Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article COMMENTARIUM

COMMENTARIUM, COMMENTARIUS (`ï7oyvr,iixza), Ce mot a de nombreuses significations; nous négligerons celles qui n'ont pas trait aux moeurs et aux usages de l'antiquite. On appelait conzmentarü : 1. Des notes détachées que l'orateur apportait à la tribune pour aider sa mémoire. Cicéron en faisait usage; ses notes ont été recueillies et publiées par son affranchi Tiro'. On donnait le même nom à un sommaire de leur discours que les orateurs gardaient sous la main, pour ne pas perdre le fil de leurs idées. Quintilien blâmait cette dernière méthode comme nuisible à la spontanéité de l'éloquence 2. II. Des espèces de journaux où les anciennes familles de Rome consignaient leur histoire et les exploits de leurs ancêtres. Ces livres furent, à l'origine, une des sources principales de l'histoire. Cicéron' et Tite-Live" se plaignent des erreurs introduites par ces commentarii que leurs rédacteurs étaient intéressés à embellir. C'est là qu'il faut chercher l'origine d'une partie des légendes qui entourent le berceau de Rome' III. Des journaux domestiques dans lesquels les famiIles riches, les commerçants, etc., faisaient inscrire les événements et les opérations de la journée. Pendant le repas de Trimalcion, riche parvenu, on lui fait la lecture du journal rédigé par l'esclave chargé de ce soin (acluarius)6. Ce passage nous donne une idée de ce que devaient renfermer les commentarii d'un riche propriétaire romain : naissances d'esclaves, accidents survenus dans les propriétés, ventes et achats, récoltes rentrées, punitions et déplacements d'esclaves, recettes, etc. IV. Des mémoires personnels qui empruntaient leur intérêt à la situation de leurs auteurs et aux événements qui y étaient racontés. A cette classe appartiennent les commentaires de César, de Cicéron sur son consulat d'Auguste ceux de Tibère 9 dont Domitien faisait sa lecture favorite 70, d'Agrippine, mère de Néron ", etc. V. Les commentarii publici (ôvt.ébta û7roleri,! Tot), commentarii rerum urbanarum, ACTA POPULI. VI. Le fisc, les différents services de la bureaucratie et de l'administration impériales, certains hauts fonctionnaires comme le praefactus praetorio, les légats [LEGATUS], les procuratores, etc., avaient des livres appelés commentarii. L'existence de ces livres, sur lesquels le plus souvent les textes des auteurs sont muets, nous est révélée par les inscriptions mentionnant des fonctionnaires A COMMENTARrIS attachés à ces administrations. Ces cornmentarii étaient un journal qu'il ne faut pas confondre avec les livres de compte tenus par des rationales ou par des librarii. VII. Comme les particuliers et les administrations, les villes avaient leurs commentarii. Nous pouvons, d'après une curieuse inscription de l'an 113 ap. J.-C., trouvée à Caere (aujourd'hui Cervetri),et transportée au musée de Naples12, lire une page d'un de ces registres municipaux. Vesbinus, affranchi de l'empereur, a sollicité la concession d'un terrain ; il l'obtient ; aussitôt il grave sur une plaque de bronze le décret des décurions qui a fait droit à sa demande ; lui-même nous apprend, dans l'inscription, que le texte cité a été transcrit du chapitre VI, page 27, du commentarium municipal : « Commentarium cottidianum municipii Caeritum, inde pagina XXYII, capite VI n (suit le texte du décret). Ce registre contenait donc des actes et décisions du conseil des décurions; rien ne prouve qu'il ne contînt que cela. Une autre inscription nous fait connaître un COMMENTARIESSIS et, par là même, un commentarium de la république de Bénévent 13 VIII. Commentarii des empereurs (commentarii Caesaris, commentarii principis ou principales, commentarii diurni). 