Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CORIARIUS

COIIIARIUS 1. liupaavç 2, ~uoalèéh; 3, 3upaoacoté7 '`. Tanneur. Lorsque les premiers habitants de la Grèce et de l'Italie se fabriquèrent des vêtements avec des peaux de bêtes', ils ne connaissaient peut-être pas tous le moyen de les rendre incorruptibles par les opérations du tannage. Les ancêtres des Locriens Ozoles, à ce que l'on raconte, les appliquaient toutes fraîches sur leurs corps, les poils tournés en dehors; aussi répandaient-ils autour d'eux une odeur nauséabonde ; de la a pu venir, suivant une version rapportée par Pausanias, le surnom qui se transmit à leurs descendants ('0~6aut, de8sts, répandre une odeur) 6. Toutefois l'art de préparer les peaux se lit jour de bonne heure. Lorsque, dans l'Odyssée 7, Ulysse reçoit l'hospitalité de Penél.o pe qui ne 1'a pas encore reconnu, et qu'il se dresse un lit dans le vestibule, il étend par terre une peau de boeuf non préparée, (oérv âSé],'ntiov; on disait encore dans ce sens àllapasuticv 8, 4r,xtiov et en latin corium crudum ]0. Mais Enrvclée fait ensuite remarquer que c'est là une couche grossière, dont peut seul s'accommoder un homme accoutumé l'infortune et aux fatigues']. lffysse lui-même, le matin venu, jette hors des portes cette peau de boeuf, au lieu qu'il replace sur un trône dans la salle du festin des toisons de brebis dont il s'était aussi servi et qui avaient dît titre apprêtées parce qu'elles faisaient partie du mobilier des prétendants 1s. Ce passage d'IHomère montre tout à la fois qu'il y avait de son temps des peaux que l'on ne tannait point, et que les pauvres gens seuls s'en contentaient. Toutefois le métier de tanneur à l'origine ne fut 11. probablement pas confié à des ouvriers spéciaux; il était exercé dans chaque ménage suivant les besoins du moment, ou bien on laissait aux artisans qui devaient mettre le cuir en oeuvre, pour en faire des armes ou des chaussures, le soin de le préparer eux-memes. Ce ne fut que plus tard que se fit la division : et encore, en bien des cas, dans les temps historiques, la même personne tanna et faconna les peaux 1 i. Les procédés qu'employaient les anciens pour tanner les cuirs (Sé'9etv" et ses composés (3upeols!.siv 11, axutoSi'ce7v 16, axu).oes17siv 17, en latin depsere 'g, corium per ftcere n, subigere 2') ne nous sont pas connus dans tout leur détail. Mais ce que nous en savons nous montre qu'ils avaient beaucoup d'analogie avec ceux qui sont généralement adoptés aujourd'hui. Les opérations représentées dans certaines peintures de l'Lgypte21 n'ont rien qui puisse étonner nos ouvriers; il est probable qu'il ne faut pas chercher plus de mystère dans celles que pratiquaient les Grecs et les Romains. Chez eux comme chez nous, on commençait par tremper la peau afin de l'amollir "" ; on l'étendait sur un chevalet (Opâvot, d'où Opavsusty 23) et on la raclait pour en détacher les restes de chair qui y étaient adhérents. On achevait de la nettoyer en la plongeant dans un bain d'urine, auquel étaient mêlées des feuilles de mûrier 3a ou des fruits de la bryone (âutcsaoi ),taxii, titis alita; bryonia dioeca L. 2S); l'eau dans laquelle on avait fait ce lavage était très recherchée comme engrais (xôapo; (iupaohi4 txr ou exuaoôsYtxii 3f.) Puis, s'il y avait lieu, on enlevait le poil dont la peau était couverte 27. Enfin on devait la gonfler dans un nouveau bain afin d'en rendre les pores perméables. Alors seulement elle était prête à être tannée fermium]. Cette opération consistait, comme aujourd'hui, à la faire macérer dans une fosse entre deux couches de tan. Mais il y avait différents procédés. 