CONCURSUS ACTIONUM. Un seul fait même indivisible, s'il était prévu par une loi pénale, pouvait engendrer plusieurs espèces d'actions, d'après les principes du droit romain, les unes pénales, les autres purement civiles, c'est-à-dire tendant à réparer le préjudice souffert dans sa fortune par la partie lésée. Ces dernières actions qu'on nomme rei persecutoriae, parce qu'elles tendaient à rétablir en fait l'intégralité du patrimoine, rei persequendae gratia I, ne pouvaient évidemment pas se cumuler entre elles au profit du demandeur. Au contraire, quant aux actions pénales, elles pouvaient en général se cumuler avec les actions civiles 2. Mais il faut encore distinguer à certains égards, parmi les premières, les actions pénales privées, nées d'un IELICTUM PnIVATUM et tendant seulement à enrichir le lésé aux dépens du délinquant, des actions pénales publiques (judicia publica), ouverts à tous et ayant pour objet l'application d'un châtiment au délinquant par un tribunal répressif.
1. Parlons d'abord du concours des actions pénales privées entre elles, et avec les actions rei persecutoriae, nées du même fait. Lorsque ce dernier pouvait se décomposer
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en plusieurs délits distincts, les actions pénales privées nées de ceux-ci se cumulaient généralement entre elles, et toujours avec les actions persécutoires' [CONCURSUS DELICTORUM]. Mais lorsqu'une même action indivisible, una res, quoique susceptible d'atteinte par différentes lois pénales, ne pouvait se décomposer en plusieurs délits distincts, la partie intéressée n'avait pas d'abord le droit de cumuler diverses actions pénales privées, car le juge une fois saisi de l'examen du fait avait dû l'envisager sous toutes ses faces. Cependant il y avait eu jadis sur ce point controverse entre les jurisconsultes romains les uns refusant le cumul 3, les autres l'accordant complètement'. Une opinion mixte qui paraît avoir triomphé ne permit au demandeur d'agir par une seconde action pénale que pour ce qu'elle pouvait contenir de plus avantageux que la première, c'est-à-dire déduction faite de la peine pécuniaire déjà obtenue'. Un fragment d'Hermogénien, jurisconsulte contemporain de Constantin, ne dit rien de contraires ; car il se borne à rappeler qu'après de grands débats, il a prévalu d'autoriser la partie intéressée à agir par les diverses actions, et il n'ajoute pas qu'elle cumulera le montant intégral des diverses condamnations 9. Quoi qu'il en soit, comme on l'a dit plus haut, l'obtention du bénéfice de la peine pécuniaire ne faisait pas obstacle à l'exercice de l'action rei per secutoriae par le lésé.
II. Si le même fait était de nature à tomber sous l'application de plusieurs lois pénales introductives de judicium publicum, et qu'il y eût una t'es, unum crimen indivisible, l'accusateur doit faire un choix entre les différentes voies d'accusation ; et l'option faite, ni lui ni d'autres ne peuvent plus attaquer le reus par une autre voie, à raison du même fait". Mais que fallait-il décider au cas où l'acte illicite engendrait à la fois un judicium publicum et une action pénale privée? En général le cumul était possible, les deux actions n'ayant pas le même objet II Mais il en était autrement en cas d'injure [INJURIA] ; Car la partie lésée avait pour but principal de faire constater l'injustice de l'outrage à elle adressé. En conséquence, et en dépit de l'intérêt social ici considéré comme secondaire, la victime n'avait que le choix entre les deux actions. Si l'injurié avait commencé par l'action pénale privée, il ne pouvait intenter l'action publique, et réciproquement".
Au cas du délit privé de dommage matériel, damnum injuria datum, prévu par loi Aquilia, on applique au contraire la règle générale du cumul des actions publiques et pénales privées. De même au cas de RAPINA, la partie lesée pouvait cumuler, lorsqu'elle débutait par le iudicium publicum 13. En matière de dot, il y avait encore
une exception : celui qui avait le droit d'accuser sa femme d'adulterium avait le choix entre le judicium publicunaf4 et l'action de moribus, mais sans pouvoir varier.
Ajoutons en terminant que, lorsqu'un seul fait lésait plusieurs personnes à la fois, il y avait concours possible des actions pénales privées ou publiques, et rei persecutoriae, au profit des victimes, par exemple des personnes injuriées, ou de leur chef, si c'est un père ou mari qui
agit en leur nom 15. G. HUMBERT.
romain, le cas où plusieurs délits étaient commis par la même personne 1, soit qu'ils s'agît de faits matériellement distincts soit que le même fait renfermât plusieurs infractions à la loi pénale'. Nous traiterons séparément de ces deux hypothèses pour plus de clarté, bien que les Romains ne paraissent pas en avoir fait la base d'une classification théorique.
