CONSECRATIO. Ce mot a des sens très divers suivant qu'il s'applique aux choses ou aux personnes; il parait
avoir pt'is chez les Romains une valeur plus particulière dont nous ne retrouvons pas en Grèce l'équivalence. Nous essaierons de déterminer les différents actes de la vie religieuse auxquels il s'applique dans ces deux pays.
1. Grèce. En Grèce, il correspond à des expressions
indiquent la consécration d'un objet ou d'une personne à la divinité. On ne voit pas que les Grecs aient fait une différence entre les idées de consecratio et de dedicatio, qui chez les Romains doivent être en plusieurs cas distinguées. Qu'un objet soit placé dans l'enceinte d'un temple et réellement dédié par les soins d'un prêtre, ou qu'il se trouve en dehors et simplement placé sous la protection d'un dieu, le même mot, vtapwlév, ntEpûtp.Evov, est employé. On l'applique aussi bien à des prémices apportées au sanctuaire qu'au champ sacré de la Phocide consacré par les amphictyons
au dieu de Delphes'. Les mots vo'cttév, v«TtO:u.Evov, véOt zcc,
quer plus particulièrement à la consécration des offrandes faites dans l'enceinte d'un sanctuaire public ou privé; mais ils n'impliquent pas un sens religieux différent des autres termes. Ce que nous dirons ici de la consecratio chez les Grecs peut donc s'appliquer également à la DEDICATIO dans le même pays.
'foute offrande, objet ou être animé, consacrée à une divinité est chose sacrée, lEpn'v. Les ustensiles les plus vulgaires de la vie domestique prennent un caractère religieux, du moment qu'ils sont consacrés ; de là, le nombre infini des objets de tout genre qui encombraient les sanctuaires grecs et qui formaient le mobilier le plus riche et le plus varié, affecté au service du dieu [TEMPLUM, DONARIUM]. Suffisait-il d'une simple déposition, faite par le particulier qui apportait son offrande? En d'autres termes, la consécration n'exigeait-elle pas un certain cérémonial religieux, même pour les objets les plus simples? Ce détail n'est pas parfaitement éclairci par les textes ni par les inscriptions. Toutefois, on est en droit de supposer que le prêtre intervenait presque toujours pour donner à l'offrande un caractère religieux et qu'elle devait passer par ses mains pour être consacrée à la divinité. Plusieurs textes indiquent que dans les cérémonies si fréquentes d'offrandes de victimes, le prêtre assistait les OéavTaç
[sACRlFlCtuM, 5ACERDOS]. Il devait en être ainsi pour les offrandes d'objets. Nous voyons même des choses de peu de prix comme des vases, des fleurs, présentées à la divinité avec un certain appareil religieux, entourées de bandelettes [TAENIA, vITTA] ou ornées de couronnes [conoNA] 4, ce qui permet de croire que la consécration exigeait la présence du prêtre, seul au courant du cérémonial usité; enfin, l'offrande était nécessairement accompagnée d'une prière, dont le prêtre seul connaissait la formule, appropriée au caractère de l'offrande et du donateur. Dans d'autres circonstances plus solennelles, les détails et
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les rites de la consécration grecque se marquent davantage. Par exemple, lors du rapt du trépied de Delphes par Hercule, l'ustensile sacré, reconquis par Apollon, est de
nouveau consacré dans son temple en grand appareil. Cette scène est représentée sur une base de trépied, de style archaïsant, conservée au musée de Dresde 6. Sur une des faces le trépied, posé sur sa base et recouvert de bandelettes, reçoit les hommages religieux d'une prêtresse qui fait avec la main droite, l'index replié contre le pouce et les autres doigts élevés, le geste rituel de l'adoration [ADORATIO], tandis qu'un prétre couronné tient en main une
haute torche enflammée (fig. 1900). Sur une autre face, c'est le flambeau sacré, le pnnéç, profané également dans cette circonstance, qui est rétabli solennellement avec les mêmes ornements et les mêmes gestes rituels. Le scholiaste
Ili
d'Aristophane donne des détails encore plus précis sur le cérémonial usité pour la consécration d'une offrande dans un temple; c'est une sorte de fête solennelle à laquelle toute la famille prend part : les femmes revêtues de leurs plus beaux habits portent sur leur tête des vases remplis de grains d'orge et de fleur de farine, ou bien de gâteaux et de légumes cuits qu'on déposera dans le sanctuaire avec l'offrande principale, image du dieu ou autre objet c. Dans l'intérieur des maisons (et dans ce cas, c'est probablement le père de famille qui fait fonction de prêtre officiant), on installe avec des cérémonies analogues les statuettes des dieux Lares, protecteurs des biens de la famille : on immole une victime en lui coupant quelques poils sur le front et sur l'épaule droite; on entoure les anses des vases à libations avec des bandelettes de laine blanche ; la libation se compose d'eau pure et d'huile où l'on a jeté des fruits mélangés'. La consécration de tout autre objet important, destiné au culte et au service d'une divinité, par exemple d'un autel [ARA] ou d'un arbre sacré [ARBORES SACRAE], se fait avec des rites analogues; on y suspend des bandelettes ou des couronnes, on fait des libations 8.
