Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article HENDEKA

IIEXDEI A (Of ''Evôaxa). On donnait ce nom à un collège de magistrats athéniens investis tout à la fois d'attributions administratives et d'attributions judiciaires. « Ces magistrats, dit Aristote, sont désignés par le sort. Ils ont la surveillance de la prison. Ils punissent de mort les voleurs qu'on amène devant eux, lorsqu'ils avouent leur crime. En cas de dénégation, ils les traduisent devant un tribunal; s'ils sont acquittés, il les mettent en liberté ; s'ils sont reconnus coupables, ils les font aussitôt mettre à mort. Les Onze. introduisent devant le tribunal compétent les actions relatives à des biens qui auraient dé être compris dans une confiscation, et, si le droit de l'État est reconnu sur ces biens, ils les livrent aux polètes. Ils introduisent également les éveE(;Ets ; ces actions sont de leur compétence ; toutefois, pour quelques vôE(ï;zts, les thesmothètes sont aussi compétents 1. » Aristote vient de dire que les Onze sont des magistrats désignés par la voie du sort'. Pollux précise davantage : le sort, dit-il, en désigne un par tribu, et, aux dix ainsi nommés, on ajoute, pour arriver à onze, le ypaii.,.xTEÛ; du collège 8. Ce renseignement est-il bien exact? On a objecté que les Athéniens faisaient une grande différence entre les magistrats et les ,,oui.. aietEls, et qu'ils devaient répugner à l'assimilation d'un greffier à un magistrat '. Mais il est permis de croire que le secrétaire des Onze n'était pas un simple scribe, entièrement dépendant du collège, qu'il jouissait, dans sa sphère d'action, d'une certaine indépendance, et qu'il était exposé à des responsabilités personnelles envers l'État et envers les particuliers 8. Même sous le bénéfice de cette observation, le texte de Pollux a donné prise à des critiques que le témoignage d'Aristote ne fait pas entièrement disparaître G. Les Onze avaient sous leur autorité la prison d'Athènes, le BEGp.uTŸ~tov [CAncER, p. 917]. C'était entre leurs mains qu'étaient remis tous les individus qui devaient être incarcérés, condamnés, ou prévenus sujets à détention préventive, ou même simples débiteurs contraignables par corps. Ils devaient personnellement veiller à ce que les prisonniers fussent dans l'impossibilité de s'enfuir'. C'était devant eux que les entraves étaient mises ; c'était en leur présence qu'elles étaient ôtées. Le dernier jour de la vie de Socrate, ses amis ne furent pas admis à le voir d'aussi bonne heure qu'ils le souhaitaient, parce que les Onze étaient auprès de lui pour lui annoncer que le moment de mourir approchait et pour le faire débarrasser de ses liens 8. La responsabilité des Onze était sérieuse. Isée parle d'une condamnation à mort, qui fut prononcée contre tout un collège qui avait arbitrairement ouvert les portes de la prison à quelques malfaiteurs'. C'était en qualité de directeurs de la prison que les Onze présidaient aux exécutions capitales 70. Théramène, condamné à mort sur les instances de Critias, a cherché un refuge près de l'autel du Sénat, Critias appelle les 11EN Onze et leur ordonne de se saisir de Théramène, de le mener en prison et de donner à l'affaire la suite qu'elle comporte 11 Il semble bien que les Onze occupaient, dans la hiérarchie des magistrats athéniens, un rang assez élevé. Et cependant Aristote ne doit pas avoir complètement tort lorsqu'il écrit que les magistrats chargés de la garde des prisonniers et de l'exécution des condamnations encourent l'animadversion générale. « Si le profit inhérent à la fonction n'est pas considérable, dit-il, on ne trouve personne pour la remplir, ou du moins pour la remplir honorablement 12 ». Xénophon avait déjà appliqué aux Onze des épithètes assez malsonnantes". M. Ilaussoullier estime que l'observation d'Aristote est plutôt vraie pour le régime oligarchique que pour lerégime démocratique". Aristote a d'ailleurs bien soin de faire remarquer