Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

CONCUBINATUS

CONCUBINATUS. -Grèce. Grèceun texte qui a été fréquemment cité, l'auteur du discours contre Néera indique les caractères distinctifs de l'hétaïre, de la pallaque et de l'épouse 1. L'hétaïre, c'est la courtisane, à laquelle l'homme ne demande que des plaisirs plus ou moins sensuels ; la pallaque, c'est la concubine, chargée des soins quotidiens qu'exige la vie physique ; l'épouse, c'est la mère des enfants légitimes, la gardienne fidèle de tout ce que contient la maison. L'idée qui se présente naturellement à l'esprit, lorsqu'on lit ce texte, c'est que la pallaque est une femme entretenue in domo, loto uxoris, sed sine nuptiis, et telle est bien la notion qu'en avaient les jurisconsultes romains : se Lam, quae uxoris loto sine nuptiis in domo sit, quam ita)Jax~v Graeci votants. » L'entretien d'une concubine n'était certainement pas COIN 1435 CON défendu par le législateur athénien. On pouvait être un homme estimable, un âv'î3p x«)Làç x«i âya8ç, tout en ayant une pallaque 3. Le concubinat produisait même d'importantes conséquences juridiques: le concubin, qui surprenait un homme en flagrant délit de relations avec sa concubine, pouvait le tuer impunément, comme il eût tué l'amant de sa femme légitime Mais cette union était moins honorable que le mariage; jamais les parents d'une jeune fille riche ou appartenant à une famille estimée n'eussent consenti à faire d'elle une pallaque. On admettait même généralement, jusqu'à ces dernières années, que cette union ne produisait pas les effets d'un mariage proprement dit; que notamment les enfants nés d'une pallaque n'étaient jamais des yvijatot, c'est-à-dire des enfants légitimes, qu'ils étaient simplement des ve lot ; en d'autres termes, que les enfants d'une épouse étaient tout à la fois libres et légitimes, Asétspot x«1 vajstot, tandis que les enfants de la pallaque étaient ÉÂECBEpotS mais n'étaient pas yvijstot '. Il y avait donc des ressemblances frappantes entre le concubinat grec et le concubinat romain, tel qu'on se le figure habituellement. Plusieurs érudits allemands ont entrepris de démontrer qu'il y avait à Athènes un concubinat, non seulement, comme nous l'avons dit, produisant des effets juridiques, mais encore légitime. MM. Buermann, Philippi, Gilbert, enseignent que tout citoyen d'Athènes, soit qu'il fût encore libre, soit qu'il fût déjà engagé dans les liens d'un mariage régulièrement existant, pouvait prendre une concubine en employant lés formes de l'éyyé,latç, comme s'il se fût agi d'un vrai mariage 7. Pour eux, c'est la concubine, régulièrement introduite dans la maison, quoiqu'elle ne soit pas complètement assimilée à la femme légitime, que les textes qualifient de 7«3J.«xri. Les enfants nés de cette concubine éyyuryTrj étaient, disent ces auteurs, des enfants légitimes. La seule différence qu'ils puissent signaler entre la femme et la concubine yyur,Trj, différence qui plaçait la dernière dans un état d'infériorité vis-à-vis de la première, c'est que, le plus habituellement, la femme apportait une dot à son mari, tandis que la pallaque n'apportait rien à son quasi-mari. Bien loin de là, le xéptoç de la pallaque ne manquait pas, lors de l'€yyé tç, d'obliger le quasi-mari à promettre une somme d'argent pour le cas où, son caprice une fois passé, il renverrait la femme. C'était cette perspective d'un gain qui séduisait les citoyens pauvres et les décidait à faire de leurs filles des pallaques. Les partisans de cette opinion en trouvent la démonstration dans les discours d'Isée sur la succession de Philoctémon et de Démosthène contre Booetos. Ainsi le législateur aurait formellement autorisé la présence simultanée dans la famille d'une femme et d'une concubine, l'une et l'autre légitimes, donnant l'une et l'autre le jour à des enfants