudication volontaire d'un homme libre à titre de peine, enfin par prescription. Voyons successivement les règles relatives à ces derniers cas. D'après les principes du droit romain, l'enfant né en dehors d'un justum matrimontûm suit la condition de la mère au moment de la naissance. Cette règle fut en général observée "0 relativement à notre matière, et les colons de naissance furent nommés originarii. Les parents sont-ils colons du même maître, les enfants sont attribués à ce dernier avec la même qualité. Si les parents étaient des colons de propriétaires différents, les enfants devaient être partagés "t dans des proportions qui ont varié aux différentes époques de la législation. Justinien défendit transitoirement ce partage pour la Mésopotamie et l'Osroène, parla Novelle 187, rendue en 535 d'après Weilingi2. Mais les Novelles 156 et 162, c. 3, cette dernière de l'année 539, rétablirent, dans le dernier état du droit, l'odieuse séparation des enfants. Lorsque le mariage avait eu lieu entre une personne adscriptitiae conditionis et une personne esclave, l'enfant suivait la condition de sa mère , d'après le droitcommun63; cela s'appliquait encore au cas où le père était libre et la mère adseriptitia ". Lorsqu'au contraire la mère était libre et le père adscriptitius, on devait déclarer l'enfant libre, d'après les principes ordinaires; néanmoins, dans l'intérêt de l'agriculture, Justinien décida qu'il serait colon libre, c'est-à-dire attaché au domaine, mais avec faculté d'acquérir pour soi "5. Quand des enfants naissaient d'un cultivateur ingénu et d'une coloria du fisc, ou réciproquement, une loi spéciale les déclarait toujours colons du fisc 88. Le contrat de dédition d'un homme libre qui s'attri COL -1324COL bu ait en qualité de colonus au maître d'un domaine n'était valable qu'autant qu'il épousait une adscriptitia de ce domaine, et déclarait son intention formelle apud acta 47. A titre de peine, un mendiant valide (mendicus validus) pouvait être attribué 49 comme colon à son dénonciateur, aux termes d'une constitution, rendue en 382 par Gratien, Valentinien et Théodose. Enfin, quand un homme libre était possédé comme colon pendant trente ans, on présumait, dans l'intérêt de l'agriculture, qu'il avait accepté volontairement cette position n ; mais il appartenait à la catégorie des colons libres. Suivant M. Serrigny 56, les affranchis Latins juniens et déditices placés sur un domaine étaient dans une position analogue à celle des colons. Mais depuis la constitution de Caracalla qui avait élevé à la condition de citoyens tous les pérégrins alors existants, les Latins juniens, etc., étaient devenus fort rares ; d'ailleurs, les formes de la mancipation paraissent être tombées en désuétude dès avant Justinien51. En sorte que celui-ci supprima plutôt des distinctions vaines, qu'il ne modifia la réalité des choses, en déclarant citoyens tous les affranchis. III. Effets juridiques de la qualité de colon. Le colonat peut être envisagé au point de vue du droit public et du droit privé. 1° Sous le rapport du droit public, les colons mêmes de la pire condition étaient considérés comme personnes libres 52. En conséquence, ils demeuraient soumis àl'impôt (publicae functiones) de capitation [cAPIT ATIO] : suppositus capitali illationi n. En cette qualité ils étaient inscrits au cens, au chapitre (caput) du domaine, et c'est à quoi se rapportent les expressions adscriptitii, censiti, tributerü qu'on leur applique souvent 54. Seulement l'Étai levait d'abord sur le propriétaire Ies quotes afférentes à ses colons, contre lesquels il se remboursait ensuite plus facilement n. En outre, les colons étaient sujets au service militaire, et c'était parmi eux que les propriétaires tenus de fournir un certain nombre de tirones â6 prenaient leurs recrues. Seulement, pour prévenir l'abandon des fonds, îi était interdit d'admettre l'enrôlement volontaire des colons n, ou le recrutement en dehors des limites du contingent légal 56; il fallait ménager à la fois l'intérêt public et celui de l'agriculture. Les recrues cessaien t de payer la capitation personnelle, mais on mettait leur quote à la charge des accrescentes", c'est-à-dire de ceux qui ne devaient atteindre l'âge légal pour l'impôt qu'au prochain recensement. Probablement, les colons du même lieu étaient appelés en première ligne à supporter cette charge et après eux les accrescentes du rôle. Tel est, d'après Walter "6, le sens d'une constitution assez obscure 61 du code Théodosien, sur laquelle Godefroi paraît s'être mépris, en l'appliquant aux accrescentes (sensu militari) appelés parfois avant l'âge à compléter le nombre des recrues 62 2° Au point de vue du droit privé, les colons se divisent comme on l'a dit en deux catégories, les colons de la première classe ou liberi et les colons proprement dits. La plupart des préceptes juridiques concernant cette condition sont communs à ces deux classes; la seule différence à noter, c'est que les colons libres ou ingénus pouvaient acquérir des biens propres, et les posséder et en disposer non à titre de pécule, liberi manentes cum rebus suis 63. Cette différence, comme on l'a vu plus haut, tenait à l'origine de cette classe de colons. En laissant de côté cette exception, on voit que tous les coloni étant assimilés à des personnes libres, pouvaient contracter un mariage valable fi', à la différence des esclaves. Lorsque le fonds était vendu partiellement, il était ordonné, dans la répartition des colons, de réunir les enfants à leurs parents 65. Ce que du reste la même loi de Constantin, rendue en 334, appliquait même par humanité aux esclaves. Le colon était tenu de payer au propriétaire la redevance convenue, pensio ou reditus66, et celle-ci ne pouvait être augmentée sans aucun prétexte. Le gouverneur de la province" était appelé à veiller au maintien des anciens usages à cet égard, et à prévenir toute violence contre les colons. La redevance se payait d'ordinaire en nature, et quelquefois en argent suivant la coutume des lieuxB6, si elle l'autorisait comme le porte une constitution de Valentinien et de Valens. Mais la mesure la plus protectrice de l'intérêt du colon consistait dans la défense de le vendre séparément du fonds 69. La première trace d'une prohibition légale à cet égard se trouve dans une loi de Constance, rendue en 357"; en cas de vente partielle du fonds, les colons étaient partagés proportionnellement u. Cependant le propriétaire de deux domaines dont l'un était insuffisamment garni de colons pouvait le compléter au moyen de colons de l'autre bien '~. Les coloni conservent une sorte de propriété sur ce qu'ils peuvent acquérir; mais pour eux (à part les coloni liberi ) c'est un pécule improprement dit73 [PECULIUM], dont il ne Ieur est pas permis de disposer à l'insu du dominus praedii74. C'est là une garantie contre leur disparition, ou l'amoindrissement de leur matériel d'exploitation. Si le colon meurt sans héritiers testamentaires ou légitimes, ses biens reviennent au propriétaire du fonds75. Quant au lien qui les attache à perpétuité au domaine, tous les colons sont traités comme esclaves de la glèbe ou du fonds ; eux et leurs descendants (agnatio ou originarii) ne peuvent le quitter78 sous aucun prétexte, même d'élévation à certaines dignités'. En vertu du même principe, le propriétaire du fonds conserve sur eux une certaine puissance dominicale, potestas78, avec droit de correction dans une mesure modérée (moderata corrigere castigatione T9). Aussi en général les colons n'ont pas le droit de le citer en justice 30, ni de l'accuser. Cependant cette règle souffrait exception : 1° en cas de contestation sur la qualité même du colon 61 ; 2° si ce dernier récla COL 1325 -COL malt la propriété du fonds n; 3° quand il se plaignait d'un accroissement de la redevance 83; 4° ou enfin d'un crime commis par le maître sur le colon ou sa famille$''. En cas de fuite du colon, hypothèse assez fréquente sans doute, car elle a été l'objet de sévères réglementations, le maître peut revendiquer le colon en tout lieu et contre tout détenteur comme un esclave fugitif n. Une foule de dispositions tendent à faciliter la poursuite des colons déserteurs. D'après le code Théodosien, ils étaient réduits à titre de peine en servitude véritable 86; le fauteur ou le recéleur subissait une amende (muleta) d'une livre d'or87 outre la restitution du fugitif et d'un autre colon d'une valeur égale S8. Pour échapper à la charge des impôts, souvent les colons invoquaient le patronage d'un personnage considérable; plusieurs lois défendirent cet abus, patrocinium 89, sous peine de cent livres d'or contre le protecteur noble, et la confiscation, s'il était tnediocris fortunae 90. Le propriétaire conservait même le droit de revendiquer le colon vendu irrégulièrement sans le fonds auquel il était attaché 91, et cela indépendamment