que les Athéniens avaient diminué ce que les fonctions des Onze auraient pu avoir d'odieux, d'abord en séparant très nettement la garde des condamnés de leur exécution ; les Onze étaient des gardiens et non pas des bourreaux. Ils étaient aussi arrivés au même résultat en décidant que la magistrature chargée d'une fonction si nécessaire, si délicate, impliquant une grande honnêteté, ne serait ni confiée à un seul homme, ni perpétuelle. De nombreux citoyens devant être appelés à s'acquitter successivement et collectivement d'une pénible charge, l'animadversion devait forcément s'affaiblir en se divisant ". La haute direction que les Onze exerçaient sur la prison d'Athènes peut expliquer le nom de BECll.o?û)`ar.Eç 16 sous lequel ils furent parfois désignés. C'est pour avoir mal entendu et mal compris ce titre de BECU.opttaaxES que des rhéteurs ont écrit que les Onze avaient été appelés Oscll.otpé),cexsç 17, erreur qui a engendré une autre erreur plus grave encore : les Onze seraient identiques aux voi.oyu),ctxEç de Démétrius de Phalère 18 1 La vérité étant aujourd'hui bien connue, il nous paraît inutile de réfuter de pareilles affirmations 13. La surveillance des prisonniers était si bien la fonction principale des Onze qu'on a supposé, avec beaucoup de vraisemblance, que l'édifice assigné à leurs réunions était dans le voisinage immédiat de la prison 20. Aussi Socrate disait-il que les prisonniers sont dans une sorte de servitude à l'égard de ces magistrats. « Vous proposerai-je de me condamner à une prison perpétuelle ? Mais je n'ai nul besoin de vivre toujours esclave des Onze 21 » Les Onze avaient sous leurs ordres un personnel assez nombreux d'agents subalternes et d'esclaves : d'abord les gardiens de la prison, of Totl lEauuT7lotou pé)cexE, 22, et en particulier le geôlier, b 0upupds, à qui devaient s'adresser les personnes qui désiraient voir un prisonnier23. Lorsqu'ils étaient appelés pour arrêter un malfaiteur, ils se faisaient accompagner par des gens de service (û7n piTxt), qui mettaient la main sur le coupable 24. Pour donner la torture, ils étaient assistés par des -apxrTxTxt, qui seuls jouaient un rôle actif 2â. Ils notifiaient bien au IIEN condamné le moment où l'exécution devait avoir lieu'; mais ils laissaient à l'exécuteur des hautes oeuvres l'application de la peine. Même quand il s'agissait seulement de présenter au condamné le breuvage empoisonné, ils se faisaient accompagner par un ü7[rioTr,ç Les Onze n'étaient pas seulement chargés de la surveillance des prisonniers, ils avaient aussi mandat de protéger la république contre ceux que l'on appelait les xxxoûryoc, les malfaiteurs. Sous ce nom générique, on comprenait habituellement les Totylocuzot, voleurs avec escalade ou effraction, les x),E7Tat ou voleurs à la tire, les Xt97000tlr t ou voleurs d'habits, les Avôpz7cohnrz(, voleurs d'enfants ou d'esclaves 3, etc. Les Onze devaient avoir les yeux ouverts sur les gens que leurs habitudes de vie rendaient suspects, et ils s'efforçaient de les prendre en flagrant délit pour en purger la société `'. Aussi les appelait-on quelquefois of îrtEtsar'iT«i Twv r2''/.O 'O)V 5. Lorsqu'un délit, rentrant dans l'une des catégories que nous avons indiquées, était commis, la procédure était assez simple et assez rapide. Les témoins du fait délictueux, quand ils étaient courageux et forts, s'emparaient du coupable et le traînaient devant les Onze: c'est la procédure de l'Al'Ac,oGÈ. S'ils se défiaient de leurs forces, ils appelaient les Onze, qui, assistés de leurs agents, procédaient à l'arrestation ; il y avait alors EPIIEGESIS6. Inviolable pour les simples citoyens, le domicile du malfaiteur était-il également inviolable pour les Onze, ou bien les témoins du délit pouvaient-ils, au moyen de l'€çr,ygcc;, triompher de l'obstacle que le délinquant mettait à l'A7tzycoyrl en se réfugiant dans sa maison? Pollux semble bien dire que, dans le cas d'î