légitimes, l'une jouissant de la considération due à l'épouse et vivant retirée dans le gynécée 8, l'autre moins estimée et vaquant publiquement aux soins du ménage! Le fait peut choquer notre délicatesse ; mais les anciens ne jugeaient pas certaines situations comme nous les jugerions aujourd'hui. Dans un livre de droit syro-romain, récemment publié par MM. Bruns et Sachau, il est question d'un homme qui adeux femmes, et des enfants issus de l'une et del'autre, tout ce monde vivant en parfaite harmonie. Les recueils épigraphiques nous offrent pareille confusion des femmes et des concubines ; sur un monument reproduit dans le Corpus inscriptionum latinarum, l'image du défunt, P. Cervonius, a été sculptée entre celle de Cincia, sa femme, et celle de Cilia, sa concubine'. Mais il ne résulte pas nécessairement de ces textes ni de ces monuments que le concubinat ait été expressément autorisé par la loi ; il n'en résulte pas que les enfants de la femme et ceux de la pallaque aient été assimilés par le Iégislateur. Bien loin de nous dire que l'entretien d'une pallaque près de la femme légitime fût légalement autorisé, les auteurs anciens parlent presque comme s'il était défendu. Mantias a des relations avec Plangon, bien qu'il soit marié à la fille de Polyaratos; Mantias commet une mauvaise action : !agi dptwç Ste7ep«ato, dit Démosthène 10. Térence, peintre fidèle des moeurs athéniennes, qualifie de peceatum11, de facinus indignum et indium le fait de Chrémès, qui, marié à Athènes, a entretenu une concubine à Lesbos. Si ce fait eût été autorisé par le législateur. Chrémès aurait-il senti le besoin de cacher à Lesbos son véritable nom 13? De quel droit sa femme lui aurait-elle reproché d'être un homme de désordre, un licencieux, un libertin, qui, par sa honteuse conduite, se met dans l'impossibilité de se plaindre désormais de ce que fera son fils? Les textes ne nous disent pas non plus que l'enfant d'une pallaque fût légitime. Pour qu'un enfant soit légitime à Athènes, il faut que cet enfant soit né d'une femme légitimement mariée. Les mots , âati; ç xnl e'yyur~iïç yuvatxô;sont synonymes de ceux-ci : É, âatirç x«i ysgETrç yuvatxôç 3~. Celui qui veut avoir des enfants légitimes ne doit pas se contenter de prendre une hétaïre ou même une pallaque ; il faut qu'il se marie. L'antithèse entre l'épouse, qui donne le jour à des enfants légitimes (àvexo Toi) 7ta7 soo1s GOa1 yvrws(ax) d'une part, et d'autre part l'hé taïre et la pallaque, est si nettement marquée dans le discours contre Néera , que nous ne pouvons nous résigner à n'en tenir aucun compte. Nous refusons donc d'attribuer au concubinat les effets d'un mariage légitime ; mais nous croyons qu'il produisait cependant les conséquences juridiques énoncées plus haut. Quand ils arrivent à parler du concubinat simple, c'est-à-dire sans ?nifilatç, MM. Buermann et Gilbert déclarent que de ce concubinat ne peuvent naître des citoyens, lors même que le père et la mère auraient eu l'un et l'autre le droit de cité. Les enfants issus d'une pareille union n'entraient ni dans le dème ni dans la phratrie, car leur père ne pouvait jurer qu'ils étaient nés i, âa,t-iç xul ËyyurT ç yuvatxSç. Ils étaient des veau, exactement comme s'ils fussent nés d'une femme étrangère. Pour devenir citoyens, il fallait qu'ils fussent l'objet d'un décret de naturalisation. MM. Buermann et Philippi admettent toutefois que, en pratique, l'introduction de ces enfants dans les phratries et dans les dèmes était fréquente, sur la présentation d'un de leurs parents maternels, sans CON 1436 -CON contestation ou même avec l'assentiment des autres parents. Nous ne pouvons croire que les Athéniens, si fiers du sang qui coulait dans leurs veines, aient déclaré étrangers des enfants dont les père et mère étaient citoyens, et qui par conséquent étaient de sang