1° On pouvait employer des produits végétaux; c'étaient l'écorce du pin", de faune "9, du grenadier '0; les feuilles du rhus ou sumac ()deus coriaria L.l, arbre appelé aussi frutex coriarius 31; la noix de galle 22, le gland 33; la racine et les graines de la vigne sauvage, labrusca ou titis silvestris (vitis labrasca L.) 3'r; les fruits de l'acacia d'Égypte, IXXavOU, acacia, spina (mimosa iVilotica L.) 35, et une plante inconnue, la noua ou nautea 3G 2° On pouvait remplacer le tan par l'alun 37 ou du sel de cuisine '3 ; le cuir tanné par ce procédé s'appelait aluta, pellis ulutacea (de alumen, alun), et il était tout particulièrement souple [ALUMEN et ALUTA] 360 Quelquefois on enduisait la peau d'un corps gras, huile ou suif ; dans une comparaison de l'Iliade il est question d'un homme « qui commande à ses serviteurs d'étendre la peau imprégnée de graisse d'un énorme taureau; ceux-ci la prennent, se placent en cercle, loin les uns des autres, et la tirent avec effort; bientôt l'humeur légère s'écoute, la graisse pénètre à mesure que l'on tire, et le cuir COR 1506 COR est enfin tendu 40. » Ce n'est là qu'une partie de l'opération ; il faut encore d'autres manipulations pour en compléter l'effet 41 ; mais on ne peut se méprendre sur le procédé décrit par Homère. Il est resté en usage pendant toute l'antiquité 42. Il y avait encore une autre manière de préparer la peau lorsqu'on voulait en faire du parchemin 43 ; les anciens, comme on sait, étaient arrivés dans cet art à une grande perfection ; mais les moyens dont ils se servaient nous sont peu connus [MEMDRANA]. Après avoir tanné le cuir, il fallait le corroyer, c'està-dire l'assouplir et le teindre, pour le rendre propre aux usages les plus délicats. On l'assouplissait en le frappant avec des bâtons". Pour le teindre, on le soumettait à l'action de diverses matières; quelques-unes de celles qui ont été nommées plus haut avaient déjà par elles-mêmes des propriétés colorantes ; on employait en outre l'écorce du micocoulier (diospyros lotos L. 45), la garance 45, l'écarlate 47, et surtout le sulfate de cuivre (y«)sxavlov, atramentum sutorium 48), dont l'usage cependant était plus souvent abandonné aux cordonniers proprement dits [suTOn]. Les anciens employaient sans doute encore beaucoup d'autres matières, si l'on en juge par la variété des nuances qu'ils donnaient à leurs chaussures 4s Les cuirs destinés aux selliers et aux bourreliers devaient subir la même préparation ; les parchemins mêmes étaient quelquefois teints sur le côté où l'on n'écrivait pas 50. II y a encore une préparation d'un troisième genre; c'est celle que donne l'ouvrier appelé chez nous mégissier, et que l'on fait subir aux peaux que l'on ne veut pas dépouiller de leur poil (SÉpµa.a SaaÉa). L'usage des fourrures étant assez répandu chez les anciens [PELLIs], ils devaient connaître un procédé particulier pour les préserver de la corruption. Il est bien probable qu'ils les traitaient par l'alun et le sel marin, comme on le fait aujourd'hui, et comme ils le faisaient eux-mêmes pour certains cuirs (v. plus haut). Quelquefois ils se contentaient de les corroyer sans les tanner ; en ce cas, elles étaient dites wµoSÉ'ssïra 51 Enfin il paraît que certaines peaux, probablement très grossières, étaient tout simplement séchées au feu (('épacet aapo7rrOeTeat 55) et qu'elles servaient à confectionner des manteaux appelés 7tuptI)Sotpot 56 ; mais on ne peut dire qu'elles fussent véritablement tannées. Un atelier de tanneur ((3upaiov 57, [3upaoaélnov 58, o f ftcina coriarii 59), découvert en 1873 à Pompéi (région f, île 5), permet de se faire une idée exacte de ce qu'étaient les établissements de ce genre dans l'antiquité 60. Après avoir traversé un vestibule et un atrium, on entre dans une cour entourée d'un péristyle ; 1à sont disposés, le long d'un mur, six compartiments (fig. 1943), dans lesquels on procédait peut-être au nettoyage des peaux. Dans le premier compartiment (à droite sur le plan), se trouve un bassin de forme irrégulière, flanqué de deux autres plus petits; un canal en sort et fait le tour des compartiments suivants pour amener le liquide dans trois grands do lia. Il est probable qu'après avoir râclé les peaux sur des chevalets placés dans la cour, on leur faisait subir dans ce bassin et dans les do lia avec lesquels il communique les rinçages successifs et les bains chimiques qui devaient les rendre propres à être tannées. De la cour, on passe par un