sl,rr,trt;, le magistrat avait le droit d'entrer dans la maison du coupable 7. Cependant Démosthène fait un crime à Androtion d'avoir introduit les Onze dans les maisons des citoyens, les autorisant ainsi à regarder en quelque sorte la maison de chaque Athénien comme une annexe de leur prison 3. Lorsque, devant les Onze, l'accusé avouait le crime qui lui était imputé, il était immédiatement, sans autre forme de procès, aveu r.G(ree;, puni de mort'. Si, au contraire, il niait, il y avait lieu de soumettre l'accusation au jugement d'un tribunal d'héliastes10 Provisoirement, l'accusé restait, sous la garde des Onze, en état de détention préventive; la mise en liberté sous caution n'avait pas été autorisée pour un pareil cas" Les Onze instruisaient le procès, et, lorsque l'instruction était terminée, ils soumettaient l'affaire au tribunal. Ils jouaient alors, tout à la fois, le rôle de présidents et celui d'accusateurs. On n'exigeait pas, comme pour les autres affaires criminelles, qu'un simple citoyen vînt remplir une sorte de ministère public en formulant une plainte au nom de la société. C'étaient les Onze euxmêmes qui requéraient la condamnation. Si, au cours des débats, l'innocence de l'accusé venait à être établie, les Onze lui rendaient la liberté 12. Si, au contraire, la culpabilité était démontrée, la peine de mort était immédiatement appliquée13. HEN Encore fallait-il, pour que la peine de mort fût applicable, que le délinquant tombât sous le coup de la loi faite pour les =soc '(ot'''. Il pouvait, en effet, très bien résulter des débats que l'accusé se fût rendu coupable d'un crime punissable, d'un ;ai)x xaxouoy-r,;..a, même d'un i.€ytctOV, d'un homicide, d'un sacrilège, d'un fait de haute trahison. Mais les Onze n'avaient pas qualité pour en poursuivre la répression ; leur compétence était strictementdélimitée, et c'était un droitpour l'accusé d'exiger que le tribunal présidé par les Onze se dessaisît du procès et en renvoyât l'instruction et le jugement aux magistrats et aux tribunaux autorisés par la loi à cet effets. Il va de soi qu'il n'aurait pas suffi d'épiloguer sur les mots de l'accusation pour justifier un tel renvoi n. Lorsque les Onze exerçaient la présidence d'un tribunal, en quel lieu siégeaient-ils? Aristophane prête aux juges ce langage : « Nous nous réunissons par essaims dans des espèces de guêpiers ; les uns vont juger avec l'Archonte, d'autres vont avec les Onze dans l'Odéon". On admet cependant généralement que les jurys présidés par les Onze siégeaient dans le IirE ur'OV'$. Ce tribunal, d'après Pausanias, aurait été éloigné du centre de la ville", et l'on a cru en retrouver des vestiges sur le versant nord de la colline des Muses 20. Mais il est malaisé de concilier ce témoignage avec les renseignements que fournit l'un des discours d'Antiphon. Le discours sur le meurtre d'Ilérode a été prononcé devant un jury présidé par les Onze, et il résulte du discours que ce tribunal était près du marché, cv Tf, ûyo . Les juges n'y siégeaient pas à ciel ouvert, lv ür~a:0~c~, comme l'Aréopage et les autres tribunaux compétents pour les homicides, mais bien dans un lieu fermé". Le droit et le devoir pour les Onze de porter devant le tribunal compétent les instances relatives à des fonds de terre, à des maisons, qui, de droit, étaient confisqués, mais qui, en fait, étaient restés en la possession de simples particuliers, cc droit et ce devoir nous avaient été attestés par l'auteur de l'L'tymologicon magnum". Mais le témoignage de ce vieux rhéteur n'était pas admis par tout le monde. Quelques historiens l'avaient écarté, ne voyant pas comment la recherche et la découverte des biens soutraits au Trésor rentraient dans les attributions d'ailleurs bien connues du collège des Onze 23. Depuis la découverte de I"AO-rva(se) 7T0ahTe(r, l'hésitation n'est plus permise, puisque l'Etymologicon et le texte d'Aristote sont presque absolument identiques. Bdckh