de toute prescription de longtemps. IV. Comment on pouvait cesser d'être colon. En règle générale, la qualité de colon était indélébile; par un précepte d'ordre public mal entendu, et trop fréquent au bas empire, le colon était rivé à sa situation n. Jadis il lui avait été permis d'opposer la prescription après avoir possédé trente ans la qualité d'homme libre (proprio sensu) n ; mais Justinien abolit cette disposition humaine, sans doute en vue de l'intérêt de l'agriculture 94, et l'empereur paraît bien interdire d'une manière générale toute voie au colon pour se libérer du colonat, nulla liberatione ei penitus competente. Aussi Cujas 93 et la plupart des auteurs modernes 96 admettent-ils que le maître lui-même n'aurait pu libérer le colon de cette qualité par une sorte d'affranchissement volontaire. En effet, un autre texte de Justinien, opposant le colon à l'esclave, qui peut être affranchi, ajoute que le maître ne peut faire sortir le colon de sa puissance qu'avec le fonds. On ajoute qu'aucun texte ne suppose une libération possible du colonat, Cependant l'avis opposé a été soutenu par Godefroi 8i. Celui-ci s'appuie sur une lettre de Sidoine Apollinaire 98, qui suppose la possibilité de cette libération (solvere inquilinatu); cette opinion a été suivie par M. Guérard99 et fortifiée de nouvelles preuves par M. Serrigny dans son traité sur le droit public romain 19°. Il fait remarquer que la C. 21 de Justinien ne fournit qu'un argument négatif, en présence du texte positif de Sidoine Apollinaire. Pour les colons servi, le droit commun suffirait à l'affranchissement; pour les liberi, un simple pacte aurait dissous le colonat formé de cette façon. Mais la manumission, suivant nous, ne s'appliquait qu'aux véritables esclaves, et quant aux colons libres, ils ne pouvaient devenir tels par simple pacte: donc l'argument tiré de la loi 35 du Digeste De reg. juris 101 tombe. Sidoine Apollinaire, dans la lettre citée, a entendit parler de l'affranchissement non d'un colon, mais bien d'un esclave cultivateurt5E; les mots pro domino jam patronus le prouvent et origini inquilinatu n'est pris que dans un sens impropre. Sans doute, avant Justinien, on pouvait laisser prescrire au colon sa liberté, mais depuis la loi 21, cette voie lui est fermée 103 D'ailleurs il est bien conforme à l'esprit du temps d'avoir interdit au propriétaire lui-même de détacher le colon de sa culture 104et l'on doit s'en tenir au système de Cujas. Lorsqu'un enfant de condition adscriptitia était exposé à sa naissance [CxPOSITroINFANTIS;, il était libéré de plein droitf0', aux termes de plusieurs constitutions impériales. Enfin on avait décidé qu'un colon ne pouvait être ordonné clerc (clericus) par l'Église que dans le vicus où il devait supporter les charges du colonat : ut propriae capitations onus ac sarcinam recognoscant 109. Une autre constitution des empereurs Honorius et Théodose ajoute en 409 que le colon ne peut devenir clerc sans le consentement de son maître, en payant la capitation et en se faisant remplacer pour les travaux de la culture, inruralibus obsequiis. Cette règle est confirmée par les empereurs Léon et Anthemius 107 et appliquée aux colons qui embrasseraient la vie monastique. Au défaut de ce consentement du maître, ils déclarent l'ordination nulle, nullius penitus esse momenti. Au contraire, Justinien par la Novelle 123109, rendue en 541, décida que l'ordination d'un colon, faite même sans l'aveu du dominos, serait valable, sauf au clerc à se faire remplacer pour les travaux du fonds. Mais le même empereur, qui déclare un esclave affranchi par la seule ordinatio consentiente domino, ne répète pas cette solution pour le colon. Il est permis d'en conclure que l'affranchissement était impossible même en ce cas. La seule qualité d'évêque (episcopus) libère entièrement du colonat ceIui qui est devenu clerc avec la permission de son maître 109. Le colonat tel que nous venons de l'exposer était devenu la condition générale des cultivateurs (agricolae) dans les campagnes, à partir de Dioclétien. Cette institution fut un progrès 110, comparée à l'esclavage personnel. Maintenue après l'invasion des Barbares d'Occident, qui se partagèrent les terres avec les colons, elle se transforma en servage, à l'époque de la féodalité, et les dernières traces de cette institution n'ont disparu en France que par la révolution de 1789, qui affranchit les derniers serfs. G. HUMBERT.