La consécration d'un temple, d'une ville ou d'un emplacement sacré porte aussi le nom d'eed4teenç ou «ztépolctç. Pausanias nous a conservé les détails du cérémonial employé pour la fondation de Messène, sous les auspices des Thébains et des Argiens. Les rites sont à peu près les mémes que chez les Romains. Les devins consultent les dieux pour savoir si l'emplacement choisi leur est agréable; même on leur soumet d'avance le plan des rues, des temples, des édifices principaux. Un jour entier se passe en prières et en sacrifices : les Thébains sacrifient à Dionysos et à Apollon Isménios ; les Argiens à Héra et à Zeus Néméen; les Messéniens à Zeus Ithomatos, aux Dioscures, aux grandes Déesses et à leurs héros locaux, entre autres à Aristomène, pour qu'ils veuillent bien venir habiter la nouvelle ville. Le lendemain, on commence la construction des murailles et des routes, au chant des anciens hymnes doriens accompagnés par les flûtes'. On consacrait aussi de vastes espaces de terrain qui ne devaient être ni labourés ni ensemencés, comme le territoire consacré aux grandes Déesses entre la Mégaride et l'Attique, ou bien le territoire de Cirrha, consacré à Apollon Delphien 70. Mais nous savons aussi que l'on faisait abandon à la divinité de terrains dont elle devenait véritable propriétaire et dont elle tirait, par les soins de ses prêtres, des revenus importants, en y faisant cultiver ou construire ; il y avait là tout un système de baux et de fermages que nous connaissons surtout par les inscriptions 11
Quand le mot de consécration s'applique aux personnes, il présente des sens très différents. Si, par exemple, c'est un prètre qui se consacre au culte d'une divinité et qu'on installe dans ses fonctions, cette cérémonie prend le nom de 'coÀo(wetç ou Sn(wccç Ia. On pense que cette consécration, outre les formalités nécessaires de la eaxcp.ac(a [sAcERnos], se résumait dans un serment solennel, dont nous ignorons la formule, et se terminait par un sacrifice d'inauguration f 3.
Une consécration très usitée en Grèce était celle d'un esclave à une divinité. Le sanctuaire de Delphes, en particu lier, ainsi que ceux de Chéronée et d'Orchomène, ont fourni
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de nombreux documents épigraphiques sur cette formalité qui ne faisait que sanctionner l'acte d'affranchissement u [MANUMISSIO]. Enfin le mot grec âvaOsp.a se rapproche parfois du sens que les Romains ont donné à la consecratio capitis [DETESTATIO], en désignant des personnes souillées ou criminelles, que les lois religieuses vouent aux divinités infernales 16. De là s'est formé le verbe âva0e140tz(tu, employé par les écrivains grecs de la basse époque, avec le sens spécial que nous avons donné au mot français dérivé.
1h Etrurie. Si peu de choses que nous sachions sur la religion étrusque, il n'est pas inutile de noter que ce peuple possédait un rituel, recueilli par les Romains sous le nom de Libri Rituales, où se trouvait consigné tout le cérémonial usité pour la consécration des villes, des autels et des édifices i6. D'après le témoignage de Tite-Live, les Romains n'ont fait que les imiter en consacrant sous le nom de I'OMOERIUM un certain espace compris en deçà et au delà des murailles de la ville 17
III. Rome. Chez les Romains, la consecratio est un acte religieux dont la portée est souvent restreinte. C'est par là qu'elle se distingue de la DEDICATIO. Cicéron en indique la différence, en faisant entendre que la consécration n'implique aucun droit, tandis que la dédicace est essentiellement religieuse 18. Un particulier peut, de son chef, consacrer un objet à une divinité; un magistrat ou un prêtre seuls peuvent dédier. II y a des formules et des rites fixes pour la dédicace; il n'y en a pas toujours pour la consécration. Des exemples rendront plus sensible cette distinction. Les fils d'Antiochus apportent à Rome un candélabre précieux qu'ils veulent dédier dans le temple de Jupiter Capitolin; mais le temple n'étant pas encore terminé, on ne peut y dédier aucun objet selon les rites, et ils sont obligés de remporter leur offrande, en attendant que la dédicace puisse se faire par les soins des pontifes 19. César, en passant le Rubicon et pour se rendre les dieux favorables, consacre une troupe de chevaux qu'on laisse aussitôt libres et sans gardiens 20. Même des objets de destination religieuse ne peuvent être dédiés par un particulier, en dehors d'un sanctuaire, sans l'assistance et l'autorisation des prêtres ou des magistrats; si un particulier élève à ses frais un autel, il sera consacré, et non pas dédié. Cicéron rapporte qu'un autel dédié à Rome par une vestale de la plus haute naissance fut déclaré non sacré (non sacrum videri) par le collège des pontifes, parce que la dédicace avait eu lieu injussu populi n. La dédicace était donc soumise aux règles les plus sévères, tandis que le droit de consécration semble avoir été beaucoup plus étendu. II faut cependant ajouter que, s'il s'agit d'un édifice important, d'un temple, d'un emplacement public, la consécration se fait avec un cérémonial solennel et avec l'assistance des magistrats et des prêtres, comme la dédicace, qu'elle précède générale
ment. De là est née une certaine confusion dans les écrivains latins qui emploient souvent les deux termes l'un pour l'autre ou même les réunissent 22. La distinction devient souvent fort difficile et a fourni matière à de nombreuses controverses 23. Nous venons d'indiquer dans quelle mesure et dans quelles circonstances on doit, à notre sens, les séparer. La dédicace est toujours un acte solennel, accompli avec l'assentiment du peuple et confié aux soins des magistrats et des prêtres ; la consécration n'a pas nécessairement ce caractère, bien qu'elle soit souvent aussi accomplie avec tout l'appareil religieux.