1° Cornmentarii Caesaris. César avait consigné dans des livres appelés commentarii par les auteurs, les réformes qu'il se proposait d'introduire dans le gouvernement et dans l'administration. Après sa mort, Antoine étant devenu possesseur de ces commentarii les falsifia, et put ainsi, au nom de César, disposer des places et des faveurs, les enlevant à ceux qui les avaient reçues pour les donner à ses créatures 14. Ce fut un des griefs que Cicéron fit valoir contre lui 1.. C'est à ces mêmes livres qu'Auguste emprunta l'idée de constituer un trésor militaire par la création d'un impôt sur les héritages 16 2° Commentas' principis ou principales, registres ou étaient consignés les actes de l'empereur. Nous pouvons, à l'aide des auteurs anciens, avoir un aperçu de leur contenu, à savoir : a. Les décisions prises par l'empereur en faveur de certains citoyens ou contre eux. L'empereur Trajan répond à Pline, qui lui a demandé le droit de cité romaine pour plusieurs personnes, qu'il accorde ce droit, et fait inscrire sa décision dans ses commentarii". Sur une inscription COM 1405 COM de l'année 139 trouvée à Smyrne, nous voyons les habitants de cette ville demander à Antonin la copie, extraite qui leur a été donnée par Hadrien 1S b. Les accusations portées devant l'empereur, ou ordonnées par lui. Néron se déclare prêt à prouver par les commentarii de Claude que ce prince n'a jamais ordonné aucune accusation Au moment de la réaction contre les dénonciateurs qui suivit la mort de Néron, le sénateur Julius Mauricus demanda, pour le Sénat, communication des commentarii principales, afin qu'on sût les accusations sollicitées par chacun 20. Caligula, pour rassurer tout le monde, brûla publiquement, en affirmant qu'il ne les avait pas lus, les commentarii du règne précédent relatifs aux accusations portées contre sa mère et ses soeurs °t; ce qui, dans la suite, ne l'empêcha pas de poursuivre des citoyens d'après ces mêmes commentarii". Marc Aurèle brûla également les commentarii concernant les accusations portées contre Flavius Calvisius, préfet d'Égypte c. La liste des personnes qui émargeaient sur la caisse impériale ou recevaient des BENEFICIA; c'est ce qu'on ap nous venons de parler, il y avait un journal du palais dont Suétone nous a laissé le nom : commentarii diurni 23. Là on insérait les menus événements de chaque jour, les faits qui intéressaient l'empereur, considéré comme homme privé, et sa famille. Auguste défendait à sa fille et à ses petites-filles de rien dire et de rien faire sgns témoin, et voulait qu'on pût en rendre compte dans ce journal". Livie était enceinte quand, à la faveur d'un divorce, Auguste l'épousa. A la naissance de l'enfant, Auguste le fit porter chez le premier mari de Livie, qui en était le père, et inscrivit le fait dans les commentarii" . 4° Enfin certains empereurs écrivirent leurs mémoires. Sur ces commentarii, voyez plus haut. § IV. Il existait aussi des livres appelés acta : « praeter coinmentarios et aeta Tiherii Caesaris nihil lectitabat (Domitianus) » 28. M. Mommsen pense que dans ce texte il faut entendre par commentarii les mémoires privés écrits par Tibère 28. Quant au mot acta, il a, sans doute, le même sens que le mot commentarii tel qu'il est expliqué ci-dessus, § VIII, 2° so Les commentarii des empereurs des deux premiers siècles périrent probablement avec presque toutes les archives impériales, dans l'incendie du Palatin sous Commode 31 A une époque postérieure, nous voyons des livres impériaux appelés EPREMEHIDES. Une inscription de Corinthe nous fait connaître un procurator ab ephemeride d'Alexandre Sévère 32 Les historiens de l'histoire Auguste citent souvent des ephemerides comme sources de leurs informations. Chez ces auteurs ce mot désigne quelquefois les commentarii diurni; cf. plus haut, § VIII, 3° 33 sont connus par un seul texte. Tacite dit qu'il a lu dans les commentarii senatus qu'Anicius Cerialis, consul désigné, proposa d'élever, aux frais de