corridor dans une autre cour (fig. 1944). Là sont rangées sous un hangar quinze cuves de forme à peu près ronde, où sans doute les peaux étaient soumises au tannage proprement dit. Entre les cuves sont trois bassins oblongs et sept vases en poterie encastrés dans le sol. Dans cette cour on a trouvé aussi les outils des habitants du lieu 61 Ils sont de trois sortes; l'un (fig. 1945) est un racloir (xv'l'mrpov 63); il se compose simplement d'une lame de bronze rectangulaire fixée dans un manche en bois. Un autre (fig. 1946) est une lame un peu courbe, tranchante à la partie concave, et dont chaque extrémité était munie d'un manche ; on devait donc le tenir à deux mains ; c'était aussi un racloir, mais il n'est pas facile de déterminer d'une façon précise dans quel cas on l'employait de préférence à l'autre. Un troisième (fig. 1947), tranchant à la partie convexe, était plutôt destiné à couper ; il présente beaucoup d'analogie avec le tranchet (aEptroasdç) dont se servaient plus spécialement les cordonniers [suTOR]. Il y a au musée de Mayence deux outils d'origine romaine, qui COR -1507COR ont été trouvés dans cette ville en 1.857, au milieu de débris de cuir, et dont les formes peuvent être comparées avec celles que nous venons de décrire (fig. 1948 et 1949) 63 Les tanneurs à Athènes ne pouvaient avoir leurs ateliers dans l'intérieur de la ville ; on les avait obligés, par raison de salubrité publique, à s'établir hors des murs avec les marchands de fromage et les marchands de miel, dans un quartier appelé Asapôç °'. Il est à remarquer d'ailleurs qu'à Pompéi même l'officina coriariorum est très loin du centre de la ville; elle touche presque le rempart et la porte Stabienne 65. Les Grecs considéraient le métier des tanneurs comme rebutant surtout à cause de la mauvaise odeur qu'ils répandaient G7. Aristophane ne pouvait manquer d'exciter l'hilarité publique, lorsqu'il bafouait dans ses Chevaliers Cléon le démagogue, qui avait fait sa fortune dans le commerce des cuirs 68 ; celle d'Anytos, l'accusateur de Socrate, avait la même origine 69. Sous la domination romaine, les tanneurs grecs formèrent des associations; on trouve une corporation de [iupreïç établie à cette époque à Thyatira, en Lydie 70. A Rome, les tanneurs se réunirent en corporation dès le règne de Numa et en se distinguant déjà des ouvriers qui façonnaient le cuir. Ils avaient leurs ateliers dans le faubourg où l'on reléguait les industries dont on redoutait le voisinage, au Transtévère i1, dans la xive région. Tout leur quartier, y compris le lieu de réunion de leur collège, portait le nom de Coriaria; il se trouvait sur le bord du fleuve, entre la porte Septimiana et le temple de Fors Fortuna (Ripa grande), sur le terrain qu'occupent actuellement la rue Piscinula et l'église de Saint-Chrysogone 77. Par la suite les tanneurs, ainsi que les Juifs, se sont transportés en face, sur la rive opposée, où ils habitent encore (Rione della Regola). De leur antique séjour proviennent plusieurs inscriptions 73 de la fin du in° siècle après J.-C. et de la première moitié du 1v°, où il est fait mention de leur collège (corpus coriariorum). On y voit combien la division du travail, dans l'industrie du cuir, avait fait de progrès sous l'empire romain : un ouvrier de Rome, afin de préciser le genre de ses attributions, s'intitule coriarius subactarius (v. plus haut corium subigere) ; c'est à proprement parler un tanneur qui prépare le cuir pour son compte ou peut-être pour le compte d'autrui. Il y a en outre des marchands en gros de cuirs pour semelles (corarii magnarii solatarii, de sola, semelle 7u, et non de solea) ; ceux-là vendent le cuir, mais ils ne le préparent pas, ou du moins ils ont sous leurs ordres des subactarii qu'ils font travailler. Ils devaientformer une fraction du collège, probablement la plus importante ; car leur commerce avait un débouché considérable. Ils sont tout à fait distincts des ouvriers cordonniers appelés soliarii, dont un collège avait son siège près du théâtre de Pompée 75. G. LAFAYE.