En particulier, la consécration d'un emplacement de ville ou d'un temple donnait lieu à d'importantes cérémonies. On connaît les rites qui, d'après la légende, présidèrent à la fondation de Rome par Romulus, cérémonial que répéta Constantin pour déterminer l'emplacement de Constantinople 24. Après avoir consulté les augures [INAUGURATIO], on creuse une fosse profonde où l'on jette des grains et des fruits ; avec le soc d'une charrue attelée d'une vache blanche et d'un boeuf blanc, on trace l'enceinte des remparts 25. Toute cette partie délimitée, en avant et en arrière du mur, était sacrée [PouoERlus] ; on ne pouvait ni y construire, ni y labourer 28. La consécration prend ici la valeur d'un acte religieux solennel, accompagné de sacrifices et de prières ; mais elle précède la construction et n'empêche pas la fête dédicatoire qui aura lieu ensuite. Il en est de même pour la construction des temples 27. Les augures décident l'emplacement; tout le terrain est aussitôt garni de bandelettes et de couronnes : puis, ce sont des processions de soldats portant des rameaux, de vestales et d'enfants qui arrosent toute l'enceinte avec une eau pure ; le pontife, assisté du préteur, offre un sacrifice en invoquant Jupiter, .Junon, Minerve et tous les dieux protecteurs de Rome ; puis on pose la première pierre de l'édifice en jetant dans les fondations des pièces d'or et d'argent. Telle fut la fête qui présida à la reconstruction du temple du Capitole, sous Vespasien 28.
Une lex consecrationis était souvent la conséquence de cette solennité et déterminait les droits du temple, surtout en ce qui concerne les droits de refuge et d'asile 29; mais elle porte plus souvent le nom de lex dedicationis, car on ne la promulguait qu'après l'achèvement de l'édifice
La consécration s'applique encore à de vastes espaces de terrain où l'on veut empêcher de construire ou de labourer et qu'on destine à des exercices publics, comme le Champde-Mars 30 [CAMPUS MARTIUS], ou qui sont la propriété particulière du dieu, comme les bois sacrés qui entouraient les temples 31 [Lucus] et où l'on ne pouvait même émonder les arbres sans un sacrifice expiatoire dont Caton nous a conservé le cérémonial 32. Les bornes des champs [TERMINUS] étaient aussi l'objet d'une consécration dont nous connais
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sons les rites détaillés : on creusait une fosse dans laquelle on faisait brûler sur un bûcher les chairs d'une victime immolée, de l'encens, des fruits et du miel, arrosés d'une libation de vin ; sur ces débris calcinés on dressait les bornes consacrées, frottées de parfums et couronnées de guirlandes 33
Par rapport aux personnes, la consécration, chez les Romains, comprend des sens fort différents. Appliquée aux empereurs, elle est un symbole de divinisation et d'apothéose [AFOTHEOSIS] ; dans la suite, cet honneur a été concédé à des personnages moins considérables, même à de simples citoyens 34, et n'est pas autre chose que l'héroïsation [HEROS], telle que les Grecs l'ont souvent pratiquée, sous la forme d'une consecratio mortuorum 31. Quand il s'agit d'un prêtre, la consécration correspond à la Tal,ainlar des Grecs et désigne son ordination n. Il semble qu'elle ait été parfois accompagnée d'un véritable baptême 37. Mais l'acception la plus fréquente du mot, quand il s'applique à des particuliers vivants, est celle de condamnation civile et religieuse, dirigée contre une personne souillée ou criminelle, tombant sous le coup des peines édictées par les leges regiae, leges sacratae; elle entraîne l'exil o u la mort et la confiscation des biens, sous le nom de consecratio capitis et bonorum, prononcée avec des formules solennelles et un rituel particulier [DETESTATIO]. A la même catégorie se rattache une coutume particulière des Romains qui, dans de grands dangers, consacraient aux dieux infernaux et faisaient-voeu d'immoler tout être anirné qui naîtrait chez eux au printemps suivant 38 [vER SACRUM]. Signalons encore un sens beaucoup plus rare du mot, désignant une sorte d'incantation religieuse et magique, destinée à disposer favorablement l'esprit des personnes dont on voulait s'assurer l'alliance et l'appui inébranlable 39. E. POTTIER.