l'État, un temple à Néron 34. La nature du fait mentionné permet de croire que Tacite a voulu parler ici des acta senatus (sur la différence entre acta et commentarii, voyez plus bas § XII). C'est l'opinion admise". Quoi qu'il en soit, ii est fort probable que, comme les autres corps, le Sénat avait des 1° Commentarii pontificum. On donnait ce nom à un recueil de decreta et responsa des pontifes. Ce recueil fixait la tradition et, dans les cas difficiles, servait à rechercher s'iI existait des précédents 36. Plusieurs textes d'auteurs anciens nous montrent en effet des réponses et des décrets empruntés aux commentarii des pontifes37 C'est donc avec raison que M. de la Berge a démontré [ANNALES MAXIsil], contrairement à M. Victor Leclerc 38, que les commentarii des pontifes ne devaient pas être confondus avec leurs annales, qui étaient des livres historiques. Il ne faut pas confondre non plus avec les commentarii des pontifes les commentarii sur le jus ponti/ciunt. Cet ouvrage, écrit par Antistius Labeo, contemporain d'Auguste 39 renfermait des renseignements intéressants sur l'antiquité, et, autant qu'on en peut juger par les fragments qui ont survécu, leur auteur devait avoir consulté, de première ou de seconde main, les livres des pontifes 40. 2° Commentarii augurum. C'était, comme ceux des pontifes, un recueil de décrets 41 et de réponses "2. M. BouchéLeclercq en a donné [AUGURES, p. 554] une exacte définition : e recueil des décisions officielles qui, d'âge en âge, avaient fixé la science augurale. » On rencontre çà et là dans les auteurs des exemples de décrets 43 et de réponses 41 des augures empruntés sans doute à leurs commentarii. Les commentard eux-mêmes sont mentionnés par Cicéron', Festus 46 et Servius 47. 3° Commentarii XVvirorum. Censorinus les cite pour établir les dates des jeux séculaires 4R. On a trouvé à Rome une inscription sur marbre, contenant des fragments d'un sénatus-consulte. Il y est ordonné que le commentarium des XVuiri, relatif aux jeux séculaires célébrés sous Auguste, soit gravé sur des tables de bronze leurs un commentariensis de ce collège [A c0MMENTARIIS]. 4° Les frères Arvales avaient des commentarii dont les rédacteurs sont mentionnés dans deux passages de leurs Tels sont les commentarii des collèges sacerdotaux dont le souvenir nous a été conservé ; mais, en raisonnant par analogie, on peut croire que les autres collèges sacerdo CO NI --1106 -COM taux avaient aussi, outre leurs acta, des commentarii. 7t1. Crrmnaentarii des magistrats. domme le s pretres, les magistrats avaient rtecommentarii.Nous n'avons que les données les plus incertaines sur l'origine de ces livres, sur leur nature, et sur la. manière dont lisétaien.. c. tnservas 50. I Varron, dans un passage malheureuse r r ,it mutilé, nous fait connaître un fragment des c ; onsulares. On y explique comment celui qui est appelé à commander l'armée doit faire convoquer le peuple par le héraut [ . _ ist sl "., M. Nitesch e démontre gste Tite-Live a emprunté aux commentarii aedilium, les renseignements si précis qu'il nous donne sur l'accroissement constant des libertés plébéien ses ". 30 On sonnait aussi des commentas i? eensorii ('rigc' ecc à-ouvi, ais, d'après le texte. de Denyi d _lv,'Ji t ar oit il e st fait mention :13 ces livres n'aient un c tore indue Les censeurs se les transmettaient de père fils, et ils étaient conservés pieusement « ifta7tEp tspâ7aTOçia dans les familles censoriales. Denys en tire des renseignements sur l'époque des cens. On voit que les registres officiels et les tabulae censoriae ne doivent pas être confondus avec ces commentarii. Il ne faut pas non plus les confondre avec les commentaMi' de officia eonsulis, de officia guaestoris, etc. ,livres de droit, qui n'étaient pas rédigés par les magistrats. Il en est de même de ces commentarii Elaaycs n'oi que