avait donc raison de faire observer, dès 1840, que les Onze avaient les listes de tous les biens confisqués, non seulement des biens des condamnés à mort, mais encore des biens ne provenant pas d'une condamnation capitale 21. Nous savions déjà, par le témoignage de grammairiens 2', confirmé par deux passages de Démosthène, que l'sv8et;rç, procédure criminelle applicable aux citoyens frappés d'atimie, qui exerçaient les droits civiques dont ils étaient privés, était dans certains cas de la compétence des Onze, dans d'autres cas de la compétence des IIEN thesmothètes 1. « Le délinquant pris en flagrant délit sera dénoncé aux Onze ou conduit devant eux, pour qu'ils s'assurent de sa personne 2. » Les prytanes et les proèdres qui manqueront à leurs devoirs « seront dénoncés aux thesmothètes, en suivant les règles édictées pour le cas où un débiteur du Trésor exercerait une magistrature 3. » Aristote ne contredit pas ces témoignages ; car, tout en déclarant que les Évôsi etç sont de la compétence des Onze, il ajoute que les thesmothètes sont également compétents pour plusieurs vôel;etç `. Il est regrettable qu'il n'ait pas précisé dans quels cas exceptionnelsl'b,istst, devait être portée devant les thesmothètes ; mais, de son rapide exposé, il résulte bien que la règle était la dénonciation aux Onze 5. Nous venons de dire quelles étaient, à l'époque classique, les attributions des Onze. Il serait plus malaisé de déterminer l'époque à laquelle fut institué ce collège de magistrats. Le mode de recrutement indiqué par Pollux, dix des Onze étant les représentants des dix tribus, autoriserait à croire qu'ils se rattachent à la constution de Clisthène, et qu'ils ne peuvent être antérieurs à 509 e. Un passage d'Héraclide, dont le texte varie suivant les éditions 7, a porté Ullrich à désigner comme leur créateur Aristide'. Mais, laissant de côté la question de recrutement, qui leur paraît fort obscure, d'autres historiens sont arrivés à cette conclusion que les Onze existaient dès le commencement du vie siècle', et cette thèse a trouvé un appui dans le résumé que nous donne Aristote de la Constitution de Solon. « Ce législateur divisa les citoyens en quatre classes, en réservant exclusivementaux trois premières les magistratures, archontes, trésoriers, Onze, colacrètesl". » Ce texte n'est pas cependant aussi probant qu'on l'a soutenu et la question reste toujours indécise f1. On a quelquefois comparé les Onze d'Athènes aux Tresviri ou Triumviri capitales de Rome. Les triumvirs étaient, en effet, comme les Onze, chargés de la surveillance des prisons et de l'exécution des condamnations capitales. Comme eux, ils pouvaient recevoir la dénonciation des crimes et procéder immédiatement aux actes d'instruction nécessaires et à l'arrestation des inculpés. Le lieu ou ils siégeaient était sur le Forum, à proximité de la prison publique. Mais les triumvirs occupaient dans la hiérarchie des magistrats romains un rang beaucoup moins élevé que celui qui appartenait aux Onze dans la série des magistratures athéniennes, et cette différence est facile à justifier. Les triumvirs ne prononçaient pas de condamnations capitales ; ils exécutaient celles qui avaient été prononcées par les tribunaux, tandis que les Onze avaient la présidence d'un tribunal, l'~l~suov(c ôtx2cr1piou, et qu'ils pouvaient même faire mettre à mort sans jugement les malfaiteurs, pris en flagrant délit, qui avouaient leur crime. Il ne semble pas d'ailleurs que les Onze aient jamais personnellement mis à mort les condamnés; c'étaient, au contraire, les triumvirs qui procédaient en personne aux exécutions qui avaient lieu dans l'intérieur de la prison, en particulier à l'exécution des femmes et des personnages de distinction; on avait même donné, pour ce motif, à la strangulation dans la prison, le nom de supplicilon triumvirale 12. Ces différences devaient influer sur la considération due aux magistrats. E. CAILLEMER.