exclusivement athénien. Tous les textes nous disent que les enfants nés i les enfants naturels, issus de deux Athéniens, doivent donc être Athéniens. Le législateur leur refuse seulement l'à' ntEi«, c'est-à-dire la participation au culte domestique et à l'hérédité proprement dite; mais il ne leur enlève pas la 7(o)iTE1«. Nous ne contesterons pas que le mot vdOoc, par lequel ces enfants sont habituellement désignés, n'ait quelquefois été employé comme synonyme de EVoç, pour désigner les enfants nés d'un père athénien et d'une mère étrangère. Mais précisément ces derniers, soit par tolérance, soit parce que la loi sur la jouissance du droit de cité était alors tombée en désuétude, ont été souvent traités comme citoyens. A ces époques d'indulgence, n'eût-il pas été bizarre que le vétoç, fils d'un Athénien et d'une étrangère, eût été citoyen, tandis que le vétog, fils d'un Athénien et d'une Athénienne, eût été étranger? Les voost de l'une et de l'autre catégorie étaient alors citoyens. Quand le législateur, redevenu rigoureux, enlevait le droit de cité à ceux qui n'étaient pas de sang athénien ex utraque parte, il n'atteignait pas les enfants nés hors mariage de deux Athéniens. Ces enfants restaient donc citoyens 18. En résumé, nous persistons à croire, avec les anciens historiens du droit attique '9, 1° que les enfants nés du concubinat n'étaient jamais assimilés aux enfants nés d'un légitime mariage; 2° que les enfants nés hors mariage d'un Athénien et d'une Athénienne étaient ci Rome. Le concubinatus était pour les Romains une sorte de mariage inférieur (inaequale conjugium) 20, ne produisant pas d'autres effets civils que de créer, par la parenté naturelle qui en résultait, des empêchements au vrai mariage [MATRIMONIUM]. Cependant lorsque le droit impérial établit des rapports de succession entre la mère et ses enfants, les liberi naturales et les spurii furent traités comme les enfants issus de justes noces 21. Le concubinat remonte jusqu'à la plus haute antiquité du droit romain 22, mais on n'en connaît les conditions qu'à partir de l'époque classique. Le mariage ayant lieu alors solo consensu, et sans aucune solennité nécessaire, le concubinat ne s'en distingue que par l'affection maritale 22 et aussi par le rapport de condition entre la femme et le mari. Ainsi entre le patron et l'affranchie c'est le concu binat qui est supposé ; au contraire entre un homme de bonne condition et une honnête femme ingénue, il faut, pour établir le concubinat, qu'il soit expressément attesté 24; autrement il y a un mariage ou stuprum. En outre, la présence d'une dot constatée par un instrumentum dotale attestait l'existence d'un véritable mariage. Sous l'empire, le concubinat fut décidément reconnu comme une espèce de mariage, et l'on admet qu'il suffisait pour faire éviter les peines portées contre le célibat par les lois Julia et Papia Poppaea. Ce qui est certain, c'est que les enfants qui en provenaient étaient dits naturales liberi et non spurii, et qu'ils avaient un père certain, que les empereurs chrétiens condamnèrent à leur donner des aliments. Cependant ces mêmes empereurs firent des efforts pour diminuer le nombre des concubinats au profit des mariages. En outre, les liberi naturales purent étre légitimés par mariage subséquent. Constantin défendit aux parents de laisser leur succession aux enfants nés de ces unions, et les interdit aux grands fonctionnaires de l'État12. Justinien, au contraire, sembla favoriser le concubinat, qui ne fut interdit tout à fait que par Léon le Philosophe, en 887 26. Le concubinat étant une union durable ne pouvait coexister ni avec un autre concubinat, ni surtout avec un mariage 27, sans quoi il y avait adultère, et la concubine était dite alors pellex 26. Un concubinat préexistant était dissous par un mariage subséquent. P. BAUDRY.