1. Dans le premier cas, nommé par les modernes concours matériel ou cumul réel de délits, on n'avait pas sousdistingué si les infractions commises en différents temps violaient la même loi ou différentes lois répressives. Ainsi la réitération du même délit était punie autant de fois qu'il y avait eu de faits illicites, comme s'ils étaient absolument distincts par leur nature et leur objet'. Cependant la force des choses avait déjà fait admettre, dans la pratique, la différence entre le cas de réitération et celui de délit continu ou successif: quand un voleur reprenait la chose à un autre voleur, on ne voyait qu'un seul furtum; car le propriétaire véritable n'avait perdu la chose qu'une fois A part cette hypothèse, et autres semblables, comme celle de PLAGIUM, le principe général est, au cas de cumul réel d'infractions, l'application d'une peine à chacune d'elles. Cependant la diversité et les vicissitudes des juridictions répressives à Rome [ORDO JUDICIORUM] ont pu modifier cette règle s. Ainsi lorsqu'une accusation était soumise à la juridiction des
statuer à la fois sur plusieurs délits imputés au même accusé, reus, et ne prononcer qu'une seule peine. A l'époque des cours d'assises ou commissions permanentes [QUAESTIONES PERPFTUAE], chacune d'elles avait sa compétence déterminée par une loi spéciale pour certaines infractions. Mais, suivant A. W. Zumpt, plusieurs quaestiones furent d'abord saisies de tous les procès pour crimes publics des magistrats ; toutefois, sauf cette exception, une quaestio ne put connaître que des infractions d'une nature spéciale qu'avait commises l'accusé. Ainsi Annius Milo fut poursuivi en même temps devant différentes commissions, quaestiones, en vertu des lois Pompeia de vi, Pompeia de ambitu, Licinia de sodalitiis 7; on pour
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rait citer encore d'autres cas semblables, tels que ceux de P. Sestius, de Gabinius et de Saufeius
Au contraire, la juridiction répressive du sénat en certaines matières n'était limitée par aucune loi formelle ; il pouvait donc statuer à la fois sur plusieurs délits imputés à un seul agent et prononcer plusieurs peines, ou une seule à raison des faits incriminés Après l'abolition des cours d'assises, quaestiones perpetuae, sous l'empire, le sénat.fut limité dans sa juridiction moins par la qualité du délit que par celle du délinquant; il put donc juger à la fois plusieurs délits imputés au même accusé 10. En général le juge criminel qui statuait (eognitio extra ordinem) eut plein pouvoir de connaître en même temps d'une ou de plusieurs infractions imputées au même auteur ; mais celui-ci pouvait être accusé séparément en différents temps, auquel cas le tribunal devait appliquer à chaque délit une peine différente ; dans le cas de procès unique, au contraire, le juge pouvait confondre les peines à raison de la multiplicité des délits, et combiner celles-ci en une seule plus forte, ou au contraire prononcer cumulativement les peines encourues à raison des divers faits. La règle générale paraît avoir été en ce dernier sens 11, mais il n'existait pas de principe absolument restrictif pour les judicia extraordinaria. Cependant il y avait des cas où le cumul était impossible matériellement, par exemple si l'un des crimes emportait la peine de mort, et l'autre la déportation ; alors l'absorption de la peine la moins grave devenait une nécessité de fait. En outre, dans la pratique, le juge pouvait ne voir dans la multiplicité des délits qu'une circonstance aggravante d'un delit principal 12 Mais ce sont les interprètes modernes qui ont imaginé le principe: poena major absorbet minorera.
II. Quand un seul et même fait matériel impliquait plusieurs infractions à diverses lois spéciales (ce que les modernes appellent cumul idéal ou concours formel), chaque infraction pouvait être l'objet d'une poursuite et d'une condamnation distincte Nunquam actiones, dit Ulpien, praesertimpoenales de eademre concurrentes, alia aliam consumit. Bien que ce texte s'occupe spécialement des délits privés, le principe n'en est pas moins général et applicable aux accusations publiques 14, comme le prouvent d'autres textes. Ainsi, supposez le FURTUM suivi de STUPRUM avec une esclave d'autrui, il pouvait y avoir lieu à trois actions, l'action mixte de la loi Aquilia pour le
tion servi corrupti is. Lorsque les différents délits résultant du même acte étaient poursuivis dans un même procès, ce qui était possible sous l'empire, il y avait cumul des peines, ou, en cas d'impossibilité, aggravation
seulement de la pénalité. Ainsi l'adultère, ordinairement puni de relegatio, est frappé de deportatio dans une île [ExsILIUM], lorsqu'il est joint à l'inceste 16. Il existait des cas où un fait indivisible, considéré comme délit unique, pouvait néanmoins tomber sous l'application de plusieurs lois pénales ; alors il y avait un choix à faire entre les actions, dont une seule pouvait être exercée. Nous renvoyons pour ce sujet à l'article coNCmsUS ACTIONUM. Pour le concours