Pompée, consul pour la première fois après urge vie passée dans. les camps, se fit faire par Varron 5W. C'était un manuel du cérémonial que devait observer le consul dans certaines circonstances. XII. On e vu que le plus souvent les textes des auteurs anciens empruntent aux commentarii, soit des prêtres, soit des magistrats, des décrets ou des décisions. On aurait tort cependant de considérer ces livres comme analogues aux acta ou recueils officiels des délibérations et des décrets. Les commentarii étaient des livres destinés à conserver les traditions et les usages des collèges. On y ajoutait des exemples empruntés aux délibérations et aux décisions ; on y insérait les solutions de certaines difficultés afin que, dans un cas semblable, elles pussent servir à établir des précédents. Les commentai-il devaient donc, dans un but pratique, contenir une partie des actes, mais non pas tous les actes, nï seulement les actes. Ils constituaient lin manuel, un guide, un recueil partiel fait dans un but pratique , les acta au contraire étaient purement le recueil des délibérations et des décisions des collèges 50, Les auteurs latins n'usaient pas indifféremment de ces deux mots. Toutefois il faut reconnaître que le mot. commentarii a été employé comme synonyme de actaoe ; quelquefois aussi, pris dans un sens général, il a désigné tout un ensemble de livres.Tite-Live par exemple appelle conzmen tarii tous les livres des pontifes tif; on peut citer quelques autres textes analogues i8, mais ce sontlà des exceptions_ Il est I regretter que les commentarii des empereurs et des magistrats ne nous aient pas été conservés, ils nous auraient fourni de renseignements sur les institutions et sur la re'i~_ion des . omains, Nous voyons que les historiens anciens puisaient beaucoup, Quelques-uns de ces livres cependant ne leur étaient pas communiqués, par exemple ces libri reconditi des augures, interdits aux profanes, dont parle Cicéron S9. Pour ce qui concerne la haute antiquité, les commentarii firent complètement défaut à. l'histoire. Tous avaient péri dans l'incendie de Rome par les Gaulois 60, et, pour cette période reculée, les Romans de l'époque classique, en l'absence de tout document écrit, n'eurent que des traditions lointaines et, sans aucun doute, profondément altérées. XIII. ('ommentarii requin. On nommait ainsi à Rome des livres attribués aux rois. Les auteurs en font plusieurs fois mentionCicéron, clans son discours pour C. RabiHus, reproche à son adversaire de puiser sa dureté et sa rigueur u ex annaiïum monumentis, algue ex sedum co,nt tontariisQ1 n. Si l'on en croit Tite-Live, le roi Tullus Hostilius peut frappé de la foudre, en offrant à Jupiter Ehcius un sacrifice dont il avait trouvé l'indication dans les commentarii du roi Numa 62. D'après le même auteur, Ancus Marcius, voulant faire revivre les institutions religieuses de Numa, donna l'ordre aux pontifes de transcrire sur des tablettes les commentarii de ce roi, pour les exposer a.uxyeux du peuple". Ces documents contenaient sans doute l'exposé des institutions religieuses attribuées à Numa par les Romains, et dont Tite-Live et Cicéron eo louent la. sagesse. Les Cûmïnentürui regain étaient donc probablement un recueil des actes du roi en tant que prétreC6. Mais, s'il faut éviter de les confondre avec les T FéES REG1AE on doit, reconnaître qu'ils concernaient aussi l'administration civile 68. Nous voyons, en effet, que, après l'expulsion de Tarquin le Superbe, les deux consuls furent élus dans les formes prescrites par les commentaires de Servius Tullius es Il est presque inutile d'ajouter que les commentarii, renom étaient faussement attribués aux rois. Échos, il est, vrai, de traditions très anciennes, mais profondément altérées, ils furent rédigés à une époque histcrique70, comme les leges regiae elles-mêmes T1. H. THLDENAT.